Une pêche infructueuse

Ce n'était certes pas la panacée, mais il pouvait s'estimer heureux. Il ne s'achèterait probablement pas un manoir dans Minas Thirit ou un fier galion pour écumer les mers avec les pirates de Dumbar, mais les pièces qui s'entrechoquaient au fond de sa bourse lui permettraient certainement de se payer un repas copieux pour le soir, quelques carottes pour Vent-Vif, et des provisions pour une petite semaine. Un léger sourire lui vint à l'idée de manger autre chose que du lièvre sauvage et des baies, sourire qui lui passa très vite alors qu'il avançait sur le chemin.  Le patelin qui se découpait au bord de la route ressemblait  tous les autres patelins, et il le méprisait déjà par essence. Une sale ramassis de pleutres mesquins et querelleurs, incapable d'humanité comme de camaraderie. De beaucoup trop de ces villages il avait fait l'expérience, et il ne se trompait plus sur la fiabilité de ceux-ci. Il rentrerait, achèterait ce qu'il pourrait, et ressortirait aussitôt; peut-être y avait-il dans ce lieu une auberge où les pochtrons locaux pouvaient assouvir leur soif, mais il ne préférait pas troubler la tranquillité du lieu. Une rixe attirerait l'attention, surtout si un soifard se faisait tailler dans le lard.

Le village était trait pour trait l'image que s'en faisait Eard. Vide, crasseux et inamical. Certes, il se retrouvait probablement plus couvert de poussière que chacune des maisons et des gens ici-bas, mais l'atmosphère elle-même respirait la rouerie et la petitesse. Au milieu du village, une petite place sur laquelle se trouvaient trois pauvres étals ambulants, à demi fournis de marchandise. La journée n'était pas prêt de s'achever, et pourtant les camelots discutaient entre eux comme s'ils avaient perdu tout espoir d'une vente. Voyant arriver le jeune Dunlending, ils arrêtèrent leur commérages un instant, juste pour les reprendre de plus bel dans un murmure plus vif et secret.
D'un bond, Eard descendit de selle. Il n'avait aucune intention de s'attarder ici, et ne comptait pas avoir d'ennui. Lançant un regard froid aux marchands, il posa une main sur la garde de son épée pendant que l'autre amenait avec lui la longe de Ventf-Vif. Il serait clair sur le point, il comptait acheter leurs marchandises, et quelques menaces de bastonnade ou de garde ne le feraient pas déguerpir. Et aux regards légèrement apeurés des marchands, ils semblaient avoir compris. Les laissant à leurs piailleries, il jeta un coup d'oeil aux tourtes. Au moins, les produits avaient-ils l'air frais et les plats appétissants. De même, l'étal du boucher était suffisamment remplis en salaison pour qu'il ait de quoi tenir la route une fois cette étape franchit. Calculant mentalement, il dressa une petite liste de tout ce qu'il voulait.

L'affaire fut vite réglée. Aucun n'essaya de s'adonner à une quelconque discussion, et même le marchandage habituel se retrouva éludé, les badauds n'ayant apparemment pas une réelle envie de créer une rixe, du moins pas sans quelques amis et quelques verres de rouge dans le nez. Il fourgua les provisions dans des baluchons, calant ceux qu'ils pouvaient dans les fontes et accrochant tant bien que mal les autres. Et ainsi délesté de son argent mais un peu plus fort en denrée, il reprit son chemin.
Enfin, de chemin... au-delà du village, celui-ci disparaissait, laissant place aux étendus sauvages des plaines et de quelques forêts. Sous le soleil d'après-midi finissant, il engagea sa monture dans ces territoires, espérant trouver un bon endroit pour camper, si possible à une bonne distance du village. Repérant, au loin, le cours d'une rivière serpentant au fond d'une valais encaissée, il y dirigea Vent-Vif. Il lui fallait remplir sa gourde, et pour dire vrai un bain ne lui ferait pas de mal. Autant joindre l'utile à l'agréable et profiter des offres de la nature.
Les quelques miles ne furent pas bien long, et bientôt cavalier et monture se retrouvèrent côte à côte sur un coude de la rivière, l'un profitant de son temps libre pour se nourrir d'herbe et d'une carotte, l'autre allumant un feu suffisamment haut pour y faire réchauffer son repas du soir. La lumière du soir déclinait déjà, et le doux crépitement des flammes réchauffait autant le corps que l'esprit. Une fois les pierres posées et les branches allumées, le jeune homme s'assit tranquillement, glissant une main dans un sac pour en extraire une tourte au poulet.

Quand il entendit un plouf. D'un bon, il se leva, tirant son épée. le bruit été sonore, trop lourd pour avoir simplement été le fait d'une pierre roulante ou du saut d'un poisson. Les alentours lui étaient cachés par la végétation, mais au son, il ne devait pas être très loin. Peut-être se trouvait-il, traqueur idiot qu'il était, à proximité d'un guet ? Non, le son ne sonnait comme ça, et le silence qui le suivait été du plus suspect. D'un pas preste, Eard se mit à longer la rivière, la remontant en direction de la source de ce mystérieux plouf. Source qui fut vite découverte. A quelques encablures de là, il finit par apercevoir dans l'eau claire un corps qui flottait dans la rivière. Immobile, la personne était morte. Ou assommé, et se dirigeait vers la première hypothèse. Et pour être franc, cela aurait quelque chose de réellement déplaisant.
Jetant son épée à terre, Eard sauta dans la rivière. Le courant n'en était pas des plus vif, et il était suffisamment grand pour ne pas avoir à nager, marchant précieusement sur le lit caillouteux du cours d'eau. Fendant à travers les eaux vives, effrayant les poissons, il se retrouva vite à proximité du corps. L'attrapant à bras le corps, le soulevant autant que possible pour sortir la tête de l'eau, il le ramena sur la berge, l'y posant sans réelle délicatesse pour mieux y remonter lui aussi. Retournant le corps pour le mettre sur le côté, Eard posa par réflexe la main sur le cou de cet inattendu visiteur. Même s'il ne s'y connaissait guère en médecine au-delà des plantes et des coutures, il en savait assez pour reconnaitre un vivant d'un défunt... et de toute évidence, il avait sorti des eaux une personne bien vivante. Peut-être fatiguée, probablement assommée, mais en tout cas bien vivante.

