Quand l'appel de la paix est trop fort

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Quand l'appel de la paix est trop fort

Δ Niphredil

Cela ressemblait à un alambic. C'était une gigantesque poire de cuivre, ouverte seulement par une petite trappe ovale, reliée à une paroi de bois par un long tuyau métallique. Sur ce mur, 6 cadrans agitaient leurs trois aiguilles, sautant chacun d'un symbole occulte à l'autre avec le bruit distinctif et étouffés d'un quelconque mécanisme. La machine tremblait très discrètement, chauffée par un petit feu directement sous l'appareil.
Il y eut un sifflement léger, et les aiguilles s'immobilisèrent.

Pour n'importe qui, cela n'aurait fait strictement aucun sens. Certes, la machine avait pointé une multitudes de symboles, mais tous semblaient plus incompréhensibles les uns que les autres: un babouin roulé en boule, un soleil, un dragon, une pomme, trois étoile en V, quelque chose qui ressemblait vaguement à un chiffre mais n'appartenait à aucune table arithmétique connue... Mis ensemble, ce ne semblait être qu'une suite de petits dessins à l'encre noir sans sens aucun.
Saruman fit deux pas en avant, sa longue robe ivoire bruissant comme un murmure au milieu des bruit discrets de son atelier. Ses yeux noirs et sans fonds parcoururent les cadrans à la même vitesses qu'ils parcouraient les mots d'une phrase et les lignes d'un livre. Visiblement, le déchiffrage de l'appareil ne lui posait aucun soucis. Le vieillard fit volte-face, et ouvrit la porte.

Quelque pas plus loin, Ind, la tête cachée sur l'aile, debout sur un meuble dans le couloir, sursauta en entendant le verrou tiré d'un grand coup. Il releva le bec, l'air légèrement paniqué.

-Trouve moi des livres sur l'orfèvrerie du temps de Maglor et Maedhros, autour de sa dynastie. Trouve moi tout ce que tu as là-dessus.

L'oiseau prit son envol dans la seconde. Il planait, virevoltait dans les longs couloirs couleur d'orage d'Orthanc. L'animal ébène croassa un ordre à deux valets, et les mena à la bibliothèque.
Ils passèrent tous trois la porte, à la recherche des ouvrages demandés par le maître de maison. L'un des deux valets, et le plus jeune, s'approcha de Niphredil. Passant à côté d'elle, il avait remarqué le livre qu'elle tenait entre les mains. Il aurait tout aussi bien pu passer outre et "oublier" ce livre, mais il savait que Saruman connaissait chacun de ses livres par coeur et qu'il aurait remarqué aussitôt qu'il en manquait un.
Du moins il le redoutait.

En vérité il savait pas le moins du monde si le magicien blanc s'en rendrait compte, mais il se figura que cette simple possibilité représentait un risque, qu'il n'était pas du tout à courir. Quitte à se battre pour, il apporterait au Seigneur de l'Isen tous les livres traitant possiblement des bijoux de l'époque de Maglor le Chanteur. Dusse un dragon en tenir un entre ses griffes. Aussi prit-il l'initiative de s'approcher de la rouquine, brandissant un sourire voulu affable sur ses lèvres fines.

-Excusez-moi, Mademoiselle... ? Le maître a réclamé des livres. Et vous tenez un de ceux qu'il voudrait. Je vais devoir le prendre. Je suis désolé.

Codage par Libella sur Graphiorum

Je lève les yeux en entendant la porte s’ouvrir. Tiens… Des serviteurs suivant un corbeau… Je me replonge dans ma lecture sans rien dire. Ils font ce qu’ils veulent, cela ne me concerne pas. Je retiens un léger bâillement et continue à lire en silence écoutant à peine les manœuvres des serviteurs jusqu’à ce qu’un se plante devant moi et n’ouvre sa grande bouche. Le menton dans la main je lève les yeux vers lui et le détaille longuement sans bouger ou avoir fait mine de refermer le livre. Le maître… Ah… Je secoue doucement la tête avant de noter dans ma tête la page pour la retrouver plus tard. Je referme avec soin le livre avant de le poser dans les mains du serviteur sans avoir parlé une seule fois. Je soupire à nouveau longuement en les regardant sans reprendre un livre, cela risque de prendre du temps… Autant partir et revenir.

Je sors sans le moindre bruit de la bibliothèque pour déambuler sans me faire remarquer dans les couloirs. J’avance au gré de mes pas en observant autour de moi… En tout cas ce lieu est sinistre, vraiment… Quoi qu’on en dise, je n’aimerais pas vivre ici ! C’est noir, froid, sombre… Comment peut-il aimer vivre ici ? Dehors c’est bien mieux. Mais même le parc à ses limites que j’ai déjà explorés avec un livre sous le bras. Mes pas me mènent à une grande salle ronde avec au centre un autel gravé d’une grande étoile. Intriguée, je m’approche et tire le drap d’argent qui couvre quelque chose de sphérique. Je fronce les sourcils en voyant une grande pierre en cristal aux reflets sombres. J’entends comme un étrange murmure venant de la pierre qui m’appelle… Est-ce que je veux connaître mon destin ? Et celui de la Terre du Milieu ? Un destin sûr ? Que je pourrais confirmer si je le vois. J’entends un croassement d’avertissement.

Mes doigts se posent sur la surface lisse et glacée de la pierre. J’ai l’impression qu’une ombre brûlante glisse depuis la pierre dans mes doigts, mes bras pour venir dans mon crâne. Je sens mon corps basculer au sol, tenant la pierre entre ses doigts, je vois l’ombre me parler et faire défiler tout devant mes yeux, gravant des mots dans mon esprit « Tu m’appartiendras ». J’ignore ce qu’il se passe autour de moi ensuite, mon esprit se recroqueville sur lui-même en essayant de survivre à l’ombre. Il n’y a eut aucun bruit qui a franchit mes lèvres.

