Du thé, des biscuits, et des inventions ! [Belladone]

Ethelbert Tunnelly avait toujours était un hobbit actif, plus qu’actif, voire même trop actif selon les dires. Les journées ne comptaient pas assez d’heures pour le satisfaire, à défaut des repas qui eux, même s’il aimait tout de même la bonne chère, prenaient un temps considérable, quand bien même il ne s’agissait dans son cas que de les déguster. Quant au plage de sommeil qu’il s’accordait, elles en restaient tout de même plutôt maigre. Ces décoctions énergisantes avait tôt fait de lui donner un coup de fouet nécessaire quand ses 5 heures journalières se voyaient amputé sans grande considération. Ainsi avait-il la chance de bénéficier d’un corps grand, maigre et solide, dans l’horloge interne se contentait de peu pour tourner à plein régime la majorité du temps.

Et pourtant, malgré ce rythme effréné, son emploi du temps loin de désemplir à force d’y entasser toutes sortes de tâches diverses et que faisait surement grossir ses économies, commençait sérieusement à devenir invivable. S’il osait ouvrir la bouche en présence de sa mère la seule chose qu’on pouvait en retirer en therme de conseils avisés était un énième : cesse donc de te mêler des affaires des autres. Il s’agissait de son fond de commerce, et oui, Berty appréciait fatalement de fourrer son nez dans les petits papiers à droite et à gauche. Sans doute n’en serait-il pas là aujourd’hui sans cet investissement personnel exacerbé. Les registres ne se remplissaient pas seul, pas plus que ses recueils de connaissances, pas plus que les inventions pratiques qui attendaient d’être livrées, pas plus que cette enquête sur les pipes disparues. Cette dernière occupait son esprit avec plus de hargne qu’un animal sauvage affamé en quête d’un diner pour sa progéniture.

Pour résumer, son visage commençait à être un peu trop connu pour parvenir à avoir une paix que l’inventeur (entre autres choses) ne cherchait même pas. Certes, il appréciait cette effervescence constante, cette sollicitude grandissante de ses pairs, signe évident que ce petit bout de terre allait vers des progrès édifiants. Mais, en fin de compte, il voyait bien mal comment honorer toutes ses promesses et ses commandes… Une chose inimaginable quelques années auparavant. Acquérir un statu et une reconnaissance dans la Comté s’accompagnait de quelques désavantages qui se répercutaient principalement sur son agenda. Comment décevoir les autres sans se décevoir lui-même, Berty n’y avait pas encore trouvé de solution.

C’était au prise avec ses questionnements qu’il entra en ce début d’après midi chez sa bonne amie, la veuve Boffine. Camomille était toujours de bons conseils, sans doute parce qu’avec les années des rides joueurs avaient tracé de délicats sillons autour de ces saphirs charmeurs. La veuve ne changeait qu’en détails, et son smial était toujours aussi accueillant, bien qu’un peu plus encombré par ses achats compulsifs de décorations surchargés. Il fallait bien que son argent passe quelque part, en dehors de ses protégés. Il frappa, plus pour la forme qu’autre chose, puisque que cela faisait longtemps que les clés trainent dans l’une de ses poches au cas où. Personne n’était jamais assez prudent avec les voisins trop curieux, et d’autant plus que ses fiançailles à rallonge avec Bertille n’étaient plus un secret pour personne sur des kilomètres à la ronde.

Avez-vous déjà remarqué combien le temps semble long jusqu’à l’irritabilité lorsqu’on attend devant une porte close ? Berthy lui, oui, de tout son être, et bien qu’aucune thèse travaillée n’eu encore vue le jour ailleurs de dans les tréfonds de son cerveau quelques notes trainaient pourtant dans le 6ème recueil consacré à ses divagations, et sobrement intitulé « vagabondage de l’illumination ». Même pour un ramassis hétéroclite de gribouillages informes à peine lisibles, un titre digne de ce nom valait la peine d’exister. Certes Ethelbert aimait profondément les titres… Et il se plaisait à en inventer pour s’endormir, ce qui ne l’aidait pas vraiment à trouver le sommeil cela dit. Bref, il attendait, débattant avec lui même du therme approprié : dilatation ? contraction ? Dilatocontraction ? Est-ce que cela avait seulement un sens au fond ? Il ne dériva guère plus loin car la porte s’ouvrit enfin sur… « Camomille ! » Il s’arrêta, dubitatif l’espace d’une micro seconde, avant de tendre l’oreille au discourt dans un haussement de sourcil amusé. « Vous avez rajeuni, ma chère. » déclara-t-il finalement en acquiesçant cependant à l’affirmation de la hobbite.

