Le matin se levait sur la Comté. Le champ des oiseaux reflétait déjà la bonne humeur au dessus des maisons des semi-hommes. Tous les habitants du Quartier Sud étaient déjà debout, batifolant sur les chemins à la recherche de quelconques fraises des bois ou encore faisant la récolte dans les champs. Comme d'habitude, le soleil qui s'abattit sur ma peau par la fenêtre juste en face de mon lit me fit pousser un léger cri d'insatisfaction. Déjà le matin ? Les nuits me paraissaient de plus en plus courtes. Je détestais ce moment... celui où il fallait se lever, et encore commencer une nouvelle journée. Je resta quelques instants à moitié assise sur mon matelas moelleux, puis je saisis le petit miroir qui était disposé sur ma table de nuit histoire de m'arranger légèrement mes boucles brunes (mieux vaut être présentable quand on prend son petit déjeuner, surtout devant Othon Sacquet de Besace !). Une bonne odeur envahit soudain mes narines, c'était le breuvage au coquelicot, la domestique avait pensé à en parfumer ma chambre pour une fois ! Mes yeux se fixèrent sur l'horloge qui se balançait au fur et à mesure que les secondes avançaient. Il était bientôt dix heures, il serait peut-être enfin temps d'aller se remplir le ventre. Avec un léger contre-coeur (il faut tout de même l'avouer !), je m'extirpa de mon lit, et descendis les escaliers qui menaient jusqu'au salon principal de la maison, au rez-de-chaussé. Une fois que je fus en bas des marches, je pus distinguer Othon, qui lisait comme à son habitude le journal, fumant une pipe remplie de la meilleure herbe de toute la Comté. Retirant les quelques rubans que j'avais placé dans mes cheveux pour la nuit, j'alla saluer mon époux, qui n'y prêta qu'une très légère attention.
— Le déjeuner n'est pas encore prêt ? Dis-je, guère d'humeur à attendre très longtemps que la domestique ai terminé son travail.
— Ca arrive ça arrive... grommela Othon entre deux bouchés de fumée.
Je poussa un long soupir avant de me diriger d'un pas rapide vers la cuisine. La senteur du thé à la menthe envahi immédiatement mes narines (bon signe, Ornella c'était enfin mise au travail !). Je tourna discrètement la tête vers la droite et pu voir la jeune fille blonde aux cheveux bouclés qui était en train de préparer on ne savait trop quoi (peut-être les tartines de confiture qu'Othon chérit tant de déguster au petit matin !). Pendant quelques instants, l'idée de vérifier son travail me passa par la tête, mais je l'abandonna très rapidement, préférant aller appliqué sur mon visage mon masque à base d'herbe fraîchement cueillies. J'aimais beaucoup cette onguent car il rendait ma peau douce et nette, c'est pourquoi je ne manquais pas de m'en servir quotidiennement. Allant chercher une petite glace à l'intérieur du placard qui se tenait juste à côté de la bibliothèque, je sortis d'un des tiroirs le petit pot et alla m'installer sur le divan, non pas trop prêt d'Othon (je ne supporte pas l'odeur de la fumée !). J'appliqua l’encense sur mon visage avant de le laisser agir quelques secondes. Pendant ce temps, le thé avait enfin fini de chauffer et bientôt Ornella s'éclipsa de la cuisine avec plusieurs tasses à la main. Je jeta un regard furtif à Othon, lui indiquant que l'heure du déjeuner était arrivée. Nous allâmes nous installer autour de la petite table en bois, où le service de cuisine était déjà prêt. De magnifiques petites tasses ornées de fleur accompagnées par quelques cuillères en argent (pour la plupart volées à Bilbon, mais chuut.. on ne dit rien !). Très vite, le thé à la menthe fut dans nos tasses et prêt à être dégusté.
— Vous êtes bien en retard ce matin Ornella, j'espère que cela ne se reproduira pas une seconde fois. Dis-je à la jeune domestique tout en la fixant avec des yeux légèrement désagréables.
— Je suis désolée madame Lobelia... j'ai eu un petit soucis sur la route, mais je vous promets que demain votre déjeuner sera servi à la bonne heure.