Le jeune Dunlending ramassa son nouveau paquet, le soulevant dans ses bras. Les eaux et les noyades ne lui étaient pas chose familières, mais la chaleur d'un feu ne gênerait probablement pas le rescapé... La rescapée, pour être précis. Etendue dans ses bras, il put pendant le temps qui le menait à son camp contempler le visage de la jeune dame. Une vingtaine d'année, vingt-cinq tout au plus, de long cheveux auburn, et sous une couche de bleu et de crasse à peine entamée par l'eau de la rivière, une visage qu'il devinait charmant, et voir même bien plus que cela. Il s'empourpra très courtement à l'idée de tenir de manière aussi peu chevaleresque une jeune damoiselle, mais il retrouva vite son visage terne. La demoiselle en question étant assommée, il n'aurait pas loisir de paroles ou de fleurette avec elle. Même si elle était réveillée d'ailleurs...
La posant près du feu, faisant attention à qu'aucun de ses habits ne se trouve trop près des flammes, Eard revint s'asseoir sur son séant, et repris l'inspection de la tourte qu'il avait laissé tomber. Celle-ci serait probablement suffisante pour deux personnes, et au pire... eh bien, il avait quelques réserves à partager. Restait à voir si son invitée surprise se réveillait, ou s'il allait devoir cherchait lui-même un remède plus adapté au quelconque mal qui la rongeait. Attisant les flammes d'un coups de bâton, Eard se dit qu'il pouvait bien attendre un petit moment. Après tout, il n'allait nul part.

Il avait pu, aussi bien que possible, réchauffer la tourte qu'il destinait à leur repas du soir. Le fumet commençait doucement à en envahir le campement, faisant frétiller les narines du jeune homme et se réjouir son estomac vide. Quels que soient les défauts des gens qui les avaient préparé, le manque de compétence culinaire n'était probablement l'un d'entre eux, même si sa faim actuelle pouvait le faire surestimer la qualité de son repas. Et apparement il n'était pas le seul sur qui faisait effet ce fumet, car la jeune personne qu'il venait de repêcher semblait s'agiter quelque peu.

Tournant son attention vers elle, le jeune Dunlending finit même par croiser son regard, un regard surpris et épuisé, mais qui ne semblait ni agressif ni méchant. Il allait dire un mot, lorsqu'il vit la personne se mettre à bouger. Une roulade sur le côté, un départ de course, une chute. Eard ferma docilement la bouche, ravalant son commentaire en assistant passivement à cette scène aussi triste que pathétique. Elle cherchait à le fuir. Elle avait tenté de s'enfuir. D'un côté, la surprise n'était peut-être pas si nécessaire. Il avait tellement travaillé son image de guerrier, tellement frappé du sceau de l'intimidation ses moindres gestes que la réaction se trouvait logique. Mais pour lui qui, sortant de son chemin, s'était essayé à la bonne action, cela piquait quand même quelque part à l'intérieur. Ravalant sa fierté, baissant la tête, il allait même s'essayer à quelques mots de réconfort quand les pleurs commencèrent à retentir.

Ce n'étaient pas les hurlements de l'ennemi blessé où du couard demandant grâce, ceux-là il les connaissait beaucoup trop bien, et avait appris à s'en détacher. Ce n'étaient pas non plus les pleurs de l'enfant triste d'avoir perdu le jeu, comme il pouvait s'en souvenir dans un creux de sa mémoire. C'étaient les larmes déchirant et pourtant si faibles de l'abandon, de l'agonie, de la reddition. Des larmes qu'il avait provoqué, par son simple regard, par sa simple présence, et qui ne s'arrêteraient probablement pas tant que son immonde présence restait auprès de cette jeune dame. Envahi d'une honte qui n'avait aucune raison logique ni justification, Eard baissa les yeux, contemplant sa tourte qui ne lui semblait pour le coup plus si appétissante que ça. Soufflant d'un air las, le jeune homme se leva. Faisant quelques pas, il s'approcha lentement de l'endroit où l'apprentie fuyarde avait fait sa chute. Essayant autant que possible de ne pas rentrer dans son champs de vision, il posa à côté d'elle la tourte chaude qui lui retournait maintenant l'estomac. Évitant de la toucher, essayant de ne pas entendre ses pleurs, il retourna s'asseoir à côté du feu

Fouillant dans les selles de vent-vif, il sortit de quoi manger lui aussi, évitant de reprendre une autre tourte. Son regard planté vers le sol, se demandant quand les pleurs s'arrêteraient, il prit sur lui, se renfermant un peu plus près du feu, se demandant s'il n'aurait pas plutôt dû héler quelque chevalier de légende pour sortir des eaux la demoiselle en train de se noyer. Peut-être que la faiblesse passagère due à la noyade finirait par s'envoler, et qu'elle réussirait finalement sa fuite éperdue , lui laissant se reposer dans la solitude humaine de son campement.

Le pain, même si moins complet qu'une tourte, suffisait parfaitement à rassasier son ventre affamé. Jetant un regard furtif vers la demoiselle, il se rendit compte qu'elle avait finit par arrêter de pleurer. Et de même, la tourte avait fini par disparaître, connaissant probablement un sort assez peu enviable pour finir dans l'estomac d'une demoiselle affamée. Et maintenant que le choc et la faim avaient tous les deux reçus leurs remèdes, elle le regardait. Enfin, plutôt, elle le dévisageait avec un air étrange, mélangeant le curieux et l'inquisiteur avec une certaine dose d'animosité. Un regard qu'il avait l'habitude de voir dans les yeux de ceux qui le regardaient, en somme.

Vent-Vif venait de s'approcher du feu, le poussant légèrement de la tête pour attirer son attention, probablement rendu curieux par la nouvelle arrivée et les pleurs de celle-ci. Tranquillement, celui-ci le conduisit faire quelque pas, l'amenant boire sur le bord de la rivière, le laissant s'occuper de lui pendant qu'il retournait s’asseoir au bord du feu. De manière assez étonnante, il entendit la jeune femme se lever. La suivant du regard, il la vit venir s'installer à proximité des flammes, cherchant probablement à se sécher et à se réchauffer après sa chute dans le lit glacé de la rivière. Elle partageait donc son feu, sans laisser dépasser quelconque idée de gentillesse, s'installant à son exact opposé, de l'autre côté des flammes montantes. Eard baissa la tête, cherchant à éviter son regard. Il n'avait pas réellement envie de se retrouver au coeur d'une bataille de volonté, et sa tranquillité valait plus qu'autre chose dans ce genre de cas.

