Un jour peut-être.[FB+Solo]

Et nous, alors ?

« Et à quoi il ressemble, ce Soren qui te sert de frère ? »

Eirian soupira. Yoran, son meilleur ami et frère, en quelque sorte, venait de lui poser une question épineuse. C'était la question à laquelle elle aurait bien du mal à répondre, ses souvenirs de son frère de sang s'étant estompés depuis bien longtemps. Il devait avoir bien changé maintenant, il était devenu un homme, au même titre qu'elle était devenue une femme. Une belle femme, selon certains dans la troupe mais elle se fichait bien de savoir ça. Elle haussa les épaules et répondit enfin, après un certain temps de réflexion.

« - Je me souviens plus exactement... Juste qu'il était brun. Il m'avait dit qu'une pieuvre avait eu peur de lui et qu'elle avait lâché son encre sur sa tête. Et je l'ai cru.
- Ce serait maintenant, il se serait pris une gifle, n'est-ce pas ? ajouta Yoran en riant, se prenant par la même un léger coup à l'épaule.
- En effet. Et contrairement à moi, il avait les yeux clairs. Ceux de ma... Notre mère. Je le regardais dans les yeux quand j'étais triste, et je crois que ça me calmait. Mais j'étais petite à l'époque.
- Hmm si tu parles de taille, ça n'a pas vraiment changé ! »

Le jeune saltimbanque se releva en vitesse, avant qu'Eirian n'ait pu porté le moindre coup. Il savait qu'elle complexait sur sa petite taille, au même titre que sur son visage qui avait quelques traits trop marqués, trop masculins selon elle. C'était pour ça qu'elle s'était teint en blonde, grâce à des extraits de plantes. Dans un livre, elle avait même vu qu'avec certaines fleurs, elle aurait pu avoir des cheveux rouge sang ! Cela aurait attiré le badaud devant la troupe ambulante mais aurait effrayé ses oiseaux, or Eir tenait plus à ses compagnons à plumes qu'à quelques piécettes.

Les spectateurs n'étaient pas toujours généreux, aussi la jeune femme se faisait un devoir d'aller piller quelques bourses de cuir ou tricher dans la taverne environnante pour amasser un peu plus d'argent pour la troupe. La vie de saltimbanque était palpitante mais jamais très riche, matériellement parlant...

Yoran revint doucement vers elle, jaugeant s'il devait ou non s'approcher plus près mais Eirian était déjà partie nourrir ses quelques oiseaux, dont les deux petits balbuzards qui avaient survécu à l'hiver dernier. Ce qu'il demanda laissa un goût amer à la jeune femme.

« Tu crois que tu le reverras un jour, ton frère ? »

Un pauvre sourire vint effleurer les lèvres craquelées d'Eirian. Elle n'avait jamais évoqué son frère avant que Yoran ne s'y intéresse un peu plus, sauf parfois où un petit mot sur lui s'échappait de la bouche de la blonde. Savoir si elle le reverrait un jour, c'était une grande question et seul un devin aurait pu y répondre, et encore. Soren avait quitté sa famille, il l'avait quittée elle pour la mer et celle-ci l'avait englouti, lui et tous les souvenirs qu'Eir avait de lui, avec tous les moments qu'ils auraient pu passer ensemble au fil des années. En déplumant méthodiquement des poussins morts qu'elle donnerait à ses oiseaux,  comme une thérapie qui lui permettait d'oublier cet abandon, elle répondit enfin d'une voix rauque.

« - Seule la Fortune me permettrait de le revoir. Le hasard pourrait être si mauvais avec moi que je pourrais passer à côté de lui sans même le reconnaître. Peut-être l'ai-je déjà croisé dans une taverne côtière et qu'il est reparti briquer et goudronner un pont. Mais si je ne quitte pas la terre ferme, je n'ai probablement aucune chance de le revoir.
- Tu veux dire que... fit Yoran sans finir sa phrase, trop inquiet.
- Oui, un jour je quitterais la compagnie et je m'engagerais en tant que mousse ou je ne sais quoi. Je sais faire des filets et des pièges à poissons, Varg m'a appris à me battre même sommairement, je pourrais être utile sur un navire, répondit-elle sans hésitation.
- Mais et nous alors ? Tu nous abandonnerais ? »

Les épaules d'Eirian s'affaissèrent pour toute réponse. Pour se rassurer, elle se dit que ce ne serait que temporaire, juste le temps de revoir son frère. De le retrouver et lui faire comprendre sa façon de penser sur le fait qu'il l'ait abandonnée. Oui c'est ça, c'était temporaire parce que la Compagnie du Tigre Rouge, c'était sa famille aussi, plus encore que ses parents biologiques.

« Non, je reviendrais. Je reviendrais toujours pour vous tous dans la compagnie. »