Voir le monde pour ne plus voir maman triste... [PV Elrond]

La matinée était malheureusement bien avancée alors qu'Aragorn quittait enfin sa chambre, son sac de voyage sur le dos. Il espérait qu'il avait pensé à tout. Dans son sac, il avait réussit à piquer quelques vivres, rien de bien folichon, mais il pourrait tenir quelques jours avec ça... Il avait aussi pris une tenue de rechange et quelques bandages au cas ou. Il avait enfilé une tenue de monte et sa cape sur ses épaules avant de rabattre le capuchon sur sa tête puis il avait mis son sac sur ses épaules en compagnie de son arc et ses flèches et il avait quitté sa chambre aussi discrètement que possible.

Cette fois-ci, c'était assez. Du haut de ses sept ans, il ne supportait plus de voir sa maman souffrir jour après jours et dépérir comme s'il n'existait plus. Il se rendait bien compte que sa présence l'attristait encore d'avantage et il ne comprenait pas comment il pouvait rendre sa maman si triste sans avoir rien fait de méchant. Aussi, la solution était-elle venue toute seule dans la tête du petit garçon, il devait partir. Tant pis, il arriverait bien à survivre, il en était sur. Il savait monter, se battre et il serait certainement capable de chasser ou de trouver de bonnes âmes pour prendre pitié de lui. Sa maman était triste à cause de lui, alors il devait partir.

Aragorn rejoignit les écuries en catimini. Voyager, c'était une chose, mais avec une monture, il irait plus vite et plus loin. Quand il jugerait qu'il serait assez loin, il laisserait repartir le cheval vers Imladris et continuerait à pieds. Ça serait plus long et difficile, et il le savait, mais il ne pouvait pas garder la monture avec lui, sinon son emprunt serait un vol et il n'était pas un voleur. Fort heureusement pour lui, Aragorn était plutôt doué pour la monte, il adorait les chevaux, depuis toujours et cela lui avait certainement servit. Il brida un cheval qui semblait bien reposé et qui se laissa faire volontiers à son approche.

Avant de monter, il vérifia que la bride était bien mise, montant à cru comme tous les elfes, il ne s'embarrassa pas de selle et en s'aidant de la paroi du box de l'animal, il grimpa sur son garrot avec agilité. Une fois sur le dos du cheval, il se pencha pour flatter son encolure et soupira, hésitant une dernière fois. Pourquoi partir ? Il était bien ici et aucun danger ne viendrait le rencontrer tant qu'il resterait là...

Oui mais justement, il en avait assez d'être comme enfermé ici (même s'il vivait dehors la plus part du temps) il ne voulait plus être une souffrance pour sa mère ou un poids supplémentaire sur les épaules d'Elrond. Aussi, il fallait qu'il parte. C'était la seule solution. Reprenant du courage en se répétant une fois supplémentaire qu'il saurait se débrouiller tout seul en pleine nature, Aragorn demanda à sa monture d'avancer et il partit dans un galop rapide. Plus vite il quitterait les frontières de Foncombe et moins il aurait de chances de se faire attraper avant d'avoir essayé.

C'est à toute allure qu'il passa dans les allées calmes d'Imladris et ne s'autorisa à respirer normalement que lorsqu'il eut dépassé les frontières. Il attendit tout de même d'avoir fait deux bonnes lieues avant de calmer l'allure de sa monture et de le laisser aller au pas. Foncombe était loin derrière à présent, si bien que ses petits yeux d'humains ne le voyaient plus et Aragorn sourit, finalement plutôt fier de lui. Il était assez grand maintenant, il pouvait partir et s'occuper de lui tout seul, même s'il ne savait pas du tout où aller et qu'il avait finalement filé tout droit sans se dire que ça pourrait rendre sa poursuite plus aisée.

Aragorn n’était pourtant partit que depuis moins d’une heure qu’il se sentait déjà grisé par cette sensation de liberté. Ou bien était-ce peut-être parce qu’il venait de faire une sacrée chevauchée, les cheveux au vent. Pour le moment, il n’était absolument pas préoccupé par d’éventuels dangers. Peut-être que cela était dût à son très jeune âge, mais il se sentait presque tout puissant, c’était comme si rien ne pouvait lui arriver parce qu’il n’était qu’un enfant et que personne ne le verrait comme un danger quelconque. Il était sur que la plus part des gens ne se soucieraient même pas de lui et le laisserait vivre sa vie dans son coin.

Il n’y avait vraiment aucune raison pour que quelqu’un se préoccupe de lui et qu’il lui arrive malheur. D’ailleurs, en dehors de Foncombe, personne ne le connaissait et il ne connaissait personne. Il lui suffisait juste d’éviter les lieux elfiques et tout irait bien. Il pourrait vagabonder en toute liberté dans la terre du milieu sans que jamais, on ne puisse le retrouver. Il changerait de nom s’il le fallait. Mieux, si on lui demandait son nom, il ne le donnerait pas.

Pour le moment, il était seul en pleine nature avec sa monture et il pensait la garder toute la journée avant de se résoudre à le laisser repartir seul vers Imladris et continuer son chemin seul une fois la nuit passée. Après une nuit à la belle étoile, loin de tout ce qu’il avait toujours connu, il était sur que ça irait bien mieux pour lui. C’étaient toujours les premières fois qui étaient les plus difficiles. N’est-ce pas ?!

Aragorn était tout de même plutôt fier de son coup, il avait réussit à quitter les limites qui lui étaient pourtant interdites de franchir et ce, sans qu’aucun garde ne le retienne. S’il y avait un peu réfléchit, cela lui aurait sans doute semblé étrange qu’une chose pareille puisse s’être passé ainsi, mais il était bien trop contant de lui pour penser à ce genre de petit détail. Après tout, le principal c’était qu’il ait réussit. Il était tellement content qu’il en aurait bien chanté à tue-tête, mais il n’oubliait pas qu’il se trouvait maintenant en terre sauvage où il ferait une cible trop facile à donner sa position si sottement. Bien qu’il fuit en toute insouciance, il n’avait pas oublié les leçons reçues par Elrond, Elladan et Elrohir… Ca aurait d’ailleurs été une grosse stupidité de sa part de tout mettre de côté dans une situation pareille.

Aragorn avait pratiquement fait taire toute son angoisse de braver l’interdit quand il fut surpris par l’arrivée d’un étalon sur son chemin. D’ailleurs, son cheval fut à deux doigts de se cambrer, mais l’animal semblait avoir parfaitement reconnu leur visiteur impromptu… Et Aragorn aussi d’ailleurs… Une fois qu’il eut réussit à retrouver tout son équilibre sur le dos du noble animal, il ne pût que reconnaitre le visage souriant d’Elrond qui ne semblait pas fâché le moins du monde par sa désobéissance. Le garçonnet soupira et baissa les épaules un instant avant de se reprendre. Après tout, s’il n’était pas fâché, peut-être était-ce parce qu’il était venu lui dire qu’il avait le droit de partir tout seul.