Elle s'éclipsa sans ajouter un mot de plus, tandis qu'Othon et moi continuions à manger dans un silence des plus absolu. Une fois que cela fut fait, je monta directement dans ma chambre. Arrivée là-bas, je commença par prendre une élégante robe à fleur rouge, qui s'accordait parfaitement avec mon tout nouveau rouge à lèvres. J'enfila celle-ci très rapidement, prenant soin de pas faire bouger mes boucles. Je peigna mes cheveux aussi soigneusement que je le pus et les laisser détachés, avec pour seul ornement un tout petit ruban qui les maintenait en place et hors de mon visage. Je fouilla ensuite dans mon armoire à chapeaux, j'en dénicha un qui allait parfaitement avec ma tenue. Il était rouge avec de petites dentelles, pas trop extravagant, mais pas trop effacé non plus. J'ajouta ensuite l'étape indispensable à ma préparation quotidienne ; le maquillage. Une fois mes joues rendues complètement roses par la poudre, je passa au rouge à lèvres. Je sélectionna la teinte la plus proche de ma robe. Pour finir, je me parfuma à l'orchidée, une plante que j'affectionnais beaucoup. Me voilà enfin prête ! Aujourd'hui est le jour où je dois passer à la taverne. Voir tous mes stupides employés ne me fait pas tellement envie mais il faut bien que je récupère l'argent qui m'est destiné. Je me mis donc en route, m'asseyant avec autant d'élégance et de grâce que je le pouvais sur Tyson, mon fidèle poney blanc. Une fois que je fus sur le petit chemin, je pensa immédiatement au fait que j'avais bien fait de mettre mon chapeau, étant donné le soleil qui tapait si fort que ma peau aurait été brûlée en quelques secondes. Je dois bien exprimer le fait que je ne passais pas inaperçue, et que la plupart des paysans me dévisageaient comme-ci quelque chose en moi les avait dérangé. Après quelques minutes de marche et un petit trot sur le pont au dessus de la rivière, j'arrivais en face de mon auberge. La fumée sortait par la cheminée. Je déposa mon poney à l'employé prévu à cet emploi, il saisit la bride de Tyson et le fit disparaître dans l'écurie. Pendant ce temps, j'enleva mes gants et rangea ma cravache, puis, dans un bruit sourd, j'ouvris la porte de la taverne. Elle était déjà bien pleine à cette heure de la journée, beaucoup d'ivrognes venaient y trouver leur bonheur et leur pense. Je me dirigea vers le comptoir, assez impatiente de récupérer mon argent. Mademoiselle Primrose était déjà présente, et elle semblait avoir fait une bêtise aussi grosse qu'elle s'affola en me voyant.
— Ooh madame Lobelia.. pardonnez-moi, un petit incident vient d'arriver... euuuh... disons que j'ai fais tombé un verre et que malheureusement il s'est brisé en milles morceaux... dit-elle. Son ton de voix était pitoyable, on aurait dit qu'elle était à moitié terrifiée.
— Toujours aussi performante lorsqu'il s'agit de faire des boulettes à ce que je vois... mmh.. ramasse moi ça et fait attention à ce que personne ne se coupe, je ne voudrais pas que tu fasses fuir les clients ! Je ne compte pas non plus resté là des heures, alors si quelqu'un pouvait avoir la gentillesse de m'apporter l'argent ce ne serait pas de refus. Dis-je tout en fixant la seconde employé qui tenait un balais à côté de Mademoiselle Primrose. Tiens toi par exemple, je ne me souviens même plus de ton nom..
— Violette madame, moi c'est Violette... dit-elle en me coupant à moitié la parole.
— Oui bon peu importe... L'argent. Répliquais-je tout en lui lançant un regard froid, lui faisant comprendre qu'il ne fallait mieux pas me faire attendre ou sa paye en prendrait un coup.
Alors qu'elle partait chercher ce que je lui avais demandé, je remarqua soudainement un homme étrangement barbu s'approcher du comptoir. Il ressemblait à un nain, et il sentait tellement l'alcool que je n'osais faire un geste de plus dans sa direction. Mes pensées se reportèrent ensuite sur Violette lorsque je l'entendis revenir. Elle me tendit lentement la petite bourse, puis se tourna vers l'homme qui lui réclamait un autre verre. Je resta là, ne voulant pas tirer de conclusion trop hâtive mais il est vrai qu'avoir un nain dans ma taverne ne m'enchantait pas trop, car ils n'étaient pour la plupart que des voleurs et des menteurs.
— Tiens pendant que tu y es Violette, apportes-moi un peu de vin en plus de la bière de ce monsieur, je ne vais pas repartir tout de suite en fait.
— Bien madame.
La petite préparait les boissons tandis que je jetais des regards en coin à l'étrange nabot, qui ma foi ne sembla pas tarder à les remarquer...
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