Je reviens t'embêter ! [Feat Elina]

Deux jours ont passé depuis cette demande en mariage devant l’immensité de la cascade, sous le soleil qui illuminait autant mon cœur que l’air autour de moi. Autant dire que je suis sur un petit nuage depuis deux jours, incapable de regarder autre chose que cette bague à mon doigt, incapable de réellement réaliser que, oui, Elladan et moi allons nous marier. Oh, que ce jour est heureux. Oh, que ce jour est magique. Je suis réellement heureuse de ce tournant inattendu qu’a pris ma vie. Je n’aurais jamais cru qu’un tel bonheur puisse emplir mon cœur. Jamais.

Pourtant, je me dois de vaquer à ma vie comme si de rien n’était, en attendant qu’Elladan trouve le temps de parler à son père et qu’il lui explique, pour nous deux, pour notre amour, pour nos fiançailles… Et pour le mariage déjà consommé ? Oh, certainement pas. Non, ce n’est pas possible de parler de cette façon qu’il a de me rejoindre, nuit après nuit, dans mon lit pour que nos corps s’unissent dans le secret de ma chambre. Un sourire monte sur mes lèvres et je baisse les yeux vers la demoiselle qui se trouve devant moi. Un simple bobo, mais je n’arrive même plus à me rappeler comment le soigner. Non, je n’arrive même plus à songer qu’il est possible pour moi de voir un jour cette blessure se soigner. Je me contente de l’observer, sourcils froncés, alors que mon esprit espère réellement que les noms des plantes à mélanger pour former le cataplasme guérisseur reviennent finalement. Je suis tout simplement incapable de dire quoi que ce soit de plus, parce que je n’arrive plus à penser à quoi que ce soit. Mon cerveau est tout bonnement vide.

Je finis par me lever pour me donner bonne conscience et je me dirige vers le buffet où j’entrepose toutes mes herbes. Je l’observe quelques instants avant de fermer les yeux et de laisser mes mains agir toutes seules. Je range toujours toutes mes plantes au même endroit, et j’ai fait ce cataplasme à base de toile d’araignée et autres fleurs de pissenlit. Je soupire un coup avant de rouvrir les yeux pour voir le cataplasme en train de se fabriquer. Ce sont pourtant bien mes mains qui agissent, mais je ne suis pas celle qui les maitrise, je ne suis pas celle qui les contrôle. Moi, je suis sur mon étrange petit nuage.

Finalement, je retourne vers l’elfette et je lui applique le cataplasme sur sa blessure avant de la bander et de la laisser partir. Quant à moi, je m’installe sur mon fauteuil, la tête entre les mains. Je n’arrive plus à être une guérisseuse à cause de ce bonheur qui m’anime… Espérons que les choses ne se tassent avant que ça commence à devenir compliqué. Trois coups à la porte me font relever la tête et je me dirige vers celle-ci pour l’ouvrir sur une jolie petite rousse qui me tire un sourire amusé. Allons-bon.

- Bonjour Kielle. Comment vas-tu. Entres.

Je m’efface pour la laisser entrer dans la pièce qui me sert d’entrée avant de lui désigner le petit salon qui, au fil des siècles, s’est changé en ma petite officine.

- Retire ton haut. Je vais t’enlever tes points tout de suite.

Mon regard, alors que je tends la main vers les ciseaux si fins que j’utilise pour découper les fils des points de suture se pose encore une fois sur la bague, et un sourire monte à mes lèvres. Encore une fois, durant quelques secondes, j’oublie tout, et je suis ramenée à ce moment où Elladan était à genoux devant moi en train de prononcer ces mots magiques qui ont emplit mon cœur d’un bonheur pur

Je suis… distante aujourd’hui, pratiquement incapable de me concentrer sur le moment présent. C’est fou, n’est-ce pas ? C’est fou d’en arriver là, quand on se retrouve soudainement incapable de faire quoi que ce soit, parce qu’on est trop heureux, trop sur cet étrange petit nuage de coton pour rester concentré sur le présent ! Et pourtant… Pour être tout à fait sincère, si on m’avait dit qu’un jour je me retrouverais capable d’éprouver autant d’amour, autant de joie, autant de d’espoir, je crois bien que je n’y aurais pas cru. Parce que, je n’ai jamais été chanceuse, au fond. Je n’ai jamais eu quoi que ce soit de spécial, et pire que ça, je n’ai jamais réussi à voir le bon côté des choses… Peut-être parce que ma vie a commencé en voyant mes parents mourir sous mes yeux ? Je n’en sais rien. Sans avoir été pessimiste chaque jour de ma vie, je n’ai pourtant jamais réellement fait attention à ce qu’il m’entourait… J’ai subi beaucoup de choses, en fait, au lieu de prendre mon destin à bras le corps. Alors, aujourd’hui, je suis emplie d’une telle joie que je n’arrive plus à rester moi-même. Pourquoi est ce que les gens continuent de venir ainsi me voir, hein ?

