Les peuples qui n’ont plus de voix n’en ont pas moins de la mémoire. | B.Constant
Je n'avais pourtant pas peur du noir. Le crépuscule avait étendu ses ombres sur la montagne, étouffant la roche de ses ténèbres silencieuses. Cette longue litanie muette n'arrivait pourtant pas à faire taire les angoisses qui grandissaient en moi, comme un mal dont je ne saurais me défaire. Immobile, j'entendais les respirations régulières et profondes de mes frères au-travers des murs. Et si demain, il ne restait plus rien à écouter ? Et si demain, la nuit fermait leurs paupières à jamais ? Je chassais ces sombres pensées, cherchant vainement le sommeil. Je me tournais sur le côté et fixais par le soupirail la faible lumière fantomatique qu'offrait la lune en son premier quartier. Les rumeurs s'étaient insinués dans les esprits et les cœurs, plongeant l'Ered Luin dans l'attente. J'avais eu le choix et j'aurai pu ignorer tout ceci. Mais pouvais-je vraiment me résoudre à être si lâche ? L'histoire même de ma famille était liée à ces rumeurs, qui convergeaient tous vers la même direction. Erebor. La cité de nos ancêtres qui a vu périr sur son seuil bon nombre des nôtres, terrassant leur soif de reconquête. De ce combat, seul Dori en était revenu, endossant le rôle du père qu'il avait vu tomber l'épée à la main. Je me recroquevillais sur moi-même, frissonnant. Jamais je n'ai abordé le sujet avec lui. Jamais. J'imagine que je ne suis pas ce nain si courageux que je me plaît à lui montrer. Longtemps, je me suis dit que c'était pour le ménager lui, mon frère, celui qui avait vu la mort en face et soutenu ces corps sans vie, ivre de douleur... J'avais honte. En vérité, le problème était tout autre. Je pensais pouvoir tout entendre, je me pensais fort. Mais il semblerait que je me sois trompé sur mon propre compte. Les bras en croix, je réalisais soudain que j'avais peur. Peur d'écouter. Peur de réaliser, de savoir. J’éprouvais soudainement le besoin de marcher. Plus précisément, de fuir. Je ne pouvais résolument pas m'assoupir avec autant de culpabilité dans le cœur, auprès de ceux qui m'avaient toujours protégé de ces peines. Avec douceur, je refermais sur moi la porte de notre foyer si chaleureux, et m'éclipsais dans pénombre de la nuit. Le croissant laiteux au-dessus de moi éclairait ma route mais malgré toute l'étendue de ma cavalcade, je ne parvins à trouver l'apaisement. Comment aurais-je pu y arriver alors que je savais l'histoire sur le point de se répéter ? Et si cette fois, c'était Dori ou même Nori qui ne me reviendrait pas ? Je n'étais pas sot, si quête il y avait, mes frères s'en iraient pour la Montagne solitaire. Et alors, que ferais-je sans eux ?
Mes pas me menèrent jusque la Grande place, désertée à cette heure tardive. Une petite brise commençait à se lever, traversant mes vêtements fins. Je n'avais pas prévu une si longue absence et pourtant, je ne me sentais pas encore le courage de rentrer. J'essayais de comprendre, de m'imaginer à la place de mes frères. De quelle façon aurais-je agis si on m'avait privé de mon chez-moi ? C'est vrai, j'étais né ici, dans les montagnes Bleues. Mais je n'eus aucun mal à entrevoir cette privation. Sans doute voudrais-je le retrouver moi aussi, mon chez-moi...Mais dans mon chez-moi, il y avait ma famille et je ne souhaiterai sans doute pas m'y retrouver seul. Je m'asseyais près de la fontaine d'eau claire, las de marcher. On dit de cet endroit, qu'il est propice à la réflexion. Je le crois aussi. D’ordinaire, je j'étais toujours moins défaitiste des trois. Je m'appliquais généralement à chercher le sourire Dori, qui a une fâcheuse tendance à voir le mal partout. Étais-je en train de changer ? Nori, qui est pourtant plus secret, me semble parfois préoccupé également (bien que ses motivations doivent être autres). Peut-être que c'est comme ça quand on grandit. On s’inquiète de tout. Intérieurement, je me félicitais de cette petite escapade solitaire. Je ne voulais pas que l'on me voit ainsi, en train de m'alarmer. J'étais toujours leur petit Ori et je ne voulais pas montrer qu'il serait peut-être bientôt temps pour moi de me débrouiller seul. Je ne voulais pas être seul. J'avais peur d'être seul.