« Sais-tu ce qui arrive aux petits garçons comme toi, seuls, sur les routes ? »

L'enfant n'était pas idiot et il savait parfaitement que s'il tentait de fuir, Elrond serait bien plus rapide à l'empêcher de le faire maintenant qu'il était si près de lui. Il n'avait ni l'expérience ni la dextérité de l'elfe. Malgré tout, l'enfant était vexé de s'être fait rattrapé si facilement et si rapidement après son "départ pour toujours" de la cité elfique. C'est pourquoi il répondit avec bravade, relevant crânement le menton.

- Ils se font rapidement rattraper par des seigneurs elfes incapables de dormir ?

Oui bon... Ça n'était pas très malin de sa part d'oser une telle réponse alors qu'il était en tors. Il avait fuit, même si cela ne semblait pas inquiéter Elrond outre mesure s'il en jugeait par le doux sourire placardé sur le visage parfait de l'elfe, il avait enfreint les règles et s'était bêtement mis en danger, même s'il ne mesurait pas la totale étendue du dit danger.  

- Je ne peux pas retourner là bas... Maman est malheureuse à cause de moi... Si je part, elle m'oubliera et elle pourra sourire à nouveau.

Peut-être que s'il expliquait la raison de son départ, Elrond comprendrait et repartirait seul vers son domaine. Après tout, Aragorn n'était qu'un être humain parmi tant d'autres et Elrond n'avait aucune raison de se préoccuper d'avantage de lui que des autres. Enfin, c'était ce qu'Aragorn pensait. Il s'était souvent sentit bien inférieur face aux elfes - et il avait certainement de bonnes raisons de le ressentir - et il n'avait jamais réellement compris pour quelle raison un elfe de la stature d'Elrond prenait soin de lui qui n'était qu'à moitié orphelin. Même si Elinà lui avait expliqué que parmi ses lointains ancêtres, il y avait eut des elfes.

Il devait le croire, il devait savoir qu'il ne mentait pas et qu'il voulait réellement laisser sa maman être moins triste sans lui. Parce que c'était vrai, il ne voulait pas être la cause du malheur constant de sa maman. Il ne voulait pas la rendre malheureuse, même si, perdue dans son chagrin, elle ne se préoccupait plus tellement de lui d'un point de vue extérieur et surtout du point de vue du petit garçon qui se sentait abandonné seul au milieu des elfes.

Cependant, s'il devait en juger par les sourcils relevés d'Elrond, ce dernier ne semblait pas comprendre le tourment du petit garçon. A la réflexion, peut-être bien que pour un elfe, ce genre de petit tracas était parfaitement insignifiant. Le regard d'Elrond changea sans qu'Aragorn n'y prenne garde, trop préoccupé qu'il était à essayer de trouver un meilleur moyen de lui expliquer qu'il devait partir loin afin qu'il comprenne.

« Estel. »

L'enfant rentra sa tête dans ses épaules. Cette fois, ça y était, il avait relevé la pointe d’insolence dans sa voix et s'apprêtait à le réprimander. Gardant le coup bien caché dans ses épaules comme si Elrond s'apprêtait à le décapiter sur place, Aragorn leva un regard incertain vers le seigneur elfe.

« Estel... Descends de ton cheval et viens marcher un peu avec moi. »

Descendre de cheval ?! Surpris, Aragorn se demanda un instant s'il lui demandait une telle chose pour pouvoir lui donner une fessée à son aise, mais il conclu finalement qu'Elrond n'avait pas l'air en colère et il obtempéra. Laissant sa monture se débrouiller seule, il rejoignit l'elfe brun qui pausa une main sur son épaule avant de l'inciter à le suivre. Marchant lentement aux côtés de l'elfe qui le tenait encore par l'épaule comme s'il craignait que l'enfant ne change subitement d'avis et n'essaie de lui fausser compagnie en courant (bien que de son côté Aragorn ne doute pas une seule seconde qu'Elrond le battrait aisément à la course) Ils passèrent la lisière de la forêt toute proche en silence et trouvèrent bientôt une petite clairière éclairée des lueurs de la lune qui persistait au matin.

« Tu n'es pas responsable de sa peine. »

Aragorn fit la moue, il n'était que peut convaincu par ce qu'Elrond venait de dire. Il voyait bien, lui, que sa mère l'évitait et qu'elle pleurait plus souvent quand elle l'avait sous les yeux. Il n'était pas idiot, si elle pleurait d'avantage lorsqu'il était en sa présence, ça voulait bien dire qu'elle était encore plus triste à cause de lui.

« Elle pleure la perte de ton père. Et... Tu le lui rappelles, chaque jour qu'elle te voit, elle pense à lui et au jour de sa mort. »

Et bien... C'était justement ce que le petit garçon pensait... Il devait trop ressembler à son défunt papa dont il ne se souvenait plus à présent. Alors il avait raison, sa mère était encore plus triste parce qu'à cause de lui elle ne parvenait pas à oublier son défunt mari. Elrond s'arrêta, forçant Aragorn à faire de même, bien que le garçonnet n'y résiste pas. Il vit bientôt l'elfe se poster face à lui et mettre un genou à terre pour se retrouver à sa hauteur, bien que finalement, Aragorn dût quand même lever légèrement la tête pour le voir dans les yeux. Il sentit les deux mains de son père de substitution se poser sur ses épaules et il resta muet.

« Mais ce n'est en aucun cas ta faute. Tu comprends ? Elle t'aime énormément, et te perdre la ferait pleurer encore plus qu'à présent. Elle en mourrait, j'en suis sûr. »

Aragorn baissa les yeux, toujours pas convaincu.Oh bien sur, il pensait bien que sa mère l'aimait, mais cet amour la rendait triste alors ça n'était pas forcément une bonne chose. Lui, il voulait qu'elle soit heureuse, mais sa présence à ses côtés ne l'aidait absolument pas à reprendre gout à la vie. Elrond se releva et Aragorn dut réellement lever la tête autant qu'il le put pour continuer à regarder le visage de l'elfe, un visage curieusement souriant.

« Je ne pense pas que ce soit là ce que tu désires... »

Qu'elle meurt ? Non surement pas... Mais tout grand elfe qu'il était, Elrond se trompait... Sa mère ne mourrait pas qu'il s'en ailles... Il faudrait déjà qu'elle s'en rende compte et ça, ça n'était pas demain la veille...

- Elle s'en rendrait même pas compte. Répondit-il en haussant les épaules avant de baisser la tête. Elle est triste parce que mon père est mort et moi je la rend triste parce que je ressemble à mon père... Alors si je ne suis plus là, elle sera moins triste... De toutes façons, elle s'occupe pas de moi... Elle est trop triste pour ça... Et moi, ça me rend triste de la voir triste et ça me met en colère de savoir que si elle l'est encore plus, c'est à cause de ma présence à ses côtés.

