Sujet: La lettre éperdue, Fraìa aussi [solo] Mer 14 Jan 2015 - 22:08
La lettre éperdue, Fraìa aussi
Je ne sais pas, je ne peux pas, et je reste plantée là
Quelques mots échangés à la sortie d’une salle d’entraînement avaient, elle le pensait, clos l’affaire. « Jenner ? Je te prierais de faire silence sur ces évènements. » « … Bien. » Elle s’en était ensuite tenue à ses plans. En partie, du moins. Elle avait pris un bain chaud qui était supposé la relaxer et était tout de même parvenu à faire se calmer son esprit quelques minutes à défaut de la détendre complètement. Elle avait ensuite passé un peu de temps à tenter de ne pas penser aux évènements qui avaient précédés puis elle avait ouvert le coffret contenant des écrits divers et variés pour en remettre le contenu au bon soin des flammes… mais elle s’était rétractée comme sa mère avait fait irruption pour lui parler de choses et d’autres concernant notamment la tenue de leur Maison et la semaine à venir. Elle s’était bientôt retrouvée à déjeuner avec sa famille, rendant la description de son entraînement aussi brève et vague que possible suite au questionnement de son père, avant de se plonger à coeur perdu dans le travail pour tout l’après-midi, et de se trouver une multitude de tâches à accomplir le soir venu. Le lendemain avait été assez semblable, sa routine habituelle revenant au galop. Pour une fois, elle l’avait acceptée et accueillie à bras ouverts, appréciant son côté confortable et surtout l’idée qu’aucune surprise ne saurait survenir dans cet environnement millimétré qu’étaient ses habitudes.
C’était sans compter sur un bouquet de fleurs d’un style un peu particulier arrivé quelques jours seulement après les évènements, accompagné d’une missive. Mais n’avait-il pas dit qu’il en serait fait ainsi après qu’elle l’ait enjoint à réfléchir à ses mots ? N’avait-il pas dit qu’il lui ferait parvenir une invitation afin qu’elle se rende à l’un de ses entraînements ? Le nain avait tenu sa parole. Ce qui n’était en soi pas si étonnant que cela, compte tenu de la personne qui lui avait servi de figure paternelle, aussi différents qu’ils puissent sembler l’un de l’autre. De plus, dire qu’une partie d’elle-même n’avait pas espéré qu’un mot de sa part lui parviendrait peut-être serait probablement se fourvoyer un peu… Car malgré les chiffres, les clients, la musique, la couture et le reste, malgré toutes les choses qu’elle pouvait trouver pour se tenir en activité, elle trouvait encore le moyen de penser à ces quelques moments passés au stand de tir et à la façon dont son entraînement s’était conclu. Elle s’arrêtait au milieu d’un calcul pour observer sa main dont le pansement avait attiré son regard. Elle pensait à la corde de son arc en pinçant celles de sa harpe. Elle s’efforçait de repousser les rimes qui lui venaient en tête une fois cette dernière posée sur l’oreiller.
Elle avait eu peur, c’était vrai. Elle s’était enfuie pour ne pas faire face au tumulte que le comportement de Kili avait provoqué. Elle s’était accusée, elle-même et ses propres écrits, passant à quelques secondes de tous les brûler dans l’espoir futile que cela calme ses pensées, les purifie peut-être aussi. Puis elle lui en avait voulu. Car c’était son manque de décence à lui qui l’avait ainsi perturbée, après tout. Pourquoi devait-elle se miner alors que c’était de sa faute… alors qu’il n’avait même pas été capable de formuler des excuses correctement ? Puis, elle avait espéré. Espéré quoi ? Elle ne savait pas. Des excuses, déjà. Ou peut-être pas. Ses pensées revenant à ce “Cependant” dont elle ne savait que penser. Puisqu’en effet, aucun mot ne pouvait réellement expliquer un tel comportement. Enfin si. Mais celui-ci lui faisait peur. Et elle recommençait ainsi la boucle infinie. Peur, colère et espérance incertaine. Le tout plus ou moins enrobé d’incompréhension ou de curiosité selon les heures.
Vous n’y comprenez rien ? Elle non plus.
Mais Farìr avait finalement toqué à sa porte, portant en ses bras un bouquet de fleurs des champs et une missive. Elle avait été interloquée par le choix du présent, ou plutôt son type, se demandant qui pouvait bien lui faire parvenir un tel cadeau avant de voir le cachet sur la lettre et d’en comprendre la provenance. Non, ce n’était pas que l’expéditeur n’avait pas eu les moyens de lui acheter quelque chose de plus somptueux… Il avait préféré aller lui cueillir tout cela à la main que de simplement lui faire parvenir une babiole achetée sur un étal. Ou peut-être voyait-elle trop loin ? Certainement. Pour ce qu’elle en savait, il était peut-être simplement trop radin pour acheter un bouquet déjà tout fait. ...Bon okay, non, elle n’y croit pas une seconde à ça. Elle fit mettre les fleurs dans de l’eau et fit semblant de se replonger dans l’étude attentive de son livre. Sitôt la porte refermée cependant, elle reprenait la lettre en main et la décachetait, marquant une pause avant de finalement oser l’ouvrir, incertaine.
Ses yeux parcoururent les mots rapidement, avant de s’accrocher sur la dernière phrase mise en exergue, qu’elle relu par deux fois. Peut-être même trois, avant de retourner au début et de recommencer, puis de replier le papier, comme pour le protéger, comme si un regard indiscret pouvait surgir à tout moment derrière elle. Comprenait-elle bien ? Il lui parlait de son coeur… et de la revoir. Et il attendait une réponse. Prise d’une impulsion, elle se saisit d’une feuille et d’une plume qu’elle avait délaissée depuis la veille de leur rencontre.