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Δ Niphredil

Le livre glissa entre ses doigts et s'écrasa au sol, rapidement suivit par une pluie d'autre ouvrages reliés de cuir. Saruman écarquilla les yeux, et leva la tête vers le plafond, comme si ses prunelles pouvaient percer les arcades et les voûtes de pierre. En deux pas, il récupérais son bâton délaissé contre un mur. En trois, il avait quitté la salle.

La silhouette couleur ivoire traversait les couloirs à une vitesse remarquable. Son bâton claquait sur le sol de pierre, son bruit nullement amorti par les tapis décoratifs. Saruman ne courait pas - il ne courait jamais. Il marchait vite. Très vite. Le bruit de son bâton résonnait sous la voûte, frappant encore et toujours.
Ses traits étaient visiblement soucieux, son regard sévère, ses sourcils froncés. Il grimpa quatre à quatre les marches, spectre immaculé filant à l'assaut des hauteurs. Un corbeau le rattrapa à mi-chemin, croassant de panique. Le Magicien Blanc le congédia d'un geste. Il savait. Il l'avait senti.

La porte de la pièce fut violemment repoussée contre le mur et y resta plaquée. Le vieil homme s'immobilisa après avoir fait quelque pas dans la salle.
Haute de plafond, elle ne contenait pas grand mobilier. Un large fauteuil, et un autel gravé. En y regardant à deux fois, on pouvait voir que les murs étaient zébrés de profondes traces, qui parfois formaient des symboles, parfois ressemblaient à des marques griffues. La pierre y était vieille, meurtrie par endroit. Mais tout cela, l'Istar connaissait: ce qui attira son regard, ce fut la silhouette prostrée de Niphredil, devant l'autel. Près de sa tête était tombé un large morceau d'étoffe argenté, et dans sa main elle tenait un petit globe d'un noir d'encre qui semblait boire la lumière. Saruman fit quelques pas dans sa direction, puis s'immobilisa.

Il se sentait observé. L'air était statique, chaud, presque étouffant. Le silence de la pièce était de plomb. Et quelque chose n'allait pas avec les ombres. Du coin de l'oeil, il lui semblait toujours voir... il ne savait pas trop ce qu'il croyait voir, mais il sentait une présence fureter aux limites de ses sens.
Le vieillard sera les dents. Au diable cette présence. Il se précipita au chevet de Niphredil, et chercha son pouls. A peine ses doigts eurent-ils touché sa peau qu'il retira sa main, comme si il s'était brûlé. L'enfant dégageait une aura archaïque. Ancienne, mauvaise, tordue. Une puissance qui laissait un goût de fer-blanc sur la langue du magicien. Elle en était saturée.

Le vieil homme serra le poing autour du bois noir de son bâton. La pierre blanchâtre se mit à luire, d'abord lentement puis de plus en plus fort. Il étendit sa paume quelques centimètres au-dessus de l'elfe.
Il ne la laisserait pas partir. Il ne le laisserait pas la prendre.

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L’être ondulait autour de l’esprit de Niphredil, l’ombre n’avait pas envie de lâcher sa proie. L’esprit de l’enfant était trop précieux pour l’ombre. Il la voulait pour lui, se servir d’elle, réussir à la garder pour lui, empêcher les autres de se servir de ce pouvoir qu’il désirait pour lui. L’ombre se dressait, ondulait, dardait ses sombres attaques pour repousser Saruman et garder Niphredil entre ses serres noires. Le magicien put entre une voix grave, ancienne, parlant une langue sombre et mauvaise.

« Elle est à moi… Recule magicien ! Tu ne peux pas la sauver ! Tu as refusé de la sauver ! Il est normal qu’elle reste avec moi. »

L’ombre, malgré sa faiblesse, refusait de lâcher le moindre pouce de terrain et attaquait sur les deux flancs à la fois, dès qu’il aurait définitivement Niphredil entre ses doigts, il partirait. Mais une ombre est une ombre, elle n’a pas la puissance de son maître. Cependant, ses griffes maltraitèrent l’esprit de l’enfant qui tentait tant bien que mal de dresser ses défenses. Trop fragiles pour lui résister vraiment. L’ombre disparu et la pierre roula des doigts de l’enfant. Pour aller frapper doucement le mur en face comme doté de sa propre vie. L’esprit de Niphredil refusait de reprendre contact avec le corps. Il avait trop peur de retrouver l’ombre malgré la présence de Saruman. Et les blessures que l’ombre lui avaient donné étaient effroyables et semblait doucement le ronger. On aurait presque pu entendre comme un rire maléfique. L’ombre aurait cet esprit pour son maître.

Niphredil, ou son esprit bien que cela soit la même chose, était incapable de retrouver le chemin du retour, de comprendre ce qu’elle devait faire, ce qu’il lui était arrivé, ou même de raconter ce qu’il lui était arrivé. Elle ne savait même pas comment revenir à son corps. L’ombre avait laissé des marques profondes, peut-être même physiques.

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Quand l'appel de la paix est trop fort

Δ Niphredil

Tout allait vite, et tout était flou. Les lumières, qui dansaient d’une bougie à l’autre, d’une pièce à l’autre, d’une fenêtre à la suivante. Les silhouettes des deux valets, qui avaient couru autant que leurs jambes leur permettaient. Les murs se succédaient, le sol défilait et les portes s’enchaînaient sans que ça ne semble faire d’ordre. Saruman ne se guidait pas par ses sens, mais par quelque chose de beaucoup plus vague. Un peu de mémoire, d’instinct, et beaucoup d’absence.
Lui-même se sentait flou. Il allait vite, perdu dans ses pensées, courant presque -presque. Saruman ne courait jamais. Il n’était pas vraiment là. Il n’était pas non plus tout à fait ailleurs. Il ne savait pas trop où il était. Mais ça n’était pas ce qui le préoccupait le plus.

Il poussa les doubles portes de son laboratoire avec assez de force pour les désaxer de leurs gongs. Quelques rayons de soleil tardif en fendait l’obscurité en deux longues lames dorées. Il désigna d’un signe de tête la table centrale, posant son bâton contre un mur. Les deux valets, entrés à sa suite, déposèrent délicatement leur charge sur le plan de travail en bois. Saruman ne semblait pas s’en préoccuper (à vrai dire, il évitait un peu trop la table centrale du regard pour que ça soit parfaitement naturel). Niphredil y gisait, les yeux mi-clos, quasiment inerte.

