Comment faire mauvaise impression à un prince ? [Legolas]

Voilà deux jours que je suis coincé à Mirkwood, et déjà l’ambiance de ce palais m’étouffe grandement. Thranduil a organisé un banquet hier au soir en l’honneur de mon frère et moi, et nous avons vu tellement de monde que je serais bien incapable de me rappeler des noms de chacun. Ah, il est beau, le fils d’Elrond ce matin. Enfin, moi au moins je n’ai pas autant bu que mon jumeau, qui lui dort encore, écrasé dans son lit, un bras trainant par terre, et ses ronflements qui feraient frémir n’importe quel dormeur. J’ai su m’arrêter à temps, et maintenant, je n’ai réellement rien à faire. Visiter l’endroit ? Oh, ce serait certes amusant, mais je dois avouer que pour le moment, les labyrinthes ne me tentent pas trop. Récupérant une balle pleine de sable dans mon sac, je sors de la pièce et je m’installe au bout du couloir, m’amusant à la lancer sur le mur en face de moi, la rattrapant au vol à chaque fois, avant de finir par la ranger dans ma poche au bout de quelques minutes. Je m’ennuie, et Imladris me manque. Être enfermé dans cette cité est une torture pour moi. Je ne supporte pas l’enfermement.

Me relevant, je commence à avancer tout droit, finissant par tourner à gauche au bout du couloir, alors qu’il ne m’est plus possible de continuer tout droit. En me levant, j’ai laissé de côté la tenue qu’on pourrait attendre d’un prince elfe, préférant enfiler ma tenue d’entrainement : chemise noire et pantalon de cuir d’ours tanné. À mon côté, une épée de bonne facture vient compléter l’ensemble, et j’aimerai bien trouver un endroit où m’entrainer. Mes pas me portent jusqu’à une sorte de petit marché, où je sympathise tout de suite avec quelques enfants là. Je m’achète une tourte à la viande, puis je m’installe pour discuter avec les gamins, leur donnant quelques petits défis amusants pour voir jusqu’où ils sont capables d’aller dans les bêtises. Mais, où sont donc leurs parents ? Ils sont inconscients de me laisser à proximité de leurs petites merveilles ? Je vais vous les pourrir jusqu’à la moelle, moi !

Je m’amuse avec ces gamins, à compter les points pendant qu’ils cambriolent les étals pour me ramener le fruit de leur larcin, avant d’aller ranger le larcin à sa place sur l’étal, comme s’il était possible que personne ne les voie. Finalement, l’un d’entre eux m’a défié d’en faire autant avec deux pommes, et un sourire aux lèvres, je me redresse pour aller chiper une première pomme en passant devant l’étal, sans être vu, avant de m’arrêter devant les poires, le temps de mettre la dite pomme dans ma poche. Et voilà. Ni vu ni… Oups ?

Ce n’était qu’un jeu, un simple jeu innocent : prendre une pomme, la mettre dans sa poche, puis la reposer quelques minutes après, le tout sans se faire prendre. Les gamins y arrivaient, et pourquoi pas moi ? En Imladris, je l’avais fait des centaines de fois. Ce n’est qu’un jeu, et du moment que l’objet est de retour à sa place, ce n’est pas du vol, clairement pas, ce n’est qu’un jeu. Alors, lorsque je sentis quelqu’un se placer à côté de moi et que ces paroles sévères retentirent à mon oreille, mon regard se tourna vers l’elfe qui me parlait, et je m’inclinais, un air amusé sur le visage. Toujours garder une contenance lorsqu’on fait une bêtise, c’est la moindre des choses, pour que tout paraisse normal. Un coup d’œil m’assura que la vendeuse de fruits et légumes n’avait rien vu, occupée qu’elle était avec un client. Ma main glissa dans ma poche et je lançais la pomme à mon interlocuteur, que je reconnu pour être le fils de Thranduil, avant de prendre la parole sur un ton de conivence.

- C’est un jeu. Vous voulez jouer ? Si vous vous faites prendre, vous perdez dix points. Si vous réussissez, vous gagnez 5 points. Le premier à 50 points gagne… En fait je ne me rappelle plus ce que j’ai promis aux gamins. Un repas à la taverne ? Quelque chose comme ça. Vous en êtes ?

Je n’attendis pas la réponse de l’elfe pour m’éloigner, le laissant là avec la pomme entre les mains, retournant auprès des gamins qui se moquaient de moi. Oui, bon je m’étais fait prendre sur mon premier essai. Mais, pas par la venduse, donc ça ne comptait pas !

