This place is a shelter

Le vent s’engouffrait dans les arbres, la nuit était légèrement pluvieuse. Le silence régnait toutefois sur le campement, même celui qui montait la garde s’octroyait une petite sieste. Ils n’avaient eu que très rarement d’ennuis, la plupart du temps il s’agissait de seigneurs mécontents où d’animaux sauvages. Jusque là ils n’avaient jamais été attaqués par des orcs puisqu’ils n’arpentaient pas les régions les plus sensibles à trouver ces créatures. Deux ans seulement qu’ils avaient franchi la barrière des Harad, ils avaient été plus ou moins chanceux jusque là et désormais ils comptaient aussi sur la bienveillance d’un groupe de bandits qui ne restait pas loin depuis le début de l’hiver. Jukka, Taavi et les autres s’étaient présentés à eux dans un moment assez critique et depuis, les nomades leur rendait la pareille. Une amitié solide s’était forgée entre les deux groupes qui restaient parfois plusieurs jours ensemble avant qu’ils ne s’en aillent en expéditions. Mais ils finissaient toujours par revenir, pour le plus grand plaisir de Cármen qui s’était beaucoup attachée aux deux frères.

Jukka n’avait pas perdu de temps pour lui montrer l’attirance qu’il avait pour la jeune Cámen qui a vrai dire n’avait pas eu le temps de se demander si c’était ce qu’elle voulait ou non. Son jeune âge et son manque d’expérience avait fait qu’elle s’était éprise de lui sans avoir vraiment le choix. Quoi qu’il en soit, il n’était pas comme cet homme avec qui elle avait été mariée, il la respectait et la traitait bien. C’était tout ce qu’elle demandait. Cette nuit là, elle la passait seule, et malgré l’agitation au dehors, elle était plongée dans un sommeil paisible et réparateur, emmitouflée dans d’épaisses couvertures à cause du froid. Elle reprenait des couleurs, la famine qui les avait frappés n’était plus qu’un mauvais souvenir et désormais ses nuits étaient sereines.

Du moins celle-ci l’avait été jusque là, mais c’était sans compter ce bruit sourd qui résonna contre la porte de sa roulotte. Cármen sursauta et se redressa soudainement, arrachée violemment de son sommeil, elle senti déjà les sueurs froides d’angoisse perler sur son front. La gitane se libéra de ses couvertures, prit le poignard qui se trouvait sur sa table de chevet dans le cas où elle rencontrait des problèmes et s’avança doucement. Elle eu le réflexe de coller son oreille contre le bois de sa roulotte et entendit quelques voix en fond sonore. Les murmures lui étaient familiers, alors elle ne perdit pas de temps pour ouvrir la porte et découvrit Jukka et Taavi, ce dernier visiblement blessé tandis que son frère l’avait aidé à se déplacer jusque là.

L’angoisse de Cármen fut bien plus importante que si elle avait eu la visite d’une personne mal intentionnée puisque son ami était blessé. Elle aida Jukka à le hisser jusque dans la roulotte et prit le relais en aidant Taavi à se déplacer. Elle l’installa sur son lit en ayant dégagé les couvertures et alluma une bougie afin d’y voir plus clair. Une vive lésion entaillait sa cuisse, la plaie saignait beaucoup et il lui fallait arranger les choses. Cármen prit le contrôle sur ses émotions mais on voyait dans ses yeux qu’elle était horrifiée en découvrant sa blessure.

« Que s’est il pa…hmm ?! »

Elle n’avait pu finir sa phrase que Jukka était venu poser sa main sur la bouche de Cármen pour la faire taire et souffla sur la bougie pour les plonger dans l’obscurité. Elle fut a priori surprise puis ne tenta pas de se débattre lorsqu’elle entendit le bruit sourd des sabots de chevaux sur la terre qui arrivait droit sur le campement. Cármen se débarrassa de l’emprise de Jukka pour aller regarder discrètement par la fenêtre, profitant que le tissu devant celle-ci ne la couvre pas complètement pour observer ce qu’il se passait. Elle vit trois cavaliers entrer sur le campement qui demeurait vide de toute vie, excepté son confrère qui montait la garde qui fut réveillé. La tension était palpable, elle vit l’un des cavaliers descendre de sa monture pour approcher son ami tout juste réveillé.

« Y'a t-il un problème messieurs ? » leur demanda t-il.

L’homme s’approcha du gitan avec menace, Cármen dans un rélexe se leva soudainement, comme avec l’intention de lui aller en aide. Mais Jukka fit pression sur ses épaules pour qu’elle ne fasse rien. La respiration de la gitane se fit plus haletante, elle se demandait pourquoi Jukka n’y allait pas alors qu’il avait largement de quoi les décimer tous les trois. Les deux autres cavaliers descendirent de leurs chevaux en imitant le premier et firent quelques pas afin d’inspecter d’au dehors les roulottes. Il avait neigé, les pas des gitans avaient été effacés mais ceux de Jukka et de Taavi restaient intacts puisqu’elles venaient tout justes d’être empreintes dans l’épais manteau blanc. Alors celles-ci se dirigeaient directement vers la roulotte de Cármen et l’un d’entre eux le remarqua.

« Avez-vous vu passer deux hommes ? L’un d’entre eux est blessé. »
« Non…à vrai dire il ne se passe pas grand-chose par ici, nous ne sommes même pas armés. » fit il dans un rire nerveux.

C’est à ce moment là que le père de Cármen sorti de sa roulotte, attirant tous les regards y compris celui du garde qui avait commencé à dangereusement s’approcher de la roulotte où étaient cachés Taavi et Jukka.

« Que se passe t-il ici ? » Fit il en sortant, agacé.

