Petit arrêt au poney fringuant.... (feat. Flora)

Cette nuit, la pluie se faisait battante, les rues semblaient vides. Une silhouette encapuchonnée franchissait le seuil de l'auberge du poney fringuant. Sylveste était de passage en ville et avait décidé de faire halte en cet humble et chaleureux lieu, elle avait d'ailleurs donné rendez-vous à son client ici. Quelques personnes se retournaient sur la belle elfe brune, trempée. Elle s'assit à la table prévue, commandant un jus à la charmante serveuse en attendant.

Elle observa plus en détails l'auberge. Quelques voyageurs buvaient leurs bières et les serveuses faisaient de leur mieux pour repousser les avances d'humains sales, parfois même soûls. Elle appréciait les humains, généralement. Non. Ils la fascinait. Elle guettait de loin leurs réactions face ou tel ou tel événement, qu'elle notait dans un petit carnet qu'elle avait trouvé dans ses vieilles affaires. Ceux là, ces humains, ces drôles d'ivrognes de lui plaisaient pas, mais alors pas du tout. oh, comme elle voudrait les remettre à leur place, les faire taire pour faire profiter aux autres de cette soirée plutôt jolie... Sauf que...

Le monde est tel qu'il est et elle n'y changera rien. Il fallait rester dans l'ombre, garder le silence pour avoir la paix. Elle voulait profiter de sa délivrance, sa nouvelle liberté, si fragile... Le moindre faux pas peut tout faire recommencer. Pas question de revivre cet enfer ! C'était sa vie, ses choix, elle ne relaisserai plus personne décider de son destin !

Elle lorgnais du coin de l’œil un groupe de rôdeurs de passage riant ensemble en regardant de quelles quêtes ils allaient se charger cette fois ci.  Un jour elle aussi. Un jour, elle aussi partirait à l'aventure, se jetterai dans le grand bain, se ferai des compagnons en cours de route, changerai la routine ! Mais pas tout de suite. C'était trop tôt encore. Elle n'était pas encore assez puissante. Pas assez confiante. Mais parfois, quand tout s'effondrait, elle s'amusait à reforger sa vie avec des "si" et des "peut-être". C'était stupide, mais elle se sentait mieux après l'avoir fait. C'est comme ça.

 Un frisson glacé lui parcourut l'échine, la tirant de la semi-torpeur dans laquelle elle se trouvait actuellement. Elle avait froid. Ce qui, en soit, n'avait rien d'étonnant, vu que la pluie l'avait trempé jusqu'aux os. Et elle qui n'avait même pas retiré sa cape ! Après avoir retiré son capuchon elle s'ébroua quelques peu. Son client la faisait attendre... Lui aurait il poser un lapin ? Ses nattes mouillées se balancèrent pendant qu'elle secouait la tête. Ah.... Parfois, certains humains aimaient fixer des rendez vous aux autres et ne jamais venir juste pour les humilier. Elle ne voyait vraiment pas ce qui pouvait être drôle là dedans. Ah, ces humains... Ou peut-être était il juste en retard à cause d'un empêchement quelconque. Il fallait vraiment qu'elle dramatise toujours tout. Il fallait vraiment se débarrasser de cette encombrante manie.

Son jus arriva enfin. Tiens, elle l'avait oublié celui là. La fraîcheur de la boisson lui fit regretter ce choix: pourquoi n'avait elle pas commander une boisson chaude ? Peut-être n'était il pas trop tard pour en demander une.... Non. Il fallait se contenter de ce qu'elle avait. Un point c'est tout. Cette carapace qu'elle s'était forgé lors de sa périlleuse fuite et son installation à la forêt noire l'empêchait malheureusement de s'ouvrir, aux autres au monde qui l'entourait. "Trop dangereux ceci, trop dangereux cela..." cette cavale et l'action de toujours devoir se cacher l’empêchait de vivre sa vie  comme elle le voulait. De plus, elle n'avait personne. Personne pour se confier, personne pour la pousser à faire ce qu'elle avait envie, pour la conseiller... Nul ne voulait s'approcher d'elle. Apprendre à la connaître ? Trop de risques.

Une légère moue se forma sur les lèvres de la jeune elfe. Bon, elle ne faisait pas d'efforts non plus... Elle se contentait de regarder, mais elle ne faisait jamais le premier quand il s'agissait de créer des liens. Par exemple: elle regardait tout les jours les mercenaires de la forêt noire se débarrasser des araignées, elle les aidait mais... Ils n'avaient pas idée de leur existence. Ou.... peut-être que si. Elle avait un jour croisé le regard d'un jeune elfe que les autres appelaient "prince". Si il l'avait vu ? Elle ne savait pas, bien sûr. Mais maintenant.... a penser de tout ça, elle en devenait toute embrouillée. Zut !

