Effluves d'embrun [pv Duncan]

Effluves d'embrun

C'était loin d'être la première fois que Duncan se rendait au Gondor, d'une part parce que son existence était jonchée d'aventures, de l'autre parce qu'il s'était agi d'un territoire stratégique pour chercher à en savoir plus sur ses propres origines. Malheureusement, il n'avait jamais appris quoi que ce soit de probant, sur son passé ou les siens. Ce n'était quoiqu'il en soit pas la question qui le préoccupait le plus, en ce moment.
Il souhaitait retrouver son navire, une bonne fois pour toutes, quel qu'en serait le prix à payer. Le pirate était un homme obstiné, même s'il pouvait être question d'une cause désespérée. Le vent fouettait doucement son visage, et il était habitué à côtoyer ce froid mordant, même s'il n'avait rien d'agréable. Il avait d'ailleurs connu bien pire.
Son existence, ces mois derniers, pouvait se résumer à de l'errance, ici et là. Il avait parfois l'impression de pourchasser, seul, un fantôme. Et d'ailleurs, il était lui-même traqué par des troupes d'orcs qui ne lui pardonnaient pas leurs différends précédents. Les occasions durant lesquelles il aurait pu baisser les bras, découragé, avaient été nombreuses. Il restait malgré tout déterminé.
Duncan avait récemment eu vent d'une femme qui exerçait dans le mercenariat, et qui n'avait assurément pas froid aux yeux. Or, le forban avait besoin de quelqu'un d'efficace. Il n'avait personnellement jamais eu d’atomes crochus avec les assassins. Selon lui, l'argent ne justifiait pas tous les crimes, mais il n'était pas très regardant vis-à-vis des questions de morale, non plus. Il était après tout loin d'être irréprochable, lui-même. Il avait ouïe dire des choses sur cette femme, Kiria, mais il préférait se méfier des rumeurs. Il avait peu d'or sur lui, et il espérait ne pas aller vers un nouvel échec, mais qui ne tentait rien n'avait rien. La question de subsister devenait aussi difficile. Duncan ne voulait et ne pouvait pas former un nouvel équipage dans les conditions actuelles ; il ne pouvait même plus réellement se considérer comme un pirate digne de ce nom. Alors il gagnait de l'argent, ici et là, de façon honnête, ou non. Il s'était demandé, quelques fois, s'il pouvait tenter le mercenariat, lui aussi, mais était-ce si simple ? En avait-il le tempérament, d'ailleurs ?
Concernant la mercenaire, Duncan avait décidé d'agir avec prudence, comme à l'accoutumée. Il voulait d'abord vérifier par lui-même qui elle était, et de quoi elle était capable. D'autre part, il attendait le moment propice pour l'aborder. Il la suivait depuis peu, lorsque la fatale enchanteresse s'aperçut de sa présence, et perdit patience. Si Kiria était sur le qui-vive, il ne fallait pas douter que c'était tout autant le cas de Cobalt.

« Vous savez qu'il est impoli de suivre une femme comme vous le faites ? Ça me donnerai presque envie de vous tuer pour m'avoir dérangé. » dit-elle, en faisant volte-face.

Duncan n'était pas réellement surpris, cependant, il s'accorda un bref instant de réflexion. Il songea d'abord qu'il lui faudrait trouver les bons mots, s'il ne voulait pas tuer, ni être tué. Ensuite, le regard de Kiria lui fit forte impression. On aurait dit deux lames de glace, deux stalactites prêts à fendre sur la menace possible. Il ne faut pas douter que le regard d'argent du marin se fit aussi perçant, après tout, il portait bien son nom.

C'est que j'ai besoin de vous. J'ai de quoi payer, répondit-il, avant de se rendre compte de sa propre maladresse. Ne croyez pas par là que je vous prends pour une... enfin, une prostituée ou quelque chose comme ça, se corrigea-t-il lui-même, au risque de s'enfoncer.

Il espérait vraiment qu'elle était prête à l'écouter, mais il disait tout sauf ce qui était juste, et il pouvait donner l'impression de lui faire perdre son temps. Il n'avait jamais été à son aise avec le beau sexe. A cran, il gardait aussi sa main non loin de son arme.

Sachez que je ne vous veux aucun mal, et j'aurais de toute façon bien du mal à vous en causer...

Effluves d'embrun

Duncan observait son interlocutrice, de façon inquisitrice ; il avait rarement vu un regard aussi farouche et déterminé, hormis chez certains de ses vieux compagnons de mer. D'ailleurs, les pirates avaient l’œil plus éteint, moins vif. Ils ne brûlaient pas de la même colère sourde. Il fallait peut-être tenir beaucoup rancune à l'humanité pour en arriver là... Malgré tout ce qu'il avait traversé et tout ce qu'il avait à se reprocher, Duncan ne pensait pas avoir atteint ce niveau de misanthropie là. Pendant un instant, il se demanda s'il n'avait pas fait le mauvais choix. Mais après tout, il ne comptait point s'en faire une amie. Il voulait seulement quelqu'un d'efficace. Il espérait seulement ne pas avoir à le regretter. La femme n'aimait guère être dérangée, et peut-être ne faudrait-il pas davantage pour les pousser vers la violence. Mais il tint bon et il resta en face d'elle. Il avait encore un peu d'espoir à l'égard du genre humain.
Lorsqu'il s'embourba dans ses propres paroles, il craignit véritablement de l'offusquer ou de dépasser la limite de sa patience, mais elle resta calme pour le moment. Peut-être son entrée en matière n'était-elle pas si lamentable, en fin de compte. Au reste, la mercenaire restait imperturbable. La première réaction visible sur son visage fut un étirement de la lèvre, plus proche encore du rictus que du sourire sans joie. Visiblement, elle ne doutait pas qu'elle l’empalerait sans mal, s'il le fallait. Peut-être avait-elle raison, après tout, mais Duncan souhaitait croire qu'il était encore capable de se défendre. De toute façon, le pirate avait l'habitude d'être sous-estimé. N'était-il pas un capitaine sans navire, vieillissant et à l'allure misérable ? Mais bon, être sous-estimé pouvait bien souvent permettre de survivre.