Cármen fit un mouvement brusque, se leva soudainement et se dirigea vers la porte. Jukka l’attrapa brutalement par le bras, posant une nouvelle fois sa main sur sa bouche alors que celle-ci se débattait. Puisqu’il était plus fort il n’avait pas été difficile pour lui de la neutraliser. Il la souleva et la jeta sur le lit. La jeune femme étouffa des sanglots, ne comprenant pas ce qu’il attendait alors que Jukka retournait observer par la fenêtre. Elle craignait que son père ne se fasse tuer par ces gardes en les sachant toujours aussi peu tolérants vis-à-vis des saltimbanques. Cármen se tourna dans le lit pour se blottir contre Taavi où elle tenta de dissimuler ses pleurs, tremblante. Elle n’entendait pas la conversation, ses oreilles sifflaient sous la pression. Cármen croisa le regard de Taavi en relevant les yeux et se souvint de sa blessure alors qu’elle pouvait percevoir les pulsations rapides de son cœur. La gitane essuya ses larmes et s’assit correctement sur le lit afin de s’occuper de sa blessure. Elle prit un couteau et découpa rapidement le pantalon de Taavi afin de libérer  la blessure et y avoir plus facilement accès. Ceci fait elle attrapa un tissu et appuya sur la blessure afin d’empêcher le sang de couler. Pour le moment elle ne pouvait rien faire d’autre, il faisait beaucoup trop sombre. Et quand bien même elle l’aurait voulu, ses larmes qui coulaient encore l’empêchaient d’y voir complètement clair. Elle hoqueta en se mordant les lèvres, cette attente était insupportable.

Le silence était pesant, ses mains tremblantes sur la blessure de Taavi qui avait arrêté de saigner. Cármen étouffait ses hoquets afin de ne pas attirer l’attention plus qu’ils ne l’avaient eue sur eux et priait pour son père, pour son peuple. Elle n’aimait pas ce genre de tension, ayant beaucoup trop perdu pour apprécier ce genre d’adrénaline alors qu’ils n’étaient que de simples voyageurs qui n’avaient que des fleurs et de la musique pour se faire entendre. Le conflit n’était pas de leur mode de vie, même lorsqu’ils volaient ce n’était que de la nourriture dans les cas les plus extrêmes. Néanmoins elle ne pouvait en vouloir à Jukka et Taavi même s’ils avaient amené ces gardes jusque sur eux, puisque leur groupe les avaient protégés et sauvés, puisqu’elle avait de l’affection pour eux. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’avoir peur, ayant souvent peu confiance en Jukka à cause de ses tendances à prendre trop de risques sans lui expliquer ce qu’il se passait. C’était exactement ce qu’il était en train d’arriver à ce moment là, Cármen restait dans cette attente insupportable de savoir si son père allait vivre ou mourir, si un incendie se déclarerait sur les roulottes et si elle aurait le temps d’éviter à Taavi une hémorragie trop importante.

La jeune femme eu un sursaut en entendant la trappe de sa roulotte s’ouvrir, celle qui permettait à avoir accès aux mécanismes sous la roulotte. Et lorsqu’elle entendit les coups d’épée, elle fut rassurée de voir que Jukka avait enfin agi et qu’il faisait son possible pour arranger les choses. Il tua un garde et attira les deux autres plus loin, laissant l’endroit dans cette quiétude remarquable. La jeune femme leva les yeux vers son ami, croisant ses iris mystérieux et brillants alors que son visage était faiblement éclairé par les rayons de la Lune. La jeune femme eu un moment d’absence dans la contemplation de son regard sans en connaitre les raisons. Le père de Cármen ayant remarqué le sang s’approcha de la roulotte de sa fille, entra, interrompant le silence et vit dans la pénombre la gitane en train d’apporter les soins à Taavi.

« Tout va bien ? »
« Oui, il a reçu une flèche mais sa peau n’est pas en charpie je vais pouvoir la recoudre. »
« Bien, donne leur à manger et à boire quand Jukka reviendra. »
« Oui père. »

Le père de Cármen appréciait grandement ce groupe d’hommes se faisant appeler bandits, sa confiance en eux n’avait aucune limite. Il fut rassuré de voir que Taavi s’en sortirait et les laissa tranquille pour qu’elle puisse le soigner. La jeune femme essuya ses larmes, rassurée par sa présence comme toujours et inconsciemment il lui donna la force dont elle avait besoin à ce moment là. Malgré l’inquiétude à l’égard de Jukka elle refusait de laisser Taavi. La jeune femme profita donc qu’il soit parti pour rallumer les bougies afin de lui apporter les soins nécessaires. Ceci fait, elle constata avec horreur l’état de la blessure, il avait lui-même arraché la flèche, remuant la chair à vif et avait provoqué un saignement important. Carmen s’empressa de retirer l’excès de sang  en l’épongeant puis s’attela à la suture. Réunissant les pans de peau, elle planta l’aguille dans la chair pour refermer la lésion et empêcher davantage de saignements. Elle demeurait attentive à son état, croisant son regard de temps à autres pour s’assurer qu’il ne tournait pas de l’œil. Elle avait toujours été admirative devant leur capacité à rester fort à tous les deux, Jukka s’en vantait, tandis que Taavi demeurait humble, c’était sans doute pour cela qu’elle se montrait toujours plus douce et bienveillante envers lui lorsqu’il s’agissait de guérison. La gitane lui adressait quelques encouragements tout en continuant de lui apporter des soins. Elle termina par un onguent cicatrisant et le recouvrit de la couverture de son lit afin qu’il puisse rester tranquillement au chaud. Il ne devait pas se lever, il risquait de s’évanouir à cause de l’importante quantité de sang qu’il avait perdu.

