Gamut manunJe me suis donné pour oeuvre de retranscrire sur ces quelques pages mon humble histoire avant de quitter Les Montagnes Bleues pour Erebor. Je ne sais si je reviendrai vivant de cette périlleuse quête, dont le but est de récupérer notre bien dérobé par le dragon Smaug, alors je profite de ce répit pour écrire la vie de Bifur le nain. Qu'on ne m'oublie pas.
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Je suis né à l'Ouest, dans les Montagnes Bleues. Ma famille descend des Nains de la Moria. Elle n'est pas illustre, pas plus que noble, non, c'est une famille très simple mais fort aimante. D'ailleurs une réputation glorieuse n'est pas faite par le sang, mais par les actions. Mon père était forgeron tout comme son père qui l'était tout comme son père,... ah non lui était mineur. C'était un nain d'une stature qui n'avait d'égale que son courage. Il nourrissait l'admiration auprès de ses compagnons. Malgré son métier, il était un nain instruit. Il fabriquait des objets d'une finesse incroyable et des armes d'une solidité qui m'accompagnent encore aujourd'hui. Et ma mère restait à la maison à s'occupe du petit nain que j'étais. Ah, ma mère ! Elle avait une barbe égale à sa beauté ! Soyeuse à souhait où j'aimais me blottir pour être rassuré. Elle retombait harmonieusement sur sa poitrine et elle la brossait durant de longues heures devant son miroir. C'est une image qui restât à jamais gravée dans mon esprit.
Je n'ai jamais manqué de rien durant mon enfance. J'avais suffisamment d'amour autour de moi et malgré une fortune modeste, ma mère trouvait toujours un moyen pour occuper mon jeune esprit. Souvent, elle me fabriquait divers jouets à partir de simples objets. Je me souviens qu'elle me faisait des moutons à partir de pives de pins ; elle y ajoutait quatre pates et des yeux. J'en avais tout un troupeau. Un simple bout de bois anthropomorphique suffisait pour faire le berger. C'est sans doute grâce à elle que je suis devenu un fabriquant de jouets. Je passais le plus clair de mon temps avec ma mère qui m'avait appris à lire et m'avait donner son goût pour les bouquins. Je pouvais en dévorer durant des heures sans m'arrêter. Des livres de tous genres : histoire, géographie, roman, recueil de poèmes,...
Mon père, que je voyais très peu à cause de son travail chargé, m'a inculqué le respect et le courage. Deux vertus qui étaient les maîtres mots de notre famille. Je m'efforce à jamais de les respecter, non seulement par respect pour les autres, mais aussi pour moi-même, que je vois comme une ligne de conduite à tenir.
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J'ai toujours été un nain très sociable. Il ne m'était pas difficile de me faire des amis et j'ai donc passé mon adolescence entouré par les autres. C'était à cette période difficile de la vie que j'étais devenu un peu plus turbulent à l'opposé de mon enfance où le petit Bifur que j'étais occupait ses journées à jouer et à rester auprès de sa mère. La liberté me tendait alors les bras. Etant plus âgé, ma mère me laissait faire un peu plus ce que je voulais. C'est pourquoi je passais le plus clair de mon temps à l'extérieur du foyer. Peut-être un peu trop, maintenant que j'y repense.
Excusez cette tache d'encre, ma plume vient de m'échapper.
Enfin bref. C'est à cette période que je découvrais la désobéissance. Avec mes amis, nous allions crapahuter dans les champs et faisions des guerres improvisées à l'aide de bâtons et de cailloux. Autant dire que je ne rentrais pas à la maison dans le même état que j'étais parti. Bon nombre de fois ma pauvre mère devait raccommoder mes vêtements déchirer ou panser mes plais à cause d'un coup mal dirigé. C'était une bonne expérience qui avait certainement joué dans mon éducation au maniement des armes. Mais ce n'était qu'un piètre début, j'expliquerai plus tard comment je suis devenu ce guerrier qui s'apprête à partir pour Erebor.