« Parle, vieil homme. Que me veux-tu ? »

Elle allait tout de suite au fait, mais au moins avait-il capté son attention. Duncan comprit qu'il n'avait pas intérêt à perdre davantage de temps et qu'il devait plus correctement choisir ses mots. Bien entendu, il ne chercha pas à se formaliser du ton employé par cette femme.

Un service, contre de l'argent, tout simplement, répondit-il. Je recherche un navire que les orcs ont volé et emporté, il y a bien des lunes de cela. J'ai des informations, mais peu. A vrai dire, je n'ai pas beaucoup d'économies non plus, mais je peux me rendre utile et une fois que le bateau est de nouveau à moi, vous n'aurez assurément plus à vous inquiéter pour des questions de dettes... Quel que soit votre prix.

Il s'arrêta là, sans détourner son regard d'argent de la jeune femme. Il avait conscience que ses arguments étaient maigres, mais son discours était teinté de détermination et de sincérité. Après tout, qui ne tentait rien n'avait rien.

Effluves d'embrun

Duncan n'était pas un homme farouche, même s'il avait commis, au cours de sa vie, des actes dont il n'était pas particulièrement fier. Il ne se montrait pas hésitant, dès qu'il ressentait que sa vie était en péril, mais pour l'heure, c'était une alliée qu'il était venu quérir. A quoi bon se montrer hostile ou provocateur ? Il la soupçonnait d'être imprévisible et dangereuse, mais le risque de l'aborder était une nécessité. Après tout, on ne pouvait pas exiger d'elle une telle efficacité, si elle n'avait pas un tempérament pareil. Il s'était d'abord demandé si la contacter de cette façon, n'avait pas été une erreur... Mais finalement, elle ne semblait pas lui en tenir rigueur. Qu'aurait-il bien pu faire d'autre, de toute façon ? Ce type-là de mercenariat ne pouvait guère s'accompagner de rendez-vous officiels,  et d'ailleurs, la jeune femme – quoique pressée – semblait encline à écouter. Une fois qu'il eut expliqué son cas, il resta silencieux, appréhendant quelque peu sa réaction. Sa requête n'était après tout pas banale, sans compter qu'il ne semblait pas rouler sur l'or, bien au contraire. Peut-être jugerait-elle qu'il se moquait d'elle. Si son initiative était une folie, c'était pourtant bien involontaire.

« Et qui vous assure que votre bateau n'a pas été détruit depuis ? » demanda-t-elle.

Duncan n'apprécia guère cette question, même si elle était pertinente, et même s'il y avait lui-même pensé bien des fois. Il avait imaginé, à plusieurs reprises, La Naïade dormir sous les océans. Mais il refusait de perdre l'espoir de retrouver le bâtiment pour autant.

Rien, reconnut-il avec franchise, si ce n'est des rumeurs sur ses prétendues apparitions, qui me parviennent de temps à autres. Et si tel est le cas, à moins que le navire ait sombré, j'aimerais de toute façon en avoir le cœur net, admit-il avec incertitude.

Il avait conscience qu'il n'était pas dans son intérêt de se montrer incertain à l'égard de son interlocutrice. Il ne doutait pas qu'elle était capable de percevoir la moindre faiblesse chez lui, à la manière des loups et des chiens.

Même si vous finissiez par retrouver une épave, je paierais ma dette envers vous, précisa-t-il.

« Donnez donc vos informations que je puisse mieux réfléchir à votre proposition. N'omettez rien. » poursuivit-elle, heureusement.

Duncan avait du mal à croire qu'ils en arrivaient là, malgré l'espoir qui l'avait poussé à venir parler à cette femme. Il rentra donc dans des explications précises, expliquant à quoi ressemblait le navire, et où il l'avait vu pour la dernière fois ; où il l'avait perdu... Cela faisait désormais plusieurs saisons qu'il le recherchait et ses diverses enquêtes lui avaient permis d'apprendre que le navire était encore utilisé par des orcs, et qu'il avait été aperçu ici et là, comme un signe de mauvais augure. Bien entendu, ces nouvelles étaient à prendre avec délicatesse mais pouvait-il véritablement y avoir de la fumée sans feu ? Pour finir, il lui parla du dernier endroit où avait vraisemblablement été aperçu le bateau. Il apparaîtrait à l'horizon, à quelques lieues des rives du Gondor. Duncan ne se trouvait bien entendu pas sur ces terres, de façon anodine.

Ces orcs ont beau singer les pirates, ils ne sortent que la nuit et ils se limitent à un certain périmètre. Peut-être ont-il quelque grotte, quelque cachette, dans des îles aux environs... Il doit bien y avoir un moyen d'en apprendre davantage et de les arrêter... D'ailleurs, je serais paré à vous prêter main forte, conclut-il.