Des Accords Mineurs - Alayna

Aaaah, la grande et belle Edoras. Ce qu'elle n'avait pas en richesse et en luxe, elle le compensait par une virile déclaration d'intention à la face du monde. Aussi élancée que les cavaliers de son peuple, la citée se dressait fièrement au milieux des plaines du Riddermark. Et même si ceux-ci étaient souvent plus préoccupés par leurs montures que par l'élévation de leurs âme d'un point de vue artistique, ils n'en restaient pas moins dotés d'un goût en musique certain. La preuve, ils l'avaient payés pour mener concert au coeur de la ville. Il ne pouvait évidemment pas être engagé par quelqu'un sans sens artistique, n'est-ce pas ?

Son Orchestre de nuit récemment reformé après son absence s'était déplacé avec lui en une longue caravane ignoblement chargée. Déplacer contrebasses, percussions et autres instruments personnels des musiciens n'était pas évident sur les routes mal construite sur des carrioles bringuebalantes, mais ils n'avaient pas de réelle autre alternative. Jamais ils n'arriveraient à trouver à leur destination la variété d'instrument nécessaire à leurs orchestrations. Ils devaient donc se dire qu'à toutes choses malheur est bon et profiter de leur long trajet pour répeter tant et plus, que ce soit lors de leurs maigres périodes de pause ou assis sur le pont des carrioles.

Leur entrée en Edoras avait été moins que spectaculaires. Hasard de l'horloge, ils étaient arrivés dans la nuit, spectre sombres se mouvant dans les rues de la capitale jusqu'à leur logis désigné. Et le lendemain, l'intendant lui annonça qu'il avait tût leur participations aux festivités, ne préférant pas engager la jalousies d'autres partis. Aevan n'était pas le moins du monde rattaché à la politique, mais il n'était pas assez sot pour enfreindre par pur méchanceté des consignes donnés en toute bonne fois.
Ils s'étaient donc entrainés en sourdine, essayant de sortir le moins possible de leur hôtel particulier, se faisant porter plats et fruits par des serviteurs extérieurs, probablement rattachés à la maison royale. Ce fut une semaine longue et lasse, mais le concert arrivant bientôt, ils n'avaient pas de réels motifs de se plaindre.

Et c'est aujourd'hui qu'Aevan se trouve à regarder son orchestre évoluer sur scène. Depuis la foule. C'était un défi supplémentaire qu'il leur avait proposé, en plus d'un bonne possibilité de formation. C'était son second, Arod, qui dirigerait aujourd'hui l'Orchestre de Nuit, subissant pour la première fois l'épreuve du feu au milieu d'un grand festival important. Ses musiciens devraient donc redoubler de talent et de confiance, pour s'adapter à un mode de direction différente et combler sur l'instant les éventuels lacunes causées par le stress ou le simple oubli. Cela promettait d'être intéressant, surtout au yeux du compositeur.
Il s'était trouvé une petite place dans coin légèrement à l'écart des festivités, près d'un petit stand de boisson, où il avait vu complète sur la scène et suffisament de son pour distinguer les nuances du travail des musiciens. Un verre de vin à la main et l'air négligent, il observait donc, parfaitement incognito dans cette immense masse public qui allait et venait sur la grand-place de la citadelle.

