You fill my head with pieces ♦ Kili

You fill my head with pieces

Fraìa & Kili

Elle avait eu un mauvais pressentiment dès qu'elle avait su que leur peuple se rassemblait pour une annonce de leur roi. Elle connaissait bien Thorin, qui faisait partie de ses très rares amis, au point qu'elle regrettait parfois de ne pas avoir accepté sa demande en mariage. Alors, elle n'avait pas manqué de remarquer le changement dans son regard, d'entendre la résonnance de son coeur à la simple mention de la Montagne qui avait été témoin de ses premiers pas. Elle l'avait écouté sans rien dire, ce jour-là, le coeur serré et la mine grave malgré elle. Elle comprenait les raisons qui le poussaient à reprendre sa demeure, la demeure de ses aïeux et de son peuple. Elle comprenait sa détermination et sa rage de vaincre. C'était peut-être là le pire, à vrai dire. Être partagée, brisée, entre la noble théorie et la fatidique pratique.
Cela faisait des jours à présent que tout lui revenait, par petits bouts épars, sans jamais prévenir. Le souvenir d'un chuchotement derrière son dos. La sensation de son souffle qui se brise lorsque le lion de Durin monta sur l'estrade. Intimement, elle savait déjà que là où allait l'un des frères, le second le suivrait dans la minute. Elle s'était détachée de la scène, désolidarisée d'elle-même, comme incapable de subir ce qu'il se déroulait réellement sous ses yeux. Elle ne pouvait se laisser gagner par les sentiments à ce moment-là. Comme souvent, elle s'était cachée derrière un masque. Cette fois, ce fut autant pour se protéger que pour protéger ceux qu'elle... estimait. Loin d'elle était le désir de leur faire du tort, de montrer ne serait-ce que l'ombre d'un doute quant à leur entreprise. Il fallait être forte, bien sûr. Pour les laisser partir l'esprit léger.
Aujourd'hui était différent, comme hier l'était. Là, à l'abri des regards, elle pouvait s'enfermer dans sa chambre et laisser le manque d'oxygène attaquer sa poitrine jusqu'à la faire faiblir. Elle pouvait laisser déferler sur elle les doutes et les certitudes, le désir et l'appréhension, la panique et la honte. Elle pouvait fermer les yeux et revivre chaque bribe du passé. Se sentir pâlir au contact de lèvres étrangères sur sa main, bouillonner de joie dans une course à la liberté, rougir dans la pénombre. Si elle avait revu le prince plusieurs fois depuis leur incident, elle n'avait jamais osé mettre de mots sur ce qu'elle éprouvait. Ou plutôt, elle ne lui avait remis aucun des mots qu'elle avait couché sur le papier dans le secret de ses quartiers. Elle était retournée à l'entraînement aux moments où Il était présent. Elle le revoyait résolument concentré sur sa pratique avec tant de détail qu'elle aurait pu le peindre si seulement le dessin avait fait partie de ses talents. Elle entendait le timbre de sa voix, rassurant et affirmé, lui promettant de la protéger de toute créature a plus de deux pattes. Le plissement de ses sourcils au moment de faire un choix, le rire bref et celui qui s'étend jusqu'à en perdre haleine. Et les iris sombre qui venaient chercher les siens par-delà la foule à l'heure fatidique de l'appel.