Il étai plutôt maladroit dans ses explications et peut-être bien qu'il se mélangeait les pinceaux dans le fond. Mais il avait besoin de vider son sac, ça faisait trop longtemps qu'il gardait tout ça pour lui. Sa maman lui était décrite comme une femme forte d'avoir réussit à emmener son bébé jusqu'à Imladris toute seule, mais elle se laissait déperrir depuis la mort de son mari, oubliant qu'elle avait encore un fils en vie... Laissant joyeusement les elfes s'occuper de l'élever, de le nourrir et de prendre soin de lui sans sembler se préoccuper plus que cela de ce qu'ils lui apprenaient exactement.

Quand il avait le malheur de se faire mal en tombant d'un arbre ou en faisant un faux mouvement à l'épée en entrainement, elle ne le savait pas... Il avait abandonné l'idée depuis longtemps d'aller pleurer dans les jupes de sa mère, se rendant compte très vite que malgré sa détresse, elle restait absente du monde qui l'entourait. Quand il avait enfin réussit à monter à cheval tout seul, il avait voulu qu'elle voit ça de ses propres yeux, mais elle s'était éloigné sans lui répondre et Aragorn s'était contenté de soupirer sans insister. La vérité était là, sa mère vivait à côté de lui, mais elle lui manquait... C'était surement des pensées dures pour un petit garçon de son âge, mais Aragorn avait l'impression qu'à l'intérieur d'elle-même, sa maman était déjà partie rejoindre son père...

- C'est pas juste. Murmura-t-il la voix étranglée. Elladan et Elrohir ont plus de deux milles ans et toi tu es toujours là à veiller sur eux et à t'inquiêter quand ils s'en vont... Ma maman à moi, elle sait même pas où je suis et ce que je fais.... Quand je suis partit en Lorien, je suis sur qu'elle s'est même pas rendue compte que j'étais plus là... Elle m'a même pas prise dans ses bras quand j suis rentrée...

Aragorn avait sept ans, il voulait être un homme, mais il avait encore besoin de sa maman. Bien sur, il n'était pas tout seul, il avait Elrond et ses fils, il avait Elinà qui était toujours là quand il avait des questions à lui poser, mais il n'avait pas sa maman. La seule personne de toute la terre du milieu qui avait une vraie raison de se préoccuper de lui n'en faisait pas grand cas et c'était une information compliquée à avaler pour le garçonnet même s'il se répétait sans cesse que sa maman avait le droit d'être malheureuse à cause de la mort de son papa et qu'il n'avait pas le droit d'être égoïste en réclamant toute son attention sans prendre son chagrin en compte.

Elrond s'était éloigné, réfléchissant aux paroles bien trop vraies d'Aragorn qui essayait tant bien que mal d'expliquer son malaise. Partir, tout abandonner, même sa mère triste et dépressive, était une chose très compliquée pour un petit garçon de son âge, même si cela semblait être fait sur un coup de tête d'un point de vue extérieur, mais Aragorn comprenait, dans une certaine mesure, tout le poids de la décision qu'il avait pris. Oh il ne pensait pas être heureux tout seul en pleine nature, loin de là, mais peut-être, oui peut-être, qu'en ne voyant plus le chagrin et l'abandon de sa mère, alors il serait moins triste.

Se sentir coupable pour une raison pareille était une chose très difficile à gérer et à supporter pour les frêles épaules du petit garçon. Il était à la fois compatissant et inquiet pour sa mère, mais en même temps très en colère après elle. Comment pouvait-elle baisser les bras et le laisser grandir à côté d'elle comme si elle n'était déjà plus là ? Elle était sa maman, son dernier parent en vie, elle n'avait pas le droit de l'abandonner alors qu'il était si jeune encore ! Mais jamais Aragorn n'oserait prononcer de telles pensées concernant sa mère, même s'il les ressentait très fort au fond de lui-même. Il ne voulait pas qu'on crois qu'il la détestait, même si parfois, quand il se sentait très mal, il lui arrivait de le penser le temps de se calmer.

Parfois c'était juste trop... Au début, il était trop jeune et même s'il avait bien vu que sa maman ne s'occupait plus autant de lui, il n'y avait pas trop pris garde, après tout à Foncombe il y avait le seigneur Elrond, et puis Elladan et Elrohir dont il se sentait très proche. Et puis avec le temps, en grandissant, tout le poids de la mort de son père avait fini par peser sur ses épaules sans qu'il n'ait trop le choix. Pourtant, ça n'était pas de sa faute s'il était mort... Elrond fini par revenir vers Aragorn qui posa le regard sur l'elfe brun, devant lever la tête pour cela.  

« Peut-être que ta mère ne guérira jamais de ses maux. Il est peut-être trop tard, c'est vrai, mais seulement pour elle. Toi, tu as encore toute une vie devant toi.  As-tu déjà pensé à ton avenir ? Que crois-tu que tu deviendrais si tu partais si jeune dans la nature, inconscient de tous les dangers ? Penses-tu vraiment survivre assez longtemps pour atteindre l'âge d'un homme mûr ? »

Elrond débuta une nouvelle marche et Aragorn suivit en repensant aux paroles de l'elfe. A vrai dire, s'il devait être honnête avec lui-même, Aragorn avait fait une croix sur la guérison de sa mère depuis un moment, même s'il se voulait optimiste, il ne se faisait plus trop d'illusion. Son expression se fit butée cependant lorsqu'Elrond commença à lui demander s'il avait envisagé son avenir plus loin que dans les prochaines heures. Après tout, il savait chasser, monter à cheval, pêcher, cueillir les bons fruits et puis il savait même se servir de son arc... Et il était sur qu'il était assez petit pour passer inaperçu quand il le souhaiterait.

« Si tu survis jusque là, et, crois-moi, j'en doute fortement, tu ne seras jamais plus qu'un mendiant des grands chemins. Tu n'auras pas appris assez pour pouvoir te battre, te défendre, ni exercer une profession. Tu risquerais plus de divaguer d'une contrée à l'autre, te nourrissant des restes qu'on réserve aux chiens et aux porcs, n'ayant d'une vie digne que le rêve inaccessible. Ce monde n'est pas tendre avec ceux qui ne sont pas capables de s'imposer d'eux-mêmes, et un jeune homme sans instruction complète a peu de chance de pouvoir agir comme tel. »

Mais selon toute vraisemblance, le seigneur elfe ne pensait pas du tout la même chose que lui et Aragorn fronça les sourcils sans prononcer une parole, fixant le sol devant ses pieds. Comment pourrait-il contredire l'elfe ? Il avait tellement plus d'expérience que lui... Et il ne devait pas oublier qu'à ses yeux il serait toujours une petite chose fragile et insignifiante, peut importe qu'il ait sept ou soixante dix ans... Il le verrait comme un enfant incapable de se débrouiller seul et son discourt le prouvait bien.

