On a pour habitude les histoires qui commencent bien. Dans un monde où tout est beau et où la paix règne en reine. Cependant, cela reste des histoires et nous sommes bel et bien dans la réalité. Et elle est tout autre. Un monde de cruauté, de mensonges et de trahisons. Pour conter ce triste récit, il nous faut remonter trente ans dans le passé.
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Edoras, capitale du royaume du Rohan fichée sur une colline et protégée par de hautes murailles. Meduseld, le Château d'or, trône fièrement sur l'acropole, fierté des Rohirrims. Mais nous n'allons pas parler de la ville. Ce qui nous intéresse, c'est ce qu'il y a dans la ville. C'est précisément cette famille qui entre en premier dans ce théâtre fou de la vie. Une famille ni trop riche ni trop pauvre. La bourgeoisie d'Edoras. Elle a une certaine influence sur la politique de la ville. En effet, c'est une famille qui s'étend sur des générations d'hommes maniant les mots sans pareil. Mais là encore, nous n'allons nous intéresser qu'à cette branche de la famille : les Einárssón. Le foyer habite une demeure non pas somptueuse, mais confortable. Une maison en bois, comme il est habituel dans la cité, avec ses colombages et son toit de chaume, située en plein milieu d'Edoras. Elle était sur deux étages et comportait plusieurs pièces, c'était une des plus grandes.
Et dans cette demeure habitaient trois personnes : un vieil homme, sa fille et sa petite-fille.
Le vieil homme faisait parti intégrante de la vie animée d'Edoras. Souvent il allait sur la place pour débattre avec les autres anciens. Un esprit vif dans un corps... plus très vif. Il était capable de soulever des montagnes rien qu'avec ses paroles. Un homme sage et respecté de tous. Et il avait un don : il maîtrisait le luth et la harpe. Souvent il en jouait devant l'âtre pour réchauffer les coeurs de la maisonnée les longues nuits d'hiver. Il était généreux et avait un coeur en or. Sa patience, souvent mise à rude épreuve, ne pliait jamais face aux difficultés de la vie et de la vieillesse. Malheureusement, il était fort malade : un souffle au coeur.
Sa fille, âgée d'une vingtaine d'années, était une belle femme, dont la fine taille inspirait le désir chez tous les hommes. Sa chevelure couleur de blé ondoyait au rythme de ses gracieux mouvements. Elle ne fut jamais mariée. Elle aimait trop les hommes et était devenue la honte du vieil homme en tombant enceinte hors-mariage à dix-huit ans. Mais en avait-elle été consciente une seule fois ? Outre sa beauté, c'était une égoïste et une narcissique. Rien ne comptait plus à ses yeux qu'elle-même. Son image l'obsédait. Tout était calculé au millimètre : ses gestes, ses paroles, sa tenue,.... C'était une veuve noire et bien des vies furent détruites après être passées entre les mains de cette manipulatrice. Son apparence était sa préoccupation principale. Elle craignait le prix du temps et passait des heures devant son miroir à observer si une ride ou un cheveux blanc était apparu. Elle usait de toutes sortes de phares pour camoufler les marques de la vieillesse et croyait aux produits que l'apothicaire lui prescrivait pour une jeunesse éternelle : elle se fardait d'une poudre blanche pour rester pâle (la peau tannée était aux paysans) et s'enduisait tous les soirs le visage de sang d'un agneau ou pire (le sang de la jeunesse pour une jeunesse éternelle).
Mais elle avait une obsession bien pire que la beauté éternelle : les elfes. Elle vouait un culte à ces créatures si belles, si pures, si agiles,.... si jeunes en apparence. Cette femme les désirait au plus profond des noirceurs de son âme ! Elle enviait leurs traits si fins et éternels qu'elle aurait donné n'importe quoi pour leurs ressembler. Pauvre âme en perdition ! Sa fascination était telle qu'elle en devenait violente contre l'imperfection de la vie.
Sa petite-fille de deux ans était déjà à l'image de sa mère. Aussi jolie et enchanteresse, mais le visage d'ange cache un véritable petit démon. Elle marchait sur les pas de sa mère. N'est-ce pas la fierté des parents que de voir leur progéniture suivre l'exemple des parents ? Petite peste que tu es, superficielle et qui ne connaîtra jamais le respect. Puisse-t-elle subir le sort du temps au plus vite.
Puis arriva cette naissance.
