Betrayed by my parents
Assise dans le fauteuil tiré auprès du lit, elle regardait, les yeux perdus dans le vague, l'informe masse inerte allongée sous les draps au parfum de lavande. Le temps défilait à une vitesse ahurissante, au point qu'elle en avait perdu toute notion. Sans qu'elle n'eut bougé si ce n'était pour changer le linge sur son front bouillant, les ténèbres s'étaient emparées des lieux et elle ne put plus distinguer ses mains de celle qu'elle tenait entre ses doigts. Les lampes furent allumées, projetant de petites impressions sur les murs, sans qu'un mot ne soit prononcé. Le silence envahissait l'atmosphère de manière pesante, presque lourde que seul le mouvement de respiration saccadé venait troubler. Elle avait peur. Peur pour pour son invitée, peur pour son avenir, peur pour .. tout.
Perdue dans ses pensées, elle remonta le cours de sa courte vie. Ses pensées étaient
comme une pelote aux fils enchevêtrés, n'ayant ni fin, ni début, elle revenait sans cesse au même point sans jamais véritablement progresser. S'assoupissant sans s'endormir tout à fait, c'était comme taquiner le goujon sans jamais en remplir sa
goujonnière, elle ne se reposait pas tant qu'elle s'en trouvait davantage fatiguée.
Il eut été agréable de se repaître d'un poisson aussi goûteux que le goujon qui peuplait les rivières pleines de graviers et une chaire aussi tendre que celle d'une truite, rien n'était plus savoureux que ce poisson cuit sur broche. Mais il était hors de question pour elle de s'adonner à un quelconque plaisir, pas plus que d'aller trouver le confort de son lit, du moins pas tant que sa patiente eut quitté les bras de Morphée.
A travers les fenêtres, elle pouvait voir les étoiles qui illuminaient maintenant le ciel,
scintillant doucement dans cette nuit de pleine lune. Elle se prit à
imaginer, un loup hurlant et appelant ses congénères sous le couvert nocturne, les enfants bien sagement couchés, frissonnant sous ce son terrifiant, le feu crépitant du feu de camp, réchauffant les voyageurs. Les nuits étaient froides en cette saison, un feu ne serait pas de trop. Elle se prit à s'imaginer, auprès de ce feu, ses yeux perdus dans son infinité de postures, impossible à
exhaustiviser. Mais cela faisait partie de ces choses auxquels elle ne pouvait goûter, du moins plus maintenant. Elle avait toujours rêvé voyager, être prise d'aventures mais ses parents le lui avaient retiré. Serrée contre son manteau
boutonneux, elle avait été emportée pour vivre une autre vie que celle à laquelle elle avait auparavant destinée. Comment aurait été sa vie s'il n'en avait pas été ainsi ?
Elle avait rencontré un étrange personnage, il était une fois. Ce fut un temps auparavant mais elle s'en souvenait comme si c'était la veille. Le teint vert, les yeux vitreux, il avait quelque chose de monstrueux mais ce qu'il apportait l'était d'autant plus. Sa nouvelle, elle ne s'en était pas encore tout à fait remise. Il lui avait fallu du temps pour l'accepter, accepter d'avoir été ainsi trahie par sa famille, par ses parents. Elle qui les aimait tant, eux qui comptaient tant à ses yeux, son cœur en fut brisé et sa confiance ruinée.
Ils vivaient paisiblement, à l’abri de toute contrariété et elle avait toujours cru qu'ainsi était sa vie. Jamais ne l'aurait-elle remise en question, cette existence qu'elle avait toujours connu. Mais il lui avait pris d'avoir envie de revenir en arrière, pour ne jamais quitter cette sœur qui lui manquait depuis le début.
Elle était cependant revenue de son voyage. Mais alors…
comment reprendre le cours de son ancienne vie ? Comment continuer lorsque dans son cœur on commence à comprendre qu'on ne peut plus retourner en arrière ? Il y a des choses que le temps ne peut cicatriser, des blessures si profondes qu'elles se sont emparées de vous. Elle avait mis du temps, mais elle avait fini par se tourner vers sa mère, en quête de cette vérité qui lui avait été arraché. Cette dernière n'avait été que tristesse et désespoir alors qu'elle lui comptait leur vie avant son arrivée au sein de leur foyer. N'était-elle pas bien placée pour comprendre combien un cœur pouvait être déchiré d'être ainsi incomplet, combien elle souffrait de ne pas avoir de progéniture. Elle aurait voulu leur pardonner et d'une certaine façon, elle l'avait fait mais ses blessures ne s'étaient pas refermées et cette sœur perdue, quelque part au dehors, ne quittait plus ses pensées, jamais. Elle qui,
comme un bulbille, étaient tombée à terre pour fleurir à nouveau d'elle-même, elle rêvait d'être emportée par le vent pour retrouver sa moitié.
Soudain, une oie parla, le jars jaseur lui répondant en retour. On toqua doucement et son mari entra. Gentiment, il tenta de lui faire avaler le steak
emproivré qu'il lui portait, mais sa gorge était encore nouée par ses pensées pleines de mélancolie. Sans doute ne pardonnerait-elle jamais à ses parents mais elle acceptait les choix qu'ils avaient fait comme étant les siens, leur passé comme étant le sien. Elle n'était pas leur fille biologique mais le destin avait voulu les réunir comme une famille et malgré tout, elle ne pouvait s'empêcher de les aimer comme tel.