La nuit était belle, et éclairée par les lanternes richement travaillées, la scène avait quelque chose d'enchanteur. Bercé par l'écoulement régulier de l'eau, je me sentais plus tranquille. J'avais réussi à mettre le doigt sur des sensations que j'avais depuis longtemps refoulé. Comme si je m'étais découvert, en quelque sorte. Ce n'était pas très agréable, et cela engendrait d'autres craintes dont je n'avais encore jamais eu idée. Mais je pouvais désormais les nommer, les cerner et pourquoi pas les confier à d'autres oreilles attentives. Dori m'avait dit une fois que tout le monde avait peur d'au moins une chose, et qu'il fallait mieux savoir ce que c'était avant qu'il ne soit trop tard. Mon problème maintenant, c'était que je m'étais découvert beaucoup de peurs d'un coup et qu'il faudrait que je fasse le tri. Peut-être que si je prenais le temps de les écrire...Je regardais mon reflet dans l'eau pure et glissais le bout de mes doigts dedans pour y brouiller mes traits. Alors un bruissement se fit entendre dans mon dos et je sursautais. Oh, je n'osais me retourner de peur d'entendre la voix courroucée d'un de mes frères. Pris en faute ? J'attendis, raidi par l'angoisse.
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Sujet: Re: Devoir de mémoire. | Feat. Balin Mar 10 Fév 2015 - 16:37
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Sujet: Re: Devoir de mémoire. | Feat. Balin Dim 22 Fév 2015 - 16:02
Devoir de mémoire ♦ Balin
Les peuples qui n’ont plus de voix n’en ont pas moins de la mémoire. | B.Constant
La voix qui résonna dans mon dos fit taire mes craintes de représailles. Elle n'appartenait ni à mes frères, ni à l'un des membres de la garde. Oh bien sûr, je ne suis pas assez hardi pour reconnaître chaque soldat de la cité ou même pouvoir le prétendre. Nori le pourrait peut-être lui, et ça ne serait pas dû à ses bonnes œuvres. Ce timbre-là en revanche, était pour toutes et tous reconnaissable entre mille. Aussi je me retournais vers Balin, qui s'était approché d'un pas silencieux. Outre son manteau le plus chaud, il portait l'expression inquiète de ceux qui voient les difficultés et les épreuves arriver. Parfois je la retrouvais chez Dori... Devais-je y voir là un signe, qui viendrait confirmer les rumeurs de reconquête ? Je rentrais la tête dans mes épaules, sous la réprimande qui n'en était pas vraiment une. Cette dernière viendra certainement plus tard, lorsque les chuchotis de mon escapade nocturne arriveront aux oreilles de mon frère aîné... Pour l'heure, je tournais encore le dos aux clapotis de l'eau du soir.
" Monsieur Balin ! Et bien euh je..oui, je n'arrivais pas à trouver le sommeil... A vrai dire j...je réfléchissais. De choses et d'autres..."
Je faisais en effet parti de ces nains qui s'interrogeaient sur les faits de la nature, les coutumes des anciens âges et certains avaient fini par s'y accoutumer, ne me questionnant plus lorsque je m'adonnais à ces périodes de méditation. Cependant, c'était bien la première fois que cela me tirait du lit. Il faut l'avouer, cette fois ce n'était pas que de simples observations...cette fois j'étais inquiet. Je reconnaissais mon attitude comme étant celle que j'avais si souvent étudié chez Dori. Comment parvenait-il à vivre de cette manière, à toujours s'interroger au sujet de Nori ou de moi ? La silhouette du conseiller royal n'avait pas bougé, mais je ne savais pas encore si je devais m'en alarmer ou au contraire m'en réjouir. Jamais encore je n'avais vu Monsieur Balin hausser la voix ou être victime d'un quelconque emportement, mais il serait dommage que je sois témoin de cette expérience aujourd'hui. J'enfouissais mes mains dans la chaleur de mes manches un peu trop longues pour moi.
" Est-ce vrai ce que l'on raconte, Monsieur Balin ? La Montagne solitaire...L'expédition, le dragon...le moment est-il venu ?"
Finalement, j'avais décidé de rompre le silence qui s'était abattu sur la grande place et sur nos personnes. De tous les nains que je connaissaient, il était le plus à même de répondre à mes interrogations. Conseiller du roi...les lèvres qui chuchotaient le nom d'Erebor devaient être à ses oreilles bien plus que de simples murmures. Peut-être ne voudrait-il pas m'en parler ? Peut-être cela ne me concernait-il pas ? Peut-être le demanderais-je à Nori (qui nous faisait l'honneur de sa présence ces temps-ci) ? Ou peut-être finirais-je par le demander à Dori...
" J'ai l'impression que quelque chose de prépare, vous savez... Et malgré tous mes efforts, je ne parvient qu'à en saisir les détails les plus rudimentaires..."
Je ne pouvais savoir à l'avance quelle serait l'issue de cette discussion. Serais-je repus d'informations mais alarmé à l'idée que mes craintes se dessinent brusquement ? Ou serais-je apaisé et rassuré d'apprendre que mes spéculations n'étaient, en fait, que...des hypothèses d'enfant ? Je regardais Monsieur Balin, en quête de réponses. Lorsque la nuit se retirera enfin, je saurai quoi faire.
*Pardon pour l'attente.
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Sujet: Re: Devoir de mémoire. | Feat. Balin Dim 1 Mar 2015 - 22:39