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Qui pouvait croire que cette folle avait pu concevoir une autre vie ? Il semblerait qu'elle aie trouvé un nouvel amant pour pouvoir forniquer à tord et à travers. Et quel fruit de la honte elle donna en cadeau au monde. Un fils qui n'avait pas demandé à naître, un bâtard. Elle avait accouché dans le plus grand secret, dans une des pièces de la demeure du vieil homme. Dans la douleur évidemment. Cette chienne avait camouflé ses cris en enfonçant ses crocs dans un bois. Elle serra tellement fort que ses gencives en firent ensanglantée. Elle détesta immédiatement cet enfant qui avait déchiré et déformé son corps. Ce petit être qui était là, comble de son malheur. La seule chose qu'il avait à se reprocher, c'était d'être né ainsi, au mauvais moment d'une mère cruelle. On ne choisit pas sa famille, mais lui aurait préféré ne jamais avoir été conçu. Mais étrangement, elle garda le nourrisson auprès d'elle durant des jours, dans cette chambre, sans jamais voir personne. Cela ne présageait rien de bon et pourtant personne n'aurait pu le concevoir.
Son obsession avait pris le dessus sur sa raison. Les elfes, les elfes, les elfes, les elfes, les elfes, les elfes, LES ELFES ! Elle avait certainement dû profiter que le vieil homme se soit absenter de la maison et sa main ramassa ce maudit poignard. À quoi pensait-elle à ce moment à part à la simple cruauté. Elle avait déposé son bâtard sur la table de la chambre, observant ses gestes maladroits. La folie l'emporterait-elle ? La main tremblante, elle enfonça lentement la lame dans la chair de l'enfant, façonnant et scalpant les malheureuses oreilles, essayant de les allonger à l'image de ces abominables créatures. Cela n'a pas dû être une tâche fort difficile : les nourrissons sont des êtres fragiles, aux corps faibles, qui ont besoin de la protection de leurs parents. Pauvre animal sans défense. Le sang coulait et elle n'eut pas de difficultés à couper des morceaux d'oreille. Aiguilles et fils, elle piquait et piquait, saucissonnant le cartilage puis brûlant la peau à l'aide de braises.
Les cris du nouveau né tua à jamais le silence de la maison. Le vieil homme, qui venait de rentrer, fut averti par les hurlements et parvint à ouvrir la porte de la pièce pour assister à l'horrible spectacle qui s'offrait à lui : une mère tachée de sang, la folie dans les yeux et un enfant tailladé hurlant de douleur. Il ne se fit pas prier pour l'arracher des mains de cette femme. Jamais plus elle ne put s'approcher trop longtemps de lui.
Malheureusement pour ce nourrisson, on ne pouvait plus rien pour lui. Une opération pour arranger ses moignons pour qu'ils recouvrent une forme normale lui aurait fait tout bonnement perdre ses oreilles. Il fut décidé que cela restât ainsi. Oreilles pointues, quelle honte pour un humain.
Et cet enfant, c'est moi. Búchanán. Cette histoire est la mienne, mon fardeau.
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Je me souviens d'une enfance rythmée au son des cris, des pleurs, des insultes et des coups. Aussi loin que je me souvienne, ma mère était toujours après moi, à me donner des tapes au visage discrètement devant les yeux de mon grand-père et des tabassées, parfois assaisonnées au tisonnier, quand mon gardien n'était pas là. Il suffisait que, pauvre enfant naïf, je m'approche trop de cette mégère pour qu'une claque ne fuse dans mon visage ou que je ne sorte trop vite de sous mon lit quand elle venait me faire le "bisous" du soir qui était plutôt une ruade de coup. Et je ne devais prononcer aucun murmure pour exprimer ma douleur, car elle ne serait rien face à la vengeance de cette furie. Ça encore, c'était la partie qui me faisait le moins de mal au fond de moi. Le pire, c'était les mots qu'elle employait envers moi : vermines, honte, bâtard, inutile, monstre,... Et ceux-là sont les plus doux qu'elle aie prononcés. Peut-être était-ce là l'amour qu'elle me témoignait.
Puis quand ce n'était pas ma chère mère qui me tourmentait, ma soeur prenait le relais. Elle était plus douce, je ne peux lui enlever ce fait. Elle me tirait les cheveux, me griffait et m'insultait me disant qu'elle avait honte de dire que j'étais son frère. Je ne me suis jamais entendu avec ma soeur, ni avec ma mère d'ailleurs. Ce sont deux sacs à foutre emplies de Syphilis. Je les hais.
À mes cinq ans, ma mère calcula mal son coup et alla trop loin. Un soir, comme à son habitude, elle entra dans ma chambre avec le tisonnier. J'avais l'habitude de cet engin de torture, puisqu'elle n'utilisait que la tige en faisant attention à la pointe. Cependant ce jour-là, elle devait avoir un peu trop forcé sur la boisson lors d'une de ses nombreuses fêtes. Mais elle n'allait pas se déroger à sa tradition. C'est pour cela que je ne m'étais pas caché ce soir-là pour avoir au moins une nuit qui se déroulerait paisiblement. Elle entra dans ma chambre et me sortit violemment de mon sommeil, me lançant à l'autre bout de la pièce. Elle frappa une première fois sur mon dos puis me releva d'une main. Je me rappelle de son regard sanguinaire. Puis elle frappa à nouveau. Mais elle ne fit pas attention à la pointe cette fois et elle lacéra ma peau, la déchirant depuis mon front jusqu'à mon torse. Je me rappelle de la douleur que j'ai eue au moment où ma chair se séparait au contact du fer. Heureusement que mon oeil a été épargné. Mon grand-père me retrouva à terre, tordu de douleur. La gifle traversa le visage de cette salope. Elle ne m'approcha plus pour un temps. Mon sauveur me soigna et m'autorisa un peu de répit.
