What you lookin' for ?

La nuit recouvrait la baie de ses voiles sombres, les rouleaux mousseux de nuages annonçaient déjà la pluie. Le vent était bon, une douce brise soufflait depuis le nord, faisant frissonner les hommes qui s’attelaient sur le pont. La crépusculaire mouillait ici depuis deux jours déjà, mais il n’était pas prévu d’y rester bien longtemps. Les réparations de la coque avaient déjà pris une bonne journée, les charpentiers l’avaient rafistolé et il bénéficiait d’un peu plus de protection au vu des projets que le Capitaine avait. Ils avaient alors passé ce deuxième jour à préparer le départ, Selen était allée à terre pour marchander des vivres et autres armements pour que l’artillerie soit au complet. En rentrant elle avait surpris une conversation jouleuse entre Aaren et Espirek qui proposait quelques idées dont le capitaine n’en avait que faire. Ce n’était pas inhabituel, Selen avait fini par se faire à l’idée que les suggestions n’avaient jamais le moindre impact. Il est connu que l’on préfère toujours faire les choses à notre manière, elle le connaissait depuis bien longtemps et avait fini par comprendre ce fait là ; Aaren avait suffisamment de vécu et d’expérience pour savoir ce qui était le mieux pour sa frégate, jusque là il n’avait jamais fait d’erreur. Selen avait confiance en lui et se contentait de le suivre, quoi qu’il demande, quels que soient ses idées. Visiblement Espirek ne l’entendait pas de cette oreille là et avait fini par entreprendre de quitter la frégate pour aller se changer les idées. Quelques prises de tête en plus entre Selen et Spic et voilà qu’il s’engouffrait dans les rues hors du port.

La pirate après lui avoir envoyé quelques insultes au passage avait bien vite fait d’oublier. Une chance qu’elle soit peu rancunière pour ce genre de broutilles, elle ne se laissait pas envahir de telles ondes alors qu’elle devait déjà réceptionner les vivres. On préparait alors la frégate à prendre le large, il était temps de quitter cette ville vide-ordures pour l’air frais de l’océan. Supervisant le tout puisqu’Espirek avait déserté, en plus de veiller au bon fonctionnement de la frégate, elle faisait embarquer les vivres. Les marins s’empressaient, avec déjà cette hâte de repartir à l’aventure après avoir pu profiter des vices de cette ville portuaire laissée à son dévolu et sous mauvaise influence. Quelques heures seulement avaient suffit pour que tout soit prêt, il n’y avait plus qu’à larguer les amarres. On attendait qu’Aaren revienne de la salle des cartes pour prendre la barre, chaque matelot à son poste, Selen se tenait prête sur le gaillard arrière, croquant dans une pomme rouge histoire de ne pas répondre à l’appel du rhum en attendant.

Elle vit au loin la silhouette familière de Spic s’engager sur la jetée, la démarche nonchalante et arrogante typique d’un pirate, accompagné d’un inconnu visiblement l’emmenant jusqu’à la frégate. La pirate plissa des yeux, comme si elle cherchait à percer dans l’obscurité pour tenter de reconnaitre cette personne. Non, parfaitement inconnu, c’était donc un nouveau marin qu’il avait dû trouver pendant sa petite sortie puisqu’ils avaient besoin de nouveaux matelots ces temps-ci. Le dernier abordage avait emporté beaucoup de membres de l’équipage, engloutis par les dieux des océans. Il n’était pas chose inhabituelle de recruter des marins après une beuverie dans une taverne mais quoi qu’il en soit avant toute entrée sur la frégate, la personne devait passer devant le capitaine ou le quartier-maître afin de voir s’il faisait vraiment l’affaire ou pas. Selen fit quelques pas sur le pont, ne quittant pas les deux silhouettes avançant dans la nuit d’un regard intéressé et intrigué. De là il n’avait pas la carrure d’un guerrier, elle espérait toutefois qu’il ne soit pas novice ou qu’il sache au moins se battre ; ce serait déjà ça en moins à lui apprendre. Car il y aurait de nombreux abordages prévus, Selen avait eu connaissance de cargos qui avaient quitté le Gondor et qui naviguaient en eau profonde. Il n’y avait plus de temps à perdre, ainsi ils partiraient dans les dizaines de minutes qui arrivaient afin de rattraper le convoi avant qu’il n’arrive à port. On attendait simplement les derniers préparatifs, les vivres que l’on embarquait de gestes pressés. D’autres s’afféraient à desserrer les voiles tout en levant l’ancre.