Bon, ceci n’est pas pour Kielle. Non, ma petite Kielle, je l’aime bien. C’est pour ça que je l’accueille avec un sourire en la voyant arriver, et que je remarque tout de même qu’il y a un truc d’étrange chez elle… Attendez, elle a mis une robe ? Sérieusement ? Je me contente de faire la moue et de sourire dans son dos, en la voyant entrer dans le petit salon pendant que je ferme la porte dans son dos. Je m’avance donc à sa suite en levant les yeux au ciel :

- Oh, ne commence pas à râler, jeune fille. Ces choses, comme tu dis, t’ont évité de rester sur un lit de camp à subir un bandage très serré pour faire garrot, puis à te vider de ton sang cinq minutes toutes les heures pour éviter que ta main ne se nécrose. Alors, remercie les, au lieu de vouloir t’en débarrasser.

J’en fais trop, vous croyez ? Certainement. Mais, c’est mon travail de faire peur aux gens, pour éviter qu’ils ne se blessent de la même manière simplement parce qu’il y a des gens qui savent les réparer. Je dis toujours que ce n’est pas parce qu’il y a des guérisseurs qu’il doit forcément y avoir des blessures. Au contraire, j’aimerais bien n’avoir aucun travail, parce qu’aucune blessure ni aucune maladie ne vient empêcher mes patients de vivre leur vie. Oui, vraiment, je préfèrerais être au chômage. Je trouverais certainement autre chose à faire…

Mais pour l’heure, je demande à la demoiselle en face de moi de se déshabiller pendant que je m’occupe de préparer mes ciseaux et mes cataplasmes. Mais, au fond, je sais très bien qu’à la seconde où je vais regarder ma main, je vais à nouveau me perdre dans mes pensées. Et, lorsque je passe ma main dans le champ de ma vision, je l’immobilise pour l’observer. Ah, cette main gauche, à laquelle se trouve une bague forgée par Elladan… Une bague de fiançailles… Je n’aurais jamais cru qu’un jour j’y arriverais, qu’un jour il me remarquerait de cette manière-là… Combien de temps est ce que je reste perdue dans mes pensées avant que Kiëlle ne me ramène au présent avec son exclamation ? Quelques secondes ? Quelques minutes ? Quoi qu’il en soit, trop longtemps pour la demoiselle en face de moi, puisqu’elle finit par sautiller sur place. Hey ho, tu vas détruire mon boulot là ! Mes pauvres points de suture…

- Stop stop stop ! Tu vas… Rah, voilà, du sang… C’est malin.

Je la prends par l’épaule pour l’installer sur mon fauteuil avant de finir de défaire le bandage tout en grommelant contre ma propre bêtise. Ha, fichue bague. Je ferais mieux de l’enlever. Non, en fait je ne pourrais pas. Je n’arriverais plus à m’en passer, de cette bague. Tout en essuyant le sang qui coule du bras de Kïelle, j’entreprends de répondre à ses questions :

- C’est une bague de fiançailles… Mais c’est pas encore officiel, on doit… demander sa bénédiction au père de mon… ami. Pour moi… Je suis orpheline, alors je fais ce que je veux, mais lui c’est plus compliqué. Oh, tu as totalement déchiré un point… Je vais devoir le refaire au lieu de te l’enlever !

Je coupe rapidement tous les points de suture avec mes ciseaux avant de pousser un soupir et de récupérer un cataplasme à base de plantes anesthésiantes pour endormir la zone que je vais devoir refermer à nouveau. J’étale la pâte odorante et verte sur la peau claire de l’elfette devant moi avant de soupirer.

- Surtout, Kiëlle, il ne faut rien dire… Pour mes fiançailles. Elladan doit obtenir l’accord d’Elrond avant toute chose, et il ne faut pas qu’il entende la moindre rumeur avant que son fils ne soit venu le voir, d’accord ?

Je grogne, je grommelle, parce qu’au fond, je l’aime bien, la petite Kiëlle. Elle est adorable, sauf quand elle bousille mon travail. Ils étaient parfaits, mes points de suture. Totalement parfaits. Et voilà qu’elle me casse tout en sautant dans tous les sens comme un cabri. Adorable petit Kiëlle, tu as de la chance que je t’apprécie. Enfin, tout cela aura au moins eu pour effet de me sortir de cette espèce de nostalgie dans laquelle je me complaisais à regarder ma bague. La vue du sang m’a rappelé mes devoirs, et pour l’heure je suis totalement concentrée sur ce qu’il se passe en face de moi et sur la blessure. Elle a déchiré un des points de suture, et je dois avouer que je ne suis pas tout à fait sûre de la façon dont je vais pouvoir rattacher le point. Il n’est pas possible de le refaire au même endroit, et la peau qui saigne est fragile. Vraiment fragile.