La demoiselle en face de lui lui rappelait plus un animal blessé qu'un humain, et peut-être était-ce le cas. Les routes étaient dangereuses pour une femme seule, entre la disgrâce de la nature, les monstres qui y rampaient, et pire encore les humains qui les parcouraient. Pour avoir parcouru ces chemins et goûté à la crasse de ses semblables, voir ainsi de telles réflexes de survie étaient parfaitement normale, surtout au vu de son accoutrement. Mais demander ainsi à la jeune demoiselle de raconter sa vie et ses aventures était hors de propos, au vu de la difficulté qu'il éprouvait pour ne serait-ce que la regarder. Mettant dans les flammes quelques coups à l'aide d'un bâton pour les empêcher de trop s'éteindre, il fut brusquement tiré de ses pensées par un mot à peine chuchoté dans les ténèbres nocturnes.

Merci. Et bien, s'il était un mot qu'il ne s'était pas attendu à entendre c'était bien celui-là. Au moins cela voulait dire que son invitée inattendue avait retrouvée le don de parole, et avait donc repris une bonne partie de ses esprits après le choc et la peur. Laissant passer quelques secondes, il finit par relever la tête, la regardant avec une tentative de sourire. Assise dans ses vêtements sale et trempée, elle faisait peine à voir, mais il n'était pas non plus en position de critique sur ce point là. Elle devait avoir passé à peu près autant de temps que lui sur les routes, peut-être même plus pour se retrouver dans cet état. Soufflant très légèrement, il lui répondit d'un ton neutre.

"De rien."

Et sa tête retomba, son regard traînant vers les flammes crépitantes, qui brisaient l'obscurité tombante de leur danse colorée. Il avait des choses à faire, et l'arrivée impromptue dans son camps l'avait interrompu, mais autant essayé de faire retomber légèrement la gêne avant de recommencer à vaquer à ses occupations. Les yeux toujours absorbés par les mouvances hypnotisantes des flammes, il articula quelques mots clairs en directions de son interlocutrice mystérieuse.

"Est-ce que ça va aller ?"

Les mots de remerciement sonnaient de manière assez étrange dans la bouche de la demoiselle, même s'ils tendaient à calmer le tourbillon naissant dans le coeur de Eard. Aussi mauvais juge qu'il puisse être, les paroles paraissaient honnêtes et prononcées de bon coeur. Au moins serait-il sauvé de l'opportunité de passer la nuit avec une personne qui risquait de le poignarder dans son sommeil. Bien que, pour être franc, là-dite opportunité ne soit pas entièrement mise à l'écart.

Il sentait son regard posé sur elle, et il la laissait regarder tout son saoul. C'était son feu et son endroit, l'épée était la sienne, et il n'avait aucune raison d'être menacé par une paire d'yeux, alors autant laisser mirer. Peut-être se convaincrait-elle de repartir, peut-être voudrait-elle rester après un examen plus attentif. Il n'en avait cure, au final, l'aventure lui avait coûté la joie d'une soirée et une tourte appétissante, sans rien lui rapporter d'autre qu'un vague sentiment de mal-être. Son pain finit, il referma tranquillement le linge, le lançant d'un air distrait vers le petit tas qu'il s'était aménagé non loin du feu. Et soudain, la jeune demoiselle se mit à parler. De drôles de paroles, qu'il n'avait à vrai dire presque jamais entendu, si ce n'était pas la première fois qu'il les entendait. Des paroles qui sonnaient plus étranges encore que ses remerciements. Que cherchait-elle à faire ? S'offrir à lui comme une putain dans un bordel, en échange d'une quelconque protection et de nourriture ? L'assurance d'un voyage tranquille contre une satisfaction de ses pulsions bestiales ? Soit. Elle le prenait pour un animal quelconque, peu différent de ces brutes qui parcouraient les chemins, jetant toute humanité à la poubelle contre un peu de nourriture et quelques pièces, voir une couche rebondis et pas toujours consentante.

"Approche"

Il leva les yeux, la suivant du regard alors qu'elle se dirigeait vers lui. Plongeant son regard dans le sien, il reprit son air dur qui l'avait pour un court temps quitté.

"Je n'aime pas être accompagné. Je peux chasser ma nourriture, mon épée peut me ramener quelques pièces, et Venf-Vif me permet d'arpenter les routes sans encombre. Et pour être franc, j'ai depuis longtemps arrêté de supporter la compagnie de la plupart des gens."

Il se leva, se dressant d'une masse imposante au dessus de la jeune femme, son regard toujours planté dans le sien.

"Je ne t'empêcherais pas de me suivre, si tu y tiens. Mais il faudra te rendre utile, et je parle là d'une réelle utilité. Je ne suis pas un animal, et je ne paye pas pour les charmes. Si tu as d'autres talents, libre à toi de les faire connaitre."

Il se détourna légèrement, regardant le soleil qui finissait de se coucher. Faisant quelques pas vers la rivière, il lui lança quelques mots à la volée.

"Je vais prendre un bain avant que le soleil ne se couche. Ca te laisseras un peu de temps pour réfléchir et savoir si tu as vraiment envie m'accompagner, ou si tu préfères reprendre route seule. Profite du feu, et fait attention à Vent-Vif, il peut-être de méchante humeur quand l'envie lui en prend."

Se dirigeant vers le bord de la rivière, essayant de trouver un endroit à l'abris des regards autant pour lui que pour la jeune femme, il commença ses ablutions dans le torrent, se demandant si son choix, et celui de la demoiselle, seraient les bons.

L'eau était certes froide, mais ce froid revigorait et tonifiait l'esprit comme le corps du baigneur. Même s'il n'avait de savon sur lui, au moins pouvait il se débarrasser de la crasse des chemins comme de la tension qui l'avait envahis. Se laissant dériver quelque temps, il réfléchit tranquillement à ce qui venait de se passer. Une compagnon de route... Quelque chose d'aussi utile qu'handicapant. Aye, si elle pouvait faire preuve de son utilité, l'handicap serait moindre. Ses instincts d'homme se réveillaient, essayant de prendre voix au chapitre, mais Eard les fit taire aussi vite qu'ils se manifestaient. Déjà qu'il avait du mal à se nourrir et à nourrir Vent-Vif, chasser pour une personne supplémentaire deviendrais un défi particulier. Mais après tous, il n'y avait ni accord ni contrat, et la jeune femme ne cherchait apparemment pas à le suivre pour toute éternité, alors....