Le chemin jusqu'à la capitale du Rohan était long depuis les terres occupées par sa famille, long et dangereux ; mais la jeune femme n'attendait qu'une chose, vivre une aventure pour venir troubler son quotidien bien souvent trop morne à son goût. Pourtant, le souvenir d'une mauvaise aventure était encore frais dans sa mémoire, un souvenir qu'elle aurait préféré effacer à tout jamais mais que les attentions de son époux ne faisaient que repousser, sans jamais les éloigner suffisamment. Elle avait été marquée au plus profond d'elle-même, comme la page noircie d'un livre, mais même les sentiments que ce souvenir faisait remonter ne parvenaient pas à faire faiblir sa soif d'aventures. Les elfes, les trolls, les dragons et les nains, elle rêvait de vivre tout cela au grand jour dans le monde réel, jeune fille sans expérience ou femme mariée, cela n'avait jamais rien changé. Il est cependant des rêves que l'on ne peut vivre éveillé et ceux de la belle étaient de ceux-là.
Perdue dans ses pensées comme à son habitude, la jeune femme n'avait conscience du regard que son époux posait sur elle durant leur chevauchée. Depuis neuf ans déjà, ils avaient prononcé leurs vœux, se promettant l'un à l'autre pour l'éternité. Il n'était pas celui qu'elle avait choisi de prime abord mais jamais elle n'avait regretté de s'être liée à lui plutôt qu'à son amour de jeunesse. Parce qu'il se montrait plus attentionné, parce qu'il lisait dans ses pensées, parce qu'il l'aimait tel qu'elle était et parce qu'il la comprenait. Lyrram était à la fois son soleil et sa lune, le seul qui voyait les étoiles constellant son âme plutôt que son regard. Difficile de savoir à quoi il pensait en cet instant, alors que ses yeux restaient fixés sur son épouse mais l'amour qu'il portait pour elle s'y lisait à chaque instant, comme si une flamme inextinguible allumait son regard. Il détourna cependant les yeux, replaçant son assiette en se concentrant sur l'horizon qu'il balaya un instant des yeux.

Edoras n'était plus très loin, citadelle de bois posée sur une ligne horizontale en contrebas d'une montagne. La ville n'avait pas le charme de la capitale du Gondor que la jeune femme avait connu plus jeune ; il lui avait toujours semblé qu'elle avait été bâtie par un enfant dans un jeu puérile, avec ressemblance mais sans solidité. Elle avait l'habitude des construction en bois du Rohan et pourtant, depuis son retour, sa fragilité l'avait frappée de plein fouet, faisant naître un sentiment d'insécurité quand une étincelle pouvait tout réduire en fumée. Mais malgré son apparent manque de solidité, telle une boîte, un coffret, la ville renfermait de nombreux souvenirs appartenant à la belle, des souvenirs qu'elle accueillait à bras ouvert en pénétrant en son sein.
Ils s'arrêtèrent à une auberge, installant leurs affaires dans une chambre confortable au coût non négligeable quand on ne souhaitait partager ses appartements avec les bêtes. Un lit propre et bien fait, une armoire embaumant le pin frais, une pièce lumineuse éclairée par une fenêtre encadrée de magnifiques rideaux. Alayna profita de ce moment de répit pour s'allonger sur le lit, laissant ses jambes battre librement le vide sur un côté du lit pendant qu'elle contemplait le plafond. Les mains posées sur son ventre en une position paisible, elle ferma les yeux, humant profondément l'air ambiant investit de la cuisine préparée au dessous. Le voyage lui avait ouvert l'appétit et l'odeur promettait un bon repas. Une main se posa sur son genou, le caressant doucement comme pour s'assurer qu'elle ne dormait pas. Elle ouvrit délicatement les yeux, inclinant la tête pour contempler son époux qui la regardait en souriant, lui tendant la main pour l'aider à se relever. Sautant sur ses pieds avec son aide, elle grimpa sur la pointe de ses pieds pour déposer un chaste baiser sur son menton avant de sortir de la pièce en riant.

