Rêve d'été [Flashback][Solo]

Rêve d'été

«  ▬ Une fois, un hobbit m'a dit : l'été n'est que le songe de l'hiver endormi. Il rêve de contrées lointaines, ensoleillées et chaudes, car lui ne fait régner que le froid et la désolation. » fis-je d'une voix douce, alors que je contais une petite histoire au fils de ma voisine.

Galby était passé acheter des fleurs pour l'anniversaire de sa grand-mère - une vieille folle un peu excentrique que j'aimais beaucoup - et il s'était arrêté pour écouter mes histoires. J'aimais ça, les histoires, les contes et les légendes. Oncle Cleverald en avait plein la tête, des étoiles pleins les yeux, et de la poudre magique dans sa voix, qui formait comme un rideau mélodieux quand il se mettait à raconter ses histoires. Accoudée au comptoir, entourée des effluves harmonieux de mes fleurs, je repris doucement, en observant avec amusement son air captivé :

«  ▬ L'hiver rêve lui aussi, car il ne désire pas faire le mal. Certains êtes sont créé ainsi, et ils ne savent pas qu'ils blessent. Certains n'en ont même pas conscience. Mais, à chaque fois qu'il est temps, l'hiver se réveille, éternue de la neige, pleure des larmes de glace, et s'en va faire sa triste besogne. Sais-tu pourquoi en hiver tout est ainsi gelé ? Car c'est le coeur de l'hiver, un monde de givre et de dentelle neigeuse.  »

Ce monde se créait autour de moi, et j'arrivais presque à voir les contrées couvertes de glace translucide ... J'eus un sursaut en entendant la petite cloche de l'entrée tinter : mère faisait son entrée, armée de bacs de plantes en germe. Elle jeta un coup d'oeil à Galby, qui me donna ce qu'il me devait - un sachet de graines et un paquet empli de poisson frais - et s'en alla, détalant comme un lapin.

«  ▬ Ce n'est pas en faisant fuir la clientèle qu'on va rouler sur l'or » grinçais-je, perdant de suite ma bonne humeur.

Je ne portais pas mère dans mon coeur. Je fis volte-face avant qu'elle ne puisse me répondre, et allais me réfugier dans la serre derrière le magasin, la laissant gérer ses clients. Je passais à travers les rangées de plants, relevais ici et là quelques bourgeons, arrosais une fleur-lion en train d'éclore. Toutes ces couleurs, tous ces arômes me faisaient rêver.

«  ▬ Ne tarde pas trop, mon oncle. Tu me manques. »

Cleverald était un excentrique, et beaucoup de monde n'appréciait pas sa présence. Mais moi, je me souvenais de quand il me racontait les histoires sur les elfes, au coin du feu, ou encore les légendes sur les dragons, en me faisant sauter sur ses genoux un soir d'été sous les étoiles. Son savoir était précieux pour moi. Je passais mes mains dans un baquet d'eau fraîche pour me débarrasser de la terre et posais mon regard sur la fenêtre ouverte. Deux abeilles entrèrent, vinrent vrombir près de moi et s'éloignèrent rapidement. Je souris en regardant la flaque de soleil qui inondait l'endroit.

L'été n'est que le songe de l'hiver endormi.

Rêve d'été

«  ▬ Non, non, je refuse de reprendre le magasin !  »

Je fronçais les sourcils et repoussais d'un geste agacé mes cheveux en arrière. Je détestais quand mère me mettait ainsi la pression : j'étais encore jeune, et je ne voulais absolument pas m'enfermer dans ce magasin. J'aimais les plantes, oui, c'était un fait. Mais mon coeur battait la campagne, ne rêvait que d'aventures. Je plissais la bouche d'un air boudeur, et ma mère sembla s'énerver.

«  ▬ Amaranthe, tu es ma fille, mais des fois je me demande bien d'où tu sors ! Notre famille a certes quelques moutons noirs, venant sûrement du sang de Brandebouc qui coule dans tes veines ... Cleverald est comme ça, lui aussi ... Il t'a donné des idées étranges. Mais tu es une Piedblanc et tu agiras comme tel ! Soit respectable, renonces à tous tes fantasmes et tes rêveries d'enfant ! »
« ▬ As-tu la moindre idée de ce que tu me demandes ? Abandonner tous mes rêves, tous mes espoirs ... Si je fais ça, je mourrais ! » tentais-je dans une pure bravade, en relevant le menton, le regard brillant de colère et de témérité.
« ▬ Comment oses-tu dire de telles choses à ta mère ? Tu es mon enfant ! Tu ne mourras pas de reprendre la magasin, réfléchis un peu quand tu parles ! Tout n'est pas une aventure. La vie se doit de suivre un cours droit et calme. Ama, ai-je l'air triste ? Ton père a t-il l'air triste ? Nous sommes heureux. Nous avons une vie bien remplie ... Ne souhaites-tu pas trouver un mari, faire des enfants, avoir une vie stable ?»

