On the hunt ▬ Elladan

La nuit, le meilleur moment de la journée pour chasser l'orc. Davantage encore quand la lune est levée. On y verrai presque comme en plein jour, bien que je n'ai plus besoin de viser pour savoir où va se planter ma prochaine flèche. Des orcs, j'en ai abattu tellement que je connais la moindre de leurs failles, la moindre de leurs mensurations, et, associé à la hauteur de mon cheval, l'angle auquel lever mon arc pour assurer un tir mortel, le plus souvent en peine tête, là où aucune armure ne les protège de mes tirs.
C'est donc au soleil couchant que j'ai repris la route, replaçant la selle de mon cheval sur son dos avant d'y monter, attendant quelques dizaines de mètres de pas et un léger trot pour ressangler, sachant par expérience que le galop risque d'être un jeu moins amusant si je ne ressers pas un minimum la sangle de ma monture. Non pas que je n'ai pas l'équilibre de tenir sur une selle non serrée... c'est davantage le poids de l'équipement qu'il porte qui risque de me faire basculer.
Cela fait, je lance Hicraën au galop, en direction d'où je n'étais pas hier. Un galop certes peu rapide, mais qui a l'avantage de ne pas fatiguer l'étalon noir, et d'être assez régulier pour me permettre d'examiner le paysage autour de moi sans avoir à me soucier de maintenir l'allure de mon cheval. Sur des terres où j'ai l'habitude d'avoir affaire aux orcs, c'est le minimum de précaution que je peux prendre.

Une bonne demi-heure de chevauchée plus tard, le bruit des lames s'entrechoquant et du tonnerre grondant s'imprime dans mes oreilles, et me fait reprendre les rênes de mon cheval pour le dévier légèrement de sa trajectoire. Juste de quoi arriver devant une scène pas banale, ou un ours géant - probablement un beornide - en train de mettre un bazar monstre dans un campement orc. J'arrête ma monture à la lisière du campement, comptant bien prendre ma part du gâteau, et, plus exactement, apporter un  peu de soutien logistique à la créature. Je ne saurais me regarder en face si je m'en allais ici et maintenant, le laissant se charger de la curée, pour qu'un orc un peu plus futé que les autres le transperce de sa lame alors que je le pensais maitre de la situation.
Alors je m'empare de mon arc, une flèche quittant mon carquois pour prendre la place qui est la sienne sur mon arme, quelques secondes avant de se ficher dans la boite crânienne de l'orc le plus proche. Deux de ses voisins subissent le même sort, à quelques secondes d'intervalle, avant que je ne rate un tir pourtant prometteur comme Hicraën recule brusquement pour échapper à la charge de l'ours que je n'avais pas vu arriver, trop occupé à éliminer l'ennemi. Heureusement que ma monture a plus de réflexes que son cavalier. Je reprends mon tir de barrage, laissant deux flèches dans le dos d'un orc ayant pensé prendre l'ours de revers. Chacun son tour de dépanner l'autre. Cela ne me change guère des combats que je mène avec mon frère, même s'il n'apprécierait peut-être pas d'être comparé à l'animal aux cotés duquel je combat actuellement.

Je me préoccupe davantage des orcs que je vise de mes flèches que de l'ours qui fait le ménage devant moi, et pour tout dire, je ne remarque qu'il s'est fait tirer dessus que lorsqu'il repasse devant moi, un trait noir dépassant de son épaule.
Un attroupement se groupant autour de ma monture malgré les charges de l'ours, j'abandonne l'arc pour l'épée, taillant dans tout ce qui se retrouve à ma portée. L'animal, soudainement à mes cotés, évite de peu à Hicraën de finir embroché par une hallebarde, et je songe à l'en remercier plus tard, alors qu'un vieux couinement s'échappe des dents de ma monture comme un orc plus audacieux que les autres lui saute sur la croupe. Je m'en débarrasse d'un coup d'épée, auquel mon cheval rajoute un coup de pied, pour faire bonne figure. Un autre finit d'ailleurs piétiné sous ses sabots, sans considération pour l'armure qui était censé le protéger, et j'attrape de ma main libre la lance d'un troisième, avec laquelle je transperce son voisin immédiat.

Et bientôt, les orcs survivants fuient, les uns après les autres. J'hésite un instant à leur donner la chasse, pouvant sentir la nervosité de l'étalon noir sous ma selle, chacun de ses muscles prêt à partir à l'assaut à la moindre de mes demandes.  Cependant, un coup d’œil à mon compagnon de bataille me renseigne sur le fait qu'il aurait bien besoin d'un coup de main avant de repartir en chasse, si coup de main il accepte. Pour ma part? L'air sifflant autour de nous m'apprend à la brulure de son contact que j'ai une entaille au bras, à laquelle je n'accorde qu'un regard avant de rengainer mon épée et descendre de cheval. Un couinement de mon cheval au transfert de mon poids sur ses jambes gauches me fait jeter un œil à ses jambes, pour lui trouver une entaille au boulot de son antérieur droit. D'accord, il en a plusieurs, mais c'est surtout celle là qui me fait tiquer. Je flatte son encolure, lui offrant quelques paroles de réconfort, avant de m'éloigner de lui pour me rapprocher de l'ours et du corbeau. Restant tout de même assez éloigné pour rester hors de portée des mâchoires, des griffes et du bec.