Dans ma longue liste de frasques que j'avais commises, laissez-moi vous conter la première fois que je bus de l'alcool. C'était un nain du groupe qui avait eu l'idée de s'en procurer pour essayer une fois. "Faire comme les grands" qu'il disait. Bien sûr, mère m'avait formellement interdit d'y toucher avant mes 70 ans, mais à presque 20 ans l'interdit a cet aspect attrayant. C'est pourquoi nous nous vîmes voler un tonneau de bière et filer en catimini derrière un énorme rocher. Je me rappelle de ce goût âcre et fort désagréable. À cet instant, j'avais pensé que les sages nains étaient fous ou avaient le palet brulé pour pouvoir boire ne serait-ce qu'une gaulée de ce breuvage. Mais malgré mon aversion pour lui, je continuais pour suivre les autres. Belle bêtise. Nous avions vite terminé ce tonneau et les effets de l'alcool se firent vite ressentir. Au début, l'euphorie, où l'on est joyeux d'avoir bravé l'interdit, puis les inconvénients. Je sentais que mon esprit n'était plus tout à fait le même, que je n'étais plus maître de mon corps. Outre cette légèreté apparente et cette sensation de puissance, j'avais l'impression que le monde se dérobait sous mes pieds. J'avais beau regarder au loin, tout tournait autour de moi. Ce fut un vrai miracle si j'ai pu rentrer chez moi. Et quel accueil ! Jamais je n'avais vu ma mère autant inquiète et déçue à la fois de mon comportement. Mais j'étais trop ivre pour pouvoir m'excuser. Je m'étais contenter de vomir tout mon soul et pleurer dans les bras de ma mère, la suppliant de faire arrêter que le monde tourne. Piètre spectacle qui amusa au moins mon père quand il vit mon état en rentrant. Je n'avais pas été sévèrement puni, mes parents estimaient que j'avais suffisamment payé par mon état lamentable et mon humiliation. J'écopais simplement de plus de corvées domestiques.
Je pourrais vous raconter toutes les péripéties de mon adolescence, mais cela ne vous apporterez rien et cela n'est pas plus intéressant que deux et deux font quatre.
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Quand j'avais atteint mes 20 ans, je ne me souviens plus exactement de l'âge exact, je fis une rencontre qui bouleversa à jamais mon existence. Oh rien de bien grave, rassurez-vous. C'était une réjouissance. Mon oncle et ma tante avait donné naissance à un nouveau nain : Bombur, mon cousin. Oh, il ne m'apporta rien sur le moment, étant trop jeune pour vraiment m'intéresser à un tout petit, mais bien des années plus tard, accompagné par son frère Bofur, mes deux cousins m'avaient fait découvrir un tout autre aspect de la vie.
Quand ils furent assez grand pour être un peu débrouillard, je découvrais en moi un nouveau souffle : celui de gardien. Nous étions la plupart du temps ensemble. Je voulais tout leurs apprendre, comme un frère. Nous jouions tous joyeusement dans les champs et je leur apprenais à éviter les erreurs que j'avais pu commettre à défaut d'avoir eu un mentor dans ma tendre jeunesse. Il ne fallait surtout pas embêter mes cousins, car je me transformais en bête féroce pour punir les importuns. C'était surtout le petit Bombur qui avait quelque soucis, car à défaut de grandir en longueur, c'était sa largeur qui s'épanouissait attisant les critiques des jeunes nains. Jamais je n'ai pu tolérer la discrimination.
Mais je ne pouvais pas toujours être avec eux, car une partie de mon temps était occupée par mes cours d'armes avec un de mes cousins germains au troisième degré du côté de ma mère, par alliance. Je crois. Quoiqu'il en soit, j'avais trouvé un certain attrait pour la lance et les dagues. La lance me donnait l'impression d'être plus grand et de pouvoir tenir à distance n'importe quel ennemi. Et les dagues m'offraient une sortie de secours : un ennemi qui me tomberait dessus et ce serait la piqure du dard qui s'abattrait sur lui. Les débuts étaient laborieux, puisque j'étais inexpérimenté et que la lourdeur des armes pesait sur mes épaules. Mais la persévérance paye tôt ou tard et je parvenais enfin à maîtriser ces armes. Et, sois dit en passant, la lance mesurait au moins deux fois ma taille ! J'avais un goût prononcé pour les combats, pas que j'en provoquais, mais j'aimais regarder et également participer. Les tournois populaires accueillaient toujours le courageux Bifur.