Elle se laissa retomber sur la table, tel un crustacé non doté d'une colonne vertébrale ( pas très gracieux, tout ça !), exaspérée par elle même. Elle sortit sa dague et commença à l’aiguiser, elle n'avait après tout que ça à faire avant l'arrivée de son client. ( si il arrivait un jour...) Sa marchandise avait, par chance, été épargnée par l'eau de pluie. Tant mieux.

Elle entendit des rires bourrus. Elle vit, de son coin d'ombre que la petite et frêle serveuse se faisait importuner par des hommes, comme si ils la prenait pour une vulgaire poupée. Elle les toisa avec dégoût. Considérer les femmes comme des simples objets... Quels horribles personnages, décidément. La victime de dégagea tout de même de ses "agresseurs" en déclinant poliment leur offre. Sylveste était admirative: Comment faisait elle pour garder son calme face à ça ? A sa place, elle leur aurait réglé leurs comptes une bonne fois pour toutes ! Mais non. Ça ne devait quand même pas être facile tout les jours.

Elle attendit que la serveuse appelée "Flora" passe pour la retenir par le bras. Celle ci se retourna, ayant sursauté. L'elfe, demanda à voix basse, essayant de trouver les bons mots ( car elle n'a pas parlé depuis plusieurs centaines d'années à un humain, mis à part pour les "je voudrais une chambre, s'il vous plaît." ou " un verre de jus d'orange")

-Ces personnes vous importunent elles ? Si vous voulez qu'ils vous laissent tranquille, dites moi et je vais les calmer...

Elle ne faisait peut-être pas le premier pas pour les relations "humaines ou autres" mais elle n'hésitait pas à aider les personnes dans le besoin, elle se sentait une personne juste après... Elle espérait juste qu'elle n'avait pas fait peur à cette gamine...

Dehors, un violent orage s'était abattu sur le Pays de Bree mais à l'intérieur du Poney Fringant, l'ambiance avait été chaleureuse et conviviale jusqu'à ce qu'un groupe d'hommes arrive et commence à mettre une ambiance détestable. Bien sûr, Flora n'en perdait pas pour autant son sourire, sa patience et son amabilité, servant les clients avec ce même professionnalisme dont elle faisait toujours preuve. Il y avait du monde les nouveaux arrivants n'avaient pas perdu leur temps pour réclamer leur commande :

— Alors ! On nous sert ? C'est quoi cette baraque ?
—  Ouais il fout quoi le patron ? Il va nous laisser crever de soif ?

Ils étaient un groupe de cinq autour d'une table à brayer sans cesse, de plus en plus pressant pour avoir leur dose d'alcool. Des inconnus que Flora à sa connaissance ne pensait jamais avoir vu dans la région. Le patron envoya Flora les servir. Les longs cheveux bruns de la jeune serveuse étaient nattés en deux tresses ce jour-là, et la simple robe verte qu'elle portait faisait ressortir l'émeraude de ses yeux à la forme d'amande. Elle arriva avec un plateau chargé de trois pichets et les hommes se mirent à siffler à son arrivée devant leur table.

— Que ces messieurs se rassurent, voici de quoi tenir, trois beaux pichets de vin ! déclara-t-elle en les disposant devant eux.
—  Ahah ! C'est qu'elle est mignonne la petite !
—  Ouais, tu vas te joindre à nous ?
—  Messieurs, votre proposition me touche mais j'ai d'autres tables à servir, même si vous avez fait fuir nos habitués. Vous me devez huit piécettes.

Ils ricanèrent bêtement à sa réponse.

—  Attends, on va sûrement s'arranger autrement...

Celui qui semblait être une sorte de meneur du groupe, attrapa la jolie serveuse par la croupe. La cala sur ses genoux et de ses bras fermement placés autour de ses hanches, l'emprisonna. Elle n'eut pas le temps de réagir, son plateau - heureusement vide - s'étala de tout son plat sur le sol, elle poussa un léger gémissement.

Des images horribles avaient soudain jailli dans son esprit tandis qu'il l'attirait contre lui et commençait à passer ses mains au niveau de ses cuisses, heureusement recouvertes par sa robe. Comme si la scène se déroulait à nouveau sous ses yeux, l'horreur qui l'habitait alors à nouveau présente en elle. Cette nuit-là, dans les écuries, ces hommes, le sang, la peur...

Flora sentit son cœur s'accélérer soudain et paniqua complètement, se débattant comme une proie prise au piège. Surpris par sa réaction vive, l'homme l'avait relâché, et elle finit par réussir par se dégager de cette étreinte un peu violemment. Le groupe se mit à rire de plus belle.

—  Allons gamine, fais pas ta minaude effarouchée... On sait bien que t'as envie de ça, pas vrai ?