Le repas avait été plus que mérité après leur longue journée de chevauchée et fut engloutit à une vitesse phénoménale, leur laissant du temps pour déambuler tranquillement dans les rues de la capitale. Se tenant à son bras, elle observait le ciel qui apparaissait entre les toits se teinter doucement, s'embrasant sous le soleil couchant. Les festivités n'allaient pas tarder à commencer et emboîtant le pas aux habitants, ils arrivèrent sur la grand-place où une foule s'amassait déjà. Si Alayna aimait la fête et encore plus la musique, elle n'était pas très à l'aise au milieu d'une masse compacte, préférant rester aux abords pour profiter pleinement, tranquillement et à l'air libre. Garder une bulle pour respirer était bien souvent vital durant les mondanités de ce genre.
Non loin de la scène qui lui était cachée par la foule, la jeune femme écoutait la musique diffusée par les instruments, bougeant la tête en rythme avec les sons qui lui parvenaient. Tenant toujours le bras de son mari, elle posa sa tête contre lui pour trouver une position confortable debout. Celui-ci vint passer son bras autour de ses épaules, la serrant contre lui avant de la lâcher, se dégageant légèrement. Sa bouche se colla à son oreille alors qu'il lui proposa d'aller lui chercher un verre, s'engouffrant parmi la foule en la laissant seule à sa place. Ainsi abandonnée, elle choisit de se trouver une place assise où ils seraient mieux pour profiter du concert ; déambulant doucement en cherchant un banc des yeux, elle ne trouva rien mais ne put retrouver sa place initiale. Elle était parvenue à se perdre sur cette grande place et sans doute Lyrram la cherchait-il avec leurs verres en main. Elle n'eut aucun mal à imaginer l'inquiétude qui devait le saisir en cet instant mais elle n'aurait pu le trouver dans cette foule ; l'idée lui vint soudain d'aller le trouver là où se trouvaient les boissons, peut-être lui viendrait-il à l'esprit qu'elle serait allée l'y trouver.
Cependant, ce n'est pas son époux qu'elle trouva là, en arrivant près du stand, ses mains cachées sous ses bras dans une attitude incertaine. Le visage lui était familier mais il lui fallut un moment avant de le replacer dans ses souvenirs, se glissant sans bruit à ses côtés, elle s'adressa alors à lui.


Un mince sourire étirait ses lèvres tandis qu'elle levait son visage vers son interlocuteur, le saluant délicatement de la tête.

Aevan mit un petit moment à se rendre compte qu'on lui parlait. Pendant quelques secondes il chercha la voix autours de lui, voir qui dans cette grande foule avait pu trouer quelque chose à lui dire. Et surtout l'avait reconnu ainsi sans problème. (S'il avait été en Gondor il ne s'en serait pas étonné, mais parmi ces drôles d'équinophile, on ne peut sérieusement s'attendre à la moindre étincelle de culture).
Après quelques mouvements de têtes curieux, il finit par tomber sur le coupable de cette invasion caractérisé d'espace personel. Une femme, plutôt jeune, bien habillée par rapport aux standards de la ville, et qui le regardait avec un sourire.

Une fois le visage bien en tête, Aevan se mit à chercher dans sa bibliothèque de visage connue. Il ne lui disait rien au premier abord... ce n'étais pas une amante, pas une maitresse de classe non plus, probablement pas un garde de ville... elle ne se trouvait pas parmi le top 10 des personnalité les plus importantes du Gondor, ni ses groupies habituelles, alors qui... une cliente ?.. Probable. Il se mit à chercher, refilant le cours de ses contrats jusqu'à... Ca y est ! Une cérémonie de mariage, dans laquelle la demoiselle présente jouait la mariée. Son nom ? Ca commençait par a... Alalya ? Alaya ? Alayna ? Quelque chose du genre probablement. Autant éviter de le mentionner directement.
Ce rendant compte qu'il venait de passer probablement bien trop longtemps à la regarder avec un air absent, le musicien afficha un léger sourire sur son visage pour compenser l'air absent de ces dernières secondes et rendit son salut à la demoiselle.

"Ma foi non, je suis en vacance. Ou plutôt, volontairement en pause. Il faut bien que je vois comment ils arrivent à se débrouiller sans moi.... Et si Arod arrive enfin à être plus gracieux avec une baguette qu'un ours avec un baton. "

Il laissa échapper un petit rire pour marquer la plaisanterie qui transparaissait dans ses propos. Arod ne se débrouillait d'ailleurs pas si mal. Son régime, et probablement la présence de sa nouvelle accointance à la maison, l'avait suffisament raffiné pour qu'il arrête de donner de gros coups dans tous les sens.

"Ma foi, je suis quand même content, personne d'autre que vous n'avez réussi à me trouver dans cette foule.. ou simplement à me reconnaitre. Je commençais à me sentir un peu triste."

Buvant un coup dans son verre, encore dangereusement remplis, il vérifia que la demoiselle ne décidait pas de partir tout de suite. Voyant qu'elle ne fuyait pas sa compagnie, il rajouta une petite question, polie et bien maniérée.