Et, pendant que je découvre tout ça, j’explique toute l’histoire en quelques mots à ma patiente. Parce que je n’ai pas réellement quoi que ce soit à lui cacher. Au fond, je suis certaine qu’elle saura tenir sa langue. N’est-ce pas ? Oui … Oui c’est sûr. N’est-ce pas ? Je pousse un soupir avant de lui expliquer à quel point il est important de garder le silence là-dessus. Pendant ce temps-là, mes doigts s’agitent sur son épaule, et je défais un à un les points de suture déjà en place. La peau est encore très fine, et elle va devoir rester encore au repos durant quelques jours, une bonne semaine je dirais, avant de pouvoir repartir au loin.

Kiëlle finit par répondre à ma demande, non… a cette supplique que je lui envoie. Parce qu’il n’y a pas d’autre mot. Elladan doit réellement avoir l’accord d’Elrond avant que la rumeur ne se répande. C’est pour ça que je lui dis encore et encore qu’il faut qu’elle se taise. Je l’aurais dit de la même manière à n’importe qui. Pour le coup, la réaction de Kiëlle me fait un sourire…

- Une histoire d’amour ? Tu parles… Cela fait deux mille ans que j’attends ce mariage… J’ai faillis désespérer totalement et prendre mes cliques et mes claques pour partir à l’autre bout du monde, parce que je n’avais plus envie d’attendre.

Mais, oui elle a raison. Elle a raison : nous serons parfaits ensemble. Parfaits pour les scènes de ménage, en tout cas. Les disputes qui nous ont bercés depuis deux mille huit cent ans, elles ne vont pas s’arrêter maintenant que nous sommes fiancés, pour être francs. Et, encore moins après le mariage. Ha ça, je me vois déjà le mettre dehors pour l’envoyer à la chasse à l’orc quand il m’ennuieras, tout autant que je me vois l’attendre à l’entrée de la cité quand il me manquera…

- Oui, je suis parfaitement heureuse… J’ai attendu ce moment toute ma vie, tu sais. Ça a toujours été lui, même si je ne l’ai jamais avoué à haute voix…

Le rire de Kiëlle me tire un sourire à mon tour et je secoue lentement la tête de droite à gauche. Oui, je l’avoue, je suis risible. Je suis tout ce qu’il y a de plus … Stupide. Je suis tombée amoureuse d’un elfe que je n’aurais pas dû accepter dans mon cœur. Déjà, entre nous, il y a cette différence de rang. Lui, il est un prince, même s’il m’a dit plusieurs fois qu’il n’avait aucunement l’intention de conserver ce trône. Et puis, pour être tout à fait sincère, il n’y a rien d’autre à attendre de lui. Pour être franche, je n’ai pas l’impression qu’il soit fait pour ça. Je sais qu’il a besoin de voyager et de guérir cette plaie béante qu’il a dans le cœur, du au départ de sa mère pour Valinor.

- Et moi j’ai peur de sa réaction… Certes il m’apprécie, car j’ai été sa disciple mais… Je crois que quelque part, il préfèrerait une union un peu plus… intéressante pour Imladris. Certes, je descends d’une noble famille, mais en guise de dot, je n’ai que les ruines de la cité d’Ost-In-Edhil, enfouie sous des couches de sable et de cailloux…

Ma famille paternelle a une certaine fortune, dont je gère aujourd’hui le patrimoine, mais je ne suis pas certaine non plus que ça rentre en compte. Imladris est une cité-état et ne possède pas réellement de terre pour prospérer. Les elfes qui y vivent apportent certes une plu value certaine de par leurs nombreux talents artistiques, mais une ville ne peut vivre d’art, de joaillerie et de forge jusqu’à la fin des temps.

Mais moi. Moi je ne suis rien. Une guérisseuse itinérante. Une va nu pieds qui habite dans une jolie maison dont elle a hérité, qui ne sert strictement à rien, et qui finit encore et toujours par se retrouver incapable de voir sa vraie valeur. Je suis loin d’être sûre de moi. Et, j’arrive pas à relever le nez lorsque je suis face à ces gens si puissants, qui respirent la noblesse. Le seul moment où je suis réellement sûre de moi, c’et pendant les soins à une patiente ou une autre.

- Si tu as vraiment une mission, tu pourras y aller avec le bandage. Je peux éviter le point si je tire sur mon don un petit peu pour te guérir avec la magie mais… J’ai peur que l’utiliser deux fois en quatre jours soit dangereux pour moi… ça me fatigue bien trop…Je suis encore une novice dans cette magie, tu sais…

Je reste pensive quelques secondes, cherchant une autre solution. La seule qui me vient en tête est… douloureuse.

- Ou alors, je peux aussi te cautériser tout ça. Mais tu devras faire attention à bien mettre un cataplasme pour éviter que ça s’infecte, sans quoi ce sera pire.