-Sortez.

Les deux valets s’exécutèrent dans la seconde, et fermèrent la porte derrière eux avec déférence. Ce fut qu’une fois dehors, au bout du couloir, loin de Saruman, qu’ils commencèrent à se poser des questions sur le fait qu’ils venait de transporter une enfant aux portes de la mort sur 3 étages ou peu s’en faut.

L’Istar s’approcha de l’enfant. Ses manches étaient remontées et son bâton, dans un coin de la pièce, projetait d’étranges ombres sur les murs de pierres. Elles semblaient constamment s’étendre un peu plus, comme celles que projettent les barreaux d’une cage dans laquelle on a enfermé un feu.
Il planta ses yeux noirs dans ceux de Niphredil. Elle lui rappelait quelqu'un. Quelqu'un dont il ne voulait absolument pas se rappeler. Quelqu'un qu'il ne perdrait pas deux fois. Il battit deux fois des cils et se mit à parler. Sa voix était profonde, grave, chaleureuse. Rarement l’avait-on vu parler ainsi, à qui que ce soit. De ses lèvres parcheminées s’échappèrent des mots, tissés en phrases, tissées en vers, tissées en strophe, tissées en chant. La langue était ancienne, archaïque : oubliée des oreilles de tous, elle n’avait jamais été renié par leurs coeurs.

Les ombres s’étendirent un peu plus. La magie de Saruman s’étendait dans la pièce, gonflant comme la fumée d’une flamme que l’on garde prisonnière d’un petit espace. L’air semblait serpenter sous la voûte de pierre, se repliant sur lui-même en une myriade de très fines brises glacées. Les mots emplissaient la salle, autant qu’ils emplissaient l’esprit de Niphredil.

***

Tout était flou et tout allait vite. Saruman lui-même se sentait flou. Il lâcha Niphredil, et légèrement chancelant se laissa tomber dans un fauteuil. Sa magie était faites de science, de rouage et d’artifice : il n’avait plus vraiment l’habitude de puiser dans les anciennes sorcelleries du Temps d’Avant le Soleil. Ses mains tremblaient légèrement, et il mourrait d’envie d’aller dormir. Son bâton reposait contre le mur, inerte, presque décoloré. Sa robe et ses cheveux semblaient moins blancs, sa barbe moins noire.
Pendant de longues minutes, il avait bataillé avec l’esprit de Niphredil. La guérison n’avait jamais été son fort : il avait fallu convaincre son corps et son esprit de se rejoindre, d’accepter de se réunir à nouveau. Même maintenant il n’était pas certains du résultat. Il ferma les yeux et poussa un long soupir.

Le magicien blanc resta ainsi pendant quelques instants, mains jointes au-dessus de ses jambes, yeux clos, à deux doigts de se laisser prendre par le sommeil. Puis il ouvrit les yeux, et se redressa. Il se releva et s’approcha d’un établi rempli de bocaux. Des plis de sa robe, il tira une fiole de verre scellée d’un bouchon de liège, et la porte à ses yeux. De l’autre côté de la paroi, on pouvait distinctement voire une sorte de volute d’un noir d’encre, tournant sur elle-même à un rythme excessivement ralenti. Il n’y eut pas de variation à la surface de la forme obscure, mais Saruman sut qu’elle le regardait. Avec crainte. Son visage était redevenu froid, et ses yeux brûlaient d’une pure étincelle de haine cette fois-ci.

-Aussi puissant que soit ton maître, il n’y a rien qu’il puisse faire pour toi maintenant. J’espère que tu es du genre bavard.

La chose avait réussi à s’introduire chez lui. Saruman ne plaisantait pas avec sa propre sécurité. Il était épuisé, et ne pouvait pas faire grand-chose à sa nouvelle prisonnière. Ce qu’elle semblait très bien savoir.
Pour l’instant, du moins. Ce qu’elle semblait tout autant savoir.

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Sujet: Re: Quand l'appel de la paix est trop fort Lun 21 Jan 2019 - 7:10

L’enfant battit des paupières. Dehors, le soleil de midi brillait. Niphredil venait juste de retrouver conscience. Rien qu’un peu. Mais, toujours allongée sur la table elle ne bougea pas d’un iota. Le monde autour d’elle était obscur, ondulant et la peur s’était enfoncée loin en elle, sous ses yeux dansaient des images d’une autre époque qu’elle n’aurait jamais dû voir. Une petite voix susurra doucement à son oreille et elle tourna la tête, son regard vrillant la fiole où dormait le fragment d’ombre qui lui parla de la paix, du repos… de la vérité. Incapable de résister elle bascula au sol, trop faible pour se mettre debout pour tenter de ramper vers la fiole.

« Viens… Arrête de lutter. Accepte et viens me libérer, je partirais avec toi. Personne ici ne te comprend… Viens, rejoints moi…»

Le monde ondula avec violence et elle bascula à nouveau dans l’inconscience.

***

Quand elle rouvrit les yeux, cette fois-ci elle ne percevait plus qu’une pointe de lumière et la voix demeurait dans sa tête. Combien de fois depuis son premier réveil avait-elle essayé de rejoindre la fiole. La gouvernante qui veillait sur elle l’avait rattrapé à chaque fois, il faut dire que ce n’était pas difficile. Mais elle n’arrivait à rien tirer de Niphredil qui ne faisait plus rien, ne disait plus rien, ne regardait plus rien et ne semblait plus ni voir ni entendre. Les seuls sons qui sortaient de sa bouche étaient des hurlements stridents de terreurs lorsqu’elle s’endormait pour se retrouver piéger dans les visions que l’ombre avait gravé devant ses yeux. Mime parlait à quelqu’un, Niphredil « fixait » le mur, aujourd’hui, elle ne voyait que cette pointe de lumière. Et elle entendait plus un bourdonnement que des phrases ou des mots. Elle ne tourna même pas la tête quand on lui prit la main ou qu’on prononça doucement son nom. La seule chose était la fiole et la voix dans sa tête. Rien d’autre.