Tandis qu'il lui payait l'argent du, un autre homme à l'arrière lui fit un nouveau un geste grossier et suggestif et elle tourna la tête avec une moue dégoûtée et affligée.

— Laissez-moi, je n'ai pas de temps pour ça.

— Après le service alors poupée ? lui lança l'homme avec un sourire qui se voulait sans doute séducteur et un clin d’œil clairement suggestif.

Bien sûr, ce genre de numéro de "charme" était loin de faire effet sur Flora, et elle le voyait un peu trop souvent à son goût.

— Je ne suis pas intéressée, répondit-elle froidement et sèchement la brunette avant de ramasser son plateau et retourner à ses occupations.

Lorsqu'une main ferme agrippa son bras au passage, elle ne put s'empêcher de sursauter, surprise et toujours tendue par ce qui venait de se passer et du dégoût profond qu'elle ressentait pour ces hommes et leurs manières.

— Ces personnes vous importunent elles ? Si vous voulez qu'ils vous laissent tranquille, dites moi et je vais les calmer...

Flora avait reconnu la voix mélodieuse et chantante du Beau Peuple et ses yeux s'écarquillèrent de surprise. Une Elfe, ici, dans cet auberge ? Ce n'était pas souvent qu'ils avaient de tels clients... C'était même très rare, bien plus que les Nains venant des Montagnes Bleues ou des Monts Brumeux. Que faisait une tellement personne en ses lieux ? Cette Immortelle se préoccupait-elle réellement de son sort, elle, simple humaine ? La jeune femme n'en revenait pas.

— Je pense que ça va aller, merci ma Dame. lui répondit-elle en s'inclinant respectueusement, son plateau calé sous les bras. Désirez-vous quelque chose ?

Bien sûr, elle était belle, incroyablement belle, de cette beauté presque irréelle et éthérée dont était dotée les représentants de cette race qui peu à peu disparaissait des Terres du Milieu. Elle se demandait comment ces hommes avaient pu s'intéresser à elle lorsqu'il y avait quelqu'un de clairement plus fascinant devant ses yeux. Elle était subjuguée, comme si elle se retrouvait devant une créature légendaire, de celles dont elle n'avait entendu parler qu'à travers les récits des bardes. Pourtant, ce n'était pas la première Elfe qu'elle rencontre, mais cela était plutôt rare d'en croiser.

A en juger de par sa tenue et son attitude si étrangement humaine, Flora n'en était que davantage fascinée, dissimulation mal son admiration et son excitation toute innocente, presque enfantine. Elle rêvait d'aventures et devant elle se trouvait une aventurière Elfe, et celle-ci s'était intéressée à elle, lui avait parlé. En attendant sa réponse, son regard se perdit dans ses yeux d'une couleur assez proche de la sienne, mais qui laissait voir un âge et une sagesse sans aucun doute supérieure à celle de la jeune humaine.

— Je pense que ça va aller, merci ma Dame..Désirez-vous quelque chose ?

La petite s'inclina. Sylveste en fut impressionnée: elle restait professionnelle, même pendant les pires moments. Comment faisait elle pour rester aussi aimable ? Elle n'avait même pas perçu une pointe d'énervement dans sa voix. Comment était ce possible ? Elle venait de se faire toucher de la pire sorte par des vieux ivrognes ! Même elle, parfois perdait son calme légendaire. Dans cette situation, elle les aurait peut-être tués... Et ce genre d'incidents devait arriver souvent, en tout cas, l'elfe le déduisait.

Il est vrai que cette enfant était d'une beauté fraîche, elle ressemblait à une jolie fleur qui venait d'éclore.... Malheureusement, leur vie était si éphémère... Dans un temps très court pour l'aventurière, cette serveuse sera ridée et pleine de rhumatismes.... Elle chassa ces pensées de son esprit, elle avait quand même du temps devant elle ! Elle sourit chaleureusement à cette humaine, à qui elle accordait un réel intérêt.

Les humains étaient amusant, parfois intéressants, mais sans plus. Pourtant ce petit oiseau, avait du caractère et elle s'avouait intérieurement qu'elle l'admirait beaucoup. Mais ça ne se voyait pas énormément. Contrairement à son interlocutrice. Ses yeux pétillaient et elle semblait faire un effort surhumain pour rester en place. Peut-être aimait elle l'aventure ? Ou les elfes ? Ou alors les deux...

-Hum... Non, je ne vois pas comment tu pourrais m'aider plus que tu ne le fais déjà..... Ah ! Si ! Assieds toi, discutons un peu, pour quelques minutes. Mon client n'est pas prêt d'arriver, alors... J’espère que tu n'y vois pas d'inconvénients....