« Alors que, si tu restes ici jusqu'à l'âge requis pour que tu puisses mener la vie qu'il te plaira, tu sauras te défendre, te faire respecter des autres hommes si tu le désires, travailler et gagner ton pain décemment. Tu pourras avoir une maison, épouser la femme que tu aimes et fonder une famille. Avoir une vie convenable. »

Mais s'il restait à Foncombe, il verrait sa mère malheureuse et qui ne se préoccupait plus de lui... Il se sentait tel un orphelin et avait l'impression de ne compter pour personne. Il n'était qu'un mauvais souvenir pour sa mère et un poids supplémentaire pour le seigneur Elrond... Il en était sur. Pourquoi s'intéresserait-il d'avantage à lui qu'aux autres alors qu'il n'était rien d'autre qu'un enfant mortel dont la mère n'était plus capable de s'occuper elle-même.

Elrond s'arrêta et Aragorn fit de même, restant droit comme un piquet, les poings serrés le long de son corps. Il ne devait pas craquer, il ne devait pas pleurer, il ne devait pas le voir comme un bébé... Il fut surpris quand l'elfe pausa ses mains sur ses épaules pour finalement le caler dans ses bras, mais il ne fit rien pour l'en empêcher et ne fut capable que de fermer doucement les yeux. Cela faisait longtemps qu'il n'avait reçu pareille accolade, pensant bêtement qu'avec l'âge qui augmentait, il ne pouvait plus réclamer de tels câlins comme le ferait un tout petit enfant.

« De plus, il s'avère que je tiens énormément à toi, Estel. Plus que tu ne l'imagines. Ta disparition me chagrinerait tellement... Tu envies Elrohir et Elladan, pourtant, tu sais, tu as droit à la même affection qu'eux de ma part. Je ne suis peut-être pas ton vrai père... Toutefois, tu pourras toujours compter sur moi. Toujours. Je t'enseignerai tout ce que je puis t'enseigner, je te protégerai jusqu'à ce que tu puisses te protéger seul, et je t'aimerai toujours comme un père. Tu es un fils à mes yeux. »

Aragorn se sentit repousser pour qu'Elrond puisse le regarder les yeux dans les yeux. Son regard semblait embué, ou bien était-ce Aragorn qui voyait mal à cause de ses propres larmes qui ne voulaient plus lui obéir et s'échappaient joyeusement de ses prunelles claires.

« Si tu restes, tu deviendras un grand homme, et ton nom ne sera jamais oublié. »

Ca, il en doutait fortement, car après tout il n'était personne. Mais autre chose tournait dans la tête du petit garçon. Lui qui pensait qu'Elrond ne se considérait que comme un tuteur, un professeur pour le petit homme, il découvrait qu'en réalité, il le voyait comme un fils, même s'il ne l'était pas réellement, même si ses propres enfants étaient déjà bien grands et qu'il avait fort à faire avec les jumeaux car sa fille ne vivait pas à Imladris.

- Ada. Murmura-t-il.

Puis il n'y teint plus et se jeta dans les bras de l'elfe pour le serrer aussi fort qu'il le pouvait de ses petits bras. Et là, la tête sur son épaule, il pleura toutes les larmes de son corps. Larmes de tristesse, de soulagement, de colère et de joie. Il pleurait pour sa mère qui ne serait plus jamais elle-même, pour son voyage qui n'aurait finalement pas lieu tout de suite, pour Elrond qui lui confessait son amour et pour la culpabilité qu'il ressentait toujours et dont il devrait apprendre a vivre avec sans aucun doute.

Peut-être que cela faisait trop longtemps qu'il gardait tout ceci au fond de lui sans oser le confier à quelqu'un de peur de passer pour un bébé, oubliant qu'il n'avait que sept ans et qu'il était encore loin d'être un homme, même s'il savait faire certaines choses que les enfants de son âge ne connaissaient pas encore. Il voulait tellement être grand, responsable et autonome qu'il en oubliait qu'à son âge, on ne pouvait pas tout surmonter tout seul. Au bout de quelques minutes, les larmes se tarirent et Aragorn se redressa, un peu mortifié d'avoir trempé les vêtements de l'elfe. Il porta son poing jusqu'à sa figure et s'essuya maladroitement le visage avec sa manche.

- Je vous demande pardon de vous causer tant de soucis... Fini-t-il par dire avec un air penaud. Et aussi pardon d'avoir pleuré sur vous... Je ne partirais pas tout seul... C'est promis.

Elrond avait raison, il était encore trop petit et il devait bien se faire une raison... Après tout, il n'était pas malheureux et pas maltraité à Imladris, même s'il ne pouvait pas sortir sans châperon... Il avait le temps, il avait toute la vie devant lui, même si les années paraissaient peu pressées d'arriver...

- Mais il y a quand même une chose avec laquelle je ne suis pas d'accord.... Enchaîna le petit garçon en repensant aux paroles de l'elfe. Je ne suis personne... Mon nom ne risque pas d'être à jamais oublié...

Après tout, il n'était qu'un humain parmi tant d'autre et peut-être que la seule chose mémorable de sa jeune vie était le fait d'être élevé par des elfes.

- Vous êtes très fâché après moi d'être partit sans rien dire ?

Oui, avec toute sa logique immature, il s'inquiétait seulement maintenant de savoir s'il avait mis l'elfe en colère, mais que voulez vous, il n'avait que sept ans.

Cela avait été une chose incroyablement libératrice que de se laisser à pleurer sur l'épaule du seigneur Elfe, bien à l'abri de son étreinte aussi longtemps qu'il fallut à Aragorn pour se calmer sans se presser ou sans continuer de refouler la moindre larme. Pleurer un bon coup était peut-être finalement la meilleure des choses à faire quand on avait son âge et tant de poids sur les épaules. Il faut dire qu'en étant tout jeune, les enfants avaient tous cette tendance à faire d'un caillou toute une montagne et Aragorn ne dérogeait pas à la règle, malheureusement pour Elrond qui dût supporter ses pleurs après sa petite crise d'indépendance.

Mais fort heureusement pour Aragorn, le seigneur elfe était une personne assez mature et sage pour prendre les choses avec philosophie et comprendre que de le laisser pleurer sur une épaule attentive et réconfortante était encore la meilleure des choses à faire. Les elfes étaient parfois trop patients... Mais ils avaient une bonne excuse, quand on vivait si longtemps, il fallait forcément être patient, sinon, on s’ennuierait vite...

Après s'être calmé, Aragorn se redressa, s'éloignant d'un câlin qui lui avait paru durer des heures entières et s'excusa au près d'Elrond d'avoir trempé ses vêtements pendant que l'elfe l'aidait à se débarrasser des dernières traces de son gros chagrin.  Les yeux encore tout rouges et enflés d'avoir tant pleuré, Aragorn pris tout de même son courage à deux mains pour signifier à Elrond, qu'à son avis, il se trompait sur sa prétendue gloire future et l'elfe sembla un instant décontenancé devant le regard résigné et candide de l'enfant vaguement fatigué d'avoir pleuré tout son saoul.