Sortant de l'eau, le jeune homme se sécha du mieux qu'il put, renfilant ses chausses avant de retourner au campement. Elle s'y trouvait toujours, attendant probablement son retour pour lui faire part de sa décision. Se posant à côté du feu, se séchant suffisamment pour pouvoir remettre sa chemise et sa pelisse, elle finit par reprendre son attention d'un toussotement. Le regard fixé sur elle, il l'écouta attentivement. Et un petit sourire en coin se dessina sur son visage, s'effaçant très vite pour ne pas se faire remarquer. Elle avouait qu'elle n'était pour l'instant pas utile à grand chose, mais ouvrait une porte tout à fait intéressant : la possibilité d'apprendre à l'être. Et quelque chose dans sa dernière phrase toucha Eard, faisant pencher la balance de sa décision vers un côté plus tendre. Après tout, elle lui racontait l'histoire d'une partie de sa vie : la volonté, mais pas assez de temps ou pas personne d'assez aimable pour pouvoir la prouver. Il serait un comble qu'il refuse à son tour ce qu'il avait toujours demandé.

Il souffla un peu, laissant retomber ses épaules et son regard vers le feu. Se laissant quelques secondes pour clore sa pensée, il finit par les remontés, soutenant le regard ferme et affirmé de la jeune demoiselle, lui offrant même la grâce d'un petit sourire. D'un hochement de tête lent et grave, il lui donna sa décision.

"Si c'est ce que tu désires, tu peux m'accompagner. Fait attention cependant, ma vie n'est probablement guère meilleur que la tienne, et tu risque de déchanter."

Il laissa passer une petite pause, et se leva d'un geste calme.

"Mon nom est Eard. Eard Wrecca, le banni. Et lui c'est Vent-Vif, même si tu le sais déjà. Enchanté de faire ta connaissance. "

Se dirigeant vers le petit tas de matériel, sac fonte et linge, il commença à fourailler dedans.

"Si tu sais apprendre vite, tu devrais t'en sortir facilement. La première chose sera d'apprendre à monter. On se débrouille mieux ainsi qu'à pied. J'espère que monter en croupe ne te gêne pas, je n'ai malheureusement guère d'autre solution à te proposer pour l'instant.
Ensuite... si tu sais cuisiner, c'est déjà un bon point. Il te faudra cependant apprendre à chasser. Je pourrais te faire un arc de rechange, et les bois alentours pullulent de gibier et d’herbes, se trouver un repas ne sera pas trop compliqué. Mais en attendant, le plus important, et une chose que tu dois maîtriser tout de suite..."

Trouvant enfin ce qu'il cherchait parmi ses affaires, il retourna près du feu. Deux plaids légèrement salis se trouvaient dans ses mains, et il en lança un à la jeune demoiselle en face de lui.

"C'est l'art de se reposer. La journée a été longue, et même si je ne suis pas contre un brin de causette, dormir est quelque chose de nécessaire, et le faire à la belle étoile un art à apprendre. Si tu as des questions, n'hésite pas, et sinon, fais comme chez toi."

Et ainsi il se tut. il avait parlé longtemps, lui qui n'avait guère l'habitude que du silence. Mais bon, si la jeune femme restait à ses côtés pour quelques temps, il allait devoir apprendre à délier sa langue... et à être moins froid vis-à-vis de ses contemporains.

"Rien ne pourrait être pire que ce que j'ai vécu jusqu'ici"

Une phrase puissante, même prononcé par quelqu'un de jeune, plus jeune encore que lui. Une phrase qui montrait un dégoût du passé, une souffrance pas encore dissipée, les cicatrices de temps sans espoirs. Peut-être que la jeune demoiselle exagérait légèrement, ayant connu certes des temps durs mais à la dureté pâle comparé à ce qui pouvait l'attendre dans son futur. ou peut-être, et son regard d'acier tendait à le prouver, avait-elle vécu des temps si durs que le jeune homme ne pouvait qu'à peine se les imaginer. A vrai dire, quelle importance ? Ses habits étaient aussi ravaudés que les siens, ses cheveux aussi emmêlés, sa bourse aussi vide. Et de ce point là elle pourrait rebondir, trouver ce qu'elle cherchait, et trouver des souvenirs à chérir. De sa phrase, seul l'appelation de Monsieur Wreacca le troublait. Du monsieur, vraiment ? Il comprenait qu'elle lui était redevable et voulait se montrer poli, mais l'étrangeté du sobriquet le faisait tressauter.

Se laissant tomber au sol, profitant du plaid et du feu pour se réchauffer, il lui lança d'un ton qu'il voulait amical.

"Evite de m'appeler monsieur, je le prendrais mal. Eard suffira, si ça te gêne pas".

Et il la laissa s'endormir, l'esprit embrouillé de milles pensées confuses. Il n'avait passé ses dernières années qu'à survivre, se procurant ce qui lui était nécessaire pour continuer son chemin. Mais maintenant tout avait changé. Il devait s'occuper de quelqu'un, quelqu'un qui savait peut-être cuisinait, mais de son propre aveux avait tout à apprendre. Il devrait donner des leçons. Comme un précepteur. Drôle de mission pour lui, qui n'avait jamais gagné pitance que par l'épée. Réfléchissant à ses centaines et centaines d'idées, il glissa petit à petit vers un sommeil certes agité, mais assez doux pour que la nuit en soit agréable.

C'est l'aurore qui le réveilla, par les lumières et le chant d'un oiseau qui s'était aventuré près de sa masse endormie. Le chassant d'un geste de bras fatigué, il se dressa sur son séant, émergeant peu à peu du domaine des rêves. D'un coup d’œil rapide, il confirma ses souvenirs de la veille. Ysée n'était pas seulement un fragment de son imagination, et avait en plus décidé de ne pas s'enfuir pendant la nuit. Bien. Repliant son plaid dans un coin, il se leva, époussetant chemise et braies. La demoiselle dormait encore, récupérant probablement de la fatigue de ses derniers jours. Le jeune Dunlending ne pouvait pas vraiment l'en blâmer, les réveils matinaux n'étant pas des plus faciles. Attrapant son arc et ceignant son épée, il se dirigea vers le bord du campement, caressant Vent-Vif sans le réveiller.