Elle descendit du bateau grâce à la passerelle entre la jetée et le pont de la frégate lorsqu’ils arrivèrent près du bâtiment, observant le compagnon de Spic tout en finissant de déguster sa fringale. Elle leur adressa un large sourire hypocrite avant de jeter le trognon dans la mer. Selen n’aimait pas les nouveaux venus, elle les traitait toujours comme des ennemis potentiels et avait toujours du mal à accorder sa confiance aux moussaillons qui n’étaient pas un minimum vieilli et mutilé par les années d’abordage, trop vieux pour être ambitieux. Celui qu’il ramenait avait l’air bien trop propre sur lui-même pour être simplement venu là pour s’engager. Arrivé à leur hauteur, elle le toisa sans gêne, le détaillant de haut en bas comme une vulgaire marchandise. Il était complètement trempé, alors que Spic était parfaitement sec. Ce détail là l’interpella, se demandant ce qu’il avait bien pu se passer. La pirate reporta son attention sur Spic, lui adressant un sourire moqueur.

« Alors ? On se fait des amis ? »

Une petite pique lancée sans forcément qu’elle cherche à donner suite à leur vif conflit, c’était plus dans l’ordre de la plaisanterie que dans le reproche et puis de toute manière, elle avait mieux à faire à présent. Elle inspecta le nouvel arrivant sans gêne, tournant autour de lui tout en le détaillant sous toutes les coutures. Car il puait le luxe, le confort de ces gens qui vivent sans problème et qui se parfument de senteurs rares et couteuses. Le genre de proie dont les pirates ne faisaient qu’une bouchée, d’hors et déjà il faisait tâche dans le décor. Ses vêtements, malgré qu’ils soient mouillés le confirmaient aussi ; elle pouvait aisément percevoir la qualité du tissu, des bordures dorées et de ses dentelles. Selen grimaça, relâchant le pan de sa veste qu’elle avait observé de plus près comme si c’était empoisonné et se lança un regard suspicieux partagé avec Espirek tout en revenant devant ce qui devait être la nouvelle recrue, croisant les bras et emplie de jugements à son égard.

« Es tu ivre ou totalement fou pour entrer dans mon équipage ? Visiblement tu ne manque pas d’argent pour t’engager comme pirate, tu n’as rien à faire ici.» Lui fit-elle sévèrement.

Même en tant qu’esclave elle ne donnerait pas cher de sa peau, à peine monté qu’il se ferait déjà confisquer de ses jolies parures. Mais il n’y avait pas que de cela qu’elle se souciait car il suffisait qu’il soit espion ou autre envoyé du Gondor pour que la frégate se fasse coincer et envoyer par le fond aussitôt qu’il en aurait décelé ses plus infimes secrets. Elle envoya un autre regard au Maitre d'équipage, cherchant une explication alors qu'elle le savait plus minutieux lorsqu'il s'agissait de recruter.

La pirate se demandait ce qu’Espirek avait bu pour ramener un tel oiseau qui se ferait bien vite voler dans les plumes à peine un pied posé sur le pont. Alors qu’elle dévisageait cet homme de mépris, qui était sans doute venu jusque là pour se foutre de leur gueule. Selen l’aurait volontiers déjà écorché pour cet affront mais son collègue avait bien vite fait de lui expliquer en détail ce que cela signifiait. D’hors et déjà elle n’avait que faire de ses chansons, qu’elles relatent les exploits du Crépusculaire ou pas car on n’immisce pas la peur dans le cœur des hommes en chantonnant. En revanche, Espirek attira bien plus son intérêt lorsqu’il reprit son sérieux et lui annonça l’envers de cette mascarade. Une belle somme d’argent, oui c’était tentant, surtout venant de la part d’un riche, restait à voir s’il leur apporterait autant que le pillage d’un brick ou un vulgaire cambriolage, car là aussi pour s’enrichir, ils n’avaient pas besoin d’aide de ce genre là.  Son regard se reposa sur le dit ménestrel, moins sévère mais surtout indécis. Espirek vint alors lui murmurer quelques paroles à l’oreille, de douces paroles qui lui arrachèrent un sourire malsain alors qu’elle comprenait tout à fait où il voulait en venir. Il n’était pas dans ses habitudes de maltraiter les invités, mais si secouer la poule aux œufs d’or pouvait le faire pondre plus rapidement, pour sûr qu’elle n’hésiterait pas.