- Si ça compte !
- Non, ça compte pas.
- T’avais pas précisé qu’il fallait que ce soit QUE par la vendeuse. Les gardes et le Prince, ça compte aussi.
- Bon, d’accord : je perds dix points. Mais toi, tu vas devoir aller faire des grimaces dans le dos de la vendeuse de tourtes pendant 5 minutes sans qu’elle te voie, pour la peine.

Un sourire amusé sur le visage, je relève la tête face au prince qui n’a pas l’air super commode. Allons-bon. A peine quarante-huit heures que je suis là, et je me suis déjà fait un ennemi. Et si je disais que je m’appelais Elladan ? Après tout, mon frère dors encore, et nous nous ressemblons assez pour que personne ne sache nous distinguer, pas même notre propre mère.

Bon, cette fois, c’est officiel : la réputation des elfes de Mirkwood est justifiée. C’est quoi ce petit prince au baton dans le derrière, hein ? Sérieusement ? On leur apprend quoi par ici ? à rester debout comme des statuts et à sourire bêtement ? Non parce que, de ce que j’ai vu hier au banquet, c’est un peu ça. Certes, les banquets, ça a toujours été l’un des pires moments de mon existence, mais ce n’est pas une raison. Au moins, dans mon coin, j’essaie de faire en sorte que les choses soient un peu plus amusantes, en lançant des défis à mon frère sur le nombre de bières qu’il peut ingurgiter en une minute, ou alors sur le temps qu’il faudra à cette serveuse pour se rendre compte que c’est moi qui détache le lacet de sa robe à chaque fois qu’elle passe à côté de moi.

Assit sur mon rondin d’arbre, j’observe le gamin faire le pitre dans le dos de la jeune vendeuse de fruits, et je fronce les sourcils avant de me tourner vers le jeune prince que j’ai en face de moi. Allons-bon, quoi faire maintenant ? Je n’ai aucune idée de ce qu’il va se passer pour le gamin, mais je tourne le regard vers Legolas. Voyons, monsieur se dit ‘pas joueur’, c’est ça ? Il trouve que mon jeu est stupide ? Gamin ? Totalement inutile ? Certes, c’est le cas, du moins pour tous ceux qui se trouvent être des elfes blasés par leur trop longue vie. Sérieusement, le jour où je deviens comme ça, tuez-moi… Deux fois pour être bien sûr que je ne vais pas revenir.

- Eh bien, j’ai une autre idée. Un petit défi pour vous, mon cher petit prince. Vous réussissez le défi, j’arrête d’aiguiser mes sens en prennant des objets avant de les remettre à leur place sans me faire voir. Vous ratez… vous devenez mon apprentis, et ce jusqu’à ce que vous réussissiez à le faire sans vous faire prendre dix fois de suite. Ça vous va ?

Là, pour le coup, je suis relativement content de mon idée, et j’observe le prince devant moi avec un air narquois sur le visage. Je n’ai réellement pas envie de me retrouver obligé d’arrêter ce petit jeu. Et puis, ce n’était réellement pas dramatique. Je n’allais pas la garder, cette pomme. Je ne garde jamais l’objet de ces petits larcins, ce serait du vol, et je n’ai rien d’un voleur. Juste que ça m’amuse de tester ma discrétion et mes réflexes de cette manière.

- Alors, tenté ? Ou pas tenté ?

Mais quel sérieux ! Mais quel sérieux ce prince ! Il pourrait tout de même savoir s’amuser de temps en temps. Moi aussi je suis un prince, et moi aussi je vais un jour être amené à régner quelque part… Enfin, peut-être, si Elladan n’en a pas envie. Je ne pense pas qu’il soit du genre à vouloir se poser à la tête de notre patrie. Enfin, peut-être. Peut-être pas. Dans tous les cas, tant que Père et Mère seront Seigneur et Dame d’Imladris, eh bien, la question ne se posera pas. Mais, pour le coup, ça me laisse l’occasion de me faire les dents. Quand j’aurais le cul posé sur une chaise, je regretterai de ne pas avoir profité de ma liberté quand j’en avais l’occasion. Je m’en doute. Alors, oui, pour le coup, dévergonder ce petit prince blondinet, c’est une bonne idée. Mon regard amusé se pose sur lui, et je hausse un sourcil. Alors, tenté ?

- Si je vous le dis, ça ne sera plus une surprise.

Un sourire sur le visage, je plante mon menton dans mes mains ouvertes en coupe, et je pose mes coudes sur mes genoux. Non, vraiment, je ne lui expliquerai pas mon apprenti en quoi. J’ai réellement envie de le voir accepter, de voir si sa curiosité est plus puissante que son éducation cul serrée. Enfin, pour le coup il ne fallait pas vraiment être un grand stratège pour comprendre que je voulais forcer Legolas à apprendre la discrétion version Elrohir. Qu’il devienne capable de se glisser dans le dos de quelqu’un et de lui piquer sa bourse, avant de la remettre à sa place, sans que celui qui se trouve pris dans ce jeu étrange ne s’en rende compte.

