Moi j'veux être chasseur de Trolls !

J'ai escaladé le mur, je suis passé par la fenêtre de l'étage. Je me suis glissé dans le couloir, soucieux de ne pas attirer l'attention de mon aîné qui était déjà debout dans la cuisine, affairé à préparer le petit déjeuner. Je suis rentré dans ma chambre et j'ai rangé quelques perles ainsi que la plupart de mes armes dans une cachette sous mon lit. Cela faisait plus de trois mois que j'étais parti, je n'étais revenu en Ered Luin qu'il y a quelques jours. J'avais passé mon temps à remettre mes affaires en place, à rendre visite à certaines connaissances et à m'assurer que le champ était libre. J'avais observé mes frères de loin et était passé ranger des affaires chez eux dans la nuit, sans bruit. Enfin, chez eux. Chez nous, je devrais dire. Malgré toute la détermination que je met depuis mon adolescence à me détacher, je ne parviens pas à combattre cette envie de leur revenir. Surtout maintenant que Ori a grandi. Ce n'est pas Dori qui me manque, Dori et ses reproches, Dori et ses manières, Dori et sa colère. Colère qui est partagée d'ailleurs. Je n'arrive pas à le regarder sans me souvenir de ce que nous avons perdu. Ori, par contre... Ori est un enfant souriant, curieux et enthousiaste. Il n'est pour rien dans notre histoire. Il sourit quand il me voit.

« Tu ne peux pas arriver chez nous et repartir quelques instants après comme tu le fais ! Et Ori, tu y a pensé ? » Je suis descendu dire bonjour à mon frère, je ne sais pas ce que je m'imaginais. Les mots que nous avons échangé sont rapidement devenus houleux, comme d'habitude. « Je pense à Ori tous les jours. » Un sourcil levé, un ton très calme. Et pourtant je suis aussi énervé que lui. « Mais tu n'es pas là ! Quelle différence cela fait-il ? » J'ai un rire désabusé et je répond sèchement, sans réfléchir. « Quelle différence ta présence aurait-elle pu avoir lorsque Ori est né, ça je me le demande. » Ma voix est dure et cruelle. La douleur et la colère passent tour à tour dans les yeux de mon grand frère qui recule sous le choc, comme si je l'avais frappé. Je suis encore trop en colère pour regretter mes paroles, regretter cette nouvelle blessure que je lui inflige.
Je pense un court instant qu'il va répondre, ou même me gifler, mais il n'en fait rien. Il s'en va simplement, en claquant la porte derrière lui.

Je soupire et m'approche de la cheminée, sortant ma pipe d'une de mes nombreuses poches. J'aurais bien besoin de fumer un peu après ça, tiens. Je reste debout quelques minutes à observer le feu qui crépite dans l'âtre, tirant tranquillement sur ma pipe. Je perçois des petits pas très minutieux dans le couloir et je souris. Ori a dû être réveillé par notre conversation agitée. Je ne bouge pas, attendant qu'il approche, mon autre main venant trouver le petit lance-pierre que j'ai mis quelques semaines à fabriquer durant mon dernier voyage. Il est bien dissimulé dans l'une des poches de ma tunique, et je suis sûr qu'il lui plaira. Lorsque le petit nain est suffisamment près, je me retourne, un sourire malicieux sur les lèvres. Ori ouvre des grands yeux, surpris, et fonce vers moi, une expression de grande joie sur le visage. « NORI-I-I-I ! » Il me serre contre lui avec force pour un petit bout de cette taille. Je suis certain qu'il sera aussi fort que Dori quand il sera plus grand. Je le serre tout contre moi, attendri. « Je suis content que tu sois revenu. » Si je savais dessiner, j'aimerais faire le portrait de son visage heureux et enfantin. Mon petit frère est le plus beau de tous les enfants nains, j'en suis persuadé. Il était sûrement le plus intelligent, aussi. Tous ne s'en doutaient pas, mais je sais qu'il est capable de tout avoir avec ses petits yeux attendrissants. Et s'il ne sait pas encore s'en servir – ce que je ne crois pas une seule minute, Dori doit se faire avoir plus souvent qu'il ne le pense – je me ferais un devoir de lui apprendre. Je m'agenouille devant lui, et il est désormais un peu plus grand que moi.« Je suis content de te revoir, petit frère. Tu as encore grandi, dis donc ! » Je passe ma main dans ses cheveux, les ébouriffant un peu avec un petit rire farceur. Je fais semblant de réfléchir quelques secondes. « Dis-moi Ori, qu'est-ce que tu dirais de partir à l'aventure aujourd'hui ? » Je me relève et époussette ma tunique avant de lui parler avec enthousiasme. « Mon petit doigt me dit qu'il y aura sûrement des sangliers sur le flanc de la montagne. Et si on a de la chance, on pourrait même voir des marcassins ! Ou même... des trolls... » Je lui fais un clin d’œil et me dirige vers la cuisine. Sur la table trône toujours le petit déjeuner préparé par Dori. Il n'a touché à rien de sa propre portion, et celle de Ori est délicatement présentée, appétissante. Je montre le repas du doigt à mon petit frère. « Tu ferais mieux de prendre des forces avant d'y aller, si toutefois tu n'as pas peur... » Je lève un sourcil taquin en le regardant, puis je sors quelques linges d'une armoire dans lequel je glisse des tranches de viande séchée ainsi que des gâteaux secs. Je prépare une gourde et range tout cela dans mon sac à bandoulière que je traîne partout, puis je m'assois en face de Ori, un sourire content sur les lèvres. Quand Ori me revoit, il aime me raconter tout un tas de choses, comme s'il devait absolument me parler autant qu'il l'aurait fait durant ces trois mois que j'avais manqué. Selon Dori, il est pourtant un jeune nain timide en dehors de la maison. Ce n'est pas étonnant en même temps, avec tout ce qu'il le couve. Étrangement, il n'aime pas vraiment quand je lui dis cela.

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