« Crois-en mon expérience ; ton cœur n'est pas anodin, tu as devant toi de grands jours, je sais reconnaître cela chez n'importe quel homme. »

Cette fois-ci, ce fut au tours d'Aragorn d'être parfaitement décontenancé par la réponse d'Elrond. Il resta muet, la bouche entre-ouverte, les yeux ronds comme des soucoupes. Il pouvait vraiment voir ça ?! Il était vraiment très fort ce papa de substitution... Vraiment très, très fort... Un jour, il faudrait qu'il demande à Elladan et Elrohir s'ils pouvaient faire la même chose... Certains dons étaient héréditaires après tout alors pourquoi pas celui-là...

Mais les pensées d'Aragorn furent vite détournées quand il se rendit soudainement compte que sa petite fuite si mal organisée était en réalité une grosse bêtise et qu'il risquait finalement d'avoir mis son tuteur en colère et donc de recevoir une bonne punition à son retours. Aussi, il se renseigna en ayant l'air aussi repentant que possible, juste au cas où. Mais apparemment, il devait d'avantage avoir l'air comique parce qu'Elrond se permis même un petit rire en entendant sa question.

« Fâché ? Non, pas du tout. Pourquoi le serais-je ? Grâce à ta petite fugue, nous avons pu discuté ensemble et, si je ne me trompe pas, te voilà rassuré sur bien des sujets. Peut-être pas tous, certes, mais certaines ombres ne se sont-elles pas envolées ? N'as-tu pas l'esprit plus léger ? Pour ma part, c'est le cas. Je suis ravi d'avoir partagé ces moments uniques avec toi, d'avoir pu t'écouter et te soulager d'une partie de ton fardeau. J'en ai appris beaucoup sur toi, ce soir, bien plus que depuis ces sept dernières années. Cela m'enchante grandement. Au lieu d'être en colère, je te suis plutôt redevable. »

Si cela avait été humainement possible, les yeux d'Aragorn se seraient encore plus écarquillés en entendant Elrond prétendre, qu'au contraire, il était plutôt content de cette escapade imprévue qui leur avait permis de faire tomber quelques barrières entre eux. Lorsqu'il lui demanda s'il ne se sentait pas mieux maintenant qu'il avait pût vider son sac, Aragorn confirma d'un signe de tête sans l'interrompre, comprenant que l'elfe n'avait pas fini de parler et il écouta attentivement la suite et fut étonné de savoir que l'elfe en ait appris autant à son sujet... Puis très vite il se demanda ce qu'il avait bien pût apprendre qu'il ne sache pas encore à son propos, mais il le laissa plutôt le guider vers les chevaux qui les attendaient patiemment et l'aider à se remettre en croupe avant de faire de même sur son propre cheval.

« Rentrons. Nous pourrions continuer à parler autour d'une bonne tasse de thé, qu'en dis-tu ? »

Aragorn confirma d'un autre signe de tête, étonnement muet, puis il laissa son cheval suivre celui d'Elrond, perdu dans ses pensées. Pleurer l'avait peut-être un peu trop calmé. Lui qui était d'ordinaire si bavard et si peu enclin à se concentrer plusieurs heures, ne pipait mot, observant pensivement la nature sous ses yeux sans vraiment la voir. Comment pouvait-il être heureux de sa bêtise ? Lui, à sa place, il serait très fâché, même si le fait qu'ils aient parlé ait été une bonne chose... Il l'avait quand même tiré du lit sans prévenir avec cette histoire et puis il aurait pût se mettre en grave danger... Même si Aragorn soupçonnait Elrond d'être intervenu avant de prendre le risque que cela ne se produise.

Tout à ses questions auxquelles il ne demanda pourtant aucune réponse, il ne se rendit compte qu'une fois aux écuries qu'il avait finalement regagné Foncombe. Heureusement que le cheval connaissait son chemin... Il descendit de sa monture et la laissa se reposer dans son box avant de suivre Elrond à travers la demeure. Ne lui avait-il pas parlé d'une tasse de thé ?!

- Ada ? Demanda-t-il alors qu'il marchait à côté de l'elfe. Tu as très peur quand Elladan et Elrohir partent chasser les orques ?

C'était peut-être idiot, mais le garçonnet se demandait si, malgré leur âge et leur expérience, leur père se faisait du soucis pour eux. Car s'il se faisait du soucis pour ses jumeaux, Elrond devait finalement avoir encore plus peur pour lui qui était si jeune et surtout pas un elfe.

- Quand ils rentrent, je voudrais bien qu'ils me racontent, mais ils me disent que je suis trop petit pour entendre des choses pareilles... Ca doit vraiment faire peur non ?!

De toutes façons, il était toujours trop petit pour tout et c'était surement son plus grand damne... Remarquez bien qu'au passage il oubliait aisément dans ces moments là qu'il apprenait malgré son âge à manier l'arc et l'épée tout en sachant monter à cru ce qui n'était pas donné à tout le monde. Mais quand les choses étaient injustes, il fallait que tout soit injuste, sinon, quel intérêt de s'en plaindre ?

Finalement, la curiosité d'Aragorn avait été la plus forte sur son besoin de réfléchir aux conséquences de ses actes et à la chance qu'il avait qu'Elrond ne le punisse pas pour sa petite crise d'indépendance. Il avait demandé, après un long moment de silence, pour quelle raison les fils d'Elrond ne voulaient pas lui raconter comment c'était de se battre avec des orques pour de vrai et apparemment, Elrond semblait avoir le même avis que ses fils à propos du jeune âge d'Aragorn qui ne l'autorisait pas à entendre de telles histoires.

« Bien sûr. Ce sont mes fils et ce monde regorge de nombreux dangers. Ils sont forts, expérimentés des voyages et savent les périls qu'ils encourent, mais ils ne sont pas à l'abri du pire pour autant. Je crains pour leur vie à chaque fois qu'ils quittent Imladris. »

Aragorn comprenait le point de vue d'Elrond. C'était peut-être étrange et un peu trop irréel pour qu'il se fasse une réelle idée de ce que le père ressentait, mais il en avait une vague idée, il en était certain. Elladan et Elrohir, tout elfe qu'ils étaient, n'étaient pas à l'abri de se retrouver surchargé par le nombre d'adversaires ou de ne pas voir arriver le mauvais coup... Après tout, même les elfes avaient des faiblesses, même si elles étaient moindres et les orques et les gobelins n'étaient pas à prendre à la légère, il le savait bien car si les autres les craignaient autant, ça n'était sans doute pas pour rien.