"Dîtes moi donc, comment trouvez vous la musique ce soir ? Ne vous retenez pas, je ne commande pas donc je ne le prendrais point mal."

Les notes de musique s'élevaient dans les airs, virevoltant au gré du vent pour venir flatter les oreilles de la foule regroupée sur la vaste place de la Citadelle avant de disparaître dans l'obscurité et rejoindre les étoiles. Malgré la petite brise qui venait agiter ses boucles légères et chatouiller son visage, il ne faisait pas froid et un simple châle jeté sur ses épaules suffisait à la protéger des assauts du vent de saison. Mais ce n'était pas plus la température que l'absence de son époux à ses côtés qui poussa la jeune femme à resserrer les pans de son châle sur sa poitrine tout en se faufilant parmi les gens.
Son mari n'était pas grand, ne la dépassant pas plus d'une demi-tête mais elle n'était déjà pas bien haute elle-même et dans cette foule agglutinée pour écouter la musique, danser, parler, boire ce faisant, elle était bien en peine de le trouver tant bien des gens lui ressemblait. Brun, les cheveux mi-long, une légère barbe ombrageant le bas son visage, elle sentit son cœur bondir chaque fois que son regard se posait sur un homme répondant à cette description, son pas s’accélérant dans sa direction, avant de soupirer de désespoir en réalisant sa méprise pour faire ensuite demi-tour. Elle regrettait d'avoir ainsi quitté sa place pour partir en quête d'un banc où s'asseoir mais le mal était fait et au risque de se perdre davantage pour ne plus avoir de chance de le retrouver, elle se décida à chercher le stand de boissons.

En lieu et place de son mari, elle trouva un tout autre homme à cet endroit et même si la peur d'être définitivement perdue la tenaillait, rencontrer ce visage familier la réconforta quelque peu. Elle qui avait toujours voulu vivre une aventure, craindre une si petite chose que d'être perdue au milieu de la foule était loin de l'image que l'on se faisait d'un aventurier, mais elle ne laissa rien transparaître de sa frousse et aborda le jeune homme avec un petit sourire dont elle avait le secret.
Se glissant en silence à ses côtés, le plus discrètement que sa jupe le lui permettait, elle interrompit le fil de ses pensées. Elle avait un peu de temps à le reconnaître au premier abord, quelques années s'étant écoulée depuis qu'elle l'avait rencontré pour la première fois, mais il était un visage qui ne pouvait être oublié, surtout quand il appartenait à un souvenir comme celui auquel il avait contribué. Son mariage avait été magique, digne d'une princesse dans le royaume du Rohan où les châteaux étaient fait de bois et où les hommes braves naissaient dans des écuries, et c'était en parti grâce au musicien qui avait rendu ce moment inoubliable en faisant danser le village pendant des jours. Certes, le peuple du Rohan n'était pas très regardant et sans doute n'étaient ils pas capable de distinguer toute la beauté des chansons mais il n'avait pas été mince affaire de tenir le rythme si longtemps pour distraire la foule.
Plus petite que son interlocuteur, ce dernier la chercha un court instant avant de poser les yeux sur sa personne, ces derniers s'étrécirent légèrement tandis qu'aucun son ne sortait de sa bouche et il apparut à la jeune femme qu'il ne se souvenait peut-être pas d'elle. Soit, elle ne devait pas être la première femme auquel il avait accompagné le mariage et il avait été plus simple pour elle de le reconnaître que l'inverse mais elle éprouvait tout de même une pointe de déception, détournant son regard pour regarder la foule s'étendant devant eux. Sans daigner le regarder, elle étouffa cependant un petit rire poli à la petite plaisanterie qu'il avait faite.


