Je ne comptais plus les jours depuis le départ de la Compagnie, seulement les mois. Le temps avait filé plus vite qu'une étoile dans le ciel nocturne et de grands changements s'étaient opérés. Je n'étais plus la jeune femme qui l'avait vu partir, les larmes aux yeux, je n'étais plus Meruva, fille de Dirgion, j'étais aujourd'hui Meruva, tout simplement. J'avais perdu ma barbe et mes mains me faisaient encore souffrir comme un dur rappel du prix que j'avais payé pour être enfin moi-même mais c'était avec fierté que j'arborais cette courte barbe, la tête haute. Le temps passerait et elle repousserait mais jamais je n'oublierais cet affrontement.
Assise dans le salon, je m’efforçais d'ajouter quelques détails à un mouchoir que je brodais mais mes doigts commençaient à me faire mal et mon invitée n'allait pas tarder. Loin jouait tranquillement dans sa chambre, comme le grand garçon qu'il était mais je savais qu'il ne tarderait à venir réclamer son goûter à un moment ou un autre. Une petite bouffée de colère emplissait mon cœur chaque fois que je revoyais son petit bras blessé. La peine de celui qui était mon père était bien trop douce comparé à ce qu'il lui avait fait mais la mort n'aurait été que plus douce encore. J'avais envoyé ma suivante lui préparer une petite collation pendant que je poursuivais mon ouvrage, faisant également préparer de quoi nous désaltérer, Ilhy et moi.
Je jetais un rapide coup d’œil à l'horloge du salon, me levant pour me contempler dans le miroir, passant ma main dans ma barbe qui avait perdu de sa douceur. J'avais passé plus de temps que d'habitude pour me préparer ce matin en prévision de cette entrevue. Cela faisait un moment que je ne l'avais pas vu. J'avais encore du mal à me faire à ma nouvelle apparence mais elle me plaisait de plus en plus, elle et ce qu'elle représentait. J'avais cependant peur de ce que l'on pouvait penser de moi, de l'incidence que cela pouvait avoir sur l'image que je donnais de moi et ainsi de Thorin. Je repris doucement place pour me remettre à mon ouvrage quand on frappa à la porte du salon. Sursautant, je me piquais le doigt, le portant rapidement à ma bouche pour ne pas tâcher mon mouchoir. Suçant le sang qui perlait à mon index, j'invitais la naine à entrer avant de poser mon ouvrage dans le panier destiné à cet effet.
« Comme je suis heureuse de te voir. Ta fraicheur m'avait manquée. »Je me levais pour venir à sa rencontre en quelques pas, la prenant dans mes bras en une courte étreinte. Ilhy était une naine rafraichissante et j'avais toujours envié sa liberté. J'en avais aujourd'hui fait mienne et j'avais une requête à lui faire mais nous avions d'autres choses en tête pour l'après-midi.
Je l'invitais à s'asseoir sur le canapé que j'occupais un peu plus tôt, le désignant d'un geste large avant de m'asseoir doucement sur l'un des coussins.
« Avant que nous n'abordions le sujet de ta visite, comment vas-tu ? J'ai l'impression que nous ne nous sommes pas revue depuis des années. »Ma suivante entra rapidement pour déposer un plateau de thé avec des petits gâteaux. Je lui signais quelque mots en Iglishmêk pour savoir ce que faisait Loin et s'il était déjà venu chercher son goûter avant qu'elle ne s'efface à nouveau, nous laissant seules.
Je tournais mon buste pour faire face à ma voisine, lui proposant du thé en tendant une tasse remplie du liquide ambré. Avant que l'on n'attaque les choses sérieuses, je voulais rattraper le temps perdu avec la demoiselle.