« Ils ne souhaitent certainement pas te donner d'idées qui pourraient entacher tes nuits de cauchemars, les songes ayant tendance à empirer la réalité, à la rendre plus terrible encore. Tu as beaucoup d'imagination, comme tous les enfants, et leurs discours pourraient t'effrayer plus que de raison. Profite de la vie simple et heureuse que tu as ici ; tu auras tout le temps devant toi, plus tard, pour connaître à ton tour ce monde et les créatures qui l'habitent. »

Ouais... Il s'en doutait un peu dans le fond... Elladan et Elrohir n'étaient jamais les derniers à l'encourager à faire mille et une bêtise et l'un et l'autre lui apprenaient à manier l'arc et l'épée et à monter à cheval, mais dans le fond, ils devaient tenir à ce qu'il ne se fasse pas trop de soucis et à ce qu'il n'aille pas perturber le repos de leur père à cause de cauchemars invraisemblables.

« Si tu veux, je pourrais te conter certaines de mes histoires que j'ai vécu. Elladan et Elrohir n'en ont peut-être pas le temps, tandis que moi... »

Les yeux d'Aragorn s'agrandirent d'émerveillement lorsqu'il entendit la proposition d'Elrond. Il allait vraiment lui raconter une de ses aventures ?! Pour de vrai ? Le garçonnet grimaça lorsque l'elfe lui ébouriffa les cheveux, mais il ne dit rien, continuant d'espérer qu'il aurait droit à une vraie histoire d'aventures du seigneur Elrond qu'il avait toujours d'avantage vu comme un seigneur elfe posé et calme, mais qui avait surement dût être un combattant redoutable lorsque les occasions s'étaient présentées.

« Ce soir, si tu veux. »

- Oh oui ! S'exclama-t-il avec enthousiasme.

Il voulait vraiment entendre une telle histoire, peut importe laquelle, car après tout, il ne savait pas grand chose sur le passé bien rempli de son tuteur et rien ne pouvait lui faire plus plaisir que d'en apprendre un peu plus sur son papa de substitution. Une fois arrivés à destination, Elrond invita silencieusement Aragorn à prendre place parmi les coussins moelleux et l'enfant obéi, prenant un coussin sur ses genoux pour le serrer contre lui.

« Je reviens. Je vais nous ramener une boisson chaude. »

Aragorn confirma d'un signe de tête en gardant le silence. Une boisson chaude était surement une bonne idée avec toutes ces émotions et tout ce qu'il avait pleuré. Cela lui ferait certainement le plus grand bien. Il attendit donc en silence, seul, qu'Elrond revienne après quelques minutes, deux tasses fumantes dans les mains. Il avait à peine déposé celle destinée à Aragorn que le petit garçon reconnu l'odeur de la boisson et il sourit. Il aimait beaucoup cette préparation qui était vraiment réconfortante. Il n'y toucha pas cependant, observant Elrond prendre place dans un fauteuil avec élégance.

« Alors, tu voudrais une histoire ? »

Aragorn confirma d'un signe de tête avant d'ajouter avec calme mêlé d'une certaine impatience.

- J'aimerai beaucoup en savoir un peu plus sur vous... Tout à l'heure, vous avez dit que vous en aviez appris beaucoup plus sur moi aujourd'hui que ces cinq dernières années et même si je ne sais pas tellement comment vous avez fait ça, je voudrais bien en savoir un peu plus aussi... Vous avez dût vivre des aventures passionnantes et extraordinaires...

Et puis il voulait vraiment avoir l'impression d'en connaitre un peu plus, d'être plus proche d'Elrond comme ses propres fils devaient être et se sentir privilégiés de savoir tant de choses à propos de leur père comparé aux autres elfes qui ne connaissaient que les légendes sur le seigneur Elrond de Foncombe.

« Que vais-je bien pouvoir raconter à un petit bonhomme comme toi ? »

Aragorn n'espérait qu'une chose désormais, c'était qu'Elrond trouverait, parmi ses nombreuses aventures passées, quelque chose qui ne serait pas trop traumatisant à lui raconter malgré son jeune âge et le désir flagrant de l'elfe de le préserver aussi longtemps que possible. Il en trépignait presque d'impatience, même s'il se forçait à rester silencieux pour ne pas perturber Elrond dans la fouille de sa mémoire certainement trop remplie à l'âge qu'il avait. Remuant maladroitement sur son siège, il pris sa tasse pour se donner une contenance et souffla doucement sur le liquide doré qui s'y trouvait.

« J'ai bien une histoire en tête, mais... Non... Tu es bien trop jeune pour entendre ça. »

La bouche d'Aragorn s'ouvrit malgré lui d'une manière outrée et ses mains s'abaissèrent vers ses genoux en tenant toujours la tasse un peu trop penchée. Il s'en rendit compte juste à temps cependant et redressa le récipient avant de se faire bouillir les cuisses. Fronçant légèrement les sourcils, il ne voulait pas gâcher toutes ses chances en disant à Elrond qu'il avait promis et qu'il était trop tard pour reculer parce qu'il trouvait ça tout bonnement injuste. Peut-être que cette histoire était trop effrayante, mais peut-être qu'il allait finalement penser à une autre plus soft. Tout à sa déception, Aragorn ne vit pas le sourire amusé de son tuteur.

« As-tu déjà entendu le nom d'Isildur, Estel ? Ce nom t'évoque-t-il quelque chose ? Et Sauron, penses-tu avoir déjà entendu ce nom-là ? »

Isildur ?! Décontenancé, Aragorn posa sa tasse sur la table sans y avoir touché, de peur d'oublier qu'elle était pleine et de finalement s'ébouillanter et louper l'histoire. Isildur... Ca ne lui disait rien et pendant un petit instant, il se demanda s'il avait déjà entendu ce nom en leçon. Jetant un coup d'oeil mi-paniqué, mi-pensif vers Elrond, Aragorn se demanda soudain s'il était sensé connaitre ce prénom ou alors si l'elfe s'attendait à ce qu'il lui réponde que non... Mais de toutes manières, il savait qu'il était inutile de mentir en face d'un seigneur elfe tel que lui.

Sauron, par contre, il connaissait... Oui, mais juste à cause de la tapisserie dans le couloir où reposait l'épée brisée... Il avait demandé un jour qui était représenté avec ce casque noir et on lui avait dit "Sauron" mais il n'en n'avait pas appris d'avantage, comme l'elfe qui lui avait répondu avait rapidement fuit vers d'autres occupations avec un petit air coupable qu'Aragorn ne pouvait pas s'expliquer. Puis il avait vite oublié.

- Je ne sais pas qui est Isildur... Et si jamais je devrais être au courant, je suis désolé de ne pas avoir été assez attentif en leçon...

Autant prendre ses précautions.

- Mais Sauron, je sais qui c'est... Enfin du moins je l'ai déjà vu... Sur la grande tapisserie de bataille près de l'épée brisée... Mais je sais juste que c'est lui qui est peint dessus tout en noir... Il est partit avant que je n'ai eut le temps de lui en demander d'avantage.

Peut-être aurait-il dût éviter de penser à voix haute, mais de toutes manières, il ne se souvenait plus quel elfe était avec lui ce jour là... C'était il y a longtemps.

- Je devrais aussi savoir qui est Sauron ? Je vous assure que j'essaie d'être attentif en leçon... Mais parfois, je me dit que ma tête est trop petite pour tout retenir...