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Quand j'eus 30 ans, étant un nain bourré d'énergie, j'essayais de la canaliser dans la lecture et dans mes relations sociales. Je m'étais légèrement assagi grâce à ces activités. Et c'est à cette période que je profitais pleinement de ma vigoureuse jeunesse sans rendre de compte à personne. Il faut dire que j'étais un nain très fringant. J'aimais la compagnie de mes amis, me retrouver souvent autour d'une pinte de bière, car, oui, j'y avais trouvé goût à cet élixir, mais l'expérience a fait que j'en buvais modérément. On me demandera qu'en était-il des naines ? Et bien, je dois avouer que mon courage est proportionnel à ma timidité. Il m'était pénible de devoir parler à une naine, aussi belle qu'elle était, car toutes les naines sont belles à mes yeux. Aussitôt que je croisais son regard, je rougissais et balbutiais quelques phrases incompréhensibles qui, dans le meilleur des cas, auraient fait rire mon interlocutrice. J'avais toutefois entretenu une relation avec une belle naine qui commençait à avoir une barbe jusqu'au cou, mais j'étais toujours resté respectueux envers elle. On pouvait dire que c'était une relation platonique, un amour de jeunesse. Est-ce que je l'aimais vraiment ? Moi-même je me pose la question. J'avais en tout cas de l'affection pour cette naine.
J'apprenais également à apprécier les joies du travail. Mon père me destinait à poursuivre sur son chemin, mais je ne me voyais pas évoluer dans une forge toute la journée et créer ces objets grossiers. Non, j'avais besoin de canaliser toute mon imagination en un point. C'est ma mère, comme je l'ai dit plus haut, qui m'a éclairé sur mon choix d'avenir : fabricant de jouets. J'aimais me retrouver dans mon atelier : un peu de solitude ne fait de mal à personne. C'était moi et mes jouets. Le calme et la sérénité. J'en fabriquais à l'appel : des grands, des petits, des minces, des gros, des colorés. Et toujours en bois. Ça me rappelait mon enfance où l'innocence était reine.
Je garde de très bons souvenirs de cette période de ma vie.
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Une période de trouble envahit alors nos vies. Quand j'eus 34 ans, j'étais à la fois excité et inquiet du déroulement de la suite. Je m'embarquais dans la bataille contre les Orcs. Tous les nains aptes au combat devaient rejoindre l'armée pour bouter ces immondes créatures hors de la Moria. Car c'était bien Azog qui semait le trouble s'être accaparé des terres naines. N'écoutant que mon courage, je m'enrôlais dans l'armée des Nains à la fin de cette guerre.
Nous partîmes en grand nombre. Tous ces jeunes nains unis dans le même but faisaient chaud au coeur. Nous nous battîmes vaillamment, réussissant à acculer les Orcs dans la vallée d'Azanulbizar. Nous pensions la victoire proche, mais des troupes fraîches sortirent des souterrains de l'ancienne cité. Nous étions en infériorité numérique et nous sentions la fin proche. Toutes nos tentatives d'attaques échouaient les unes après les autres et nos espoirs s'évanouissaient. Cependant, nous pouvions compter sur les autres Nains qui arrivèrent des Collines de Fer pour gonfler nos troupes. Là la peur fit place au courage et nous nous sommes battus avec ardeur pour la victoire.
Il me faut vous raconter le tournant de ma vie. Non pas que je veuille me vanter, mais laissez moi vous expliquer comment je me suis vaillamment battu contre cet horrible Orc.
J'avais déjà abattu quelques ennemis quand celui-ci se présenta devant moi, me provoquant de son regard diabolique. Il m'attaqua et je ripostais avec ma lance. Je maintenais une distance vitale entre lui et moi. Ripostant à toutes ses attaques. Mais sa défense était tenace. Je ne parvenais pas à le faire plier ou même à le fatiguer. Il était beaucoup plus grand que moi et me surpassait largement par sa carrure. Mais mon courage était égale à sa rage. Je ne me laissais pas démonter. Jamais je n'aurais plié devant lui.