Le manège du corbeau est plus que clair. Étonnamment, il semble vouloir aider l'ours à se débarrasser de la flèche plantée dans son épaule. J'ignorais qu'une telle alliance était possible. Seulement, il parait évident que ses efforts ne mènent à rien, et je ne semble pas le seul à l'avoir compris. Alors je me rapproche, prudemment, tâchant de garder la possibilité de reculer si les choses se gâtent. En général, j'ai un bon filing avec les animaux, mais je n'oserais guère inclure les beornides dans cette catégorie. Il serait folie de ma part de comparer cet ours à mon cheval, aussi intelligente puisse être ma monture. J'aime les chevaux intelligents, et je préfèrerai avancer à pied que monter un cheval incapable de prendre plus de décisions que je ne lui en donne.
Bref, je me rapproche de l'ours, passant près du corbeau, posé sur le cadavre encore chaud d'un orc brisé en deux.

"J'ignore si tu peux me comprendre. Je veux juste regarder ta plaie."

Ne sentant pas d’agressivité chez lui, je finis par poser légèrement la main sur son pelage, prêt à la retirer si je sens que ce contact ne lui plait pas, avant d'observer la flèche qui le transperce. Bien plantée. J'espère pouvoir la retirer à main nue, et ne pas devoir user de ma dague pour cela. J'ai des doutes sur le fait que la confiance qu'il semble m'accorder aille jusque là. Enfin, heureusement pour moi, un coup sec sur la flèche me permet de la retirer, et je me permet de jeter un œil à l'entaille qui reste, bien dissimulée dans le poil abondant de la créature.

"Attends un peu."

Je retourne à ma monture, observant sur mon passage l'oiseau semblant me jauger du regard, avant de fouiller dans les besaces accrochées à ma selle jusqu'à trouver ce qui m'intéresse. De l'athélas. Je ne suis pas très doué en médecine, je dirai même que je n'ai que des bases, mais je préfère en avoir sur moi en tout occasion. Les orcs ne sont pas connus pour la propreté de leurs lames, je dirais même que je ne serais pas surpris qu'ils les trempent volontairement dans quelque poison de leur fabrication. J'en récupère quelques brins avant de revenir vers l'ours, cherchant un peu l'endroit exact de la blessure avant d'y appliquer un peu de la plante. Cela fait, je reviens une fois de plus vers Hicraën, s'étant rapproché, curieux, de l'oiseau partageant sa couleur, pour appliquer le restant d'athélas sur son pied blessé. L'expression "pas de pied, pas de cheval" n'est pas qu'une expression, et j'ai passé bien assez de temps bloqué dans une cité ou une autre à cause d'un cheval boiteux.

Hicraën tape du pied à terre, avant de gratter le sol pour chasser un morceau d'armure orc gênant la pose de son pied. Certainement montrer son empressement, également. J'en ai eu des montures, autant que j'ai emmené jusqu'à un âge vénérable que d'autres, malheureux, morts trop tôt, emportés par les horreurs de la guerre. Mais Hicraën fait partie de ces rares dont je peux dire qu'ils se jetteraient à corps perdu dans la bataille. S'il apprécie de brouter l'herbe verte qu'il peut trouver en Comté, je crois que l'adrénaline du combat, ce cheval, il aime ça.

Je laisse cependant ms pensées revenir sur mon allié du jour, un peu plus velu et impressionnant que mon cheval, malgré la stature respectable de ce dernier. Bien différent de mon précédent, petit et frêle d'apparence mais doté d'une vitesse sans égale. Hicraën est plus lent et son galop est plus lourd, mais c'est un cheval de bataille comme je n'en avais pas eu au cours du dernier siècle.
La sensation d'un poids contre mon flanc me fait tourner le regard pour voir la tête de l'ours contre ma jambe, et j'avoue devoir retenir le geste de le caresser en retour, comme je pourrais le faire avec mon cheval. J'ai des doutes sur le fait qu'il apprécierait que je le confonde avec un animal domestique. Il s'éloigne l'instant suivant, se mettant très clairement à chercher la piste des orcs, qu'il semble aussi pressé de suivre qu'Hicraën. Je rejoins donc ma monture et retire mon épée de ma taille pour l'accrocher à ma selle, ne comptant pas blesser mon cheval avec. Puis de monter du coté droit, afin d'épargner sa jambe abimée, avant de le laisser prendre le galop derrière l'ours en chasse.