Quand l'appel de la paix est trop fort

Δ Niphredil

-Et vous me dîtes ça parce que... ?

Mim s'agita inconfortablement sur sa chaise. La lumière du jour filtrait à travers les hauts vitraux du bureau de Saruman, glissant en balafres lumineuses jusqu'à l'âtre éteint. La pièce était parfaitement silencieuse, si ce n'était de temps en temps une bourrasque plus violente résonnant dans le conduite de cheminée. L'Istar était assis de l'autre côté du massif meuble de chêne couvert de parchemin, fixant sur elle un regard inquisiteur. Ses mains étaient croisées sur une page à demi-remplie, et sa plume était posée juste à portée de main. Son bâton noir était appuyé contre le mur, dans un coin, et il ne portait pas sa toge blanche, sinon la tunique qu'il mettait d'ordinaire en-dessous. De toute évidence, il avait été dérangé. Son air légèrement agacé en témoignait à peu près autant que l'encre à peine sèche sur le papier devant lui.
La gouvernante prit une courte inspiration.

- Elle ne parle plus, ne mange plus, n'agit plus. Je ne sais pas quoi faire. Dès que je la laisse sans surveillance, elle essaye d'attraper ça.

Elle tira d'une des nombreuses poches de sa robe une petite fiole, à l'intérieur de laquelle tourbillonnait lentement un nuage couleur encre. Saruman ne réagit pas: à vrai dire, il ne posa même pas les yeux sur la fiole. Son regard continuait de vriller le crâne de Mim, et tiqua à peine.

- C'était dans votre laboratoire. Elle semble la vouloir. Je ne sais pas pourquoi. Il faudrait qu'elle voit un guérisseur.

Le Magicien Blanc observa un moment de silence, comme si il attendait quelque chose. Devant le silence de la domestique, il haussa un sourcil.

- Venez en fait: que voulez-vous que j'y fasse ?

Le ton de Saruman était légèrement plus froid, plus tranchant. Sa voix sous-entendait clairement qu'on lui faisait perdre son temps, et qu'on ferait mieux de retourner au chevet de l'enfant plutôt que de l'importuner avec des choses stupides de ce genre. Mim se mordit la langue, puis décida de sauter dans le plat. Elle n'avait jamais été très douée dans l'art de sous-entendre des choses.

-Sauvez là. Parlez-lui. Faîtes de la magie, je ne sais pas. Vous l'avez bien aidé lorsqu'elle s'est évanouie.

Saruman plissa légèrement les yeux, et un muscle de sa mâchoire se contracta. Il se pencha un peu en avant et parla d'une voix sourde.

-Donc vous êtes montée jusqu'ici pour me demander de faire ce pour quoi vous êtes payée ?

Mim ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sorti. Elle regarda le magicien, puis ferma la bouche. Elle détourna les yeux, la rouvrit, sans plus de succès. Saruman haussa un sourcil. La gouvernante s'agita à nouveau sur son siège, puis se leva et disparu dans une volée d'excuses. Le magicien blanc regarda fixement le battant, après qu'elle soit partie, puis son regard glissa lentement jusqu'à la fiole qu'elle avait laissé sur son bureau.

Il brûlait d'envie de la détruire, elle et son contenu, et de réexpédier Niphredil à Imladris manu militari. Cette enfant n'avait été que des problèmes, une avalanche de problèmes sans fin, dont il ne pouvait clairement pas la tirer. Elle risquait perpétuellement sa vie, dans sa proximité, et ça n'était pas un scénario acceptable. Le jour où sa mésaventure lui sera fatale sera le jour où le blâme tombera sur les épaules de l'Istar. Elrond semblait s'être conséquemment attaché à l'enfant, et cela entacherait trop rapidement la réputation du magicien.

C'était précisément l'attachement d'Elrond qui poussait Saruman à ne rien lui demander, ou même à envoyer l'enfant dans les mains d'un guérisseur infiniment plus expert que lui-même. Le Magicien Blanc n'était qu'une figure de réputation, d'influence, d'alliance et de pouvoir: risquer de perdre la confiance d'Elrond, et de le voir fourrer son nez dans les affaires plus sombres de l'Istar, était un pari bien trop dangereux.

Si le vieil homme avait été honnête 5 minutes avec lui-même, il aurait convenu qu'il était la cause constante des soucis de Niphredil; mais l'honnêteté n'avait, et ne serait jamais son élément.
Saruman n'avait pas la moindre idée de ce qu'il convenait de faire dans la situation présente. Il s'était emmuré dans un travail futile, depuis peu, évitant de s'approcher de la chambre de Niphredil et ne s'approchant pas le moins du monde de la fiole qui désormais était posée sur son bureau. Il n'avait qu'une envie: effacer les jours précédents, tout recommencer à zéro.

Le vieil homme observa la fiole, et le nuage noir d'encre, en se laissant aller dans son fauteuil. Il se redressa brusquement, à l'instant où son dos touchait le dossier. Il pouvait faire ça. Il pouvait remonter le temps. Sans le moindre soucis. L'istar se leva, attrapa son bâton, et sorti du bureau. Il pouvait retirer les souvenirs de l'elfe. Ceux de sa rencontre avec l'ombre, même ceux impliquant qu'il était à l'origine du traumatisme qui l'avait, il y a quelque temps, plongé dans un semi-coma.
Il ne pourrait pas tout effacer, bien sûr, sans quoi Elrond s'en rendrait compte. Mais il pouvait tout à fait effacer les preuves de sa culpabilité.
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L’enfant ne bouge pas d’un cil malgré les supplications de Mim qui essaie tant bien que mal de la faire manger. Rien. Elle n’a pas parlé de la journée, elle a hurlé quand elle rêvait… La petite âme de Niphredil s’est cachée… Recroquevillée dans un petit coin de sa tête, le plus loin possible de tout. La Peur s’est glissée en elle et elle ne savait pas comment la repousser ou la vaincre. C’était ainsi. Toujours ces mots qui se gravaient dans son esprit. Les volutes noires… La voix la poussait à retourner voir la salle… Que quelqu’un l’attendait là-bas… Niphredil, cachée au fond d’elle-même, pleurait pour qu’Elrond revienne et l’aide. Mim ne savait plus quoi faire devant le regard vide de Niphredil et son manque de réaction. Elle ne voulait pas frapper l’enfant. Ce n’était d’ailleurs pas que l’enfant devenait aveugle, c’est juste que son esprit n’arrivait plus à se défaire des visions qu’on lui avait gravé sur l’œil.