Certes, nous autres, elfes, avons ce pouvoir étrange, cette rapidité hors normes, mais le but de ce petit jeu que je propose à mon homologue sindar est d’apprendre à utiliser cette rapidité, d’apprendre à contrôler avec une précision hors normes chaque geste que nous faisons, même lorsque nous atteignons cette vitesse. La plupart des nôtres l’utilisent avec un certain instinct, pour attraper dans leur dos une nouvelle flèche, puis viser durant une minuscule seconde avant d’envoyer sa flèche droit au but. Mais, pourtant, il faut avouer une chose : bien peu des nôtres sont réellement capables de le faire à chaque geste. Déjà parce que c’est extrêmement fatigant, même après cent longues années à s’entrainer jour et nuit, mais en plus parce que… Eh bien, fondamentalement, ça ne sert pas à grand-chose. Juste à … He bien, rechercher ses propres limites. C’est exaltant. Amusant. Et puis, quelques fois, ça peut servir, au combat. Enfin, pour moi qui utilise des épées, ça m’a déjà servi, d’être totalement adroit de chaque parcelle de mon corps.

- ça ne vous intéresse pas ? Vraiment pas ? Je promets de ne pas vous faire faire de bêtises… Pas tant que vous ne serez pas prêt, en tout cas. Et, croyez-moi, vous ne l’êtes pas. Pas du tout. Totalement loin de là.

Tout en parlant, je lance à Legolas la bourse que je lui ai subtilisée il y a quelques minutes, lorsqu’il était à côté de moi à l’étal. Ouais, bon… J’abuse. Je suis un incorrigible crétin. C’est grave docteur ?

- Parfait. Voilà une belle preuve de courage. Je commençais à penser que Père nous avait envoyé chez des elfes qui pensent plus à leur réputation qu’à entretenir leur courage.

Un sourire sur mes lèvres, je me redresse d’un coup, pour m’incliner devant mon vis-à-vis, un air victorieux sur les lèvres. Je l’attrape ensuite par l’épaule pour lui faire faire demi tour, oubliant pour quelques minutes cette aversion que j’ai toujours eu pour les contacts physiques, histoire de laisser mon regard pétillant se placer sur la petite place pleine de marchands de tout horizon. Allons, allons. Vers qui vais-je me tourner. La marchandes de pommes a déjà eu affaire à moi, et je n’ai toujours pas replacé les pommes sur son étal. Alors, pourquoi pas par elle, tient. Je donne donc la dernière pomme qu’il me reste au prince de Vertbois et je lui désigne du menton la jeune femme.

- Sans vous faire prendre, allez remettre ça à sa place. Si vous réussissez, et croyez moi, j’en doute, vous serez libre. Mais, si vous échouez, vous êtes à moi.

Après quoi, je m’éloigne pour retourner m’installer à ma place, histoire d’observer le jeu se mettre en place. Je vois bien que Legolas n’est pas très à l’aise avec cette pomme, et je n’ai pas réellement l’impression de le voir prêt à prendre ses jambes à son cou. Alors… alors il faut bien l’encourager, non ? Mes mains sous mon menton et mes coutes sur mes genoux, je hoche la tête de droite à gauche, en prenant un air faussement vexé.

- Allons, vous reculez ? Avec une pomme volée dans les mains ? C’est pas très malin… et si j’allais vous dénoncer, mon cher petit prince ?

Je me relève d’un bond, les mains dans le dos, et je pense la tête pour observer la scène, profitant d’une demi seconde d’inattention de l’elfe blond à mon côté pour lui piquer la dague dans sa ceinture, avant de la faire tournoyer dans mes mains.

- Vous voyez, ce qui n’est pour vous qu’un petit jeu mal placé peut s’avérer très utile, quand on le travaille assez. Ce n’est pas parce que je n’en utilise ici que le côté ludique que je suis foncièrement mauvais. Croyez-moi, face à une dizaine d'orcs, vous serez content de pouvoir l’utiliser. Ou même, pour juste tirer vos flèches les unes après les autres avec une rapidité telle que tout le monde aura l’impression que vous les tirez toutes en même temps. Mon frère – c’est l’archer de nous deux – aime assez utiliser cette technique, surtout face à une certaine elfette qui n’a d’yeux que pour lui… Enfin, il ne s’en rend pas compte, le pauvre.

Un air faussement peiné sur le visage, je retourne m’installer sur mon tronc, nettoyant un de mes ongles avec la pointe de la dague de Legolas. Bon alors, il y va ?