Il entra sans faire d’autres manières, inspectant les lieux bien qu’il en connu pratiquement jusqu’au moindre recoin. Beaucoup d’améliorations avaient été apportées par ses soins au fil des années. Ah, l’idiot, il avait oublié de se présenter. C’est qu’avec les monceaux de détails qui encombraient son esprit il lui arrivait un peu trop fréquemment d’oublier les usages les plus rudimentaires. Ainsi effectua-t-il un demi tour abrupt pour poser son regard sur la brunette. Un regard qui déviât presque aussitôt par dessus son épaule gauche dans une exclamation alarmiste. « Diantre, nous avons un problème. » Contournant son hôte inconnue dans une contorsion étrange, sa main glissa dans l’une de ses poches pour y farfouiller avec empressement. « On ne laisse jamais une table branlante. Un service à thé de valeur pourrait s’y rompre le coup par mégarde. » Voila, il avait trouvé ce qu’il cherchait, sortant brusquement de sa poche un petit morceau de bois taillé, polie, parfaitement plane et rectangulaire. Il s’agenouilla pour le glisser sous le pied problématique délicatement. C’était que des bouts de bois de la sorte Berthy en avait toujours en réserve au cas où, et ce manège était récurant où qu’il se rendit. Une bonne chose de faite, l’inventeur se redressa, satisfait, remettant ses cheveux en place sans grand succès avant de poursuivre. «  Ethelbert Tunnelly, inventeur, enquêteur et bien d’autres choses encore. Si vous vous appelez vraiment Camomille aussi, il se peut que je me permette de vous renommer pour des questions pratiques. » Dans son langage personnel cela s’apparentait à un : et vous mademoiselle, qui êtes-vous ?

Peut-être cela pouvait-il paraitre gênant mais Berthy ne se privait jamais d’observer attentivement ses congénères pour en tirer des conclusions. Sa mère l’avait bien repris à de nombreuses reprises avec peu d’efficacité puisqu’à l’instant même ses iris clairs étaient entièrement concentrés sur l’ouvreuse de porte. Avant même de demander, ou tout en le faisant, l’inventeur aimait à exercer son oeil à décrypter les apparences et les expressions, quitte à avoir l’air un peu malpolie, avouons-le. Quand on était enquêteur ce n’était rien de plus qu’une gymnastique salvatrice pour ne pas perdre la main. La demoiselle avait un vague air de famille, quelques traits qui rappelait sa bienfaitrice. En outre, elle avait ouvert la porte, ce n’était donc pas une simple étrangère, ou une invitée de marque. Sans doute était-ce une parente car les visiteurs récurant de cette maison était loin d’être des étrangers pour lui. Oui, c’était là sa conclusion, et il avait toujours hâte d’en avoir confirmation.

Ils étaient trop nombreux à encenser cette jeunesse éphémère. Mais une dame, quelque fut son âge avait ses charmes, et Berthy qui n’était point de ceux à se focaliser uniquement sur une apparence qu’il savait changeante, savait contempler cela avec un peu trop de bienveillance. Il avait connu Camomille alors qu’elle était déjà loin des adolescentes en fleur, et il n’avait pas pour autant trouvé que cela la désavantageait. Bien au contraire, la veuve Boffine était d’une telle élégance et avait un tel esprit que ses ridules n’en devenaient que plus enthousiastes en comparaison d’une peau de pêche encore verte, dure et acide sous la dent. Heurk ! Cette expérience avait fait d’elle un professeur et une compagne de matinée qui peu ici pouvait égaler. Quant à Bertille, c’était tout autre chose, de celle qu’il ne voulait même pas s’expliquer… Enfin, si, un peu quand même. « Les années font de bonnes oeuvres. C’est une bénédiction, je le lui répète sans cesse. »

Bien sur, peu de gens remarquaient les détails, et c’était ainsi que bien des accidents arrivaient, plus que fâcheusement. Il ne pouvait pas se dédoubler pour parer à cela hélas. Ce n’était pas faute d’essayer d’instruire ses amis, et sa famille. Violette avait toute une collection de ces morceaux de bois mais jamais elle n’avait pris la peine de s’en servir. Quel gâchis. « Vous devriez être plus attentive. On se rend vite compte de l’utilité de ne pas marcher les yeux fermés. » Et, dans un élan de sympathie envers la demoiselle Berthy sorti de la même poche une farandole de ses cales tables (entre autres) pour les fourrer sans gène dans la main de la parente, avant de s’engouffrer dans le salon. « Vous êtes parée à toutes les éventualités maintenant. » clama-t-il en prenant place dans l’un des fauteuils.