Un tout petit souffle de voix franchis le barrage de ses lèvres… Guère rassurant… Quand on connaissait la petite. Mim avait même mit ses objets pour graver le bois dans ses mains, mais rien, même pas une petite contraction… Et les mains de la petite étaient glaciales. Mim put entendre dans un souffle que quelqu’un semblait appeler la petite… Elle caressa le front de l’enfant et finit de la border avec soin avant de lui raconter une histoire et de s’installer pour la veiller. La petite fixa le plafond sans bouger, elle semblait à peine encore respirer. Mim se redressa en entendant le bruit de pas de Saruman et lui ouvrit la porte…

Niphredil ne bougea même pas en sentant sa puissance. Elle restait à regarder en silence la dévastation du monde qu’on lui avait montré et dans ses oreilles résonnait un bien sombre appel.

Quand l'appel de la paix est trop fort

Δ Niphredil

Mim se leva précipitamment lorsqu’il poussa la porte. Saruman entra sans un bruit dans la pièce, le regard posé vers l’enfant allongée sur le lit. Perdue au milieu de ses couvertures, son visage était pâle et ses traits fiévreux. Ses yeux mi-clos fixaient le plafond d’obsidienne, et dans ces deux prunelles se reflétait une lueur indistincte et vacillante. Elle ressemblait à une poupée de cire, perdue dans des visions d’horreur et de chaos, quelque part très loin derrière ses paupières. Même ses cheveux, dans la lumière de la chambre, semblaient moins flamboyant qu’à l’ordinaire. Ils semblaient vaguement brun, ternes, avec quelques reflets cuivrés.
Saruman eu un signe de tête en direction de Mim, qui s’inclina légèrement avant de sortir. Lorsque le battant de bois résonna à nouveau, Saruman se mit en mouvement. Il s’assit sur le tabouret laissé libre par la gouvernante. Ses robes blanches semblaient étrangement luminescente: elles ne semblaient pas émettre de la lumière, mais leur pâleur ressortait au milieu du décors sombre, propre au sommeil, de la chambre.

-Niphredil.

La voix de Saruman résonna doucement dans la pièce. Elle était calme, dénuée de toute animosité. Douce, peut-être un peu. Le vieil homme se tenait droit, comme appuyé contre un dossier imaginaire, et avait posé son bâton en travers de ses genoux. Ses mains étaient jointes au milieu de la hampe de bois ; ses yeux noirs, fixés sur le visage de la rouquine ; son visage, grave et immobile. Dans un coin de la pièce, un feu craquait discrètement de temps à autres, illuminant le profil du magicien blanc d’une lueur tremblotante.

-Dis moi. De quoi te souviens-tu ?

Il avait toujours trouvé simple de forcer les gens à parler ou à faire quelque chose. L’impératif était un domaine dans lequel il excellait, et l’intimidation une arme dont il était largement passé maître. Pour autant, ça n’était pas son approche, ici. Son ton était délicat : son habituelle froideur n'avait rien des pics de glace acérés qu'elle évoquait d'ordinaire. Il évoquait des collines et des vallées recouvertes de neige immaculée, vierge de tous pas, lorsque la couleur uniforme du ciel et de la terre faisait de l'horizon une limite floue et arbitraire. La voix de Saruman était une main tendue, une porte ouverte sur un monde sans jugement ni problème, une île de raison au milieu de la mer chaotique qu’était l’esprit de Niphredil. Il ne cherchait pas à améliorer son état, à la sortir de sa torpeur - pas de suite, du moins. Il souhaitait communiquer avec elle.

Saruman ne cherchait pas à lui évoquer des images, à instiller des sentiments en elle ou à la commander. Il cherchait à balayer le monde qui les entouraient – le feu qui craquait, les murs de pierre, le lit de bois, la fenêtre de verre, la douleur, la peur, la haine. Il cherchait à la faire accéder à un monde de verbes, de phrases, de métaphores et de grammaire. Il ne voulait pas la faire sentir : il voulait la faire réfléchir, la faire parler. Le vieil homme se pencha en avant.

-Dis moi ce qui t’arrive. Dis moi pourquoi cela t’arrive.

Sa voix était calme. Sa voix était neutre. Sa voix était froide. Sa voix était hypnotique. Sur ses genoux, le bâton de bois émit un bref scintillement.

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Le corps de l’enfant respirait doucement, sa tête se tourna vers Saruman lorsqu’elle reconnue sa voix, mais ses yeux ne reflétaient pas d’intérêt. Elle le voyait, elle le reconnaissait, mais elle ne bougeait pas plus que cela. Elle le fixait presque sans respirer, un simple petit souffle pour la maintenir en vie. Un minuscule souffle d’air. Ses yeux attrapèrent presque involontairement les yeux de Saruman et ne les lâcha pas. Elle le regardait, mais de là à dire qu’elle le voyait c’était un peu difficile à l’affirmer. Elle le regardait et respirait, cela semblait déjà beaucoup pour elle. Elle n’était même pas sûre de savoir où elle était. La voix de Saruman se faufila doucement dans l’esprit de la jeune fille.

Se souvenir… Se souvenir de quoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pour qui ? Elle respirait un peu plus profondément et son esprit se mit en marche. Se souvenir, pourquoi elle était là ? Pourquoi ? Elle laissait ses souvenirs revenir alors qu’enfin ses lèvres émirent un petit mouvement, autrement que pour respirer. Une esquisse de parole… Un mot… Un « Je »… Elle ferma les yeux un instant. Et les rouvrit. Une toute petite étincelle, toute petite. L’esprit de Niphredil acceptait l’aide de Saruman, il chassait sans le vouloir un peu les ténèbres et la peur. Elle respira profondément et à nouveau ses lèvres bougèrent pour parler.