Une réputation de fourbe ? Un rire monte à ma gorge et je secoue lentement la tête de droite à gauche. Alors, comment est-ce possible que je sois un fourbe ? Taquin, certes. Un gamin, encore plus. Mais, un fourbe ? Non, vraiment je ne vois pas de qui il parle, mon joli petit prince. Je retiens mon rire cependant, assis ainsi sur ma racine, observant les yeux bleus de mon vis-à-vis. Certes, je suis un fourbe. Un adorable fourbe qui va prendre un malin plaisir à piper le jeu, pour la peine. Une fois le gage donné, je me réinstalle et je pose mes pieds sur la racine, utilisant le dos d’une cahute de marchant pour me tenir le dos. Un sourire narquois sur le visage, je me contente de secouer la tête de droite à gauche en observant le prince elfe.

- Je ne vends rien du tout, mon cher. Même si je pense que quoi que voie cette demoiselle, elle ne dira rien du tout. Parce que vous êtes son prince, mon cher ami.

Trop rapide pour les formules d’amitié ? Allons-bon. Comme si ça allait m’arrêter. Un rire supplémentaire sort de ma bouche et je secoue lentement la tête de droite à gauche avant de hausser les épaules.

- Mais c’est qu’il aurait de la répartie en plus de ça ?

Allons bon. Moi, un prince ? Mon frère l’est peut être. Moi, je ne suis qu’un simple homme. Un simple elfe ? Je sais juste que je suis heureux comme ça. Et puis, dans tous les cas, mon Père n’est pas un roi. Mon père n’est que le Seigneur d’un havre magnifique où tous ceux qui ont eu besoin de fuir à un moment où à un autre peuvent se retrouver là, en sécurité. Mon regard observe la scène et je secoue lentement la tête. J’ai loupé une grande partie de l’action, mais ce n’est pas dramatique. Sortant une flasque de ma poche, j’en avale une gorgée. Un sourire amusé sur les lèvres, je me dis que j’ai certainement l’air d’un ivrogne. Et pourtant… Ce n’est que du lait au miel.

Je n’avais aucune idée de ce qu’avait bien pu dire le prince à la vendeuse, ni même s’il avait été pris. Ou encore ce qu’elle avait bien pu avoir comme expression. Voilà ce que c’est que de laisser ses idées dériver. Je souris en voyant Legolas revenir vers moi et hausse un sourcil. A-t-il senti le frisson du danger au moins ?

Parfois, je vais un peu trop loin. Parce que je n’ai pas réellement l’impression de faire les choses mal. Parce que je ne suis qu’un elfe moqueur. Non, pas un Geai Moqueur. On n’est pas dans Hunger Games. Mais, je ne suis rien de plus qu’un jeune homme à l’esprit trop enfantin pour son apparence actuelle. Et puis, voilà. Ce n’est pas méchant. Un sourire sur les lèvres, je laisse donc mon homologue de la forêt noire aller s’amuser. Mais, je loupe la prestation. Parce que c’est idiot hein, mais … voilà. A force de penser à tout et à n’importe quoi, je finis par simplement ignorer Legolas. C’est dommage. Mais c’est comme ça. Enfin, il se serait fait prendre, je l’aurais entendu, je pense. Pourtant, je ne peux m’empêcher de poser la question. Parce qu’il faut que je sache. Et, que je voie ce que le joli petit prince a fait. Vu que j’ai tout raté.

- Oh, si vous voulez du difficile, je peux vous en trouver.

Un sourire goguenard monte à mes lèvres. S’il veut du difficile, oui, ça peut se faire. Bon, peut être pas ici. Je ne connais pas l’endroit encore. Je ne pourrais pas trouver quelque chose en trois jours que je suis là. Enfin, ce n’est que partie remise.

- Non mon cher. Je n’avais pas l’intention de rester là toute la journée. Parce que j’aime assez bouger. Rester au même endroit plus d’une heure ou deux, ce n’est pas pour moi. Je comptais aller visiter la bibliothèque. Car, voyez-vous, au-delà des blagues, j’aime lire.

Comme quoi, je ne suis pas tellement un mauvais bougre. En parlant de ça, je me redresse d’un bond sur mes pieds et je m’incline devant le jeune homme en face de moi, haussant un sourcil.

- Mais, avant ça, accepteriez-vous de venir avec moi prendre un déjeuner à la taverne ? Ou bien vous ai-je fait si mauvaise impression que vous refuserez de partager un moment avec moi ? Dans ce dernier cas, rappelez-moi de vous faire croire que je suis mon frère.