Les campement faisaient fuir les animaux, et même sans se soucier de cela il valait toujours mieux chasser plus loin que nécessaire. Il avait probablement un peu de temps avant que la jeune dame ne se réveille. Prenant son temps et profitant des bords de la rivière, il abattit deux canards sauvages, qu'il put récupérer au prix d'une manche trempée. Reconnaissant quelques buissons, il se permit de récupérer quelques baies rouges qu'il reconnaissait comme comestible. Pour un petit-déjeuner, cela ferait probablement l'affaire. Il s'en retournait au campement, lorsque parmi la végétation du bord de rivière, il vit quelque chose qui le surprit et le réjouit. Un arbre qu'il connaissait bien pour avoir souvent entendu son père prononcer son nom et vanter ses mérites. Un if... Espérant que sa chance ne le laisserait pas tomber, il se mit à chercher sous l'arbre, fouillant avec minutie, avant de se relever, souriant, son trophée en main. Une branche sèche et droite, sans fourche, et assez épaisse pour pouvoir être utilisée. Cela serait parfait, même s'il était sûr d'y abîmer ses lames.
Un reliquat de sourire au visage, il rentra au camps, se demandant si la jeune fille s'était finalement réveillée ou s'il allait devoir la tirer du lit pour le repas.

Apparemment, la jeune femme avait fini par se réveiller. Ça restait plutôt honorable comme heure, pour bien démarrer la journée. Et mieux encore, elle semblait sourire, chose qu'il ne l'avait pour l'instant jamais vu faire. Cela rehaussait encore la beauté douce de son visage, la rendant plus radieuse encore, tout en gênant légèrement le jeune homme peu habituée à une telle camarade. Reprenant son air neutre, y figeant son visage, il lui donna d'un signe de tête son accord pour qu'elle s'occupe des canards. La laisser lui prouver qu'elle savait effectivement cuisiner ne serait pas un mal, et ça lui donnerait un peu de temps pour s'occuper de son affaire. S'asseyant posément près du feu, il posa la branche sur ses genoux, et attrapa le petit sac qui contenait les quelques rares outils hérités de son père, en extirpant un couteau solide et une petite râpe à bois, ainsi que quelques jeu de fil.

Tout en regardant la jeune femme ramasser du bois, lui lançant à l'occasion un conseil sybillin pour mieux l'allumer, il entreprit de jouer avec le bois dans ses mains, le pliant pour évaluer sa résistance et son sens de courbe. Puis, jouant du couteau et de la rappe, il entreprit de le dégrossir, d'en affiner la forme, et d'en raffiner les bouts pour y permettre l'entaille. Le travail n'était certes pas parfait, vu le manque d'outils et de temps, mais d'ici à la mi-journée il pourrait probablement terminer une oeuvre suffisante pour un débutant. Un arc court massif, quelques unes de ses flèches charitablement données, cela devrait suffire pour offrir à Ysée une bonne arme pour s’entraîner. Absorbé par son travail, il n'avait pas vu la jeune femme retourner se rasseoir près du feu. Il leva les yeux, la regardant quelques secondes... pour voir son sourire toujours présent sur ses lèvres, le faisant retourner à son ouvrage, les joues infimement plus rouges qu'auparavant. Même assise, la tête enfoncée dans ses genoux pliés, sa robe portant encore des traces de sang, elle dégageait quelque chose de... rafraîchissant. Peut-être était-ce simplement la compagnie d'un autre être humain dont Eard n'avait plus l'habitude... Oui, ça devait être ça.

Il fut distrait, heureusement, par la voix de la jeune femme qui lança la discussion avec un ton gentil, qu'elle semblait avoir adopté pour toute la journée. Sa question le laissa cependant pensive. Ils devraient en effet réfléchir à où ils allaient aujourd'hui, mais aussi à l'endroit où ils se dirigeraient bientôt. Remettant à plus tard ces pensées, il entreprit de répondre aussi bien qu'il put.

"Autant partir un peu plus au nord. Il est plus facile de s'y installer, et je préfère nous éloigner un peu de ce village et des mauvaises routes." Il marqua une légère pause. "Je connais un peu mieux le terrain, et ça te donneras le temps d'apprendre à tenir droite sur un cheval."

Il réfléchit quelques instants. Peut-être qu'après tout, les questions qu'il se posait méritaient d'être partagées. Après tout, s'il devait travailler en groupe, autant commencer dés maintenant.

"Par contre... y a-t-il un endroit particulier où tu veux aller ? J'ai tendance à voyager au gré des routes, mais si tu as quelques part où aller, autant le dire maintenant, on pourra commencer à s'y diriger..."

Il fut soudain interrompu par un grognement sourd, caverneux et grave venant de son estomac. Le jour avait avancé plus vite que prévu, et si sa concentration avait retenu sa faim, le charme ne faisait visiblement plus effet. Rougissant de manière plus perceptible, un peu embarrassé, il finit par reprendre un ton droit, camouflant au possible sa gêne.

"Hum...Serait-il possible de continuer la conversation en mangeant ? Je commence à avoir un peu faim... et nous avons assez de choses à faire cet après-midi pour ne pas traîner, n'est-ce pas ?"

Et, s'essayant à cet art nouveau, il lança à Ysée un sourire qu'il voulait franc et honnête. Certes, il n'avait pas l'habitude, mais bon, celui-là ne semblait pas trop mal réussi.

S'éloigner de Minas Thirit ne le gênait pas le moins du monde, au contraire. Il n'avait jamais aimé les villes, même si le travail s'y trouvait plus abondant qu'en campagne. La masse qui s'y croisait avait quelque chose de dérangeant, et les gens portaient souvent un regardaigrie sur lui et ses semblables. Quant à aller vers l'ouest cela ne le gênait pas plus qu'autre chose. Au moins cela changerait-il de la où il venait, ce qui n'était pas un petit avantage. D'un unique hochement de tête vigoureux , il donna son accord aux plans d'Ysée. Ils iraient vers l'Ouest ensemble pendant un petit moment, et ensuite.. et bien qui sait ce que leurs routes leurs réservaient. S'il devait servir de professeur et d'escorte, la première loi du métier était de respecter les volontés du client après tout... La pensée, légèrement décalée, le fit rire intérieurement. Il allait devoir s'habituer à ne pas la penser en tant qu'employeuse, même si les airs affirmés du premiers jours pouvaient donner cette impression. Airs qui avaient d'ailleurs, étonnament, disparus ces derniers temps.