« Tu vas rester là cette nuit, tu risques d’avoir de la fièvre… »

La blessure était telle que le contraire l’aurait étonnée, aussi il savait qu’il était inutile de discuter de ce point là. La jeune femme se couvrit les épaules d’un châle multicolore, n’ayant pas eu le temps de se couvrir avec tout ce remue ménage alors qu’elle était vêtue d’une simple chemise. Puis elle revint d’asseoir près de lui, passant un linge frais et humidifié sur le front du jeune homme pour l’apaiser.

« Que s’est-il passé ? » Fit-elle en lui donnant un remède.
« Je vais te dire moi ce qu’il s’est passé ! » Fit une voix derrière

Cármen se retourna aussitôt, voyant Juka couvert de sang mas ne présentant pas de blessures. Sous son air furieux, la gitane fronça les sourcils le connaissant que trop bien dans ces moments de colère.

« Si cet imbécile avait réussi à tuer l’homme qu’il devait tuer au lieu de lui planter simplement une flèche dans l’épaule tout se serait passé autrement ! » Continua Jukka, hors de lui.

La colère de Jukka ne s’était pas tarie alors que Taavi avait répliqué tout aussi sèchement. La jeune femme n’aimait pas les voir se disputer et devait souvent intervenir pour qu’ils n’en viennent pas aux mains. Ce n’était pas toujours chose facile mais puisque Taavi était blessé elle n’avait pas envie que cela dégénère. La jeune femme posa sa main sur le bras de Taavi dans le cas où il tente de se lever, alors elle s’y opposerait totalement. Finalement, excédé, Jukka s’en alla de la roulotte une seconde fois en claquant la porte, laissant derrière lui un lourd silence.

« Quel idiot… »Fit Cármen en soupirant lourdement.

La bohémienne reporta de nouveau son attention sur Taavi, soucieuse que cela le mine alors qu’il était déjà suffisamment épuisé. Elle lui adressa un sourire et haussa les épaules avant de lui prendre la main et de regarder les lignes de sa paume. Elle lui avait déjà prédit son avenir, qu’il serait voué à un destin brillant et qu’il verrait de nombreuses choses, mais c’était avant qu’elle n’apprenne à lire bien d’autres choses. Du coup elle observa sa main un peu plus en détails que la dernière fois et vit quelque chose de surprenant.

« Oh ! Tu vas avoir de nombreux fils !! Je n’arrive même pas à les compter !! » Fit elle avec amusement.

C’était totalement hors sujet mais elle avait voulu lui changer les idées sur le coup. Cármen lui apporta de l’eau et de la nourriture, le forçant à tout manger afin qu’il puisse bien guérir. Elle surveilla la plaie en soulevant le bandage. Les saignements seraient sans doute persistants, elle serait donc obligée de tout renettoyer pour éviter les risques d’infection et empêcher la cicatrisation. Ils discutèrent tranquillement, Cármen lui raconta un peu sa journée et les projets des nomades afin de ne pas rester sur une note négative et attendit qu’il s’endorme. Elle devrait rester à côté et veiller sur son sommeil dans le cas où il se passe quelque chose durant la nuit. Elle espérait simplement qu’il soit bien installé et lorsqu’il s’endormi, quelques dizaines de minutes après, elle tomba de sommeil à son tour sur le fauteuil. C’était étroit et pas très confortable, mais c’était suffisant pour qu’elle se rendorme.

Elle ignorait quel temps s’était écoulé entre le moment où ses paupières furent closes et le moment où elle fut soudainement réveillée. Jukka était là, le regard brillant et un sourire sur les lèvres. Elle n’avait pas besoin d’être devin pour savoir à quoi il pensait, elle le connaissait suffisamment. La gitane n’opposa donc pas de résistance, déduisant qu’il cherchait à faire bonne figure et probablement se faire pardonner d’avoir été violent avec elle un peu plus tôt – du moins elle l’espérait. Ils s’isolèrent dans un coin, Jukka ne perdit pas de temps pour l’embrasser et soulever sa robe et unir leurs corps dans une ivresse indescriptible. Elle perdait pied à chaque fois, il savait comment la transporter et lui faire plaisir comme si son corps n’avait plus le moindre secret pour lui. Il l’avait épuisée, vidée de la faible énergie qu’il lui restait et la ramena à la roulotte en la portant dans ses bras.
Lorsqu’ils revinrent, Taavi était, semblait-il, toujours en train de dormir. Jukka déposa la jeune femme dans le fauteuil, l’embrassa une dernière fois sur les lèvres avant de se glisser dans le lit à côté de son frère. La nuit devint alors calme, Cármen s’était endormie assez vite mais se réveillait souvent alors que ses pensées étaient tournées vers Taavi, soucieuse de son état. A un moment de la nuit, elle posa sa main sur son front et senti qu’il avait un peu de fièvre. Dans un geste de bienveillance, elle caressa doucement sa peau et ses cheveux comme pour l’apaiser et peut être avec l’espoir que cela lui évite  que la température ne monte pas davantage. Cármen retombait toujours de sommeil, complètement fatiguée par cette nuit agitée mais savait aussi qu’elle ne passerait pas une nuit complètement tranquille.

Au lendemain, un rayon de lumière sur son visage la réveilla. Cármen sorti doucement de ses rêves et s’étira longuement avant de s’apercevoir qu’elle était la première réveillée. Ce fut donc avec une grande surprise qu’elle découvrit Jukka qui tenait son petit frère entre ses bras. Ils étaient adorables quand ils dormaient, ils avaient beau se disputer souvent elle savait qu’au fond leur amour fraternel était solide. Elle les observa longuement, touchée par cette image et ne fit pas le moindre bruit jusqu’à ce qu’ils se réveillent pour ne pas briser la magie.