Bien des gens rêvaient de prendre une pause pour se reposer du dur labeur que leur imposait leur survie mais cesser de travailler ne serait-ce qu'une journée mettait en péril toute une vie, c'était bien connu. Même elle, à l'enfance si insouciante, savait pourtant bien tout le travail que même un noble possédait pour entretenir ses terres et gérer son patrimoine. Elle avait passé des heures durant à regarder son père travailler de la même façon qu'elle épaulait aujourd'hui son époux dans les affaires du domaine, l'enjoignant à prendre des pauses pour se reposer. Mais Lyrram refusait toujours et bien qu'elle ne se sentait pas délaissée pour autant, elle s'inquiétait surtout pour sa santé. Son époux avait simplement à cœur la santé de leurs gens et le commerce n'attendait pas, pas plus que les cultures ravagées par les orcs qui menaçaient de les faire plonger dans la famine.
Mais la soirée était à la fête et bien qu'elle chercha encore son mari des yeux, elle faisait honneur à une vieille connaissance. La jeune femme aurait presque pu ressentir de la pitié pour le ménestrel mais elle se contenta de lui sourire doucement, soupirant légèrement en inclinant la tête. Ses pensées étaient toutes tournées vers Lyrram qui devait s'inquiéter mortellement de ne pas la trouver à l'endroit où il l'avait laissée et de petits plis vinrent barrer son front. Elle resserra un peu plus les pans de son châle autour de son cou, croisant les bras sous sa poitrine avant d'incliner à nouveau la tête en faignant de réfléchir à la question qui venait de lui être posée.


Il lui avait demandé d'être franche, alors elle s'était exprimée sans détours. Même si elle chantait, et pratiquait de temps à autre d'un instrument, ce n'était pas un don inné chez elle et elle ne possédait certainement pas l'oreille absolue ; aussi, elle était mal placée pour critiquer ou apprécier une musique comme celle-là.


Jetant un petit coup d’œil à son voisin, elle sourit malicieusement avant de soupirer à nouveau.

Il regarda d'un air nouveau la demoiselle, qui venait de lui fournir des réponses certes peu originales (et dénuées de l'éloquence qu'il avait l'habitude de rencontrer par la pratique de son métier), mais précises et justes.
Pour le coup, focalisé sur le travail d'Arod, il ne s'était intéressé qu'au côté technique et virtuose de l'affaire. Humpf. Il vieillissait. Comme elle l'avait si bien fait remarqué, la musique manquait d'entraille, de tripes, de coeur, et de foi. Pour une oreille éveillée, certes, cela restait beau, mais une musique de l'orchestre de nuit ne se doit pas d'être belle. Si elle n'atteint pas la transcendance, son but n'est pas rempli. Il devrait mettre un coup de pression ou deux à ses musiciens en rentrant. Peut-être que les faire sortir en équipe dans la forêt et ne venir leur apporter de la nourriture que sur un chant assez mélodieux suffirait à les remotiver. Certes, c'était une méthode d'enseignement déplorable, mais ça aurait le mérite d'être drôle.

Rejetant d'une pichennette le subtil mépris qu'il avait ressenti au milieu de l'étonnement de la damoiselle sur le concept de vacance, il entreprit de se lancer dare-dare dans le vif du sujet.

"Vous avez tout à fait raison. Cela manque de coeur. Peut-être ont-ils trop chaud, peut-être sont ils fatigués, peut-être n'ont-ils simplement pas envie de faire des efforts... Quoi qu'il en soit, votre remarque est juste, cela manque de coeur.
Que les autres l'apprécient importe peu. Le problème est qu'il y aura toujours des gens éveillés pour se rendre compte des légers problèmes... et j'ai ma fierté pour mon orchestre. Si tout le monde ne l'apprécie pas, quel bien y a-t-il à jouer ?"

... Il arrêta de parler. La demoiselle, quelque soit son nom, n'avait pas forcément un intérêt transcendant à écouter ses diverses élucubrations et les méthodes d'enseignement qu'il utiliserait pour continuer.
Surtout qu'elle semblait avoir des problèmes plus urgent. En effet, après avoir réfléchi posément et analysé ce qu'il voyait, le jeune maitre d'orchestre se rendait bien compte de la détresse de la demoiselle. Forcément, perdue dans la foule sans son mari, il était normal pour une dame du monde d'éprouver du stress.

"J'ai vu votre mari, en effet, à votre mariage. Mais pour être honnête, pas encore au milieu de cette soirée. Je peux donc vous proposer ma chaise si vous comptez l'attendre ici, ou ma compagnie comme escorte si vous voulez aller à sa recherche. En attendant, j'espère que vous accepterez au moins de vous désalterez à mon compte. Je ne pourrais décemment pas laisser une dame de votre rang se lancer à l'aventure la gorge sèche."