Eard laissa la conversation s'écouler. Le silence ne le gênait pas, supérieur que celui-ci était à des paroles creuses, se laissant aller à son ouvrage. Il l'avait presque fini, et sa mention par ysée lui fit relever la tête. Même s'il était d'habitude gêné par les questions, celles-ci semblaient plus montrer intérêt en envie d'apprendre que simple envie de discuter.

"Exact. Un arc massif, c'est plus facile à travailler, vu ce que j'ai sous la main. Et plutôt court, pour pas que tu n'ai à y mettre trop de force et qu'il aille à ta taille et tes épaules."

Jetant un coup d'oeil à l'oeuvre, il la considéra comme achevée. Il manquait de polis et d'affinage, mais il tirerait droit et durerait longtemps, les seuls critères qui comptent. D'un geste souple, il se pencha vers Ysée, le lui tendant par la poignée.

"Tient. Quand on partiras, je te donnerais quelques flèches de mon carquoi, qu'il soit fonctionnel. Et en attendant, profites-en pour t'y habituer. Je sais que ça va te paraitre idiot, mais il va falloir que ce bout de bois devienne une extension de toi. Même avant d'apprendre à le manier, si tu peux apprendre à le connaitre, tu verras, tout sera plus facile. Et maintenant... à table."

Les canards semblaient être cuits à points. Les sortant de la broche, il en prit un pour lui et en servit un à la jeune femme, Et dévora le sien dans un silence interrompu uniquement par les bruits de mastication des deux compagnons de route. Une foi son repas expédié en vitesse, Eard se leva, pratiquant quelques étirements pour soulager ses muscles de la raideur d'une assise prolongée. Puis, se dirigeant vers ses paquets, il commença à remballer son attirail, brossant Vent-Vif avant de lui remettre sa charge de paquet et de sacs. Une fois le cheval apprêté, il lui flatta l'encolure avant de se retourner vers Ysée.

"Je pense que le mieux est que nous partions maintenant, que nous ayons le temps de parcourir assez de distance avant le coucher du soleil. Je vais t'aider à monter, si tu veux bien."

Se préparant à une petite courte échelle, il en profita pour ajouter quelques conseils.

"Essai d'être droite, accroche toi avec les genoux, et fait attention aux mouvement de Vent-Vif. Si tu arrives à bouger en même temps que lui, tu devrais pas avoir de problème. Il est pas méchant, donc tant que tu l'énerves pas, il t'aimeras bien. Au pire, je suis juste devant, donc n'hésite pas à t'accrocher."

Se hissant à son tour sur la monture, il entendit Vent-Vif pousser un petit hennissement de désapprobation en sentant une charge plus lourd que d'habitude. Le calmant de quelques gestes, Eard le fit avancer au trot, suivant la rivière en direction de la route la plus proche. Et avant même qu'ils aient le temps de le dire, ils étaient sur la route, en direction du nord ouest, le soleil resplendissant au dessus d'eux.

Le voyage se déroulait sans trop  d'encombre. Vent-Vif, probablement conscient de l'inexpérience de sa passagère, avait adopté une démarche plus calme que d'habitude, enlevant une bonne partie des rebonds qui martyrisaient normalement les fesses des cavaliers débutants. Et même si son assiette était à revoir, de même que sa prise sur le cheval et le cavalier, la jeune ysée réussissait à rester stable en selle sans trop de problèmes. Au moins, ils n'auraient pas à s'arrêter toutes les dix minutes pour revoir un point de monte ou simplement la ramasser, comme le jeune cavalier l'avait à un moment craint. Il lui donnait quelques conseils, d'une voix neutre et lente, auquel Ysée répondait habituellement par un petit son ou un hochement de tête. Même sans grande discussion, la chevauchée était agréable, malgré cette sensation étrange des mains qui se refermaient sur son torse et la chaleur de sa passagère.

Le premier incident notable fut lorsqu'ils essayèrent de passer un arbre allongé en travers de la route. Se laissant aller à ses habitudes et oubliant l'inexpérience de la jeune femme, Eard ordonna à sa monture de passer par dessus, lançant un avertissement sec et sonore à la jeune femme derrière lui. Trop tard, probablement. Il sentit la poigne sur son torse se relacher et les mains d'Ysée glisser sur ses côtés alors qu'elle basculait en arrière. Il retourna la tête, suffisamment pour l'apercevoir, suspendu en l'air, un air de détresse sur le visage. Puis, alors que le cheval atterissait sur la route, Ysée atterit quant à elle dans une flaque de boue au bord du chemin dans un bruit sonore et trempé. Descendant en vitesse du cheval, attrapant son arc et sa bourse, il courut rapidement la rejoindre, lui offrant son aide pour se relever.

La pauvresse était trempée, sa robe souillée d'eau sale et de boue, et même son visage se colorait d'une intense nuance de rouge alors qu'elle le détournait du jeune homme qui s'approchait d'elle. Elle avait fait une erreur, ne voulant pas s'accrocher plus que nécessaire, probablement pour ne pas gêner son compagnon. Et maintenant elle avait honte, et Eard se retrouvait en face d'un défi qu'il n'avait jamais encore prévu : comment gérer ce premier échec ? Essayant de fouiller dans sa mémoire, il chercha à reprendre les principes que ses parents avaient utilisé sur lui. S'il la méprisait ou la maltraitait, elle aurait peur de réessayer et détesterait soit elle-même, soit lui. L'humour avait souvent marché, mais quant à en faire...  Soufflant un petit coup, il finit par lui attraper le bras, d'une prise ferme mais non violente, et la tirer doucement hors de la flaque de boue, la faisant se relever.