« Vous êtes le parfait exemple de l’amour vache ! Restez endormis comme ça, c’est bien plus agréable que de vous entendre vous chamailler ! »

Cármen n’avait pas pu s’empêcher de les taquiner un peu. Elle savait d’hors et déjà que sa remarque ne serait pas du gout de Jukka mais elle s’en foutait complètement.

Cármen aurait dû s’attendre à ce que Jukka soit particulièrement mal luné ce jour là, à peine avait-elle pu plaisanter qu’il ne s’était pas gêné pour la remettre à sa place. Il arrivait que la gitane ne lui obéisse pas lorsqu’il lui donnait des ordres, parce qu’elle n’était pas sa femme et encore moins son esclave. La gitane fronça les sourcils et s’exécuta, enfilant un châle pour se protéger de la brise matinale, elle laissa les deux frères et entreprit d’aller préparer leur nourriture. Elle salua quelques confrères et consœurs qui étaient déjà levés. La matinée était déjà bien avancée, un bon ombre d’entre eux était partis chasser et les femmes affairées à donner le bain aux enfants. Autour du feu principal, il ne restait que quelques vieux sages, la bohémienne avait donc champ libre pour leur préparer un repas. Elle pris quelques œufs de leurs poules et de lard salé qu’elle fit cuire. Elle ajouta quelques épices et ne se priva pas de mettre une bonne dose dans le plat de Jukka histoire de se venger de la manière dont il s’était comporté avec elle.

Les deux frères vinrent s’asseoir, Cármen s’assura que Taavi ne souffrait pas de cette sortie et leur donna leurs deux assiettes avant de s’asseoir aux côtés de Taavi pour manger aussi. Elle surveilla d’un œil discret voir si sa petite boutade allait faire son effet. Charger en épices n’était pas un problème pour elle, elle les supportait très bien mais Jukka n’étant pas habitué, la réaction se ferait très vite ressentir. Puisqu’il n’avait pas mangé la veille, il attaqua son assiette avec gourmandise, Cármen mangeait tranquillement lorsqu’elle le vit changer de couleur et passer soudainement au rouge. La gitane étouffa un rire que Taavi seul avait dû entendre.

Mais n’appréciant visiblement pas son petit tour, se leva soudainement. Il cracha tout ce qu’il venait de mâcher et jeta l’assiette par terre dans un geste de colère noire. Le sourire de Cármen disparu soudainement, elle ne regrettait pas ce qu’elle avait fait mais se demandait s’il allait faire suite ou laisser cette histoire là. Et lorsqu’il tourna son regard sur elle, furieux, elle comprit que non. Jukka se laissait parfois emporter par ces colères là pour de toutes petites choses. Elle trouvait sa réaction beaucoup trop excessive pour une simple blague qui n’aurait pas pu le tuer.

« Espèce de… » Fit il en serrant les dents.

Le jeune homme s’approcha dangereusement d’elle, l’agrippant par les cheveux il la força à se relever et lui décolla une violente gifle d’un revers de main. Dans l’agressivité du geste, la gitane s’était retrouvée par terre, le ventre contre le sol et sonnée elle avait senti sa joue brûler sous le contact. Il l’avait surement insultée, mais elle n’avait pas prêté attention à ce qu’il lui avait dit, car pendant un laps de temps elle avait l’impression d’être cette huitième femme de ce marchand qui la punissait à chaque fois qu’elle refusait de s’offrir à lui ou de faire autre chose qui ne lui plaisait pas. Il arrivait que Jukka soit violent avec elle, à vrai dire il ne l’effrayait pas, il l’agaçait juste. La bohémienne se redressa soudainement, tentant de se relever pour s’éloigner avant de lui donner envie de recommencer et se retourna, basculant sur le dos tout en se tenant la joue.

« Je ne suis ni ta femme ni ton esclave, t’as eu que ce que tu méritais Jukka ! »
« Ferme là femme !! C’est ton rôle de me servir, t’as pas à discuter ni à me répondre!! »

Il s’avança vers elle et lui attrapa les chevilles visiblement dans le but de la punir encore puisqu’elle avait répondu. Plus le temps passait, plus il se permettait des gestes qu’un seul homme avait eu envers elle. Et visiblement là, il comptait la rouer encore de coups. Cármen se protégea le visage et poussa un cri pour le dissuader de s’approcher ou de faire quoi que ce soit.

Les sueurs d’angoisse avaient perlé sur son front lorsqu’elle entendit un grognement étouffé. Dégageant ses bras de ses yeux, la gitane vit Taavi qui avait pris sa défense pour attaquer Jukka et l’empêcher de lui faire plus de mal qu’il n’en avait déjà fait. La bohémienne recouvrit machinalement ses chevilles avec sa robe et se leva en panique. Taavi ne devait pas faire cela sous risque d’infecter la plaie ou de faire sauter les sutures.

« Arrêtez !!!! » Hurla la gitane à l’attention des deux frères.

Cármen attrapa le bras de Taavi pour le relever et se mit devant lui pour qu’il ne tente pas de faire quoi que e soit de plus. Elle ne pouvait décemment pas le sermonner parce qu’il avait pris sa défense et que si ça avait été elle, elle aurait pareil. Excédée, la jeune femme se tourna pour regarder Jukka se lever, lançant un regard noir à son frère et sur elle également. D’un geste violent, elle fit claquer sa main sur la joue du brigand. Une gifle pas aussi puissante qu’il lui avait donnée, mais les faits étaient là. Jukka cracha le sang accumulé dans sa bouche par terre tout en assassinant la jeune femme du regard.
Cármen n’attendit pas qu’il dise quoi que ce soit puisqu’elle ne comptait pas l’écouter cracher son venin. Elle emmena Taavi dans sa roulotte tout en prenant au passage l’assiette du jeune homme afin qu’il puisse quand même manger. Elle referma la porte, un calme s’installa et elle fit allonger Taavi sur son lit.