Et autant dire qu'entre notre instinct, à Hicraën et moi, résultant de trop de chasses, le flair de notre allié à poils et la vue de notre allié à plumes, nous retrouvons rapidement la piste encore fraiche des orcs. D'accord, leur besoin constant de faire des dégâts où ils passent est sans doute une aide précieuse également, et un gosse de dix ans serait capable de les suivre à l’œil. J'arrête ma monture en haut d'une montée, un point légèrement surélevé par rapport à la position de nos orcs, avant de me saisir de mon arc et tirer une flèche unique, qui fend le ciel avant de transpercer le crâne d'un orc. Au hasard, le premier qui a eu le malheur d'attirer mon regard. Un léger sourire me vient alors que tout le monde tourne la tête dans notre direction. Bien, il semblerait que nous ayons leur attention. Donc, on les finit? Et content ou pas, je ne jetterais pas mon cheval dans la bataille cette fois-ci. J'ai encore assez de flèches et ils ne sont pas assez nombreux pour me déborder comme tout à l'heure. Et si l'épée se fait nécessaire, c'est à pied que je combattrais.

Ma flèche transperçant l'orc qui se trouve sur sa trajectoire sonne le renouveau des hostilités, et l'ours se dresse sur ses pattes arrières, sa tête dépassant la mienne alors que je me trouve monté sur un cheval de près d'1m60 au garrot. Il retombe violemment sur ses pattes avant avant de foncer en plein sur les orcs, provoquant dans les rangs des survivants une cohue telle que seuls les orcs savent en faire. Pour ma part, je tire une nouvelle flèche, atteignant une nouvelle fois sa cible, mais devant prendre en compte le fait que l'ours est partout à la fois. Une cible peu évidente à éviter. Et pourtant, j'y arrive, bien que l'un de mes traits passe an ras de son poil, atteignant un orc en plein sous le pli de la gorge, à la séparation du casque et de l'armure. Deux autres flèches atteignent leur cible, mais je ne peux qu'affirmer que l'ours fait plus de dégâts que moi dans les rangs ennemis. Je n'attends d'ailleurs pas qu'il ai fini, sachant qu'il s'en sortira sans moi avec le peu qu'il reste, pour descendre de ma monture et remettre mon arc à l'épaule, récupérer mon épée sur ma selle et descendre en direction du charnier pour m'assurer de la mort véritable de chacune de nos victimes. Ma méthode? Leur trancher la gorge. Et j'en profite au passage pour récupérer deux flèches ne s'étant pas brisées pendant la bataille, dont je vérifie les pointes avant de les replacer dans mon carquois. Le souci principal d'un archer est de ne jamais se trouver à cours de flèches, et donc, d'éviter le gaspillage inutile.

"Je propose que nous brulions ceux là, puis retournions bruler les premiers. Ça évitera la vermine."

En plus de préserver les environs d'une forte odeur de cadavres en décomposition, si nous les laissons pourrir là, avec le soleil qui peut frapper cette région certains jours. Bon, même si l'odeur de la viande orque brulée n'est pas vraiment meilleure, cela dure toujours moins longtemps. Ce sera donc un empilage d'un peu plus d'une dizaine de cadavres d'orcs. Un bruit de pierres roulant dans mon dos me fait me retourner sur mes gardes, prenant en main la première arme que je peux attraper - à savoir, une épée orque -, pour me tranquilliser en voyant Hicraën descendre le sentier jusque nous,  le nez bas comme il regarde où il met les pieds. Pour qu'il fasse attention, c'est que sa jambe doit vraiment lui faire mal, et je songe déjà à m'arrêter au premier point de chute que j'ai dans les environs pour lui offrir un peu de repos et de meilleurs soins que ce que je lui ai prodigué jusque là.

J'abandonne donc ma tâche première pour aller à la rencontre de mon cheval, le guidant sur les derniers mètres avant de passer la main sur son chanfrein, mes doigts disparaissant bientôt dans la crinière d'ébène de son toupet.
"Mellon nin. Repose toi, tu en as assez fait pour aujourd'hui."
Je flatte l'encolure détrempée de sueur de l'étalon , mon autre main restant un instant sur ses naseaux, avant de m'avancer jusqu'aux fontes de ma selle et en tirer deux pierres avec lesquelles je ne tarde pas à allumer un brasier dont les flammes et la fumée montent bientôt dans le ciel. D'un coté, les flammes indiquent clairement notre position. De l'autre, j'escompte, comme toujours, que l'odeur fera fuir les orcs alentours, bien que la stupidité de cette race ne soit plus à prouver.

"Bien, si on allait s'occuper du reste avant que le brasier n'attire autre chose que les coyotes?"

Pour le coup, j'irai à pied. Hicraën nous rejoindra à son rythme. Quoique connaissance la tête de mulet mal bâté de ce cheval, on le verra arriver au galop sitôt la pente remontée.