« De tout… De presque tout… Les visions viennent depuis longtemps. Depuis que je suis enfant… Les visions de mort, de destruction. Les cavaliers noirs… Saruman et le changement…C’est froid… C’est effrayant… Je n’ai rien dit à mes parents… Mais je me souviens, ça reste dans ma tête… Pourquoi est-ce que je dois subir ça… Il n’y a pas que ça… »

Le souffle de la petite s’arrêta un instant avant de reprendre sa respiration. Elle soutenait toujours le regard de Saruman. Mais son ton était absent, elle racontait sans être là. C’était étrange, comme-ci c’était une étrangère qui racontait l’histoire d’une autre. Elle n'avait pas finit de parler, elle prenait juste le temps de rassembler ses souvenirs et elle raconta la vision des neufs et de Saruman

Quand l'appel de la paix est trop fort

Δ Niphredil

Saruman resta parfaitement immobile pendant le récit de Niphredil. Il ressemblait à une statut de glace: blanc, éthéré, comme figé. C'est à peine si il semblait respirer. Et pourtant, ses yeux - ses yeux couleurs onyx - étaient rivés sur l'enfant par toute l'attention d'une monde. Une faible lumière se reflétait dans les orbites sombres du magicien, et c'était suffisant pour garantir à n'importe qui que Saruman était attentif.
Il écoutait. Il écoutait l'enfant parler. Sa voix, faible au départ, s'était faite plus forte. Le fil de sa pensée s'était fait plus clair, le choix des mots plus précis, plus vaste. Elle parlait, parlait sans s'arrêter, racontant en détail des visions fugaces; plus les mots sortaient de sa bouche, plus les images emplissaient l'esprit du vieil homme. Et pourtant, il ne réagit pas. Il semblait complètement de marbre à ce qu'elle lui racontait, intouché mais concerné. Toutes les informations qu'il pouvait glaner, il les conservait. Les informations sur les neufs. Les prétendues informations sur lui-même. Il conservait tout, quelque part dans la vaste bibliothèque qu'abritait son crâne, en vue d'un usage futur.

Il attendit patiemment qu'elle eut fini. Le feu craqua discrètement, seul ponctuation au silence qui suivit le récit de l'enfant. Puis Saruman prit la parole.

-Visualise ce que tu viens de me raconter.

La voix était toujours froide, calme, neutre. Il n'y avait ni ordre ni gentillesse dans les mots du vieil homme: seulement un conseil. Un simple conseil, qui ne semblait pas si déraisonnable, un guide vers un horizon encore obscur qui pourtant semblait appeler.

-Entends le galop de les chevaux. Sens le vent sur ta peau, la terre qui tremble sous tes pieds.

Un guide, un simple guide. Une porte ouverte sur une vallée encore sombre, dérobée à la lumière du soleil. Qui peut bien blâmer une porte, ou une direction ? La voix de Saruman était d'une neutralité absolue. Elle n'était qu'une aide - une aide qui étonnamment semblait bien sage.

-Replonge dans tes nuits, dans la pierre noire au sommet de la tour. Embrasse chaque peur, chaque terreur, chaque monstre que tu as rencontré. Revois leurs causes. Retrouve ta haine, ta colère, ton ressentiment, ta tristesse, ton abandon.

La porte n'ouvrait pas que sur une vallée d'ombre. Dans l'obscurité se terraient des créatures ignobles, innombrables, des sentiments que personne ne veut approcher, toucher, ou même embrasser. C'était un gouffre, un gigantesque abyme d'horreurs et de cauchemars, tourbillonnants en tendant leurs mains vers le peu de ciel boursoufflé et noirâtre qui les dominait. Personne ne voudrait plonger au milieu de ses peurs cachées, de ses terreurs nocturnes. Personne ne veut serrer la main au monstre qui vit sous son lit.
Et pourtant, la voix de Saruman poussait Niphredil dans cette direction. Elle lui montrait ces sentiments, sa tristesse, ses horreurs et ses blessures, et lui demandait de les rejoindre. Aucune personne personne saine d'esprit ne l'aurait fait - aucune n'aurait pu le faire. Mais la voix semblait si calme, si sage... elle savait ce qu'elle faisait. Elle ne pouvait pas se tromper. Il n'y avait aucune froideur, aucune tristesse dans ses mots. Pas la moindre once de sentiment. Et c'est précisément pour ça qu'elle inspirait confiance: elle avait réfléchi, avait pesé et mesuré ce choix. Et elle l'avait fait tout de même.

- Ressens tout. N'écarte rien. Accepte tes souvenirs atroces, tes blessures ouvertes, tes visions de cauchemars. Ouvre leur grand les bras. Laisse les t'envahir. Prends les tous.

C'était peut-être trop. C'était sûrement beaucoup. Et pourtant la voix continuait, tranquillement. La pièce était devenu terriblement silencieuse, soudainement. Le feu ne faisait plus aucun bruit. Le vent, au-dehors, semblait être tombé. Même les bruits de respirations ou de battement de coeur n'étaient plus audibles. Rien que le silence. Le silence et la voix.

- La question étant, peux-tu les laisser s'en aller ? Laisse tes souvenirs s'évaporer. Efface tes blessures. Gomme tes cauchemars. Nettoie tes plaies. Laisse les s'effacer.

Le silence était toujours présent, tenace. La voix se tut, finalement. Après tout, elle n'était qu'un guide, qu'une porte ouverte sur un champ de possible. Et qui peut bien attendre d'une porte qu'elle fasse quoi que ce soit d'autre que de s'ouvrir ?