Quoi, était-ce donc si surprenant comme titre ? Mais ces grands yeux retrouvèrent finalement une taille normale, pour finir agrémenté d’un sourire. Ah ça, si elle était coincée la veuve Boffine ne devait pas vraiment la recevoir tous les jours. Ouf, ça ne semblait pas être le cas. Une Belladone Sanglebuc, il appréciait la précision en tant que généalogiste également. Une nièce finalement, donc il était parfaitement dans le vrai. Voilà qu’arrivait à grand pas une estocade fatale plus qu’inattendue. /i]« Vous m’en voyez extrêmement ravi Belladone ! »[/i] Nul ne pouvait douter de la véracité de cette exclamation plus que béate qui franchit ses lèvres avec familiarité dans un à-coup qui fit tressauter jusqu’à son corps.  « Camomille ! » Il se dressa en gesticulant. « Vous m’avez caché ça ! » Sa voix en résonnât un instant sur les coussins brodés. « Alors, dites moi donc ? Avez-vous seulement encore le temps de prendre le thé quand trop de projets attendent encore dehors ? »

C’est alors que la veuve entra avec son plateau, ses tasses, et ses petits biscuits maison qui flairaient bon le miel et les fruits rouges. « Si tu savais combien de choses encore je te cache… » rit-elle, espiègle, avant de pousser d’un pied le fatras entassé sur la table basse pour y déposer son chargement. On reconnaissait une dame de qualité à cette façon décomplexée de se débarrasser des éléments gênant sans se démonter. « Je vois que tu as déjà fait connaissance avec ma nièce. Le reste de la famille est tellement cul serrée parfois, que je me demande encore comment ils ont pu enfanter une telle perle. » Elle souffla, repoussa les boucles qui empiétaient sur ses joues et se posa sur le sofa dans un rire. « Pas d’offense, je t’assure ma petite. Bella, viens t’assoir à coté de moi. Tu sais que je suis une vieille joueuse, ne m’en tiens pas rigueur. » Des histoires de famille sans doute, car la veuve était loin de faire le consensus dans le voisinage comme plusieurs bosquets plus loin. Pour Berthy elle était plus que sage avec une indécrottable âme d’enfant néanmoins.

Il devait venir d’une bonne famille car chez les Tunnelly on devenait vieux, et on restait apte à profiter des joies de la vie jusqu’à la tombe. Ou alors, était-ce simplement la bonne nature de certains caractères qui les poussaient à prendre le bon quelque soi l’âge, sans trop s’inquiéter d’une vue qui baissait et d’une ribambelle de cheveux blancs colonisant une tête ? Si le corps ne suffisait plus à assurer les tâches quotidiennes il suffisait de trouver une solution à cela, et poursuivre son chemin en mangeant et riant. Berthy était toujours pressé de toute façon, même par des choses à priori peu réjouissantes, et seules ses épousailles continuaient perpétuellement d’être remises au lendemain.

Inventeur, voilà un terme qu’on croisait peu et qui attisait autant de curiosité que d’incompréhension. Pour la plupart des gens ce concept même semblait étrange, comme si tout était très bien ainsi, et que rien au monde ne pouvait surpasser une bonne récolte et une bonne pinte de bière. C’était très bien comme ça, certes, mais c’était loin d’être suffisant. Du moins, pour Berthy et pour ceux qui avaient enfin compris que ce n’était pas qu’un passe temps. C’était qu’il fallait être pédagogue quand on vous répondez : mais ce n’est pas un vrai métier, inven-je-sais-pas-quoi ! Si si, c’était même plus qu’assurer sa subsistance, c’était une vocation, une passion. Il aurait fallut bien trop d’encre pour convaincre les plus réfractaires que l’inventeur se contentait d’ignorer la remarque et de poursuivre son discourt.

« La liste serait trop longue, il nous faudrait bien 100 litres de thé et plus que mon garde mangé ne contient pour arriver à bout de ces affaires. » s’empressa de répondre la veuve dans un petit rire. Ce qui assez vrai en fin de compte. « Tu as bien raison… Je ne saurais même pas par quel bout commencer. Profitez du temps libre qu’il vous reste Belladone. Je ne compte pas mes heures et mes cernes. J’aimerais me consacrer à une seule chose mais voila que je m’éparpille encore et toujours. Il n’y a définitivement pas que le mobilier qui a besoin d’être transformé, c’est toute une société. Et on peut dire qu’il ne se laisse pas toujours faire. »

Sa méthode oscillait entre l’éducation et le harcèlement le plus effréné pour parvenir à ses fins. Ainsi avait-il réussi à entrer dans les petits papiers bien en désordre du conseil. Etre un hobbit public, et s’investir dans la communauté était une bataille de chaque instant pour ne pas laisser tomber ces petits couacs qui faisaient rouiller la machine. Alors, forcément, les inventions attendaient, hélas.

« Avez-vous un atelier où je pourrais voir vos créations ? Je viendrais vous rendre visite dès demain, sans faute. » Et tout en s’invitant pratiquement, parce que oui, Berthy n’était pas encombré par une grande politesse quand son intérêt était piqué, il prit l’initiative de servir le thé. « Je crois, de ce que j’en ai vu, que les gens manquent d’ambition dans leurs commandes. C’est à nous de prendre les devants pour proposer d’avantage, je suppose. Avez-vous ce problème là ? » Il tendit une tasse à la veuve, puis la seconde à Belladone. « Je crois que je devrais écrire un guide pratique à l’attention de la relève. Ou prendre un apprenti… » C’était une merveilleuse idée que celle-ci. Cette pratique était plus que répandue, former la jeunesse tout en récoltant la force de travail, non négligeable dans son cas, de bras supplémentaires.