Il parvint cependant à briser ma lance ; il ne me restait plus que mes dagues pour seul secours. J'étais en difficulté et il lui serait facile de me tuer d'un coup de hache bien placée. La rage dans ses yeux m'indiquèrent qu'il allait attaquer. D'un coup, il prit son élan et me sauta dessus.
Je me rappelle avoir senti une vive douleur au sommet de ma tête, mais je profitai de cette proximité pour planter ma dague dans son aine. Puis je sombrai dans le comas.
Je me suis réveillé quelques semaines plus tard. On m'apprit que la victoire était pour les Nains. Mais quelle victoire ! Nous avions tellement perdu des nôtres, que la victoire avait un goût amer. Aucun chant n'avait été entonné ce jour là. Nous avions brûlé les corps des nôtres et étions rentrés, le coeur lourd. Et j'avais manqué tout cela.
Je ne me souvenais de pratiquement rien. Juste des bribes d'images qui revenaient sans crier gare. Mais cette guerre m'avait également été fatale. En effet, quand je me suis réveillé, mon monde s'était écroulé. On m'avait dit que tout irait bien, mais rien n'allait pour moi à cet instant. Je découvris que tout mon univers était à jamais bouleversé : cet orc m'avait bel et bien atteint. Sa hache était plantée sur mon front et on ne pouvait me la retirer de peur de provoquer ma mort. À cause de cette blessure, je ne parvenais plus à communiquer : je voulais dire des mots, mais ma bouche ne les prononçait plus. Je ne contrôlais plus rien de mes émotions, et la première fois que je me suis vu dans le miroir, je partis dans une colère noire. Quelle injustice ! Personne ne pouvait comprendre mon malaise à ce moment là. On avait beau m'expliquer que c'était un miracle que je sois en vie, mais peu m'importait ! Je n'étais plus moi-même. Je ne pouvais plus communiquer avec ce monde.
Quand je me suis rétabli, du moins assez pour me débrouiller seul, une profonde mélancolie envahissait mes pensées. Je n'avais plus goût à la vie et j'aurais préféré mourir à Azanulbizar. Tout me semblait fade et sans intérêt ; c'est pourquoi je m'enfermai de plus en plus dans une solitude et j'occupais mes jours à mon travail. Autant me rendre utile dans ce que je savais faire. À ce stade, je me disais que ma vie n'avait plus de sens. Mes cousins essayaient pourtant de me sortir de ma torpeur, mais rien n'y faisait : je ne voulais voir personne.
Je pense que je cherchais à me retrouver moi-même, apprivoiser ce nouveau corps qui était imprévisible. Ou alors je ne voulais pas blesser quelqu'un par mes réactions exagérées. Je tentai tout de même de trouver un moyen pour communiquer avec les autres nains. Je ne parvenais plus à faire de phrases complètes, alors si je ne pouvais plus parler par les mots, peut-être que les gestes aideraient. C'est pourquoi je me mis à lire des lives sur l'Iglishmek. Mais celui-ci venait de la Moria, qui est très éloignées d'où je suis. On me comprend mieux, mais sans me comprendre totalement. Cela dit, c'est toujours mieux que rien. Ma vie d'avant est finie.
Il me faut accepter mon sort et attendre la mort. Le seul lien avec la réalité était mon travail ; je sculptais et me perfectionnais. C'était également mon moyen d'expression le plus significatif. Mon cousin Bofur pouvait me comprendre, car lui-même partage le même métier. Cela me réconforte, mais je restais solitaire. J'aimerais retrouver ma vie d'avant, car je me sens seul en ce moment, seul avec moi-même. Mais cela est impossible, par Aüle !
Du moins, c'était les pensées que j'avais jusqu'à ce jour. J'ai enfin trouvé le moyen de revivre les émotions que j'avais pu éprouvées il y a de nombreuses années : la quête pour Erebor. Peu de nains veulent y participer, car beaucoup craignent la colère de Smaug. Mais je vois là une nouvelle façon de prouver mon courage et de revivre. Malgré mon âge de 176 ans et ma blessure, mon courage n'a jamais vieilli. Je n'ai pas hésité à m'enrôler dans la compagnie de Thorin, dès que j'avais entendu qu'un groupe se formait. Je reprends ma lance et mes dagues et je repars, le sourire aux lèvres.
Je pars pour me retrouver.
Bifur.