Codage par Libella sur Graphiorum

Je parlais, je racontais tout ce que je voyais, tout ce que je savais sans savoir les visions. Tout ce que j’avais vu de mes yeux. Ce que je pouvais voir… Tout. Je racontais sans m’arrêter avec des mots précis. Je décrivais les situations que j’avais vécues. Et la pire des visions : la vision des neufs. Chaque mot, chaque détail. Je racontais sans en être consciente. Lorsque la voix de Saruman se glissa autour de moi, je continuais de raconter en voyant à nouveau les visions devant mes yeux. Voir sans ressentir. Mais rien que là les battements de mon cœur s’accéléraient. Je continuais de décrire et la voix de Saruman me prit la main et me poussa dans la vision. Je sentais le froid mordre ma peau, je pouvais presque sentir l’odeur âcre des chevaux. Je repris mon souffle en fronçant les sourcils.

La vision changea comme ce que je disais. Ce fut les visions que j’avais vu avec le palantir. Je les racontais à nouveau à l’extérieur. J’avais peur d’y aller. La voix de Saruman m’y mena et je sentis une larme couler sur ma joue. Je ne comprenais, je me plongeais dans une mer de créatures cherchant à m’atteindre, à déchirer ma peau. J’avais peur et à nouveau je reculais. Mais la voix me poussa. Je m’agrippais à la voix et j’expliquais sans en avoir conscience, la voix étranglée par la terreur, ce que je voyais. Je voulais reculer, quitter l’endroit, retourner loin, mais encore une fois la voix me poussa. Je ne voulais plus subir, je ne voulais pas revoir ça. Je tentais de résister, mais la voix me poussait malgré tout dans leurs griffes.

Mon souffle se bloqua dans ma poitrine quand il me convainquit de tout accepter. Ma voix redevient un petit souffle saccadé qui implorait que tout s’arrête parce que j’avais peur. Mon corps convulsa et je me sentis devenir toute petite devant les monstres et les visions qui venaient. Je n’en voulais pas… Je n’en pouvais plus de souffrir. Peux-tu ? Je le voulais… Je ne savais pas si j’y arriverais… Je ne savais pas. Je sentis mon souffle se perdre à nouveau et j’obéis à nouveau à la voix comme je le pouvais. Certaines créatures avaient leurs griffes bien trop enfoncées dans ma peau pour que je réussisse à les faire partir. La vision des Neuf resterait enfoncé et gravé dans mon esprit pour des années… Lentement, beaucoup de visions disparurent, mais je n’osais plus m’avancer.

Quand l'appel de la paix est trop fort

Δ Niphredil

-Ne t'arrêtes pas.

La voix était plus distante. Elle ne voulait plus trop s'approcher de ce que Niph avait commencé, de peur par un geste mal placé de faire s'effondrer la fragile confiance qui lui permettait pour l'instant de se battre. Elle était lointaine, mais pressante. Ni impérieuse, ni véritablement encourageante. Simple un calme rappel.
Un simple rappel, qui sonnait comme une garantie. Une garantie qu'elle était sur le bon chemin. Qu'elle pouvait y arriver, qu'il n'y avait pas de véritable obstacle sur sa route.
Saruman ignorait, en partie, ce qu'il était en train de faire. Il fonctionnait à l'instinct - sentait les résistances et les progrès, sans jamais véritablement parvenir à définir ce qu'ils étaient. Mais il se savait sur la bonne voie - il les savaient tous les deux sur la bonne voix. Dans le fond, il se moquait conséquemment du fait que Niphredil parvienne à oublier toutes ses visions et tout ses cauchemars. Il voulait qu'elle oublie celles qui lui était reliées.

- Continue. Souffle, repose toi, mais ne t'arrête pas.

Les mots de Saruman était une brise. Un souffle de vent discret qui la poussait toujours plus en avant, en direction de sa fosse aux monstres, de la grotte de ses démons, de la créature sous son lit.

- Rassemble les. Rappelle toi un visage - son visage. Sa voix. Sa fourrure. Rappelle toi. Rappelle le.

Le vieil homme avançait sur un fil dangereux. Il savait qu'il la poussait dans une direction où tout se jouerait à un jeu de hasard aux chances équivalentes. Il savait pertinemment quelle clef de voûte ils devaient retirer pour faire s'effondrer le traumatisme de l'elfe. Pour innocenter l'Istar. Et il savait tout aussi pertinemment que cette clef de voûte était par trop semblable à la main qui cherchait à la retirer, et qu'un jeu mal assuré garantirait la ruine de leur entreprise.
Mais Saruman était légèrement acculé. Ses options étaient plus que limitées, et ce jeu dangereux ne présentait pas que des avantages: si l'enfant rejetait la voix du magicien autant qu'elle rejetait la peur viscérale qu'il lui inspirait, alors il y avait fort à parier qu'elle en serait mentalement affectée pour le reste de sa vie, brisée en deux au-delà des capacités de l'Istar. Auquel cas, il n'aurait qu'à jeter son corps dans une fosse et prétendre qu'elle avait été dévorée par des loups de Fangorn, pour s'éviter que Elrond ne lui tombe sur le dos.

- Rappelle toi du Tigre. Et laisse le s'évaporer aussi.

Codage par Libella sur Graphiorum

J’obéissais à la voix sans savoir si c’était bien ce que je faisais. J’obéissais à ce qu’il me demandait. Qu’est-ce que je pouvais faire d’autres ? Je sentais les monstres disparaître lentement, certains s’agrippant à moi, refusant de lâcher prise. Certaines plaies laissaient des cicatrices quoi que je fasse. J’obéissais à la voix sans savoir si j’avais le droit de faire ça. Si j’y arriverais… Je pleurais en faisant ce que me disait la voix. Pourquoi ? Il fallait que je tienne. Le tigre ? La voix. La fourrure… Mon corps eu un soubresaut de peur. J’invoquais aussi à moi le paysage d’avant. La vallée décimée.