J'ouvris la bouche, et la refermais. Elle savait que j'en avais envie. Mais pas maintenant, pas tout de suite. Ma mère s'inséra dans la faille, s'approcha de moi et remit une boucle de cheveux en place, derrière mon oreille. Cela eut le don de m'agacer, mais ses paroles me hérissèrent totalement :

« ▬ J'ai appris que tu passais beaucoup de temps avec Archibald. C'est un bon garçon, et vous avez l'air d'être en accord sur certaines choses ... Tu n'as pas envie que je contacte ses parents pour voir si v-»
« ▬ Encore avec ça ! » grondais-je en reculant pour me libérer de son emprise.

Je la détestais quand elle faisait ça, comme un serpent hypnotique. J'avais le coeur qui battait à tout rompre sous les coups de boutoirs de ma rage. Je serrais les poings et rugis :

« ▬ Je suis heureuse d'être en vie, d'avoir des amis et une famille, mais ce n'est pas ce à quoi j'aspire ! Mère, tu ne comprends pas. Tu ne comprendra jamais. Si je reste ici toute ma vie sans avoir vu l'extérieur ... Je serais toujours chagrinée ... »

Je secouais doucement la tête, pour empêcher mes larmes de monter, et m'enfuis en courant. Je sortis de la maison, relevais sans aucune élégance mes robes vertes, et me mis à courir. La nature m'aidait souvent à me calmer, et c'est là-bas que je pourrais retrouver mes esprits.

La vie est une aventure ou alors elle n'est rien. Oncle Cleverald l'avait dit, et il avait raison. Que deviendrais-je, sans aventure ? A garder le magasin toute la journée ? Je m'étiolerais comme une fleur, me fanerais, et mourrais sans avoir rien fait ...

Jamais cela n'arrivera. Jamais !

Rêve d'été

«  ▬ Tu m'as tellement manqué !  »
«  ▬ Amaranthe, si tu continues, je ne vais plus avoir de joue ! » s'exclama mon oncle, alors que je frottais ma joue contre la sienne.

Oncle Cleverald avait la joue râpeuse, sa barbichette était devenue une broussaille brune et bouclée, que je caressais, rêveuse. Il eut un petit rire et me serra tendrement contre lui. Je ne lui avais même pas laissé le temps d'entrer dans la maison que je lui avais sauté au cou. Mère nous couvait du regard, mécontente, mais je m'en fichais. Oncle Cleverald entra - malgré sa notoriété, il était le bienvenue dans sa famille - et alla s'installer dans son fauteuil favori. Sans plus faire attention à ce qui se passait autour de moi, je lui apportais une chope de bière fraiche et des pommes, ainsi qu'une part de tarte à la cerise, sa préférée.

Je m'installais sur le tapis en dessous de lui, absolument ravagée par ce manque enfin comblé. Il était mon ami, mon protecteur, mon roc, mon pilier, la personne la plus importante moi. J'aimais ses histoires, et après qu'il ait bu une gorgée et croqué dans une pomme, il passa la main dans ses boucles brunes, sachant que j'allais lui demander des légendes. Il me sourit, de ce sourire doux empreint d'une tendresse et d'une complicité intimes. J'étais plus proche de lui que de qui que ce soit, car je m'étais calquée sur lui ; il était mon modèle. Un hobbit qui sortait de la Comté et qui courrait les aventures.

« ▬ J'ai appris de bien étranges rumeurs, le sais-tu, ma douce fleur des champs ? L'Erebor ayant appartenu aux nains, gardée par le dragon le leur ayant volé, serait libre. La bête morte, depuis toutes ces années, et je suis passé par bien des tavernes où tous n'avaient que ce nom dans la bouche, Erebor, et un seul mot suivant celui-là : trésor. Car les nains, et surtout ceux de cette cité, étaient avides - enfin, surtout leur roi, en fait ... Ma douce, veux-tu que je te dise ce que je sais de cette ancienne cité ?»

Il me souriait toujours, et plongea ses yeux dans les miens, brillants de convoitise - le désir d'en apprendre plus. J'étais accrochée à ses lèvres, et je le laissais m'emmener avec lui dans ses périples, à la traversée de la magnifique Erebor ...

Rêve d'été

« ▬ Appelée aussi la Montagne Solitaire, Erebor était une merveille parmi les siennes, les cités naines. Des salles gigantesques de marbre blanc veiné de noir et de bleu permettaient aux nains de les remplir de leur or et de leurs pierres précieuses, qui y formaient des montagnes miniatures, collines de jaune, de bleu et de rouge, au gré de l'or, des saphirs et des rubis. Les nains continuaient d'y forer à la recherche de trésors, mais l'endroit où ils vivaient était une place où la raffinement s'y disputait avec leur art guerrier ... »

Je souris à mon petit frère, Fosco. Il n'avait pas le droit d'écouter les aventures d'oncle Cleverald, mais cela ne m'empêchait pas de les lui répéter. Fosco tapa dans ses mains, et se leva pour tourner sur lui même, imitant un dragon en rugissant.