« Tu n’aurais pas dû faire cela Taavi… »

Il portait encore le pantalon qu’elle avait sectionné la veille afin de pouvoir garder un œil dessus. Pour le coup au travers du pansement on voyait que ça saignait abondamment. La gitane s’empressa de tout retirer et constata avec horreur que les sutures avaient cédé. Cármen soupira, leva les yeux vers Taavi mais restait douce et bienveillante à son égard.

« A cause de moi tu souffres sur tous les plans. »

La jeune femme s’empressa de lui refaire des points propres après avoir nettoyé. Pendant quelques longues minutes, elle s’était montrée minutieuse et était restée concentrée. Puis elle lui fit un nouveau pansement, lui demandant cette fois de bien faire attention lorsqu’il marchait. Il lui resterait une vilaine cicatrice.

« Promets moi de te ménager Taavi, je crains que tu ne puisses pas supporter une troisième suture… »

Le travail fut bien plus compliqué que la première fois, la peau en charpie avait imposé plus de sutures. Mais Taavi était resté fort encore une fois, il trouva même la force de s’opposer à ce qu’elle avait dit. Cármen se sentit rougir de part ses paroles mais aussi ce geste qu’il avait eu de replacer l’une de ses mèches derrière l’oreille. La jeune femme observa Taavi dans un long silence, perturbée. Elle avait de la chance de l’avoir près d’elle, parfois elle se demandait si ce n’était pas avec lui qu’elle devait être. Jukka ne lui avait pas vraiment laissé le choix alors qu’elle était loin d’être d’accord avec ses agissements. Il avait été facile pour lui de la charmer et de la séduire pour qu’elle soit amoureuse de lui, jeune fille inexpérimentée, traumatisée par un mariage arrangé. Cármen prit la main de Taavi, la serrant dans la sienne tout en portant leurs mains tout contre son cœur

« J’aime Jukka malgré cela. Tu sais qu’il a un bon fond et un grand cœur, je pense qu’il peut changer et apprendre à se maitriser. Mais toi Taavi, ne change jamais s’il te plait, tu es mon ami le plus précieux. Merci pour tout ce que tu fais pour moi. »

Une fois tout refait correctement et la plaie de nouveau assainie et hors d’infection, Cármen lui redonna son assiette et le laissa manger tranquillement. Les sutures avaient dû le fatiguer en plus de s’être battu. Elle veilla sur lui, afin qu’il ne manque de rien et lui demanda de rester alité pour la journée afin de laisser à sa peau le temps que ça puisse cicatriser tranquillement.

« Je reviens vite, tu ne bouges pas d’accord ? »

Sur le départ, la jeune fille offrit un doux sourire à Taavi et le laissa se reposer le temps d’aller voir Jukka. Concentrée, elle craignait de ne pas pouvoir le raisonner mais concernant son frère il devait impérativement éviter que ce genre de chose ne réitère. La gitane marcha un peu dans le campement jusqu’à retrouver Jukka qui s’était isolé dans un coin de la forêt.

« Jukka ? »

Lorsqu’il l’entrevit, elle s’approcha d’un pas déterminé avant de prendre place à ses côtés. Elle étira un fin sourire, forçant sur ses commissures en cherchant à calmer le jeu quitte à s’aplatir – c’était pour Taavi qu’elle le faisait.

« Excuse moi, je n’aurais pas dû faire ça. Mais s’il te plait, pour ton frère, essaye de faire attention, car j’ai dû refaire les sutures. »

Jukka semblait visiblement ne pas vouloir écouter e qu’elle avait à dire, entêté comme il était, il lui cracha son venin au visage en mentionnant son frère, visiblement jaloux qu’elle s’occupe de lui. La gitane fronça les sourcils, excédé de l’entendre aller jusqu’à insinuer qu’ils pouvaient avoir une relation dans son dos.

« Mais qu’est ce que tu m’inventes là Jukka ? Il est blessé, c’est normal que je m’occupe de lui ! Mais avec le nombre de débilités que tu es capable de sortir quand tu t’y mets va pas t’étonner que je préfère ton frère à toi ! »

Jukka se retourna, le regard noir. Cármen comprit à cet instant qu’elle avait été beaucoup trop loin dans ses aproles bien qu’elles puissent être véridiques puisqu’elle avait bien plus de complicité avec Taavi et que lui au moins, ne lèverait jamais la main sur elle. Cármen fit quelques pas de recul en le voyant se retourner complètement mais n’eut pas le temps de réagir qu’il lui asséna un coup dans le visage. La gitane s’écroula au sol, entre la douleur et le flou qui lui brouillait soudainement la vue. Elle leva ses mains en direction de Jukka qui ne comptait pas s’arrêter là et lui asséna des coups dans l’abdomen. Le souffle coupé, elle ressentait de violentes décharges dans ses côtes à mesure qu’il la frappait. La bohémienne étouffa ses cris, afin d’alerter personne et surtout pas Taavi au risque qu’il se blesse davantage.

Cela n’avait été qu’une question de secondes lentement écoulées avant qu’il ne cesse de lui faire mal alors qu’elle avait le souffle coupé. Il la laissa gire dans la nature et s’en alla. Se mouvement difficilement, elle bascula sur le dos et leva les yeux vers les branchages où une douce brise soufflait. Elle étouffa un sanglot, portant ses mains à son visage endolori et hoqueta de tristesse en laissant couler ses larmes. Chaque spasme était une nouvelle torture, Cármen se demandait ce qu’elle avait fait de si réellement grave pour mériter cela, elle qui était venue pour s’excuser et tout arranger.