D'un signe de main, il héla le barman, lui demandant un verre d'eau agrémenté d'une tranche d'agrume pour la demoiselle à ses côtés.

"Après tout, c'est la moindre des compensation pour ne pas avoir réussi à vous offrir une musique digne de ce nom."

La jeune femme n'éprouvait que peu de regret après avoir critiqué ainsi le jeu de l'orchestre, elle qui n'était pas capable d'aligner trois notes justes sur un instrument à vent. Après tout, on lui avait demandé son avis et elle s'était évertuée à se montrer sincère envers l'homme qui se tenait à ses côtés. C'était la moindre des choses n'est-ce-pas, que de rendre une réponse franche quand on l'attendait. Faisant dos au stand de boisson, la foule s'étendant devant ses yeux, elle ne discernait que très difficilement l'orchestre qui se trouvait sur scène mais la musique ne craignait aucune frontières. Sans doute l'entendait-on aux bordures de la ville mais elle n'y était pas, elle se tenait là en cet instant.
Peut-être avait elle vexé le chef d'orchestre, ou peut-être que non. Elle ne savait trop comment interpréter son attitude du coin de l’œil, ne lui adressant pas un regard franc. Elle n'était qu'à ses côtés, ses bras resserrant son châle tout contre sa poitrine tandis qu'elle scrutait la foule à la recherche du visage familier de son tendre époux. Elle finit par tourner la tête, observant plus attentivement son interlocuteur, croisant son regard tourné vers elle. Ses sourcils formaient un pli, juste au dessus de son nez et il lui prit l'envie d'appuyer dessus de son doigt mais elle se contenta de la laisser s'estomper. Fort de son éloquence, il répliqua aussitôt, s'excusant pour la piètre performance de sa troupe et la Dame en ressentit comme un léger pincement au cœur. Non pas pour ses propos mais pour ce qu'ils avaient engendré. Sans doute la personne dirigeant l'orchestre ce soir, pâtirait elle de ces propos peu réfléchis. Mais le passé appartenait au passé et elle ne pouvait revenir dessus. Aussi se contenta-t-elle de le gratifier d'un petit sourire d'excuse, répondant au passage.

« Ne soyez pas trop dur avec vous-même. Je passe une excellente soirée. »

Et elle disait vrai. L'air n'était ni trop chaud, ni trop frais en cette soirée de fin de printemps, pas assez pour qu'elle quitte son châle. L'atmosphère était chaleureuse et propice à la fête tandis qu'un air de musique flottait dans le vent. Elle n'appréciait qu'avec modération de se trouver ainsi en compagnie de tant de personnes, surtout quand elle ne les connaissait pas mais elle appréciait tout de même de voir les sourires sur leurs visages, les entendre discuter avec animation autour d'elle et surtout, partager un instant sous le même ciel, assemblés sur cette place. Elle aurait cependant préféré se trouver aux côtés de son mari, même si elle appréciait tout de même la compagnie d'Aevan. Au moins se sentait-elle moins seule.
Son cœur bondit, transporté par un faux espoir jusqu'à ce que la suite de la phrase ne vienne. Pendant un instant, elle espérait retrouver sa moitié mais ses espoirs furent déçus, réduits à néant. Son front se barra d'un pli d'inquiétude se reflétant dans son regard, ses yeux comme deux miroirs reflétant un ciel orageux. Elle hésita. Son corps oscillant entre les deux propositions. S'asseoir et l'attendre ici ou partir à sa recherche avec une paire d'yeux supplémentaires. Malheureusement, il aurait été d'une moindre aide en sachant qu'il ne se souvenait sans doute pas de son visage. Elle-même, avait du mal à se le portrayer soudainement et elle se sentie comme prise de vertige. La bouche sèche, elle accepta néanmoins le verre qu'on lui proposait.