"Je suis désolé, j'aurais dû éviter le saut. Tu n'as aucune raison d'avoir honte, la première fois que mon cheval a fait un saut j'ai atteris dans un buisson d'ortie. Je te déconseille l'expérience. Par contre, désolé mais je pense qu'il faudra te trouver de nouveaux habits, ta robe m'a l'air en bien mauvais état."

La lâchant, il tenta un demi-sourire et une petite blague, histoire de détendre tant bien que mal cet atmosphère peu amène.

"Je dois dire cependant que c'était une acrobatie magnifique, digne d'un elfe, voir plus."

La lâchant, reculant très légèrement, il détourna un peu le regard afin de lui laisser reprendre son calme et son espace. Il allait se rapprocher d'elle pour la ramener vers Vent-Vif quand il fit attention aux bruits derrières lui. Il allait se retourner lorsqu'il entendit une voix rauque et sale résonner, qu'il ne reconnaissait pas mais qui était caractéristique d'un certain genre de manieur, tout aussi sale et plus vil encore.

"Oh, sont-y pas mignon ? Regardez, on dirait deux zamoureux."

HRP:

Trois bandits. Deux hommes et une Femme, tous trois montés. Un à distance, un au poing, et un d'hast. Le combat ne s'annonçait clairement pas favorable. Retenant le moindre mouvement, Eard profita des discussions des bandits pour analyser la situation. Son épée pendait toujours à son côté, et il avait eu l'intelligence de prendre son arc lors de sa descente de cheval. Son carquois pendait accroché à sa jambe, à portée de main, lui offrant la possibilité d'engager le combat rapidement. Le seul problème restait Vent-Vif, dont les rênes avaient été récupérés par le pauvre bougre armé d'un fléau rouillé, qui luttait pour le maintenir en place.
Peut-être la solution se trouvait-elle là. Si Vent-Vif distrayait un de leurs adversaire, et qu'il arrivait à en abattre un, le combat se rééquilibrerait sans problème. Il lui fallait juste un instant de distraction pour lui permettre d'agir sans la menace de l’arbalète suffisait à le figer sur place. Même si le manieur en était mauvais, un carreau pouvait suffire à abattre n'importe lequel d'entre eux.... il faudrait donc qu'il s'en charge en premier. Ensuite, la femme, malgré son allonge et sa position supérieur... après tout, ce n'était que des bandits de grand chemin, et avec un peu de chance, leurs compétences seraient inférieurs aux suppositions du jeune homme. Tant que Ysée trouvait un endroit pour se cacher, il n'aurait pas de problème pour....

Il vit la jeune femme foncer vers les bandits, un couteau à la main. Pendant une demi seconde, il resta ainsi, hébété, incapable de comprendre réellement ce qui était en train de ce passer à cet instant précis. Heureusement pour eux, ce temps ne dura pas. Jurant dans sa barbe, il tomba à genoux, attrapant une flèche et l'encochant aussi vite que possible, prenant un instant pour viser le bandit à l'arbalète. Distrait, les yeux fixés sur la jeune femme enragée, il n'eut pas le temps de remarquer le trait rageur qui sifflait vers sa gorge. La rencontre fut brève et rapide. La flèche la traversa de part et part, faisant gicler une gerbe de sang pourpre sur son pourpoint et la monture, le laissant chuter sans un bruit au bas de sa monture. Le corps fit un bruit moue en s'écrasant au sol, ne laissant plus que deux des brigands en état de se battre.
Dégainant son épée, Eard lâcha un cri inarticulé, aussi fort qu'il le pu. Vent-Vif, déjà énervé par la prise de ses rennes et l'agitation de la route, comprit le signal. Se dressant sur ses pattes arrières, il se mit à ruer, visant de ses sabots la tête du pauvre margoulin qui avait cherché à le voler. Le jeune homme ne chercha même pas à voir si son fidèle compagnon avait réussi à provoquer des dégâts. Arme au poing, il se rua vers la femme, essayant de s'interposer entre elle et Ysée dans le balais de mort qu'elles avaient commencé à mener. Armée de sa simple dague, la jeune femme n'avait aucune chance de parer, devant se contenter d'éviter les coups rageurs mes maladroits de son adversaire. L'épée au clair, Eard se jeta vers elles, essayant tant bien que mal de préserver son enragée, tout en cherchant une ouverture dans les coups de boutoirs féroce de la malandrine, toute déterminée qu'elle était à accomplir ses sombres dessins.

Elles roulaient sur le sol, l'une armée de son couteau, l'autre pleine de griffe et de harge, et il lui était impossible d'intervenir sans toucher les deux indistinctement. Il prit donc la seule solution possible, et qui pourtant le déchirait horriblement : il attendit. le premier bandit répandait son sang sur le sol, le second avait eu le crane défoncé par les sabots vengeurs de son cheval colérique. L'épée sortie, Eard attendit donc son heure, prêt à bondir sur la gueuse dés que l'occasion se présenterait. Le sang des deux femmes coulait, sans que le jeune homme ne puisse distinguer la source de ce flot rougeâtre, et Eard, un sourire tordu sur le visage, ne pouvait savoir s'il avait laissé sa compagnon se blesser ou si elle était en train de gagner son combat.

Soudain, la gueuse se détacha du corps à corps, cherchant à utiliser l'allonge de son arme pour éventrer la jeune femme au couteau. Grossière erreur. Se jetant en avant, Eard la toucha sur la nuque, malheureusement moins profondément qu'il l'aurait voulu. Se détournant de sa cible, elle essaya de l'abattre d'un coup de taille hargneux, qu'il bloqua du plat de sa lame, engageant le duel.
Tranche, estoc et taille. Parade, revers, feinte et retourné. Pique, botte et fente. Il se mouvait autours de la bardiche, l'écartant de son passage, essayant de se rapprocher peu à peu de son adversaire qui luttait pour le maintenir à distance. Pressant l'attaque aussi fort qu'il le pouvait, il la forçait à reculer, gênant son allonge et l'emmêlant dans ses gestes certes forts, mais peu entraînés. Et finalement, voyant l'occasion, il porta la dernière attaque. Feintant de taille en direction de ses jambes, il remonta la lame sur le côté, lui faisant décrire un arc de cercle entier, l'envoyant valser vers le cou de la gueuse. L'acier mordit la chair, tranchant la peau et coupant les tendons, se frayant un chemin dans les muscles, les veines, et même l'os. L'épée finit par se bloquer, frottant contre les vertèbres cervicales, ruisselante de sang et d'humeurs diverses. Les mains de la sauvageonne se relâchèrent, laissant tomber au sol son arme, avant d'elle même chuter à genoux. La poussant d'un coup de pieds, il retira son épée, l'essuyant sur l’herbe du chemin. La remettant au fourreau, soufflant un peu, il chercha Ysée du regard.

