« Les fleurs sauvages sont rarement sans épines » feat. Azelaïs

Tes doigts s’enfoncent dans la terre, donnant à tes ongles cet aspect crasseux qui te suit depuis belle lurette. Tes mains habiles retirent les cailloux que tu croises, non sans les avoir examiné au soleil au cas où tu ferais une heureuse découverte. Tu repousses délicatement les insectes qui t’empêchent d’atteindre les racines des plantes, puis à l’aide de ton couteau de cueillette, tu coupes méticuleusement les fibres dont tu as besoin. Tu sifflotes doucement, car tu n’es pas encore trop inquiet. Certes, les plantes sont plus ternes cette année et il est vrai que l’air est de plus en plus lourd, mais il est encore trop tôt pour former des hypothèses alarmantes. Les pluies sont plus rares, peut-être la terre a-t-elle simplement soif ? Les insectes sont peut-être moins habiles dans la pollinisation des végétaux… Qui sait! Même pour toi, la faune et la flore ont encore quelques secrets. Et, comme un long et heureux mariage, la nature arrive encore à te surprendre malgré toutes ces années en sa compagnie. Tu te redresses sur tes courtes jambes et tu enfouis tes trouvailles dans ta besace avant de poursuivre l’exploration de ton potager. La forêt tout entière est ton terrain de jeu, mais tu t’es aussi permis de faire pousser quelques cultures derrière ta cabane pour te permettre de varier ton alimentation. La négociation avec les animaux avait été rude, car il fallait les convaincre de laisser tes minces récoltes en paix. Aussi, tu leur promis de partager de temps à autre à la condition qu’ils cessent de ravager ton jardin.

C’était loin de ressembler aux grands jardins des cités des hommes ou des elfes. Il n’y avait ni barrières, ni fontaines ou de sculptures. Les plants de tomate, les vignes, les différents légumes et les buissons de petits fruits se mêlaient aux végétaux sauvages. Il n’y avait pas vraiment de transition entre la forêt et les rangs de fruits et de légumes. Seule la couleur de la terre fraîchement retournée ainsi que les minces chemins de terre battue qu’avaient créés tes passages réguliers dessinaient une division au sol. Un seul coup d’œil aurait permis à n’importe qui de comprendre que tu ne cherchais pas à atteindre une esthétique particulière, car les mauvaises herbes poussaient en quantité. Mais qu'est-ce qu'une mauvaise herbe, sinon une plante dont on n'a pas encore découvert les vertus? Toi, tu vis avec ce proverbe tatoué sur le cœur. Si la plante n’est pas jolie, elle est peut-être comestible ou même utile pour les blessures. Ce peut également être un bon révulsant à insecte. Certains végétaux pouvaient aussi servir d’antidote aussi bien que de poison, le résultat se jouant en quelques gouttes seulement. Toutefois, les effets mortels t’intéressaient moins puisque tu n’étais pas créature à prôner la violence ou la destruction.

Après avoir ajouté quelques carottes dans ton bagage, tu te redresses et essuies tes paumes pleines de terre sur tes habits. Tu admires les rayons du soleil qui dansent à travers les feuillages des arbres aux alentours, mais tes mirettes cherchent en réalité des fruits bien mûrs au bout de leurs branches. Tu repères des pommes bien rouges en haut d’un arbre et tu t’approches du tronc en prenant garde où tu déposes les pieds. D’un bond agile tu attrapes les branches basses et, avec une dextérité qu’on ne te soupçonnerait pas, tu escalades le tronc jusqu’à ton butin couleur carmin. Tu t’assis sur une des branches les plus épaisses, les pieds pendant dans le vide et tes doigts se referment autour des pommes que tu cueilles délicatement, comme l’aurait fait l’orfèvre avec sa dernière création. Tu remplis ton sac sans presse lorsque du mouvement au sol attire ton attention. Une jeune femme s’approche de ta maison et ses pas s’égarent dans la direction du jardin, sans doute avait-elle frappé à ta porte sans obtenir de réponses... Au sommet du pommier, tu l’observes sans comprendre. Tu avais bel et bien senti sa présence dans les alentours, mais rares étaient ceux qui trouvaient le chemin de ta cabane alors tu n’en avais pas fait de cas. Elle devait être bien renseignée ou alors c’était une erreur. Son visage n’éveille en toi aucun souvenir et tu ne te rappelles pas avoir donné rendez-vous à qui que ce soit. Si tu ne fais aucun bruit, peut-être partira-t-elle ? Voyant la direction qu’elle prenait, tu choisis plutôt de l’interpeller ; « Faites attention où vous mettez les pieds, Mademoiselle… Vous ne voudriez pas écraser ma première ligne de défense. » En effet, alors que l’inconnue était sur le point de poser le pied sur ce qui semblait être une pierre, ladite pierre releva la tête et écarquilla les yeux sans comprendre. La tortue terrestre sentant la menace, se mit à se dandiner jusqu’à la cachette la plus près. « Elle m’aide en mangeant les insectes et je l’autorise à grignoter quelques feuilles ici et là. Elle a dû s'endormir au beau milieu de sa besogne! » Tu dis cela avec un naturel qui contrastait fortement avec l’image d’un vieux bonhomme perché dans son arbre. Pourtant, tu souris aimablement alors que tes pieds se balancent dans le vide comme le ferait un gamin. « Vous êtes perdue peut-être ? »