“Kili.” Cher Kili ? Non, juste Kili. “Je ne saurais parler au nom de votre coeur, pas plus que du mien qui reste un” Un quoi ? Un mystère, oui… Elle resta en suspens quelques secondes, puis barra la phrase. “L’esprit ne saurait raisonner avec le coeur. Ce dernier préfère résonner seul, en attendant le possible écho d’un coeur voisin.” Elle pinça les lèvres, se fustigea, barra la phrase du dessus en se traitant de poète ratée et reprit finalement : “Je vous remercie pour votre invitation.” Voilà qui était mieux… encore que le remercier était sûrement de trop à ce stade. Donc, non. Elle barra. “J’accepte votre bouquet mais vos excuses restent à être formulées proprement.” ...Un peu sec, non ? Alors elle ajouta un peu d’espoir en répondant à son invitation… Comment ça, ça ressemblait à une excuse pour le voir ? Pas du tout ! Il devait s’excuser, c’est tout. Voilà. Mais cela restait peut-être un peu trop sévère formulé ainsi… Alors, elle osa ajouter une dernière phrase en réponse à sa citation et regarda le résultat.
Kili. J’accepte votre bouquet mais vos excuses restent à être formulées proprement. C’est pourquoi je prends note de votre invitation, afin que vous les énonciez de vive voix.
Nous respectons la raison mais nous aimons nos passions, car la raison fait l’homme mais le coeur le conduit.
Fraìa.
Elle hésita à la réécrire ou à retirer la fin, plusieurs fois, et ferma finalement sa réponse telle quelle avec de la cire. Cependant, elle n’y apposa pas son cachet, se rappelant soudain qu’elle n’avait personne à qui confier sa lettre sans que cela ne soulève de question. Alors, elle la glissa au fond d’un tiroir avec celle de Kili en se persuadant que c’était probablement mieux ainsi puis elle s’efforça de passer à autre chose.
«Thorin t’as fait apporter des fleurs ? » un sourire se glissa sur les lèvres de sa mère. « ...Non. » « Ne mens pas, Farìr m’a dit que son neveu était venu t’apporter une missive. » « En effet. » Fraìa préféra se concentrer sur son assiette, sans expliciter qu’elle n’avait pas menti. Etait-ce grave qu’elle ait envie de garder leurs… échanges, secrets ? Pour le moment du moins. Elle s’était déjà fourvoyée une fois, et les rumeurs ne cessaient plus depuis. Ou du moins ses parents ne l’avaient pas oublié. Elle ne voulait pas leur faire de faux espoirs. « Peut-être devrais-tu l’inviter, à nouveau. » Ca, elle ne pouvait pas. Si ? Non. De toute façon ils ne parlaient même pas de la même personne ! Elle retint un soupir. « Tu peux changer d’avis... » Cette engueulade n’en finirait jamais... Elle posa ses couverts et se leva, avant de simplement notifier : « Je serais dans mes quartiers. »
Elle s’exécuta, se posant sur son lit avant de fermer les yeux. Mais elle fut finalement dérangée un peu plus tard par quelqu’un qui toquait à la porte et lui signifia qu’il pouvait entrer, persuadée qu’il s’agissait de sa mère. Il n’en était cependant rien et elle se redressa en entendant la voix de Jenner lui demander si elle se sentait bien. Il était venu lui apporter un plateau repas. « Je n’ai plus faim. » fut la seule réponse de la naine, avant qu’elle ne le voit hésiter et ne perde patience. « Parlez. » « Sans vouloir m’immiscer plus que de raison dans vos affaires... » un regard de la naine lui fit comprendre qu’il avait intérêt à mettre les pieds dans le plat rapidement « J’ai déjà promis de ne rien dire à propos de votre dernière rencontre, alors si je peux me rendre utile… » et il s’empressa d’ajouter « Non pas que vous ayez besoin d’aide, mais je… enfin… je voulais juste que vous sachiez que je suis à votre service, ma Dame. ». Le nain baissa la tête révérencieusement avant de faire un pas de côté pour s’apprêter à quitter la pièce, et la laisser avec ses réflexions du moment. Jenner avait été mis à son service par sa mère depuis quelques années déjà, avec l’ordre formel d’être son ombre. Un serviteur peu bavard et polyvalent, capable de se faire discret. Il n’était jamais devenu son confident ni même son ami, restant toujours très professionnel malgré leur promiscuité et elle avait souvent cru qu’il ne faisait que son travail et ne l’aimait simplement pas vraiment en tant que personne. Il n’en était rien. « Vous avez donc appris pour la lettre ? » Le nain n’était pas encore sorti de la pièce. « Ils ne parlent que de ça. Même si… » « Ils font fausse route. » « Oui. » Elle marqua une pause, hésitant un instant, avant de simplement dire : « J’ai une réponse. » Elle savait très bien que si elle réfléchissait plus avant, ne serait-ce qu’un peu, elle ne lui confierait pas la lettre. Or, il était sa seule alternative et si cette missive ne partait pas, elle ignorait si elle aurait le courage d’aller à cet entraînement. Alors elle préféra illustrer grandiosement ses propres propos, le coeur menant ses actes alors qu’elle ignorait la raison, et elle confia sa lettre à Jenner. Parce qu’elle ne pourrait plus revenir en arrière après. Et que c’était exactement ce qu’il lui fallait.