Selen ricana à la réplique du nouveau venu qui transcenda soudainement le silence. Non pas qu’elle trouvait sa blague drôle même si au fond elle l’était mais parce qu’elle ne donnait pas cher de sa peau désormais qu’il avait provoqué Spic dans l’insulte qu’il venait de lui faire. Elle devait avouer qu’il avait de l’audace et du répondant, malheureusement ces qualités là ne sont que très peu apprécié de la part de personnes n’ayant pas une place importante dans la hiérarchie des pirates. Les jours à suivre allaient être fortement intéressants et dès lors il avait contribué à lui faire changer d’avis. L’inconnu apporta même quelques détails le concernant, reformulant son désir d’intégrer un bâtiment pirate de renommer afin de s’en inspirer pour ses contes et légendes chantées et jouées. Selen n’y connaissait absolument rien en musique, à vrai dire son intérêt principal n’était pas la réputation qu’il leur ferait, parce qu’ils n‘avaient pas besoin de lui pour ça mais bel et bien l’or qu’il leur promettait, pour le reste il faisait bien ce qu’il voulait et aurait sans doute tout le loisir de la convaincre. Il n’y avait rien d’autre qui poussait les pirates à se montrer capricieux que le bruit clinquant des piécettes, ce son là leur était meilleure musique aux oreilles que n’importe quel chant.  En particulier pour Selen et indirectement Aaren, dont l’avarice n’avait pas meilleure allégorie qu’eux. Dès que l’on parlait de payement, on éveillait son intérêt et elle était plus apte à accepter.  D’un air tout de même suspicieux, Selen laissa volontairement un silence s’installer, détaillant les moindres mouvements des yeux de l’inconnu qui trahiraient un véritable mensonge.

Quoi qu’il en soit il souhaitait vendre son âme en intégrant la frégate, il n’y avait pas plus noble cause que celle là.

« D’accord, mais veille à te rendre utile, belle somme d’argent ou pas car ici tu gagnes ta bouffe si tu contribue à la vie du navire. Aaren ne tolérera pas de te voir affalé dans un coin pendant que les hommes triment. »

Les premières règles étaient claires et nettes, s’il souhaitait vivre à bord il allait devoir mettre la main à la pâte pour ne pas agacer les officiers et soulever la colère de l’équipage ; corrompus certes mais pas jusqu’au bout. Il n’y a rien de pire que de voir un homme se pavaner sans être capable de donner un coup de main, en particulier un nobliau bien affublé. Elle avait accepté, il allait devoir faire en sorte qu’elle ne regrette pas même si la couleur de l’or qu’il leur promettait ne se verrait qu’en fin de voyage. Ils partaient pour de nombreuses semaines justement, il allait être servit. Néanmoins la pirate ne comptait pas le laisser entrer aussi facilement sur son navire, chaque chose à son prix et le concernant elle allait se faire le plaisir d’imposer son propre tarif. Dès lors, Selen s’approcha dangereusement du ménestrel, ayant avalé les quelques mètres qui les séparaient jusqu’à lui faire totalement face alors qu’elle ouvrit la veste de l’homme et le fouilla sans la moindre gêne afin lui confisquer sa bourse remplie de piécettes. La jeune femme leva ses yeux brillants vers le musicien, un air doucereux et faussement innocent sur le visage.

« Puisque tu ne te promènes pas avec ce « tas d’or », je prends ça en premier versement, j’imagine que tu comprends. »

Quoi qu’il en soit s’il s’avérait que ce tas d’or ne soit que poussière elle le vendrait comme un esclave après avoir  fait en sorte de lui déduire de longues années de service à bord de la frégate en payement de sa dette ; ce fait là ne serait pas un problème. Charlatan ou pas il s’était engagé et le payerai au prix cher s’il ne remplissait pas sa part de contrat. D’un sourire narquois avec un dernier regard échangé avec cet inconnu, et surtout dans un geste parfaitement provocateur à son égard, elle donna la bourse à Spic tout en l’accompagnant d’un clin d’œil complice à son collègue. Ceci fait, la pirate entreprit de remonter sur la frégate, entamant les quelques pas sur la passerelle tout en balayant le pont du regard pour s’assurer que tout était prête.