Il la trouva, assise au bord du chemin. D'une main, elle tenait son bras, essayant de tarir le flot de sang qui s'en échappait, l'air visiblement mal en point. Apparemment, l'arme de la gueuse avait pu faire du dégât avant qu'elle ne finisse par périr. Regardant rapidement les alentours, Eard se dit qu'après tout, l'endroit n'était pas pire qu'un autre pour y établir le camp, ne serait-ce que pour quelques heures. Lentement, il se dirigea vers Ysée. Sans un mot, il la souleva, un bras sous les genoux et un autre sous les épaules, essayant de la rendre la plus confortable possible pour ce trajet peu sympathique. Sifflant vent-Vif pour que celui-ci le suive, il enjamba le talus et s'éloigna à grande enjambées de la route, cherchant un endroit tranquille pour qu'il puisse se poser.
Repérant un coin plus tranquille, il y déposa Ysée, essayant de ne pas la déposer trop brutalement au sol. Une estafilade sur le bras, suffisament profonde pour que le sang coule. Une robe trempée, souillée de boue et d'eau croupie, et donc peu aidante pour la maladie comme pour les plaies. Et un air fatigué et épuisé, bien sûr, qui s'affichait sur son visage, lançant une étrange douleur dans le coeur d'Eard, qu'il supprima rapidement. Il n'avait pas le temps pour cette étrange détresse.

Vent-Vif les avait suivi, ainsi qu'un autre cheval maintenant sans maître. Acquiesçant d'un signe de tête, il en sortit sa petite bourse d'outil. En sortant un autre fil, il y prit cette fois ci une aiguille, et un petit briquet à amadou. En profitant pour prendre aussi un plaid, il s'approcha d'Ysée, s'agenouillant à son niveau.

"Bon... Je suis désolé, mais ça risque de faire mal. Si tu peux, essaye de regarder, la couture est importante aussi pour la vie en solitaire. Sinon, essai juste de mordre fort dans le plaid. Ca ira mieux après."

Il prit une petite pause, son visage prenant une drôle de teinte de cramoisie alors que son air redevenait étrangement neutre.

"Par contre... Il vaux mieux que tu quittes cette robe pour l'instant, mieux vaut éviter que tu tombes malade où que la plaie s'infecte. Tu as le plaid pour te couvrir, ne t'inquiète pas, et on pourras toujours récupérer des vêtements sur la route...."

Sa voix mourut, la gorge compressé par la honte issue de cette demande sordide. Et pourtant, il falait bien agir, et il ne voyait pas vraiment d'autres choses à faire.

Le rougissement s'accentua quand elle répondit à sa demande. Qu'est ce qu'il avait bien pu penser ? Qu'est ce qu'il avait bien pu croire, l'espace d'un instant ? Il n'était qu'un garde de chemin, et un professeur éventuel pour lui apprendre une vie difficile, pas un ami ou quelqu'un en qui elle pouvait avoir confiance. Il avait dépassé la ligne. il aurait dû penser à sa fierté et son honneur, et pas uniquement à la façon dont il allait procéder. Toutes ses pensées flottaient dans sa tête, l'assaillant violemment. Il recula légèrement, par réflexe, laissant s'écouler quelques secondes où il n'osa dire mot.

"Soit. Fait attention alors. Je peux recoudre la plaie, mais en cas d'infection...Je n'ai pas d'alcool pour désinfecter, et rien pour atténuer la douleur."

Tenant fermement son bras, avec des gestes plus proches de ceux d'un automate que de ceux d'un humain, il regarda la blessure. Elle n'était pas si profonde, et le sang était plus effrayant qu'autre chose, mais elle nécessiterait quand même un point ou deux. Utilisant le feu de son briquet pour nettoyer l'aiguille, il planta celle-ci dans la peau de la jeune femme sans autre avertissement. Certes, le procédé était mesquin, mais au moins il permettait à sa pauvre victime de ne pas se focaliser sur la souffrance imminente. Travaillant en vitesse et avec précision, il fit suivre au fil la blessure d'Ysée avant de resserrer, coupant le flot de sang et fermant la plaie. Une fois son travail fait, il s'écarta de la jeune femme, la laissant à sa douleur et son manque de confiance. Retournant vers le chemin, il retrouva les cadavres.

Travaillant vite et sans trop de dégoût, il dépouilla les cadavres. La moisson était maigre. Quelques pièces au fond d'une bourse, trois jours de ration... Il laissa de côté les armes des malandrins, mais récupéra les vêtements de la femme, détournant le regard alors qu'il la dénudait. Une fois tout ça récupéré, il poussa les trois cadavres au bord de la route, les laissant dévaler le talus, retournant vers le camps en réfléchissant aux paroles d'Ysée. elle n'avait pas confiance. Elle ne voulait pas. Peut-être était-ce de là qu'il devait partir. Comme avec les chevaux et les bêtes sauvage, un entrainement qu'il connaissait pour l'avoir vu pratiqué maintes et maintes fois, et l'avoir lui même essayé. Ce serait dangereux, mais... peut-être cela vaudrait-il le coup.

Une fois de retour, il ne lança pas un regard à ysée. S'approchant de vent-Vif, il récupéra son arc ainsi que quelques flèches. Et, avec les vêtements, il posa tout devant Ysée, avant de reculer de quelques mètres. Il déboucla son épée, la laissant tomber au sol avant de s'assoier à son tour, la fixant du regard.

"Tu as de nouveaux habits. Même s'ils sont un peu tâchés, tu ne devrais pas avoir de problèmes maintenant."

Il fit une petite pause.

"Si tu veux pouvoir voyager avec moi, il faut qu'on puisse se faire confiance. Sinon autant se séparer des maintenants. Donc je vais te laisser t'exprimer dés maintenant. Si tu penses que je ne suis pas digne de confiance, que je pourrais te vouloir du mal, ou que je cherche autre chose que ta survie."

Il baissa le menton désignant l'arc et les flèches.

"Tire."