Il était persuadé qu'il était sensé être au courant de qui étaient ces personnes et qu'il avouait une bêtise en répondant qu'il ne savait pas et il s'attendait à ce qu'Elrond soit contrarié de l'aveux, mais il savait qu'il le serait encore plus s'il se rendait compte que le petit garçon mentait.

« Ne t'en fais pas. Il est normal que tu n'en saches rien sur ces deux personnages. Mais nous allons y remédier. »

Voila qui était rassurant pour le petit garçon qui avait au moins une certitude, il avait finalement été assez attentif pendant ses leçons. Alors que l'elfe se levait, visiblement en proie à ses propres dilèmes qui devaient certainement concerner la meilleure façon de raconter son histoire, Aragorn attrapa sa tasse et bu une longue gorgée qu'il avala avec une certaine gourmandise. C'était tellement bon, encore plus parce qu'Elrond l'avait préparé lui-même et pour lui tout seul, petit humain fugueur.

En même temps, il réfléchissait aussi de son côté. Ca devait être une histoire drôlement compliquée pour qu'il ait besoin d'organiser ses pensées et de réfléchir à la meilleure façon de présenter les choses au petit garçon. Il espérait simplement qu'il comprendrait du premier coup pour ne pas prendre trop de temps à l'elfe qui, certes, avait l'air d'être content de passer un peu de temps avec lui, mais qui avait certainement mieux à faire que de tenir la chandelle à un petit garçon sortit beaucoup trop tôt de son lit.

Enfin, Elrond cessa sa marche qui n'avait pour but que de l'aider à se concentrer et Aragorn le vit poser les yeux sur lui. Il avait encore l'air un peu pensif malgré le signe évident qu'il était parvenu à une idée assez satisfaisante pour débuter son récit. Attentif à ne pas déranger l'elfe dans ses songes, Aragorn resta silencieux et sourit à Elrond d'un air timide lorsque l'elfe lui offrir un sourire réconfortant.

« Sauron... est l'esprit le plus noir que la Terre du Milieu ait connu. Corrompu par Morgoth, il est son lieutenant, au service du Mal, le plus puissant et le plus dévoué. C'est un magicien puissant, un nécromancien, n'ayant qu'un but : soumettre nos terres à Morgoth, au Mal réincarné, aux Ténèbres les plus sombres que tu ne puisses imaginer. Sauron n'a eu de cesse de se battre contre toutes les races bonnes et pures de ce monde pour arriver à cette fin funeste. »

Maintenant, il comprenait mieux pourquoi ce fameux Sauron était peint tout en noir sur la tapisserie du couloir à l'épée brisée. C'était un être vraiment très mauvais, il n'y avait qu'a écouter la façon dont Elrond en parlait et Aragorn savait qu'il pouvait faire confiance dans le jugement de l'elfe car il avait de nombreuses années d'expériences et de combats à son compteur. Elrond vint prendre place à côté de lui et Aragorn se tourna légèrement pour continuer de l'observer alors qu'il le laissait continuer son récit sans lui poser la question qui lui brûlait pourtant les lèvres.

« Je l'ai combattu. J'ai tiré mon épée et j'ai déployé les puissances de la Dernière Maison Simple contre les siennes, dans l'unique espoir de faire éteindre sa domination croissante, de le repousser dans les limbes. Elfes et Hommes étions présents, ceux du Gondor, ceux du Rohan, les Noldor, les Numénoriens et les Dunedaìns... Chacune des armées unies, ensemble, pour lutter contre cette créature et mettre en déroute ses desseins. Sans cela, seule la mort, la souffrance et la désolation construiraient notre avenir à tous. »

Les yeux d'Aragorn s'arrondirent d'admiration lorsqu'il entendit Elrond lui dire qu'il avait participé à la bataille qui réunissait la dernière alliance des elfes et des hommes. Ses grands yeux remplis d'admiration pour l'elfe brun. Il avait combattu contre les armées de Sauron et ça n'était pas rien. Aragorn avait déjà beaucoup d'admiration pour Elrond, mais là, elle augmentait encore. L'elfe était si calme, si posé et plein de sagesse. C'était une chose étrange de découvrir qu'il pouvait être un redoutable combattant dans une bataille, même s'il savait qu'à une certaine époque, Elrond était au coeur des batailles.

« Je t'ai souvent dit que les Hommes ne rivalisaient pas avec les Elfes sur beaucoup de points. Je t'ai laissé entendre que les Elfes surpassaient les Hommes en sagesse, en force et en habilité, ainsi qu'en ferronnerie. Pourtant... Ce ne fut pas un Elfe qui eut raison de Sauron, mais un Homme. »

La surprise était évidente sur le visage juvénile qui venait d'entendre qu'un simple homme avait défait Sauron... Mais comment ?! Par quel miracle avait-il réussit un tel exploit ? Alors qu'Elrond venait de le qualifier de pire que Morgoth ? Cette fois-ci, bien que l'histoire ne soit pas tout à fait finie, les questions se bousculaient bien trop fort dans sa tête pour qu'il puisse les retenir plus longtemps.

- Qu'est-ce que c'est un Nécromancien ? Demanda-t-il tout d'abord.

La question lui brûlait les lèvres depuis qu'il avait entendu ce therme. Il pensait savoir que cela avait un rapport avec une mauvaise magie, mais il n'en n'était pas sur et il ne pensait pas connaitre les réels détails de ce genre de pratique. Il repris cependant avant qu'Elrond n'ait eut une chance de lui répondre.

- Et un Dunedain ? Ca devait faire beaucoup de personnes tous ces peuples réunis... Et vous étiez réellement là bas ? Vous, vous devez être vraiment très fort, vous avez survécu à la bataille... Débitait-il plein d'enthousiasme admiratif. Comment il a fait cet homme pour tuer Sauron ? Je suis sur que vous auriez put le faire si vous étiez arrivé avant lui... Et les nains ? Ils n'étaient pas à la bataille ?

Aragorn s'arrêta enfin de poser des questions pour reprendre sa respiration qu'il n'avait pas conscience d'avoir retenu, trop pris par sa curiosité dévorante.

« Un nécromancien est un homme se jouant de la vie comme de la mort, aux pouvoirs proches du divin car il peut diriger l'enveloppe charnelle des êtres vivants comme s'ils étaient de vulgaires pantins. Fort heureusement, ils se font rares sur nos terres. »

Aragorn fit une grimace franchement dégouté... Heureusement qu'il avait déjà avalé ce qu'il avait dans la bouche sinon ça n'aurait pas été très beau à voir. Diriger l'enveloppe charnelle des êtres qu'ils soient vivant ou non ?! Mais c'était affreux... Comment pouvait-on un jour en arriver a avoir une idée pareille ? Quand on était mort, il fallait rester mort, un point c'est tout. Elrond disait qu'il était heureux qu'ils soient rares et Aragorn était bien d'accord avec lui, c'était tellement glauque... Aragorn enchaîna ses questions sur les Dunedains après avoir confirmé les derniers propos d'Elrond d'un vigoureux signe de tête. Espérons que ceux là aussi ne jouaient pas avec les morts.