Toujours sur mon tronc d’arbre, j’observe le prince en face de moi, et une petite, mais alors toute petite partie de moi se dit qu’en fait, il se trouve peut-être être plus proche du prince idéal que moi. Non, en fait, il n’y a pas de peut-être à caser dans cette phrase : il est bien plus un prince que moi. Parce que, je ne suis qu’un avorton qui s’amuse, s’entraine à l’épée et finit par aller boire dans une taverne. Très proche de ce que font les humains, en fait. Trop proche ? Peut-être. Mais, je ne suis qu’un demi … trois quart elfe ? Quelque chose comme ça. Je n’ai jamais aimé les mathématiques. Elladan non plus. Voilà une matière que, l’un comme l’autre nous avons pris l’habitude de sécher en cœur. Au grand dam de nos précepteurs. Parce que ce n’est pas tous les jours qu’on se retrouvera capables de réellement trouver quelque chose d’amusant à faire à la place des mathématiques. Bon, en fait, si c’est tous les jours. Et, les rares jours où nous sommes obligés d’écouter ce qu’il se dit devant nous, avec un vieux professeur tout vouté, je crois qu’on préfèrerai l’un comme l’autre être ailleurs.

Enfin. L’heure n’est pas de parler mathématiques. L’heure est à montrer à ce cher petit prince qu’on a en face de nous… Non. C’est vrai : Elladan dort encore. Au fin fond de son lit, à ronfler si fort qu’il doit en faire trembler les murs. Parce que c’est Elladan. Il mange, et ensuite il dors. Mais vraiment.

- Mais… Combien de fois dois-je vous le dire, mon cher ami. Vous n’êtes en rien obligé de faire quoi que ce soit. Encore moins si vous ne m’aimez pas.

Croisant les bras, je me relève d’un bond et je m’incline devant l’elfe blond, mon sourire narquois sur les lèvres. Non, vraiment, il n’est en rien obligé de faire quoi que ce soit. Parce que ce n’est pas moi qui vais l’y forcer. Ce n’est pas moi qui vais aller baver que le petit prince à la tresse est méchant avec moi. Au contraire.

- Oh, j’aurais pu faire pire. Vraiment pire, comme première impression. Si vous m’aviez trouvé là avec mon frère… Non, vraiment ça aurait été pire.

Parce qu’Elladan et moi… Décidément, on s’amuse bien tous les deux. Sans jamais penser aux conséquences. Mais, les conséquences… Ne sont-elles pas inutiles ?

- Je comptais aller… Dans la première que ma route croiserait. Je n’ai pas encore eu le temps de visiter l’endroit. Alors, voilà. On fera avec ce qu’on a.

Au fond, il me plaisait, ce jeune homme. Mon regard noir le jaugeait, alors que je tapotais ma bouche avec mes doigts. Je l’aimais bien. Pas simplement parce qu’il était rentré dans mon jeu. Pas simplement parce qu’il avait réussi ma mission. Pas simplement parce qu’il était encore là, là où nombreux auraient préféré s’enfuir pour esquiver mes âneries. En fait, c’était un peu tout ça. Un peu tout ça mais aussi plus que ça, parce qu’il était encore là, et que malgré toutes mes âneries, il ne s’était pas départit de son visage impassible. Et, pour moi, ça c’était un défis. Et, j’adorais les défis.

- ça tombe bien, mon petit prince, parce que moi, je vous aime bien.

Voilà tout ce que j’avais à répondre à ce qu’il me disait. Sans me préoccuper qu’encore une fois, il considérait mon entrainement comme un méfais. Parce que, ce n’en était pas. Ce n’était qu’un jeu. Encore une fois, tout est question de perspectives, n’est ce pas ? Mes perspectives et celles de ce petit princes n’étaient pas en accord pour le moment. Mais, néanmoins, je ne désespérais pas de pouvoir, un jour, réussir à le changer. Réussir à l’amener à voir le monde sous cette même douceur amusante qui me berçait. Oh, il y avait des horreurs dans ce monde. Les orcs. Les guerres. Mais, dans ce monde où je grandissais, je préférais rester éloigné des tueries… Pour le moment.

- Mais non ! Nous sommes taquins, mon frère et moi, mais nous n’allons pas jusqu’à faire du mal au gens. Pas intentionnellement, en tout cas.

Un rire monta à ma poitrine à l’idée qu’Elladan puisse être le plus sage de nous deux. Je me tenais les côtes avant de soupirer, et d’observer intensément le prince devant moi. Non, il ne pouvait pas être sérieux quand même ?

- Je suis celui qui réfléchis le plus de nous deux. Mon frère… Il a tendance à courir droit devant, jusqu’à rentrer dans le mur, vous savez.