La bohémienne se leva difficilement, portant sa main sur ses côtes où le moindre appui était insupportable. Elle sentait aussi sur son visage autour de son œil la peau gonflée était douloureuse à l’appui, il avait sans doute laissé une marque qui témoignerait qu’elle s’était faite frapper. Cármen déglutit, dénouant l’un de ses foulards à sa taille, elle entoura sa tête avec celui-ci de sorte que les pans sur les côtés puissent cacher un tant soit peu la bavure. La gitane continua de pleurer tout en allant vers la rivière où elle se rinça le visage. Elle ne pouvait pas retourner au campement dans cet état mais sentait qu’elle ne pourrait pas faire semblant.

Quelques minutes en plus et elle se dirigea de nouveau vers le campement, craignant de croiser Jukka dans celui-ci et surtout dans la roulotte. Fort heureusement il n’y avait pas le moindre signe de lui. La gitane entra donc dans la roulotte en veillant à ne pas montrer son visage à Taavi et prétexta préparer une mixture pour lui.

« Comment tu te sens ? »

Sa voix était encore étranglée, prise au dépourvu, elle se racla la gorge. Au bout d'un instant, ayant terminé le breuvage, elle prit une grande inspiration et s'approcha de Taavi pour le lui remettre entre les mains. Puis, elle se déroba rapidement sous son regard et prit place sur le lit en s'asseyant au bord, veillant à toujours lui être de dos

Taavi avait bien vite fait de remarquer quelque quelque chose n’allait pas. En temps normal elle serait allée s’isoler le temps que les marques s’estompent mais Taavi avait besoin d’elle et de ses soins. Il l’avait d’ailleurs remerciée mais la douleur ressentie était bien trop important pour qu’elle ne l’entende et garde ce seul point positif en tête. En s’état approchée de lui, elle avait tout fait pour paraitre naturel. Mais rien en elle n’était plus contre nature que de se cacher et se couvrir d’un voile pour qu’on ne la regarde pas.

La main de Taavi vint se placer sur son épaule, rassurante et bienveillante. Cármen contrôla les larmes qui menaçaient de nouveau de couler. Elle contrôla donc sa respiration, mais les douleurs à ses côtes dues aux coups reçus n’arrangeaient pas les choses et elle laissa échapper un sanglot. Cármen posa sa min sur celle de Taavi pour qu’il la retire, afin qu’elle se redresse et n’envisage de lui faire face. Elle ne pourrait de toute manière pas lui cacher éternellement, il allait finir par le voir de lui-même et la réaction serait encore pire que si elle tentait d’hors et déjà de la canaliser.

La gitane tourna doucement le visage vers Taavi, dévoilant à la lumière vacillante des bougies, les marques sur son visage. Elle ne savait pas à quoi cela ressemblait, mais l’on pouvait voir au fond de ses yeux comme un appel à l’aide que l’on faisait suffoquer. Puis elle se déroba une nouvelle fois de son regard et rajusta le foulard sur sa tête au cas où Jukka revienne et les surprenne en train d’en débattre.

« Je l’ai énervé, c’est de ma faute. S’il te plait ne fais rien et ne lui dis rien, ça passera. »

Elle savait que sa demande ne serait pas acceptée comme légitime et faisable, elle connaissait suffisamment Taavi pour savoir que ce dernier refuserait sans doute de rester les bras croisés et attendre que ça passe. Lui-même l’avait dit et pour une gifle il s’était jeté corps et âme contre le danger et ce malgré sa lourde blessure.
Cármen s’empara de ses mains en les entourant des siennes pour capter toute son attention, le désespoir accroché au visage.

« Je t’en supplie Taavi, j’arrangerais les choses mais je ne veux pas que tu prennes de nouveau ma défense et que tu risques de te blesser davantage.»

Ainsi dévoilée, la blessure déchirant son visage fit réagir Taavi bien assez vite. Il s’était levé, la gitane veillait à ce qu’il ne se fasse pas mal tandis qu’elle le suppliait de rien faire. La panique s’empara d’elle lorsqu’il se dirigea vers la porte. Cármen était venue se glisser entre la porte et lui, les larmes lui montant aux yeux et complètement sous l’effroi de Jukka. Ils avaient tout à y perdre s’ils répliquaient à cet affront que lui avait fait, Cármen l’avait provoquée d’elle-même et ne voulait pas mêler Taavi à cette histoire alors que le moment était très mal choisi. Il accepta à contre cœur de ne rien faire, le cœur de la gitane s’était alourdi de choses négatives, elle qui était toujours avec le sourire s’était fait complètement effacer. La seule chose qui ne la faisait pas craquer c’était l’amitié de Taavi, sa bienveillance et encore une fois son désir à prendre sa défense. Cela lui mettait du baume au cœur que tous n’étaient pas malintentionnés.

Taavi était donc allé se coucher, encore énervé par ce qu’il avait vu. Cármen avait les pensées ailleurs, elle n’avait pas risqué de se coucher aux côtés de Taavi dans le cas où Jukka revienne. Elle observait Taavi, les yeux clos, se demandant s’il dormait ou pas. A un moment, alors que la respiration du jeune homme se fit plus profonde certainement emporté par la fatigue, Cármen cru qu’il dormait et s’était laissée allée à tendre la main pour caresser doucement ses cheveux. Il ne dormait pas, ayant ouvert les yeux, la gitane prétexta vouloir vérifier s’il avait de la fièvre et s’il se sentait bien. Pour le reste de la nuit, Cármen observa la porte d’entrée de la roulotte, dans la crainte d’y entrevoir la silhouette de Jukka.

