Je sentis un poids s'envoler de mon cœur ; comme si j'avais porté une montagne sur mes épaules pendant toutes ces années. Pour la première fois en plus de cent ans, me tenir fièrement et droite ne me demandais plus d'effort. J'étais enfin libérée.
Jamais je n'aurais pu imaginer le sentiment de plénitude qui m'habitait maintenant que je m'étais proprement défaite des chaînes de celui qui était mon père. Dirgion n'était plus rien qu'un nain comme les autres qui allait souffrir de la justice de Mahal sous le regard glacial de celle qui serait un jour ma belle-sœur. Il avait voulu jouer avec le feu en se prenant pour notre illustre forgeron et il allait en perdre la barbe, au même titre que moi.
J'avais perdu la douceur et la délicatesse de mes paumes, la beauté de ma barbe mais j'avais gagné quelque chose de bien plus précieux à mes yeux et je me sentais tellement légère à cette idée qu'un coup de vent aurait pu m'emporter à travers les contrées éloignées de la Terre du Milieu. J'aurais pu rejoindre mon aimé en virevoltant sous la brise venant de la Beleager, telle une pétale de rose soulevé par le souffle de la mer.
Une infinie possibilité s'offrait soudainement à moi. Moi qui avait toujours rêvé de cette liberté. Moi qui avait passé ma vie emprisonnée. Mais maintenant que je disposais de ma vie à ma guise, sans aucun mur de jugement pour me retenir, je ne savais trop par quoi commencer. Comme lorsque l'on se retrouve devant une table pleine de victuailles lors d'un banquet après avoir fait la grève de la faim pendant une semaine pour pouvoir entrer dans sa plus jolie robe.
Aujourd'hui, une table pleine de victuailles s'offrait à moi et si en l'état, il m'était difficile d'en profiter pleinement en raison de mon état de santé, j'en profitais déjà par la pensée. Toute ma vie, j'avais vécue dans mon imagination plutôt que dans la réalité. Mes rêves comme seuls échappatoires, je m'étais créée tout un monde devenu aujourd'hui réalité.
J'aurais voulu partager ce fait avec l'être aimé, je pouvais cependant m'estimer heureuse d'être si bien entourée. J'avais Loìn, j'avais Raeryan, j'avais Dìs, tant de personnes qui comptent pour moi et pour qui je compte. Ma vie avait tellement changé en si peu de temps que je ne m'y étais pas encore tout à fait habitué mais aujourd'hui, elle m'appartenais totalement, tout comme ce sentiment de
liberté.