Et puis, nous nous sommes mis à parler nourriture. La nourriture, c’est quelque chose que j’appréciais, à l’époque. C’est quelque chose que j’apprécie toujours aujourd’hui, du moment que vous ne me demandez pas de faire la cuisine. Parce que… C’est compliqué, la cuisine. Une tâche que je n’ai jamais réussie à apprendre. Ah ça, laissez moi tuer des orcs ou faire des passes à l’épée. Je suis le roi. Mais, demandez moi de faire la cuisine… Un enfant de cinq ans s’en sortirait mieux que moi !

- Merci.

Le prince partit devant moi après cette phrase, sans même m’attendre. Allons allons. Il aurait pu me perdre. Je me redressais donc, abandonnant ma branche, et je me mis à le suivre, sans un mot. Parce qu’au fond, c’était ce qu’il y avait de mieux à faire, si je voulais dévorer quelque chose dans la journée. Pas que le banquet d’hier soir soit déjà digéré. Mais, comme je l’ai dis, j’aimais l’art de la table, en cette époque. J’aurais pu manger jusqu’à exploser. J’étais d’ailleurs en train de me demander ce que mon cher ami entendait quand il me disait ‘repas succulent’, et j’étais perdu dans mes pensées de nourriture. Mais, Legolas me posa une question. Combien de temps j’allais rester.

- Père nous a envoyés ici pour nous perfectionner dans l’art du combat. Donc, un petit moment, je pense.

- Nous sommes taquins avec tout le monde, oui. Parce que nous n’allons pas changer notre manière d’être simplement pour des gens qu’on va croiser deux fois dans notre vie. Ou trois. Il est inutile de porter un masque. Et puis, dans tous les cas, notre réputation nous précède. Les gens… Les gens ont tendance à s’imaginer les pires choses possibles. Et du coup, comme on a volontairement enjolivé nous-même notre réputation, au final… Ils se rendent comptent qu’on n’est pas si pires que ça. Et, ils nous laissent faire. Parce que, ce ne sont que des taquineries.

Un sourire, amusé. Et puis… Et puis l’elfe à mon côté, il me semble un peu étrange en fait. Tellement… Protocolaire. Parce qu’il faut bien avouer que, moi j’ai plus tendance à mettre toutes les personnes que j’ai en face de moi dans le même panier. Ce sont des interlocuteurs. Et puis c’est tout. Princes, rois, reines et autres taverniers, ce sont à mes yeux tous les mêmes. Des gens. Des gens que je vais côtoyer, plus ou moins longtemps. Mon immortalité me semble parfois un fardeau.

Mais, parlons peu, parlons bien. Temps est venu d’arriver à cette fichue taverne. Parce que j’ai faim moi. Vraiment faim. J’ai tendance à rester assez en retrait pendant les banquets. Parce que j’aime pas être au milieu du monde. Je déteste le contact physique. Je déteste cette impression que par un simple contact, un autre pourrait éventuellement savoir tout de moi. C’est étrange. C’est étrange et idiot, n’est ce pas ? Mais, c’est comme ça. Alors, j’ai tendance à ne rester que peu dans les banquets. A etre en retrait. A observer le monde de loin, les gens passer et repasser devant moi. Les ignorer, aussi. Mais, c’est comme ça que je suis. Mais, parlons entrainement. C’est bien aussi, l’entrainement. Ça m’évite de ressasser mes idées noires.

- Nos maîtres en Imladris nous ont déjà donné de nombreuses leçons. J’ai l’habitude de prendre des coups à l’épée. Mon frère préfère les arcs. De temps à autre nous échangeons les rôles, mais je suis un bien plus mauvais archer que lui. Je touche mes cibles, bien sûr. Mais… Mais je n’arrive pas à la dextérité qu’il y met.

Un sourire lointain. Et puis, je m’arrête devant Legolas. Je pose la main sur mon cœur, et je m’incline légèrement devant lui.

- Temps me semble venu de vous dire mon nom, petit prince. Je suis Elrohir, fils d’Elrond d’Imladris.

Oh, qu’il ne s’en fasse pas mon cher petit prince. Qu’il ne s’en fasse pas du tout même. Parce que… Parce qu’au fond, je m’en fiche que tout me revienne à la figure. Je m’en fiche totalement, parce que c’est pas quelque chose d’important, au contraire. Tout acte a ses conséquences, et en étant le taquin que je suis en permanence, on ne peut que les attirer à soi. Du coup… Du coup, je me contente de sourire, avec un air mystérieux. Je hausse les épaules et je soupire un coup avant de placer mes mains dans mon dos. Et puis, je me présente enfin à Legolas, dont je savais le nom depuis de nombreuses minutes, mais … Mais je me jouais de lui à présent. Je n’avais pas confiance. Oh, ne croyez pas que j’ai confiance maintenant. Il faudra bien plus que ça pour que j’accepte d’ouvrir mon cœur à cet elfe là. Pour l’heure, il n’y a que deux personnes qui savent être là pour moi. L’une… L’une je ne la vois que rarement. Elle voyage de part le monde, encore et encore. Et l’autre.. L’autre c’est mon frère.