Elle avait fuit alors. Aussi vite que possible, dès la séance levée. Et elle n'avait plus revu, ni son roi ni son... ami. Des entraînements à l'arc, elle n'en avait plus suivi aucun, la discipline abandonnée par lâchetée pure. Comment pouvait-elle se présenter à lui à nouveau, sans risquer de trébucher sur ses propres pensées ? Ces pensées devenues envahissantes, douces et corrosives à la fois. Son suivant n'avait rien dit. Pas décroché un mot, pas laissé filtré une seule information capable de lui nuire. Dehors, ses parents s'inquiétaient sans comprendre que le coeur du problème n'était pas en leur roi. N'avait jamais été en leur roi. Qu'il n'y avait plus de regrets à présent, puisqu'elle avait trouvé à qui dire oui. Pourtant, la mélancolie était là, et l'ombre de regrets nouveaux avec elle. Le laisserait-elle partir sans rien lui dire ? Elle aurait aimé être aussi audacieuse ici qu'en affaires. Mais elle pouvait se complaire dans ses rêves, dans l'idée que tout cela était réciproque tant qu'elle n'avait rien dit. Elle pouvait rêver d'un avenir, d'une cour maladroite et touchante, de prunelles attentives  et.... et tout cela pourrait disparaître en un instant, une révélation. Alors, elle fuyait encore. Fuyait l'idée d'un départ imminent, fuyait toute confrontation en se terrant chez elle, épanchant son âme dans le son de sa harpe.

I woke up like that

Fraìa & Kili

La harpe appuyée contre elle lui procurait un peu de réconfort, la concentration requise pour produire une mélodie harmonieuse permettant à son esprit de s'échapper quelques temps de la réalité, et des pensées qui le taraudaient sans cesse. Plus que de créer de la musique, il s'agissait cette fois de tuer, de faire taire les voix intrusives qui lui parlaient d'un avenir sombre auquel elle ne désirait pas songer. Elle s'était échappée, loin de ses quartiers, loin de la montagne, loin de la lignée de Durin. Une liberté furtive, entre quatre murs de pierre, qui s'évapora lorsqu'un des serviteurs de la maison pénétra dans la pièce pour interrompre sa pratique.

« Qu'y a-t-il ?
— Veuillez m'excuser, le prince Kili de Durin, fils de Dìs, demande audience... »

C'est à peine si elle entendit la suite, trop occupée à s'étouffer sur le début de l'annonce. Une chose importante....    D'une main, elle repoussa la harpe, qui venait de produire un son inédit sous le sursaut nerveux de ses doigts. Puis elle se leva et fit demi-tour avec toute la dignité d'une reine, pour se diriger vers la porte à pas tout à fait mesurés. Une chose importante.... Ce qui était important, là, c'est surtout qu'elle n'était absolument pas prête à le recevoir ! Sitôt la porte passée, elle pressa le pas, attrapant sa femme de chambre par le bras au passage pour l'entraîner dans son sillage sans la moindre forme d'explication, le tout sous le regard médusé de la personne avec qui elle était en train de parler. Ils finiraient leur discussion plus tard. Au hasard, mettons, lorsque son image ne serait plus en péril. Arrivées dans son cabinet de toilette, elle se contenta du minimum de mots nécessaires à la situation avant de lui caler un peigne entre les mains : « Entrevue dans deux minutes. »


Dix minutes plus tard (oui, le temps est une notion flexible chez les naines, qu'on se le dise), elle avait changé de robe, de coiffure, de maquillage et de bijoux (on pourrait dire que la seule chose à ne pas avoir changé était sa petite culotte, mais on ne voudrait pas attirer de pensées inconvenantes, alors nous nous tairons...) et elle passait la porte de l'un de ses salons la tête haute.

« Prince Kili, que me vaut l'honneur et le plaisir de votre visite ? »

Elle l'accueillit avec un sourire un peu trop cordial aux lèvres et une formule toute faite et beaucoup trop cadrée, oui. Le tout sonnait probablement creux, mais elle n'avait pas mieux à proposer, pas pour le moment, pas alors qu'on les observait étroitement. Tournant la tête vers le nain qui restait près de la porte, elle lui signa rapidement de bien vouloir ramener des gâteaux et de les laisser seuls. Elle n'avait pas besoin de s'expliquer, ce qui était rafraichissant. D'une, un prince devait bien avoir l'éducation nécessaire pour ne pas porter atteinte à sa dignité, et de deux, il pouvait s'agir là de sujets sensibles, liés à la couronne. Bon, clairement elle espérait bien que ce ne soit pas le cas, mais avoir une bonne excuse pour se retrouver tranquilles était toujours plaisant. Ils pourraient laisser tomber les artifices par la suite.