Little man in a tree - ft. Estel

La matinée était belle, bien qu'encore fraîche, mais le ciel dégagé de la nuit leur avait promis une journée ensoleillée. Cenhelm avait dormi comme une tombe et d'une seule traite, un sommeil lourd qui avait été réparateur – si l'on oubliait le bleu violacé qui lui ornait le nez, bien sûr, mais ces traces là ne s'en vont pas en une nuit. Il avait profité de son temps libre depuis son réveil pour aller passer du temps aux écuries des elfes, un moment réellement inoubliable qu'il se ferait une joie de conter à Adelind lorsqu'il la reverrait. Plus il passait de temps ici, plus il regrettait de ne pas avoir son épouse à ses côtés. Elle aurait su apprécier cet endroit merveilleux bien plus que lui, et il se disait au fond qu'elle aurait plus mérité le droit de l'explorer que lui. Il espérait un jour avoir l'occasion de l'emmener ici en voyage, si l'avenir leur était clément.

Lorsqu'il avait quitté les écuries alors que la course du soleil s'approchait doucement du zénith, il avait déambulé entre les terrains d'entraînement. Ici tout semblait être en accord parfait avec la nature, et la nature leur rendait bien en décorant délicatement chaque barrière de bois, chaque petit banc en pierre. Rien ici n'était sobre et poussiéreux, comme les carrières pouvaient l'être en Rohan, et Cenhelm se disait qu'apprendre le maniement des armes ici devait être un art bien plus fin et soigné que chez les hommes. Les elfes étaient peu nombreux à s'entraîner à cette heure, mais tous ceux qui étaient présents le faisaient avec une facilité et une grâce déconcertante. Cenhelm s'était arrêté pendant de longues minutes pour observer un duo de jeunes elfes s'affronter sous le regard attentif d'une elfe plus âgée. En tout cas, elle semblait être leur aînée – c'était assez difficile de donner un âge à un elfe. Elle était un peu plus grande et son ton calme et posé, ainsi que sa façon de s'exprimer lui conféraient une aura de sagesse et d'expertise dans le domaine qu'elle enseignait.

Cenhelm observa avec attention les elfes parer les coups l'un de l'autre, virevoltant parfois avec un peu trop d'enthousiasme pour être réellement efficaces. Il songea pour ce qui lui semblait être la millième fois que l'existence même des elfes était difficile à concevoir. Il avait du mal à réaliser ce à quoi pouvait ressembler la vie d'un être qui comptait plus de deux mille ans, avait du mal à se décider entre les envier ou les plaindre ; vivre une vie si longue était un concept parfaitement fascinant : avoir la chance de traverser les âges, de connaître les évolutions techniques et sociales, traverser l'histoire sans se sentir vieillir... mais était-ce vraiment si enviable ? Les petites choses de la vie, les plaisirs simple avaient-ils la même saveur lorsqu'on les vit depuis si longtemps ? Une question qui saisissait le seigneur au plus profond de son être et qu'il se plaisait à méditer sous le doux soleil de cette fin de matinée.
Il finit par se remettre en route et s'arrêta un peu plus loin, s'accoudant à une barrière en bois devant le champ de tir. Il y avait une demi-douzaine d'elfes qui s'essayaient à l'arc, et comme la légende le voulait, ils étaient tous très doués. Le son claquant des cordes qui se relâchaient, suivi par le sifflement des flèches tranchait avec les chant des oiseaux et le bruit relaxant de l'eau qui s'écoulait au loin. Cenhelm resta debout là pendant de longues minutes, admirant la technique des elfes en profitant de ces instants de quiétude qui le faisaient momentanément oublier son nez cassé et ce fils à quelques mètres d'ici qui le détestait certainement de tout son être.

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Personnellement, Cenhelm n'avait jamais été un grand archer. Il avait reçu l'entraînement basique à son entrée dans les Cohortes, mais il est vite apparu qu'il était bien meilleur escrimeur qu'archer. Déjà dans sa jeunesse, son jeune frère Honoré le battait facilement au tir à l'arc et n'en était pas peu fier ; bien sûr, le jeune Cenhelm ne se faisait pas prier quand il s'agissait de le battre au duel à l'épée pour lui rappeler qui était l'aîné de la fratrie. Ainsi voir de talentueux archers à l’œuvre l'avait toujours fasciné. Cela l'avait frustré un certain temps mais il avait fini par admirer leur habileté et leur précision, appréciant le calme et l'apaisement de leurs entraînements. L'exercice n'était pas le même que celui de croiser le fer : ici la concentration silencieuse régnait en maître et les seules gouttes de sueurs étaient celles qui perlaient le front des archers espérant toucher leur cible.

Le calme régnait, donc, et un craquement de branche suivi d'un petit cri ne passait pas inaperçu. Cenhelm leva les yeux rapidement, cherchant la source du bruit qui venait de quelque part à sa droite. Il s'écarta d'un pas de la barrière, ses yeux inspectant les environs quand une voix au timbre jeune s'éleva, exprimant clairement un grand soulagement. «  Wow ! Ouf, c’était moins une ! » Cenhelm eut un petit sourire en coin qui, comme bien souvent, ne se retrouvait pas dans l'expression de son regard sérieux et froid. Guidé par la voix qui venait de retentir, il s'approcha d'un jeune chêne dont le bout des branches enjambait la barrière du champ de tir. Plus loin, les elfes semblaient imperturbables, apparemment peu inquiétés par le bruit qu'ils avaient probablement entendu grâce à leur ouïe légendaire. Le seigneur finit par arriver au pied de l'arbre et ne fut pas tellement surpris de trouver un enfant à califourchon sur une branche. Il s'arrêta et l'observa un instant avant de prendre la parole. «  Tout va bien là-haut, mon garçon ? » demanda-t-il, les mains croisées dans son dos dans son habituelle posture militaire. Un enfant, ici. C'était le premier que Cenhelm croisait depuis son arrivée. S'agissait-il d'un jeune elfe ? Le seigneur n'en n'était pas encore certain, mais si c'était le cas cela serait très curieux à voir. Comme pour beaucoup d'humains connaissant le mythe des elfes, il lui était assez difficile de se faire à l'idée que oui, ces êtres quasiment immortels naissent et grandissent eux aussi. «  Que fais-tu ainsi perché dans cet arbre ? »

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