Les portes du laboratoire s'ouvrirent en grand, frappant les murs. Saruman traversa la pièce en direction d'un placard de bois sombre, vitré. Par les fenêtres, on pouvait voir le soleil pointer ses premiers rayons sur le monde. Au centre de la pièce trônait une large table de bois, aux pieds sculptés, entourés de petits meubles mobiles chargés d'outils divers. Le magicien jeta son manteau sur une chaise, et attrapa un tablier de cuir.
-Posez le là.
A sa suite, 3 valets passèrent la porte. Le premier portait un lourd coffre de bois, qu'il déposa dans un coin sous une bibliothèque. Les deux autres déplaçaient un brancard sur lequel gisait... quelque chose: ils le déposèrent sur la table, puis tous les trois se retirèrent. Saruman attacha ses cheveux par un cordon de cuir, enfila des gants, et agrippant un bac remplie de fiole, s'approcha du gisant.
"Gisant" était une hyperbole manifeste. Tout ce qu'il restait était des os, jaunies par le temps, incrustés par la boue. Un crâne, quelques vertèbres, des tibias, quelques morceaux de bras et de jambe. Une main. Tout n'avait pu être ramené à Orthanc, puisque tout n'avait pas été trouvé. Le magicien posa son bac en bois dont il tira un liquide bleuâtre et une une poudre rouge. Il mélangea le tout dans un ramequin, puis utilisant un pinceau, entreprit de recouvrir minutieusement chaque os.
S'ensuivit de longues heures d'études. Saruman prélevait, trempait, marquait, comparait les ossements. Il étudia autant les tibias que les mâchoires. En un temps relativement rapide, il avait identifié un corps humain. Notablement grand, l'individu était autre fois en grand forme physique: en analysant la boue incrustée dans certains os, Saruman parvint à établir que l'âge approximatif duquel datait ce cadavre.
Saruman posa les croquis d'anatomie humaine sur son bureau dans un coin de la pièce. Il jeta un regard au corps. Plus le temps passait, plus ses suppositions semblaient se valider. Il s'approcha de la table centrale, et s'empara délicatement d'une planche de bois clair. Dessus, il avait rassemblé tous les os de la main et avait reconstitué un semblant de membre. Cela ne constituait en vérité que la totalité de l'index, la partie inférieure du majeur, un bout d'annulaire et les os dans lesquels étaient supposément fixés les phalanges; Il versa une poudre dorée dans un bécher, auquel il mélangea un cristal verdâtre et ajouta trois gouttes d'eau. Remuant la pâte en formation, il souffla sur la mixture doucement : Son bâton, appuyé contre le mur à moins d'un mètre, sembla un court instant porter une pierre plus blanche. Puis, portant une loupe au dessus des ossements, il appliqua sa décoction sur l'index et le majeur. Il y eu un court moment de latence, puis une minuscule ombre se forma à la base de l'index. Saruman retint son souffle. L'ombre s'évanouit.
Le magicien bondit sur ses pieds, jusqu'au coffret rapporté en même temps que les ossements. Il l'ouvrit d'un geste rapide, et en tira les maigres possessions qu'il étala sur une bande de tissu pourpre. C'était différentes plaques de fer, plus ou moins effritées, plus ou moins grandes. Saruman approcha une pipette et divers réactifs, et se mit à travailler le métal.
Le cadavre avait été extrait de la rivière Anduin. Les agents de Saruman, dont le rapport trônait sur son bureau, l'avaient retrouvé lors de fouilles aux alentours du Camps aux Iris: ce n'était pas le premier cadavre humain qu'ils y retrouvaient, ni le premier qu'ils envoyaient à Orthanc. Le magicien avait été clair: il voulait que chaque corps retrouvé soit envoyé à sa tour, et traité par des solutions de sa composition pour être parfaitement préservés le long du voyage. Tout ce qui était retrouvé avec (objets/restes de vêtements) devaient être envoyé aussi. Les recherches avaient récemment battues de l'aile, et les corps à étudier s'étaient faits plus rares et moins intéressants. Jusqu'à aujourd'hui.
Saruman prit entre ses mains gantées une plaque métallique plus large que les autres. Sous l'effet de ses solutions, le métal retrouvait un aspect plus solide, moins effrité. Retournant la plaque, Saruman remarqua une marque sombre, quasiment effacée. Ses produits avaient sembler l'accentuer, bien que de manière infime. Le magicien fouilla le fond du coffret. Une fois sûr qu'il était bien vide, il en ouvrit le double fond. Il voulait être absolument sûr que si quelque chose d'important venait à être transmis des bords de l'Anduin jusqu'à Isengard, ce soit discrètement, dérobé à la vision d'autrui. Il avait lui même traité et sculpté le coffret pour dissimuler son contenu à autrui.
Le fond secret ne détenait habituellement rien. Cela faisait plusieurs rapports que l'Istar l'ouvrait de manière machinale, sans surprise. Mais cette fois, c'est avec des mouvements fébriles qu'il souleva l'ouverture de la cachette. Là, au fond du coffre de bois, tapissé de soie verte, reposait une chaînette dorée et une gemme d’un blanc scintillant.
Le magicien s'en empara d'un mouvement vif, repoussant le coffre. Un coup d’oeil rapide à un de ses grimoires confirma ses soupçons au sujet de la gemme. Il retourna la chaîne dans tous les sens, à la lumière du soleil, observant chaque détail de l'objet. Elle n'était pas oxydée le moins du monde, semblait même en plutôt bon état. Seul le fermoir semblait légèrement abîmé. Retirant un gant, le sorcier la serra entre ses doigts et ferma les yeux. Il lui sembla sentir un léger picotement, à fleur de peau. Avisant son bâton, il s'en approcha et déposa la chaînette sur la pierre blanche, tout en empoignant le manche. Le frémissement du bois fut net.
Saruman marqua un temps d'arrêt, regardant fixement la chaîne. Puis, en un clin d'oeil, il la déposa au fond du coffret, et ouvrit la porte de son laboratoire. Là, un corbeau semblait s'être à moitié assoupi sur meuble.
-Toi !
L'oiseau sursauta presque, sautillant en arrière. Saruman avait les yeux brillants, et un sourire carnassier tirait les commissures de ses lèvres.
-Préviens les. Qu'ils continuent à fouiller le Champs aux Iris, l'Anduin, et la Rivière aux Flambes si il le faut. Qu'ils travaillent plus. Va !
L'oiseau prit immédiatement son envol, alors que Saruman refermait la porte. Un large sourire écartait cette fois ses lèvres. Il se retourna vers le corps sur la table. Maintenant, il devait le détruire. Il ne pouvait le rendre à sa famille, ou on commencerait à poser des questions. Questions auxquelles il serait obligé de répondre: alors le secret de ses fouilles serait dissipé, et l'Ennemi pourrait en avoir vent. C'était une extrémité regrettable, à laquelle il était forcé d'aboutir pour pouvoir mener ses recherches à bien. Cependant, cette pensée écarta son sourire de quelques centimètres.
Etudier et détruire les restes du roi Isildur. Il fallait avouer que ça avait quelque chose d'assez extraordinaire.