Elle joignit les gestes aux paroles, lui désignant la chaise en face d'elle, l'invitant à s’asseoir. Pourtant, Flora semblait hésiter. Était elle méfiante ? Ou juste tiraillée entre son travail et sa curiosité...? Pourtant son patron pourrait lui laisser un peu de temps, elle en perd avec des ivrognes imbéciles qui la tourmente, peut-être perdrait elle du temps, mais ça serait déjà plus intelligemment. Et puis, elle voulait savoir des choses sur l'elfe ça sautait aux yeux, et c'était réciproque. L'aventurière trempée voulait lui parler, qui sait, elle pourrait peut-être la renseigner sur des coutumes locales ou autres ! Finalement Sylveste lâcha une poignée de pièces  sur la table:

-Ton patron ne nous en voudra pas, avec ça, si ?

— Hum... Non, je ne vois pas comment tu pourrais m'aider plus que tu ne le fais déjà... .

L'aider plus qu'elle ne le faisais déjà ? Qu'est-ce que l'Elfe pouvait bien vouloir dire par là ? Qu'avait-elle donc fait pour l'aider ? La jeune serveuse était légèrement confuse par ces propos. Peut-être se sentit-elle aussi immédiatement sur la défense après ceux-là. L'Elfe avait l'air d'en savoir plus qu'elle n'en savait elle-même à son sujet. Sinon pour quelle raison valable pourrait-elle vouloir lui parler à elle ? Elle n'était qu'une humaine dont la vie filerait tandis que l'Immortelle irait jusqu'à oublier qu'elle ait jamais existé, le temps ne laissant aucune marque, aucune ride sur son beau visage. Que pouvait donc avoir Flora qui l'intéressa à ce point ?

— Ah ! Si ! Assieds toi, discutons un peu, pour quelques minutes. Mon client n'est pas prêt d'arriver, alors... J’espère que tu n'y vois pas d'inconvénients...

Flora hésitait, tiraillée entre sa curiosité, sa méfiance et son professionnalisme. L'Elfe posa une poignée de pièces sur la table. Une fortune à n'en pas doute aux yeux de la petite brunette. Avec une telle somme d'argent elle ne s'imaginait pas ce qu'elle pourrait faire. Elle aurait sans doute les moyens de partir d'ici et de mettre cette ville derrière elle, oublier son quotidien parfois si routinier. Elle pourrait découvrir plus de ce que lui offrait cette vie...

— Ton patron ne nous en voudra pas, avec ça, si ?

Elle la payait pour discuter avec elle ? Flora était de plus en plus interdite et d'autant plus méfiante également. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Qu'avait-elle qui puisse attirer l'intérêt d'une Elfe ? Elle n'était qu'une serveuse, une simple serveuse, et le seul talent caché qu'elle pouvait avoir était d'avoir reçu une instruction hors du commun et des connaissances en matière de guérison. Mais certainement rien qui ne puisse égaler une Elfe ! Elle se demandait ce qui avait pu intriguer à ce point cette belle dame aux cheveux bruns. La serveuse était elle-même curieuse à ce sujet car hormis son apparence, sa présence et sa prestance, cette dernière semblait vraiment différente du Beau Peuple. Elle ne parlait pas ni n'agissait vraiment comme l'un d'eux.

Flora avait été légèrement blessée dans sa fierté lorsque l'Elfe avait proposé de la payer pour son temps. Celle-ci croyait-elle que tout humain avait son prix ? La guérisseuse n'était sûrement pas de ceux-là, elle donnait son temps, son talent et ses connaissances aux plus démunis sans rien demander en retour, n'était-ce pas preuve suffisante ? Elle jeta un œil à la table des hommes qui lui lançaient toujours des clins d’œil et d'autres gestes obscènes. Ils n'allaient sans doute pas laisser tomber de si tôt et elle ne voulait pas les encourager de manière à ce que cela se termine par un autre drame.

Même si une partie d'elle voulait accepter cette invitation et discuter avec l'Elfe, poussée par la curiosité qu'elle était, elle ne le pouvait. Elle avait réellement beaucoup trop de travail même si elle n'était pas la seule serveuse et qu'elle voyait Rose s'affairait à l'autre bout de la salle, lui jetant de temps en temps un regard qui indiquait clairement qu'elle se demandait bien ce qu'elle pouvait faire ainsi, figée sur place depuis un moment. Convaincue en partie par sa dignité blessée, la jeune fille finit par prendre sa décision et elle s'inclina à nouveau, mais plus bas cette fois.

— Je suis désolée ma Dame, monsieur Poiredebeurré serait sans doute ravi de recevoir un tel paiement, mais je vais devoir refuser. Votre invitation me touche cependant et si vous désirez toujours me parler lorsque mon service aura pris fin, d'ici deux heures, je serais à votre disposition.

Elle s'inclina à nouveau, et recula avant de se tourner pour rejoindre le comptoir, laissant l'Elfe sur ces paroles.