« Bienvenue sur le Crépusculaire compositeur ! Tu arrives à temps, on allait justement faire voile ! »

Aussitôt Aaren était sorti de sa cabine et avait pris la barre. Le cap était enfin donné et la frégate quittait la rive, larguant les amarres pour ne plus revoir les côtes de si tôt.

S’occupant de tâches dans l’immédiat plus intéressantes et plus importantes que le chef d’orchestre, Selen avait supervisé le départ de la frégate, puisqu’Aaren n’était pas sur le pont il était de sa responsabilité de préparer cela. Esiprek la rejoignit quelques minutes après, visiblement encore dans l’envie de faire ravaler son sourire au musicien. Elle accueilli ses remarques avec un large sourire, laissant échapper un rire à ses dires. Elle comprenait tout à fait la frustration qu’il éprouvait sans oublier que l’homme n’y avait pas été de main morte en ce qui concernait les insultes qu’il lui avait proférées. D’hors et déjà il était certain qu’il allait le lui faire payer, et pour cela elle ne pourrait pas l’en empêcher. On ne reste pas sur un navire pirate sans se prendre quelques coups d’épées et quelques cicatrices.

« T’auras tout le temps de te défouler sur lui Spic mais tu as raison, allons voir Aaren ! »

Selen laissa le commandement à un autre officier qualifié pour la remplacer en cas de non présence sur le pont en lui donnant ses directives.  Puis elle adressa un sourire malicieux à Espirek, l’invitant à la suivre tandis qu’elle ouvrit la marche en direction de la cabine du capitaine. Elle ignorait où était passé le ménestrel, elle s’en souciait peu, de toute façon il n’était pas une menace pour le bâtiment. Les deux officiers entrèrent dans la cabine d’Aaren où ce dernier regardait quelques détails avec le cartographe concernant leur destination. Selen leur adressa un sourire, écourtant manifestement leur conversation.

« Ahoy capitaine, nous avons embarqué un p’tit nouveau. »

Cette annonce ne pouvait pas attendre car elle ignorait encore ce qu’il en penserait et il était impératif pour eux de le savoir ce qu’ils allaient faire de lui avant de prendre le large ou alors il était tout à fait possible qu’il leur serve de nourriture aux poissons lorsqu’ils iraient pêcher de gros squales. A priori, Selen savait que ni les chansons ni le tas d’or ne seraient suffisants pour convaincre Aaren. Selen avait accepté en ayant d’autres plans en tête qu’elle allait bien évidemment dévoiler pour justifier ce choix là. Mais avant cela, elle présenta leur cible, tandis qu’elle entrait dans le cercle de discussion des deux pirates, un sourire intéressé sur le visage.

« Un ménestrel qui souhaitait embarquer sur un bateau pirate, il nous donnera un tas d’or. » Fit-elle en mimant grossièrement ce tas tout en étouffant un rire moqueur

Pensait-il réellement qu’ils allaient se contenter d’un tas alors qu’ils leur arrivaient d’en raquer des montagnes ? Il leur tendait la main, ils n’allaient certainement pas se gêner pour lui arracher le bras sans la moindre pitié. D’ici la fin du voyage, ils allaient sans doute devoir se déplacer jusqu’à chez lui pour avoir leur honnête paiement ; Une aubaine pour eux s’ils souhaitaient se servir eux même par la suite, dans un cas quasi certain qu’il ne pourrait pas les empêcher de le dépouiller. Avançant dans la cabine, Selen s’installa sur une chaise après l’avoir retournée pour poser ses avants bras sur le dossier. Levant les yeux vers le capitaine pour dévoiler le fond de ses pensées en ayant approuvé un tel marché.

« Mais ce crétin ne connait visiblement pas l’ambition des pirates, sa baraque doit être pleine à craquer de richesses. Avec ça on pourrait solidifier la coque et rendre nos canons plus agressifs. »

C’était la première chose qui lui était passé par la tête, en réalité, dès le moment où Espirek lui avait dit que cet homme était riche. Plus ils avaient ce genre d’opportunités, plus rapidement ils pourraient améliorer la frégate et attaquer de plus gros bâtiments en mer puisque la saison était belle pour faire voguer les cargos marchands. Visiblement Aevan pensait pouvoir entrer chez les loups en toute bonne brebis sans craindre de se faire dévorer. Là avait été son erreur. Qui a les moyens de donner un tas d’or a manifestement plus à donner en réalité.