E ncore une fois, la journée s’annonçait longue. Une autre journée dans la peau d’un garde. Le jeune homme soupira. Non, jamais il ne pourrait dire qu’il n’aimait pas son travail. Après avoir passé des années difficiles en formation, il avait fini par sortir du lot et obtenir un nouveau grade. Cela n’avait pas été très facile. Lorsqu’il s’était inscrit à la formation, il n’était qu’un jeune adolescent maigrelet et sous-alimenté. Il faut dire que, vu la situation qu’il avait vécu, cela était normal. Très jeune, il avait dû commencer à subvenir aux besoins de sa famille, c’est-à-dire son père et lui-même. Il devait s’occuper d’un père alcoolique, et ça, ce n’était pas une tâche aisée. Au début, l’enfant et le père purent manger à leur faim grâce à l’argent que Vaemyr avait récolté en vendant une bonne partie de la terre familiale. Cependant, l’argent ce fit de plus en plus rare et, également, la nourriture. Il avait alors dû commencer à rendre des services aux villageois afin d’obtenir un peu de nourriture, de linge neuf, etc. C’est pour s’éloigner de son paternel, qui devenait de pire en pire, que le jeune garçon prit part à la formation de l’armée. Il avait trouvé quelque chose qu’il aimait faire et qui lui empêchait de rester bien longtemps avec un père complètement saoul. Malgré ses débuts peu prometteurs, il tint bon et finit par graduer.

Le Suderon chassa ses tristes souvenirs d’un léger geste de la tête. Aujourd’hui était un jour nouveau. Une nouvelle vie commençait pour lui, la vie de voyageur. Il n’avait toujours pas parlé de sa décision à son supérieur, et c’est d’ailleurs ce qu’il allait faire. Vaemyr se trouvait justement debout devant la petite maison qu’il occupait, hésitant encore à frapper à la porte. Était-il sûr que c’était vraiment ce qu’il voulait? N’allait-il pas finir par le regretter? Non. Depuis qu’il avait eu la chance de sortir du village avec l’armée, il ne rêvait que d’une chose; partir à la découverte du monde. Ce désir n’était pas arrivé d’un seul coup. À force de surveiller l’horizon afin de voir si une menace ennemie arrivait, il se mit à penser à quoi pouvait ressembler ces autres contrées, qui s’étendaient au Nord. À quoi pouvait donc ressembler ces autres peuples dont il avait vaguement entendu parler? Les Nains, les Elfes, et tous les autres. À quoi ressemblaient-ils, leur culture était-elle bien différente de celle des hommes du Sud? Oui, il voulait découvrir le reste de la Terre du Milieu. Il en était certain. Le jeune prit alors une bonne inspiration et frappa trois coups à la porte de la maison. Quelques instants plus tard, son supérieur se trouvait devant lui, prêt à l’écouter.


Vaemyr sortait de la petite maison, le cœur léger. Son supérieur avait accepté son départ, à condition qu’il ait quitté le village avant minuit. Cela laissait donc au soldat le temps de terminer les préparatifs pour son départ. Mais avant cela, il devait passer à l’hospice. Il y avait encore quelqu’un qui devait être informé de son départ. Ybelin Eledhwen. La guérisseuse était un an plus jeune que lui. Il l’avait connu quelques années plus tôt, alors qu’il avait été amené à l’hospice après avoir été blessé pendant un entrainement où le maitre avait commencé à faire se combattre les novices avec de vraies épées. Son nom lui avait toujours dit quelque chose, comme s’il l’avait déjà connue, mais il était pourtant certain de ne jamais avoir vu la jeune femme avant ce jour. Par la suite, les venues fréquentes du jeune homme pour cause de blessures suffirent à créer une amitié entre les deux jeunes gens. Ils finirent par se voir ailleurs qu’à l’hospice, devenant ainsi de très bons amis. Et dire qu’aujourd’hui, Vaemyr allait mettre terme, en quelque sorte, à cette amitié. Il ne savait pas comment la jeune femme allait réagir face à la nouvelle. Bien sûr, il ne comptait pas ne jamais remettre les pieds dans la ville dans laquelle il avait grandi. Il comptait bien y remettre les pieds un jour. Il ne devenait pas vagabond pour quitter son village à tout jamais, là n’était pas son but.

Enfin, il arriva à l’hospice. Il entra une guérisseuse vint lui demander ce qu’il désirait. "J'aimerais parler à Ybelin Eledhwen, si cela est possible." La guérisseuse acquiesça et lui demanda d'attendre un instant, le temps qu'elle aille voir si elle était disponible. Le jeune homme la remercia et attendit, réfléchissant à ce qu'il pourrait dire à son amie guérisseuse, à comment il pourrait lui annoncer la nouvelle.

Il attendait dans le couloir de l’hospice, espérant que son amie soit libre pour le recevoir. Si jamais elle ne l’était pas… Il allait sans doute être forcé de ne lui laisser qu’un mot, de la quitter sans un au revoir… Ou alors, d’aller à sa rencontre directement, l’interrompant dans ses travaux, sans doute poursuivit par une autre guérisseuse tentant de l’en empêcher. Le jeune homme avait besoin de voir son amie, il ne pouvait partir sans lui faire ses adieux – ou simplement lui dire un au revoir, car, après tout, il comptait revenir un de ces jours -. Il devait lui parler avant son départ, sinon il se sentirait mal de partir sans rien dire. Après tout, c’était indigne d’un ami de faire cela. Elle devait l’apprendre de lui et non de quelqu’un d’autre. Sans doute que cela serait moins douloureux. Tout en attendant, il prêtait oreille aux gémissements des blessés, aux toussotements des malades, à tous ses bruits qui faisaient de l’hospice… un hospice. L’odeur des plantes médicinales, les bruits des malades et des blessés, les paroles réconfortantes des guérisseurs, tout cela. Bientôt, il vit la femme qui l’avait accosté revenir vers lui, suivi de quelqu’un d’autre. Vaemyr reconnu la chevelure brune de son amie, son pas léger lorsqu’elle l’aperçut enfin, chassant sa mine inquiète de son fin visage, son sourire. Ybelin dépassa sa collègue et interpela le soldat, ce qui le fit sourire.

"Ybelin ! Comment vas-tu ?"

Il ne souhaitait pas lui dire directement qu’il s’en allait. Elle était heureuse de le voir, à quoi bon gâcher tout de suite cette bonne humeur contagieuse ? Le jeune homme avait eu pour idée d’aller prendre une marche dans le village, avec son amie, de passer un dernier instant en sa compagnie avant son départ. Cela, si elle avait le temps, bien sûr. Il ne voulait la mettre en retard dans son travail. Il s’enquit alors de savoir si elle avait un peu de temps à lui accorder.

" Aurais-tu un peu de temps à m’accorder ? Je souhaiterais discuter un peu avec toi. "

Il dit cela en gardant le sourire, pour ne pas trop inquiéter sa chère amie. Il s’en voulait de lui annoncer son départ, alors qu’elle semblait si joyeuse en cette belle journée. Cependant, il n’aurait pas le choix de lui annoncer à un moment ou à un autre. Elle connaissait le désir du jeune homme pour l’aventure, et devait sûrement se douter qu’il viendrait un jour où il partirait explorer le monde. Et ce jour était arrivé. Vaemyr s’était enfin décidé. Il était prêt à partir.