« ▬ Oui, tu as raison, un dragon les a attaqué. Et pas n'importe qui. Smaug, l'avare, le cupide, le terrible. Il a arraché la ville qui habitait près de Erebor. Il l'a vaporisé de ses flammes, la transformant en un brasier rugissant ... La cruauté de ces bêtes n'a pas de limite, Fosco ; beaucoup de gens sont morts ce jour-là ... »
« ▬ Moi j'ai pas peur des dragons ! Je suis sûr que j'pourrais battre Smaug, d'abord, c'est qu'un gros lézard ! »

Et de courir partout en battant des bras. Ce à quoi je répondis en lui sautant dessus et en lui faisant des chatouilles. J'adorais Fosco, le petit dernier ; il avait à peine une douzaine d'années, mais il était bien plus ouvert que mes autres frères. Nous formions une bande à part, lui et moi ; il m'écoutait avec gravité et il était mon préféré, je lui donnais des bonbons en cachette et le grondait moitié moins que les autres dont j'étais l'aînée.

Je lui tapotais la tête, essoufflée et nous reprîmes notre souffle, le regard tourné vers le ciel. Soudain, il se blottit contre moi, petite boule de cheveux et de chaleur. Je le serrais tendrement contre moi.

« ▬ Maman veut que t'épouses un hobbit respectable pour que tu restes toujours près de nous. Mais ... Mais si tu restes ici toute ta vie, tu seras malheureux, Ama ? »

Sa question était innocente, et je soupirais doucement. Il n'avait pas l'âge de porter ce fardeau, mais je ne voulais pas lui mentir.

« ▬ Oui. Je vais partir. Peut-être pas maintenant, ni demain, ni le mois prochain mais je veux voir le monde. »
« ▬ Je peux venir avec toi ? »

Je secouais doucement la tête. J'avais déjà idée que je n'irais pas seule - avec Archie, nous avions la même vision du monde, souvent, et si il y avait une personne en qui je faisais confiance pour assurer mes arrières, c'était bien lui.

« ▬ Non, toi, tu devras protéger ce village. Au cas où un TERRIIIBLE DRAGOOON SURGIRAIIIIIT ... »

Je le chatouillais de nouveau, mais avec moins d'entrain : j'allais l'abandonner, d'une certaine manière ; lui, mes autres frères, mère, le magasin de fleurs ... Etait-ce respectable ? Sûrement pas. Mais j'en avais envie - non c'était bien au-delà de l'envie. C'était viscéral. Mon bonheur était en jeu, j'en étais certaine.

Rêve d'été

« ▬ S'il te plaît. »

Ma voix suppliait - et il était rare que je sois aussi sûre de moi, aussi demandeuse. Alors, Cleverald dégaina de mauvais coeur son épée et la pointa vers moi. Il savait que j'avais raison d'agir ainsi - surtout avec ce que j'avais en tête. Je dégainais le kriss qu'il venait de m'offrir - petit poignard à la lame ondulée, lame assassine, faite pour les voleuses.

« ▬ Si je veux partir voir le monde, comme toi, je dois apprendre à me battre. Je refuse de mourir. Je veux vivre des aventures, et revenir pour les raconter.»
« ▬ Amaranthe, je t'aime comme ma propre fille, je ne peux rien te refuser ... Mais même si j'ai confiance en toi, j'ai moi-même failli y passer un bon nombre de fois ... »
« ▬ Non ! Pas toi ! Ne t'y mets pas non plus ! Maman joue déjà de cette corde-là : je suis faible, fragile, je peux mourir ... oui ! OUI JE PEUX MOURIR. Mais même ici je le peux ! Une pierre, un caillou glissant, m'étouffer en mangeant ... La mort est partout ! Et je veux la défier ! Je ne mourrais pas ! C'est mon choix ! »

Et je m'élançais maladroitement, le kriss pointé droit devant moi. Mon oncle m'esquiva facilement, et se retrouva derrière moi, son épée contre ma gorge. J'avais encore bien des progrès à faire. Il m'enleva mon arme des mains, un sourire désabusé au visage.

« ▬ Tu devras apprendre à t'en servir ... Mais mon petit doigt m'a dit que tu te débrouillais à l'arc ? » dit-il en désignant du menton mon arc en bois blanc et mon carquois posés plus loin sur ma cape.
« ▬ Je me débrouilles ; je vais souvent chasser. On est nombreux, à la maison, alors ...»

Il hocha la tête, et m'invita du regard à montrer ce que je savais faire. Ce que je fis sans plus attendre : tenir un arc était ce que je faisais de mieux, après voler autrui. Je sentis la matière vibrer entre mes doigts, et concentrée sur ce que je faisais, je libérais une volée de flèches sur les cibles peintes. J'atteignis les centres, sans pour autant faire un carton mais ma précision était exemplaire. Je souris doucement à mon oncle qui passa sa main calleuse dans mes boucles.

« ▬ Je pense que c'est ton arme ; cela ne t'empêche pas de devenir tout aussi bonne au poignard. En garde. »

Je lâchais mon arc et repris mon kriss : j'étais fière de savoir tirer, car dans ses contes, les elfes étaient tous bon au tir à l'arc. Certes, jamais je n'égalerais leurs prouesses tant vantée, mais l'idée qu'un elfe quelque part - si ils existaient - tirait à l'arc lui aussi me mettait du baume au coeur. Comme si j'étais reliée à cette race par mon arme.