Le lendemain, ce dernier s’excusa platement pour ce qu’il avait fait, lui répétant encore et toujours qu’il l’aimait. Cármen lui avait pardonné bien évidemment, touchée par ses aveux mais n’était pas tranquille. Lorsqu’ils s’en allèrent pour aller tendre une embuscade à une cargaison passant dans le coin, ce fut comme un soulagement de voir Jukka partir. Elle avait honte d’avoir de telles pensées à l’égard de l’homme qu’elle aimait mais ce n’était peut être pas un hasard si Taavi seul avait eu droit à un regard inquiet, toujours par crainte qu’il lui arrive quelque chose.

La gitane alla à ses occupations, l’esprit tourmenté et inondé de questionnements alors qu’elle avait un mauvais pressentiment.

Le soir venu, elle entendu les sabots des chevaux battre le sol, témoignant l’arrivée de quelqu’un. Quelques brigands étaient revenus à cheval, d’autres à pied, mais ce qui la marqua le plus, c’était le regard affolé de ces derniers. Une angoisse lui saisit le cœur, elle marcha en direction d’où il venaient, cherchant du regard dans le groupe les deux frères. C’est là qu’elle vit le corps inanimé de Jukka porté par d’autres brigands dont Taavi. Cármen poussa un cri d’effroi et se jeta sur le corps de Jukka à la recherche d’un souffle ou des battements de son cœur lorsqu’ils allongèrent son corps au sol. Il était froid, frappé par la mort. Cármen leva les yeux vers l’un des brigands qui secoua négativement la tête, ils n’avaient rien pu faire pour lui.

La gitane se mit à pleurer toutes les larmes de son corps sur le cadavre de Jukka. Elle se sentait coupable, ayant eu cette impression de lui avoir porté le mauvais œil en étant contente qu’il s’en aille un peu. Agenouillée, la gitane inconsolable fut relevée au bout de longs instants par ses compères qui s’occupèrent de la dépouille de l’ancien chef. Brisée, Cármen alla se réfugier dans les bras de Taavi.

« Que s’est il passé ? »

Taavi raconta enfin ce qu’il s’était passé, donnant à Cármen les images effroyables de ce moment alors qu’elle pouvait parfaitement se les imaginer. Jukka avait beau avoir été un parfait goujat, il l’aimait et lui avait offert de nombreux joyeux moments malgré cela. Le savoir mort sans savoir qu’elle n’aurait pu le rendre moins agressif afin qu’ils connaissent le bonheur d’un couple uni et amoureux la faisait regretter. Elle demeurait blottie entre les bras de Taavi, pleurant à chaudes larmes. Elle avait remarqué que Taavi ne pleurait pas, sans doute sous le choc de ce qu’il venait de se passer.

« Que les dieux soient loués, tu n’as rien, je n’aurais pas supporté de te perdre toi aussi. »

Cármen se détacha de lui, suivant le cortège jusqu’au campement alors que les gitans découvraient avec effroi le cadavre de Jukka, lui qui avait mené ses hommes pour leur venir en aide de très nombreuses fois. On lui prépara donc de belles funérailles, tous portèrent l’habit de deuil.

Le jour des obsèques, Cármen demeura aux côtés de Taavi, silencieuse. Il ne pleurait toujours pas mais quelque chose en lui semblait avoir changé. Elle se demandait à quoi il pensait, s’il se sentait responsable ou s’il regrettait de s’être querellé avec lui juste avant. A priori il n’avait pas eu le temps de lui dire adieu, ce qui devait être épouvantable à vivre. Alors que des prières étaient dites en son nom, le silence se faisait dans tout le campement. La jeune femme glissa l’une de ses mains sur le bras de Taavi pour l’interpeller doucement.

« Si tu veux parler, sache que je suis là. »

Elle n’aimait pas le voir bloqué de la sorte, espérant que sa personnalité n’allait pas s’assombrir à cause des événements. Taavi avait été nommé chef à la place de son frère, ce qui réjouissait tout de même Cármen, lui qui avait longtemps était dans l’ombre de son frère allait pouvoir montrer qu’il était tout aussi talentueux que Jukka si ce n’était plus.

« Je vois que tu ne pleures pas, je ne veux pas que tu restes choqué et que cela te change. »

Perdre Taavi aussi bien dans la vie qu’en amie serait ce qui l’achèverait définitivement. Cármen glissa sa main dans la sienne afin de lui faire comprendre qu’elle serait là pour le soutenir, quoi qu’il en coute.

« Je serais toujours là pour toi. »

Cármen fit de même lorsque Taavi était parti, sentant les larmes revenir en pensant qu’elle avait perdu celui qu’elle aimait. Elle avait honte d’avoir souhaité qu’il disparaisse et se sentait presque responsable. Elle alla se glisser sous ses couvertures après avoir retiré ses vêtements pour enfiler une longue tunique épurée dans laquelle elle se sentait à l’aise pour dormir. Plongée dans la pénombre, elle pouvait entendre au travers du mur les conversations des gitans et des brigands à propos de Jukka. A priori Taavi était le seul qui avait vu la scène. Ses pensées se tournèrent vers lui qui devait être seul, peut être qu’il craquait lui aussi ? La gitane reniflait, tentant de ralentir ses larmes. Elle avait mal à la tête, une migraine faisait bouillir ses tempes. Les ombres des gitans d’au dehors vinrent se dessiner sur les murs de sa roulotte, pénétrant dans celle-ci dans des formes monstrueuses. Elle craignait que Jukka l’accuse, que son esprit vienne la hanter.
Des sueurs d’angoissent commencèrent à la parcourir, durant quelques heures alors que le silence s’était installé sur le campement, elle ne pouvait se retirer cette idée de la tête. Viendrait-il lui faire du mal ? Lui qui avait failli la tuer. La gitane ne supportait plus cette angoisse, ayant un besoin de le dire à quelqu’un. Cármen ne prit pas le temps de se couvrir les épaules d’un châle qu’elle s’en alla vite de sa roulotte, elle se dirigea
instinctivement vers la tente de Taavi et y entra sans avoir demandé la permission.