- Oh la, je compterais les points alors. Je dois avouer que j’aimerai bien voir quelqu’un répondre enfin à Elladan sur ce sujet là.

Je ne réponds cependant pas à la remarque de Legolas sur mon apprentissage ici. Non, vraiment, je suis là pour travailler, et travailler je ferais. Je n’ai aucun doute que d’ici un siècle, je pourrais en répondre à ces maitres d’armes là aussi, d’autant plus sur mes tests pour améliorer ma rapidité se montrent concluants. Un sourire sur les lèvres, je me contente de hausser les épaules.

- Je sais m’en sortir assez au tir à l’arc pour ne pas faire honte à mes ancêtres. Mais, je suis bien plus à l’aise avec une épée, voir deux. C’est plus … mon caractère de me retrouver au centre de la mêlée.

Mais, déjà, alors que nous parlions, nous nous sommes retrouvés devant la taverne, où Legolas m’invita à entrer. Mains dans les poches de ma tunique, j’observe l’entrée, qui ne paye clairement pas de mine. Mais, elle semblait… Etrange. En fait, je n’avais jamais vu d’endroit de la sorte auparavant. Sourcils froncés, je suis Legolas à l’intérieur pour découvrir l’endroit, qui s’enroule autour d’un arbre. Voilà quelque chose d’étrange. Sans un mot, je détaille l’endroit, avant de croiser le regard de l’elfe à mon côté.

- Endroit intéressant. J’espère que la cuisine est à la hauteur de la décoration. Vous avez une table préférée ?

Elladan ? Mauvais perdant ? Pire que ça même. Il est capable de s’acharner des années durant juste pour avoir raison, et j’en ai fait les frais un nombre certain de fois. Alors, autant dire que s’il perd, même d’un millimètre contre Legolas, il va en entendre parler, mon petit prince elfe. Mais, il n’est pas difficile de dire que ce n’est pas gagné d’avance, pour l’un comme pour l’autre. Elladan me fait souvent l’impression d’être né avec un arc à la main, autant que moi avec mon épée. Dans tous les cas, arbitrer la rencontre sera amusant, ça c’est sûr et certain. Bien plus amusant de les voir viser que de me voir tenter de me dépatouiller avec un arc, ça c’est sûr. Un sourire monte à mes lèvres lorsque Legolas tente de me faire remarquer que les elfes sont naturellement doués à l’arc.

- Je connais une jolie elfe qui vous ferait mentir. Tirer à l’arc pour elle, c’est totalement impossible, elle n’a jamais mis une seule flèche dans la cible. Elle a même réussi à tirer des flèches dans son dos, et on se demande encore comment elle a fait. Mais, ce n’est pas mon cas. Je touche mes cibles, sans pourtant arriver à mettre dans le mille. Non, l’arc, c’est l’arme de mon frère, vraiment, pas la mienne. Moi, je préfère de loin mon épée.

Un sourire franc sur les lèvres, je me laisse aller à me détendre un peu, pour la première fois depuis que nous sommes arrivés ici, avant de reprendre :

- En fait, Elladan complète bien mon style de combat. Il me protège à distance avec ses flèches, et moi j’empêche les orcs d’arriver jusqu’à lui avec mon épée. Nous sommes toujours fourrés ensemble pour cette raison : l’un fait ce que l’autre ne sait pas. J’ai du mal avec le contact physique, là où ça ne le dérange pas de serrer la main de tous les diplomates, nobles et autres qu’il croise. Je suis plus agile avec ma langue que lui, et mes idées sont plus recherchées que les siennes. Il préfère foncer, je préfère réfléchir. Seuls, nous sommes incomplets.

L’endroit où nous étions désormais était magnifique. Installé à une table, je laisse mon regard dériver sur l’endroit, découvrant chaque recoin avec l’air d’un gamin. Comme quoi, on peut avoir près de mille ans, et se trouver encore et toujours capable de découvrir le monde avec un œil neuf. En tout cas, si la cuisine fait honneur au cadre, autant dire que je ferais attention à l’adresse pour revenir ici avec mon frère. Et, je suis certain qu’il appréciera d’amener sa jolie elfe par ici lui aussi, quand il se décidera à ouvrir les yeux.

- Je ne connaissais pas. Il faut avouer que les tavernes ne sont pas vraiment l’endroit où j’ai l’habitude de me rendre quand j’arrive dans une ville. Je cherche plus l’auberge la plus proche pour m’effondrer sur un lit, en priant pour qu’Elladan ne ronfle pas trop durant la nuit.