« Je vais rester ici. Je pense qu'il s'agit de la meilleure solution qui s'offre à moi. Je ne veux pas le chercher dans la foule pour le croiser en vain, sans le voir. »

Ouvrant son châle, elle trouva soudainement qu'il faisait bien chaud à la perspective de l'avoir perdu. Une impression parfaitement idiote, elle le savait, mais elle ne pouvait s'empêcher d'angoisser à cette idée. Avec un pâle sourire, elle prit le verre qu'on lui tendit pour venir y tremper les lèvres, délicatement. L'odeur de l'agrume lui colora doucement les joues et en un instant, elle se sentit déjà beaucoup mieux. Prenant place sur la chaise, elle posa son verre sur ses genoux tout en le gardant entre ses mains, levant son visage pour fixer le jeune homme.

« Qu'avez-vous fait pendant le temps qui s'est écoulé depuis mon mariage ? Où êtes-vous allé ? Je suis curieuse d'en savoir plus sur les aventures que vous avez du vivre. »

Elle avait toujours été friande d'histoire et elle vit là l'occasion de satisfaire sa curiosité en mettant à contribution le temps à attendre que son époux la retrouve.

"Madame, ce que vous me dites reste quand même problématique. Après tout l'excellence est bien le minimum que nous espérons offrir. Tout résultat en dessous de la perfection reste inférieur à ce que nous prétendons donner."

Il ajouta à ses paroles un sourire amusé, camouflant le sérieux de ces paroles par cette apparence badine. Partant d'un petit rire amusé devant l'embarras évident de la demoiselle quant à sa critique, il décida de rebondir par une boutade.

"Et ne vous inquiétez pas pour mes musiciens. Par égard pour votre appréhension, je réduirais un peu le nombre de coup de fouets qu'il recevront ce soir."

Par un clin d'oeil, il confirma que tout séiruex était éloigné de ses pensées. Ce qui ne voulait pas non plus dire que l'Orchestre ne subirait pas de brimade ce soir. Celles-ci serait juste plus subtils et légèrement plus vocales que les coups de fouet. Quoi que, après réflexion, l'idée d'un châtiment corporel n'était pas forcément mauvaise. Peut-être leur faire transporter leurs instruments sur leur dos pour leur retour ? Hum......

Attrapant un verre d'eau qui passait dans sa direction, il étancha sa soiffe d'une rasade avant de se retourner vers la demoiselle. Après tout, elle lui avait posé une question, autant y répondre. Cela leur ferait passer le temps, et permettrait peut-être même à l'Orchestre de se reprendre le temps qu'il discute.

"Et bien, j'ai bourlingué ici et là comme dise les marins. Je suis parti au Gondor pour bien m'y établir, puis... et bien j'ai déserté la capitale peu de temps après. Une histoire cocasse, il parait qui a fait le tour de la citée.
Des émissaires elfes étaient de passages, et repartaient vers leurs forets lorsque j'ai appris la nouvelle. Ayant toujours espéré apprendre les secrets musicaux des elfes mais eux refusant obstinément de me les apprendre, j'ai décidé de m'embarquer clandestinement chez eux. A un moment qu'ils ne regardaient pas, je me suis glissé dans une de leurs malle avec pour toutes possessions mes vêtements, une gourde de vin et une miche de pain. Lorsqu'ils se sont rendu compte de ma présence, j'étais déjà chez eux... a partir de là, ils ont décidé à contrecoeur de m'apprendre leurs techniques.
Et après ça.... Et bien j'ai profité de voyager un peu avant de retourner au Gondor. Je suis allé chez les nains du nords et j'ai campé devant leurs portes, composant pour leurs princes et rois jusqu'à ce qu'ils soient satisfait de la prestation. Après quelques autres étapes de ce genre je suis redescendu vers le Gondor, recrutant tous les musiciens talentueux sur le passages. Et finalement, on s'est réinstallé bien tranquillement en ville, et un bon temps après on m'a demandé de venir jouer ici.
Voilà, vous connaissez toute l'histoire. Il parait qu'elle fait bien rire la noblesse, de l'arnor au gondor... j'espère qu'elle a aussi réussi à vous entretenir un petit temps."