« Les Dúnedains sont des Hommes, les Hommes de l'Ouest et descendants des Numénóréens et ont pris leurs racines sur l'île de Númenor, avant de venir vivre en Eriador suite à l'anéantissement de leur île. On les appelle ainsi car, pour ceux de la Terre du Milieu, ils viennent de l'Ouest. C'est un peuple brave et honorable, qui a reçu le don d'une vie plus longue que les autres races des Hommes. Il y a de nombreux récits contant des aventures de ces nobles visages. Aujourd'hui, ils ont perdu leur grandeur d'autrefois, mais n'en gardent pas moins un cœur fier et une bienveillance à toutes épreuves. »

Alors là c'était intéressant... Le regard fasciné du petit garçon ne lachait pas le visage de l'elfe brun qui lui expliquait patiemment sa propre histoire sans qu'il n'en n'ait la moindre conscience.

- Alors ils peuvent vivre plus longtemps ? Comme les elfes ?

Il avait bien dit qu'ils étaient bénis d'une longue vie non ? Aragorn s'intéressa ensuite de plus près à la bataille dont Elrond lui avait parlé, lui pausant mille questions à la seconde sans que cela ne semble perturber l'elfe plus que ça. Mais en même temps, il avait surement l'habitude de devoir tout enregistrer avant d'avoir une chance de répondre.

« Oui, il y avait beaucoup de monde. Des centaines, des milliers, prêts à perdre leur vie pour la préserver la paix en ce bas-monde. Énormément périr, mais la victoire finale soulagea toutes les peines que purent ressentir les frères, les épouses et les enfants de ces courageux morts au combat. Leurs noms restent à jamais gravés dans les mémoires comme dans le pierre. De cette façon, ils restent toujours vivants, quelque part. »

Aragorn essayait de se représenter le champ de bataille avec tous ces êtres humains prêt à s'entre tuer avant de devoir joncher les corps morts pour pouvoir continuer à le faire. Il voyait les terres du Mordor comme quelque chose de très sombre, triste et effrayant. Il ne pensait pas que le soleil puisse atteindre un pareil endroit et il se disait alors que de devoir se battre dans un lieu pareil devait être encore plus effrayant encore. Depuis longtemps maintenant, il savait que dans la guerre, il y avait toujours des morts dans les deux camps et que c'était une chose nécessaire, triste, mais vitale pour préserver encore plus de vies innocentes qui n'avaient rien demandée à personne.

« Je me rappelle bien la splendeur de leurs bannières, reprit-il. Elle me rappelait la gloire des Jours Anciens et les armées de Beleriand, où tant de grands princes et capitaines étaient assemblés. (LOTR, Livre 2 chapitre II)Les Nains... Nous ne les avons pas eu à nos côtés. C'était surtout une guerre des Elfes et des Hommes, les Nains ne pensent en général qu'à eux-mêmes et à leurs richesses enfouies sous terre. »

Aragorn ne fit aucune remarque sur ce qu'Elrond pensait des nains car il savait depuis longtemps que les elfes ne les portaient pas dans leur coeur et que l'inverse était également vrai. Il pensait qu'ils étaient simplement trop différents les uns des autres aussi bien dans leur physique que dans leur comportement pour pouvoir s'entendre ne serait-ce qu'un peu.

- J'aime bien quand tu racontes... Ca a l'air plus beau que ça ne devait l'être en vrai. Murmura-t-il, comme s'il avait peur de le déloger de ses souvenirs.

Le petit garçon le questionna ensuite à propos d'Isildur, l'homme qui avait ôté l'anneau de la main de Sauron. Il était curieux d'en connaitre un peu plus à ce sujet là.

« Isildur... Cet homme... Il n'a pas vraiment tué Sauron, en vérité. Il l'a anéanti, privé de ses pouvoirs, pour un long, très long moment. Mais, malheureusement, il n'est pas mort, et le danger persiste toujours tant que le souffle de la vie perdurera dans ses entrailles. »

Aragorn fronça les sourcils mais ne dit rien comme Elrond revenait avec deux tasses de thé qui sentaient bon le miel. Lorsqu'il lui fit clairement signe de boire la sienne, il obéi sans chercher à protester. Il savait bien pourquoi il devait boire ça, pour avoir une nuit la plus paisible possible, il en avait souvent bu après ses cauchemars et Elrond n'était pas un elfe guérisseur et un père pour rien...

« As-tu peur, Estel ? »

Le petit homme pausa lentement sa tasse alors qu'il réfléchissait à la question qu'il venait de lui pauser afin de lui apporter la réponse la plus franche possible. Avait-il peur ? A vrai dire, non... Ça n'était pas par stupidité ou pour jouer les braves, mais il pensait que là où il se trouvait, Sauron ne pouvait pas grand chose sur lui... Et puis de toutes façons, pourquoi s'intéresserait-il au petit garçon insignifiant qu'il était ?

- Non Ada...

Il se leva et vint s'asseoir sur les genoux de l'elfe sans lui demander la permission. Il voulait lui offrir un câlin comme il ne l'avait plus fait depuis quelques années déjà, se jugeant trop vieux pour ça.

- C'est pas pour montrer que je suis courageux... Sauron, la guerre, les morts... Tout ça... C'est pas vraiment drôle... C'est même triste et ça pourrait me faire peur si j'étais là bas... Mais je suis ici, à Imladris... Je suis entouré d'elfes et je vendrais cher ma peau si jamais ils arrivaient quand même à m'atteindre... Et puis Sauron, il sait même pas que j'existe alors pourquoi il s'intéresserait à moi ?

Aragorn savait qu'il était en sécurité dans les frontières de la dernière maison simple... Il retira sa tête de l'épaule de l'elfe pour pouvoir le regarder droit dans les yeux.

- Mais puisqu'il est pas mort... Comment peut-il mourir ? Même si pour l'instant il n'est plus rien du tout, un jour, reviendra-t-il aussi fort que le jour de cette bataille ? Si c'est le cas, je viendrais faire la guerre avec toi et là... Là j'aurai peur... Peur pour ma vie, peur pour la tienne aussi et peur pour celle de tous mes amis et de tout ceux que je connais pas aussi et qui sont bons dans leur coeur... Mais je resterai parce que si je dois mourir un jour, alors je le ferais pour sauver le bon dans ce monde.

Il fit un petit sourire au seigneur Elrond et reposa sa tête sur son épaule avant de demander d'une petite voix ensommeillée.

- Dit Ada... Après la bataille, vous avez quand même fait la fête ? Vous avez chanté longtemps pour les morts ? Ca a dut être dur de recommencer à vivre... Ajouta-t-il en pensant à sa mère qui souffrait tellement de la perte de son père.