Un rire monte à ma poitrine et je croise les bras alors que la serveuse s’approche pour me donner une coupe, avant d’en poser une autre devant Legolas. J’attrape la mienne et je la lève comme pour trinquer avec Legolas, avant d’en boire une gorgée ou deux. Un sourire satisfait monte à mes lèvres. Ouais, pas mal du tout ce fin.

- Si vous aviez des frères et sœurs, vous comprendriez peut être un peu mieux pourquoi je taquine encore et encore mon cher frère. C’est ainsi que notre relation est tissée depuis le jour de notre naissance.

- Alors, je vous la présenterai un jour prochain. Nous aurons d’autres occasions de nous croiser, dans cette immortalité qui s’offre à nous.

Je lui souris, à ce prince qui ne me croit pas. Mais, s’il entend faire mordre la poussière à Elinà, il devra se lever tôt. Mon frère et moi, même en nous y mettant à deux nous y arrivons pas. Cette fille a appris un art de se battre avec d’étranges lames qu’elle peut sortir et rentrer à volonté dans son bras, et sa vivacité est telle qu’on dirait plus qu’elle danse qu’autre chose. Il est heureux qu’elle préfère s’occuper d’apprendre la guérison auprès de Père que de s’entrainer, sans quoi il est bien probable qu’elle finisse par devenir un véritable danger public. Mais, à l’arc comme à l’épée, Elinà est une quiche absolue, un cas plus que désespéré pour le premier, et elle n’a pas les muscles qu’il faut pour utiliser longtemps une épée. Non, son truc à elle, ce sont ces lames très étranges.

Mais, le sujet change. Le sujet passe sur Elladan et moi, et notre mode de combat. Un grognement monte à ma poitrine quand il me parle d’être séparé. Non, c’est une chose qui n’arrivera pas, c’est une chose qu’on ne veut pas voir arriver, loin de là. C’est une chose qu’on ne saura tolérer. Même si c’est déjà arrivé.

- Le truc, c’est de ne pas compter que sur l’autre non plus. Travailler à deux est une chose extraordinaire, car nous sommes complémentaires, mais cela veut aussi dire que nous devons nous entre-protéger, et c’est double travail que de penser à l’autre en permanence, de vérifier sa position, de sentir là où il est, sans pourtant aller jusqu’à tourner la tête, car il serait dangereux pour moi comme pour lui de tourner la tête. Nous savons nous débrouiller seuls. Même si je ne serais jamais un as à l’arc, je sais m’en servir, et même si Elladan ne sera jamais le plus doué à l’épée, il sait s’en servir aussi. Complémentaires, toujours fourrés ensemble, mais loin d’être idiots.

Un rire monte à ma poitrine lorsque Legolas me dit qu’au moins, je peux avoir une confiance totale et absolue en Elladan. Oui, c’est ainsi. Avoir quelqu’un qui peut être là pour vous dans chaque épreuve, c’est une chose admirable. C’est une chose extraordinaire. C’est une chose dont j’ai besoin, et pour cela, je suis réellement heureux d’avoir mon frère à mes cotés.

- Oui, je sais que je peux fermer les yeux, et qu’il sera là, toujours pour moi.

Mais, installés, là, à cette petite table, la discussion change pour passer sur mon frère et ses ronflements. Peut être que moi aussi je ronfle, je n’en sais rien du tout. Au fond, il n’est pas impossible qu’on soit identiques sur ce point là aussi. Quoi qu’il en soit, quelle que soit l’elfe qu’il épousera, j’espère pour lui qu’elle saura trouver un moyen pour se boucher les oreilles. Parce que, franchement… Sinon, je lui offrirais une branche d’arbre pour qu’elle l’assomme pour arriver à dormir. Ou alors, ils feront chambre à part. Ce sera amusant.

- Nous ne pouvons pas toujours avoir deux chambres, surtout les soirs de pluie. Mais, j’ai une bonne technique pour l’empêcher de ronfler. Lui taper dessus pour l’assommer. Alors, certes il a mal au crâne en se levant mais… Mais ce n’est pas non plus si dramatique que ça.

Legolas n’avait pas de frères et sœurs. Et, peut être ai-je été maladroit en lui posant cette question, mais peut être qu’il faut poser les questions, pour avoir les réponses, plutôt que de rester dans le vide et dans l’incertitude.

- Oui, les jumeaux ont un lien particulier, c’est vrai. Mais, je suis aussi très proche de ma sœur, Arwen. J’espère qu’un jour vous aurez quelqu’un sur qui vous reposer de cette manière, car c’est une chose réellement importante, d’avoir quelqu’un sur qui se reposer.