« Taavi ? » Fit-elle en panique, en sueur.

Il était assis sur sa couche, visiblement il n’arrivait pas à dormir lui non plus. Cármen vint s’agenouiller devant lui, le souffle saccadé.

« Il va venir me hanter j’en suis sure, il va venir me tuer parce que j’ai souhaité de nombreuses fois qu’il disparaisse. Mais je ne voulais pas de cette manière, il va savoir que j’ai attiré le mauvais œil sur lui et il va venir pour se venger… J’ai tellement peur…»

Cármen n’avait aucune preuve que ce genre de chose existait mais étant suffisamment croyante, elle le pensait tout à fait faisable.

Cármen suivit instinctivement Taavi, se demandant se qu’il avait, si elle avait été trop loin et s’il lui en voulait. Elle ne lui demanda pas ce qu’il avait ni ou il allait, elle le suivait. Il se dirigea en dehors du campement, s’enfonçant dans la nature sur un chemin qui savait lequel était manifestement, Cármen ne tenta pas de le retenir lorsqu’elle se rendit compte qu’il allait là où l’on avait enterré son frère, il agissait de manière bien trop étrange. La jeune femme se stoppa à ses côtés lorsqu’il arriva près de la tombe de Jukka. La gitane fronça les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir jusqu’à ce qu’il se mettre à creuser la tombe. Horrifiée par ce qu’elle voyait, elle posa sa main sur l’épaule de son ami. Quelque chose l’empêchait encore de l’arrêter dans son entreprise, elle ne devait surtout pas s’interposer dans ce genre d’affaires.

« Taavi ? Qu’est ce que tu fais ? »

Il ne semblait toujours pas l’entendre, enfermé dans ses pensées tandis qu’il dégageait les pierres et creusait la terre à mains nues. Au bout d’un moment elle vit la main de Jukka  salie par la boue, livide et sans vie. Un pincement se fit ressentir en son cœur qui le serra alors qu’elle se dérobait de cette vue. Les larmes lui montèrent aux yeux, lui piquant le nez. Elle ne comprenait pas pourquoi Taavi avait fait ça, avait il peur d’être hanté lui aussi ? N’avait il pas réalisé sa mort ? L’atmosphère était étrange et dérangeante, Cármen vit Taavi se laisser tomber sans rien dire alors qu’il avait cessé de creuser. La gitane tira le bras du brigand après s’être agenouillée près de lui.

« Parle moi Taavi, que se passe t-il ? »

La gitane prit son visage entre ses mains afin qu’il la regarde et qu’elle puisse conserver son attention. Elle le sentait tout aussi sous tension qu’elle, ressentant les battements de son cœur sous ses doigts et son regard voilé par quelque chose de sombre. Mais à ce moment là, son silence était pire que la mort alors qu’elle avait grandement besoin d’être rassurée.

Ainsi qu’elle l’avait ressenti, Taavi n’arrivait pas encore à réaliser ce qu’il s’était passé. La jeune femme admirait sa force, il tentait de ne rien laisser paraitre sans doute pour lui éviter de se faire plus de souci qu’elle ne s’en faisait déjà. Lorsqu’il l’attrapa pour la serrer, Cármen n’attendit pas plus pour l’enserrer dans ses bras. Elle ferma les yeux et pu ressentir les battements saccadés de son cœur. Sa respiration haletante et angoissée la poussa à caresser doucement son dos dans un geste empli d’affection afin de lui apporter un peu de réconfort. Il devait passer de ces moments horribles, lui qui avait toujours été accompagné de son frère, il se retrouvait désormais seul. Du mois sans son frère, car la gitane ne comptait pas le laisser tomber jusqu’à ce qu’il décide de reprendre la tête du groupe et sans doute de s’en aller. Autrement il savait qu’il pourrait rester avec les bohémiens, qu’il serait toujours considéré comme l’un des leurs et que cela ne poserait de problème à personne, bien au contraire. Avec cela il serait un soutien à son père qui était quelque peu perturbé par la perte de Jukka bien qu’il s’était toujours mieux entendu avec Taavi.

Elle demeura un moment dans ses bras, attendant que son rythme cardiaque redevienne normal le temps d’une étreinte affectueuse et ressourçante. Le brigand lui demanda quelque chose pour dormir et évoqua également le souhait de ne pas se retrouver seul. Cármen hocha positivement la tête sans avoir hésité un seul instant à sa demande. Pour elle il était tout naturel de faire ce qu’il lui demandait. Elle le prit par le bras et tous deux retournèrent vers le campement afin qu’ils puissent terminer leur nuit sans plus de cauchemars. Ils entrèrent dans la roulotte de Cármen, celle-ci fit asseoir son ami sur son lit le temps qu’elle lui prépare quelque chose. Il s’agissait d’une racine qui à très petite dose avait un effet relaxant et apaisant mais qui à forte dose pouvait vite être addictif et hallucinogène. Fort heureusement, la gitane avait l’habitude de le doser et lui donna le remède en restant à ses côtés.

« Tu peux dormir ici avec moi. »Fit-elle doucement.

La gitane se sentait fatiguée et alla éteindre les quelques bougies qu’elle avait allumées pour plus de visibilité avant de retirer son châle et d’aller se glisser dans les couvertures. Elle invita Taavi à venir à ses côtés, tandis que celle-ci s’était installée sur le côté elle pouvait voir son visage. Elle l’observa un instant en silence puis se redressa pour déposer un baiser sur sa joue avant de lui souhaiter bonne nuit. Puis, la gitane lui tourna le dos, légèrement intimidée par sa présence.