Une petite courbette pour aller avec la fin de sa déclaration, et l'affaire était conclu. La gorge séche, il entreprit de vider le reste de son verre, le reposant d'un coup sec sur la table.

Aevan était un sacré plaisantin et elle faillit bien marché dans son jeu, sentant son cœur se serrer à l'évocation des coups de fouet alors que sa bouche s'ouvrait d'effroi à l'idée que ce put être de sa faute. Plaçant sa main devant sa bouche pour marquer son choc, elle se mit à rire, d'abord nerveusement, puis avec plus de naturel, s'abandonnant librement à la plaisanterie. D'une petite tape sur le bras, elle l'admonesta sans grand sérieux, ses yeux pétillants de rire.

« Soyez indulgent, il est difficile d'apprendre la musique à des singes savants. »

Souriant largement, elle laissa sa plaisanterie en suspends, se laissant le loisir de la prolonger après s'être rafraîchie d'une petite gorgée d'eau.

« Surtout que les vôtres jouent admirablement bien. »

Elle envoya cette petite pique sans grande méchanceté, la ponctuant en dévoilant son petit bout de langue comme le ferait un enfant. Elle avait eu tôt fait d'oublier l'absence de son mari et commençait enfin à passer une agréable soirée sans l'inquiétude qui la saisissait plus tôt. Alayna était peut-être une dame de bonne société, qui avait reçu son éducation au Gondor, pour faire bonne mesure, mais elle demeurait quelqu'un de simple tout au fond d'elle-même, une personne qui aimait se livrer à de bonnes plaisanteries. Malgré tout le temps qu'elle avait pu passer à la Cour dans sa jeunesse et aujourd'hui encore, elle ne se sentait à l'aise qu'au milieu d'une foule de personnes hétéroclites de moins bonne naissance. A bas les convenances et les masques, ce n'était qu'ainsi qu'elle se sentait elle-même.

Confortablement assise sur son siège à regarder la foule, elle profita que l'atmosphère était à la fête pour interroger son ami retrouvé depuis peu, si elle pouvait le considérer comme tel. En y pensant, il avait certes animé son mariage, elle ne le connaissait que trop mal. Elle ne savait rien de lui, ni de sa vie, hormis le fait qu'il se consacrait à la musique. Etait-il marié ? Avait-il des enfants ? Elle avait du mal à l'imaginer ainsi, surtout avec une vie telle que la sienne mais elle savait aussi qu'il fallait faire des sacrifices pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille.
Elle s'accouda à la table alors que sa curiosité était étanchée, ses yeux pétillants comme ceux d'une enfant à qui on raconte une histoire. Et en effet, elle était comme une enfant, suspendue à chacun de ses mots, elle se sentait rêver, s'imaginant elle aussi entreprendre ce genre de périple dans ses rêves les plus fous. Elle savait qu'elle n'en aurait jamais le loisir mais il n'y avait aucun mal à rêver. Pourtant, elle avait voyagé, ne serait-ce qu'un petit peu. Elle avait vécu au Gondor, chez sa grand-mère maternelle et avait passé du temps à Fondcombe, en compagnie de sa mère. Elle avait des choses à raconter sur sa vie et pourtant, elle persistait à la trouver vide de sens tant sa soif d'aventures était grande. Mais elle rêvait d'aventures écrites davantage que celle que l'on vit vraiment, même si le chef d'orchestre venait de lui révéler qu'il était finalement possible d'en vivre de tel au grand jour. Elle en était presque comme abasourdie, son cœur battant à tout rompre. Elle avait envie de le croire, elle le croyait, mais une part d'elle la mettait en garde contre une autre plaisanterie de son cru. Pourtant, n'écoutant pas la voix de sa conscience, elle s'exclama haut et fort.

« Mais c'est incroyable ! Comme je vous envies. J'aimerai tellement pouvoir me livrer à ce genre d'aventures moi aussi. Dites moi, comment sont les nains ? Et les naines ? En avez-vous vu ? »

Bien loin d'être étanchée, sa curiosité n'avait été que bien davantage piquée par son récit et elle mourrait d'envie d'en savoir plus, le pressant comme jamais pour qu'il lui fasse part des détails de son voyage.