Le Félin apparu. Le Tigre. Le Félin… La même chose. Je l’observais avec crainte. Il m’apparaissait énorme… Intouchable. Je ne pouvais pas le détruire comme les autres. La voix me pressait de le faire. Je la saisis comme une aide et tirais toute la force que je pouvais tirer d’elle. J’avais l’impression que celui qui parlait avait une force incroyable. Je reculais quand le félin s’approcha. Je repris la force de la voix et inspirais profondément. J’obligeais le Félin à reculer lentement. Encore et encore malgré ses attaques et sa taille colossale. J’inspirais à nouveau profondément avant de tirer à nouveau la force de la voix pour le faire partir. Il disparu lentement et je me retrouvais vidée de toute énergie après « l’affrontement ». Je reculais un peu et sentis à nouveau la vision des neufs revenir et le froid caresser ma peau. Je reculais à nouveau au bord de la vision. Celle-là… Sans le vouloir je m’y accrochais, sans même le savoir, je ne voulais pas la lâcher parce qu’elle était importante pour le seigneur Elrond… Comme un lien avec lui. Je restais immobile à la regarder sans savoir quoi faire d’autre.

Quand l'appel de la paix est trop fort

Δ Niphredil

Il y eut un craquement sec. Particulièrement sonore et brutal (ce qui après tout n'était peut-être qu'une conséquence de l'absence quasi complète de bruit jusque là). Saruman cligna des yeux, et se redressa de quelques centimètres. Dans la cheminée, le feu s'était remis à grignoter tranquillement les buches. Dans le conduit comme derrière la fenêtre, l'Istar pouvait clairement entendre les bourrasques du vent extérieur, qui tourbillonnaient dans le lointain. Il inspira.

- Ça ira, Niphredil.

La tension ambiante se relâcha d'un cran. La voix disparu, redevint lointaine, très lointaine. Elle n'aiderait plus. Il n'y avait plus besoin. Saruman se fit une curieuse réflexion, en observant le visage de l'elfe. Il ne se souvenait pas avoir déjà utilisé son prénom. Pas en s'adressant directement à elle. Ou peut-être l'avait-il fait. À vrai dire, il ne savait plus trop et ne comptait pas y accorder trop d'importance.
Le vieil homme se leva, s'appuyant sur son bâton pour marcher. Il se sentait fatigué. Il se sentait lourd. Il se sentait épuisé. Il avait besoin de boire quelque chose - et idéalement, quelque chose de plus fort que de l'eau.

- Dors. Ne t'embarrasse pas de rêves pour cette nuit. Laisse toi porter. Nous reparlerons demain.

L'Istar disparu dans les couloirs, rejoignant pas à pas ses appartements. Dans le couloir, il demanda à ce qu'on aille chercher Mim, qu'elle trouve quelque pour veiller l'enfant. Il poussa la porte de son bureau avec lenteur, posa son bâton contre un mur et se laissa tomber dans son fauteuil. Ses yeux sombres se perdirent dans les flammes qui craquaient dans la propre cheminée, et pendant quelques instants il se laissa captiver par la danse hypnotique du feu.
Il ne savait pas trop pourquoi il s'était donné jusque là tant de mal avec la gamine. Pour préserver sa réputation auprès d'Elrond, certes. Là encore, il avait agit exclusivement dans ses propres intérêts - il était certain qu'il n'avait pas radié tous les traumatismes de l'enfant, et il s'en fichait complètement. La seule chose qui lui importait était d'en avoir effacé tout ce qui le liait à ces traumatismes, chose dont il ne pourrait être sûr que le lendemain au mieux.
Mais il aurait aussi bien pu assassiner l'enfant, et faire croire à un accident. Son esprit aurait été inatteignable, et il aurait été tranquille. C'était sa façon de faire habituelle. Pourquoi, alors ?

Parce que Elrond et l'enfant partageaient une forte connexion. Ils étaient proches, tous les deux, et la perte de Niphredil aurait gravement affecté le Seigneur d'Imladris. Il serait probablement parvenu à percer le jeu de Saruman, ou à déceler sa responsabilité d'une façon ou d'une autre. Après tout, la clairvoyance de l'elfe était connue - et sur une intuition, il aurait probablement eu le soutient de Galadriel, qui l'aurait très probablement confondu.
Oui, il valait mieux ne rien tenter avec Niphredil, de peur de voir l'entière du Conseil Blanc lui tomber dessus. Évidemment. C'était la seule raison expliquant le fait qu'il ne l'ait pas encore jeté du haut d'Orthanc. La seule valable. La seule.

Saruman s'accorda un rictus intérieur, dans un bref éclat d'auto-critique si rare chez lui. Il avait toujours été très doué pour se trouver des excuses et se cacher ses véritables motifs.

Codage par Libella sur Graphiorum

Je repris une profonde respiration et laissais tomber tous mes efforts. La voix me poussa à sombrer à nouveau dans le sommeil. Mais un sommeil des plus agréables, des plus calmes. Comme lorsque c’était le seigneur Elrond qui m’endormait en chantant ou en me serrant contre lui. Cela faisait combien de temps je n’avais pas dormis autant ? Je ne savais pas du tout. Mais en tout cas je me reposais enfin dans des rêves tout doux, tout mignons. Je battis des paupières et me redressais doucement avant de regarder le soleil. Il était plus de midi. Mim applaudit et me serra brusquement contre elle à m’en étouffer. J’avais très très faim.

Mais visiblement elle avait décidé de me décrasser et je me laissais porter, j’étais trop faible pour marcher pour l’instant. Elle me savonna à fonds et je ris en la laissant faire. Je restais totalement perplexe face à tout ce qu’elle me disait, j’étais un peu perplexe… j’avais l’impression d’avoir oublié quelque chose… Mais je n’en savais rien. Je la laissais aussi coiffer ma tignasse et la tresser soigneusement avant de pouvoir enfin dévorer un solide petit déjeuner. J’avais faim ! J’engloutis mon repas avant qu’elle ne m’installe à la fenêtre. Je profitais de la vue du parc pendant un moment Mim visiblement avait décidé de refaire toute la chambre et de la nettoyer. Moi je restais sagement à ma place à profiter du soleil. Je fronçais légèrement les sourcils avant de demander si le seigneur Saruman ne voulait pas me voir. Elle sembla gênée, hocha la tête et partit rapidement. Je restais sagement à ma place en observant le parc. J’avais l’impression d’avoir dormis pendant des journées entières… Je ne me souvenais pas de ce qu’il s’était passé ici… peut-être pourrait-il m’éclairer, ou m’expliquer la situation ? J’en savais rien.

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