Et ça, ce n'était qu'à la maison. À l'extérieur, je n'étais pas mieux loti. Au fur et à mesure que j'allongeais, mes oreilles en faisaient de même. Les enfants sont tellement cruels entre eux. Les fois où je sortais, généralement seul vu que ma soeur ne tenait pas à ma présence, et que je rencontrais les autres enfants d'Edoras, la même musique résonnait à mes longues oreilles : monstre, erreur de la nature, mocheté, ignominie,.... Une fois les pierres ont également fusé. Il fallait bien que je vienne à l'évidence que je n'étais que sécheresse, inutilité et abomination.
J'avais tellement honte de mes erreurs, car c'était leurs noms à cette époque, que j'ai emprunté un chaperon à mon grand-père pour les dissimuler sous le tissu. Ce fut la première fois qu'il me gronda. Quand il me vit dehors avec ce truc sur la tête, il me tira par le bras pour me ramener à la maison. Il s'était mis à ma hauteur et m'avait fait jurer que jamais plus je n'essayerai de dissimuler mes oreilles. "
Car oui, elles te semblent être un fardeau aujourd'hui, mais elles seront ta force plus tard. Porte les fièrement, car c'est une partie de toi et font de toi ce que tu es et seras". Je ne m'étais pas rendu compte sur le moment, mais il avait tout à fait raison. En revanche, je ne suis jamais parvenu à couper mes cheveux. Ils me rassurent.
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Mon grand-père que le monde regretterait à jamais. Il était le seul à me témoigner de l'affection et à me réconforter après les coups de ma mère. Il me prenait dans ses bras durant des heures à attendre que je calme mes sanglots silencieux ou à panser mes maux. Il me caressait les cheveux et me berçait. C'était les seuls instants où je pouvais respirer tranquillement, enfin. Je me sentais vivre, apaisé et... heureux. Il me donnait l'amour que je ne méritais pas. Il a été si bon et généreux pour moi.
Il m'offrit le plus merveilleux des cadeaux : son don pour la musique. Chaque jour, quand ma mère s'en allait coïter, mon grand-père m'apprenait à lire, à écrire et surtout le luth durant deux heures. J'étais un élève attentif et la musique m'extirpait de mon enfer quotidien. Je n'attendais qu'une chose quand je me levais le matin, cette bulle d'air dont j'avais tellement besoin.
Je progressais rapidement, ce qui ravissait le vieil homme. C'était la première fois que je voyais quelqu'un qui était fier de moi. Et ce sentiment, je voulais le ressentir de plus en plus. Goûter cet existence dans les yeux d'un autre.
Un jour, il m'apporta mon propre luth qu'il avait fait fabriquer par l'artisan du village. Il avait dû lui couter une certaine fortune, car il était richement décoré et, au fond, était gravé : tu es ma petite fierté, mon garçon. Cet instrument est toute ma vie maintenant et, bien sûr, je l'ai caché aux yeux de mes tortionnaires.
Chaque soir, je m'exerçais à l'exercice de l'écriture. J'inventais des poèmes avec tout ce qui me passait par la tête. J'adorais cela, je me sentais libre de pouvoir créer quelque chose de beau dans ce monde d'immondices. On dit que la nuit est porteuse de conseils, j'en ai fait ma muse.
À toi ma très belle compagne,
Qui dans ma torpeur m'accompagne,
Belle amie de mon ennui
Témoigne de ma triste vie.
Quand le sommeil ne trouve point,
Tu es là dans chaque recoin
Prête à me regarder souffrir
Et par une démence rire.
Ennemie, seule dans le noir,
Mes larmes coulent sur mes joues
Puisqu'il reste mon con d'espoir
Planté dans mon coeur tel un clou.
Quel prétexte cette tourmente ?
Il me reste les souvenirs
Qui me font glisser dans la pente.
Au matin, y'aura-t-il des rires ?Toutes les bonnes choses ont une fin. Surtout pour moi. Je devais être âgé d'une dizaine d'années quand la santé de mon grand-père s'essouffla. Je le veillais chaque jour, chaque soir, lui qui était alité et dont personne ne s'occupait, pas même sa propre fille. Je tenais sa main, le rassurait, car il avait peur. Ce n'était pas la peur de mourir, mais la peur de me laisser seul avec ces monstres. Je l'admire mon grand-père, jamais il ne m'a laissé tombé, et là qu'il était sur le point de quitter notre monde, il se souciait encore de moi. Non, grand-père, ne t'inquiète pas pour moi, je survivrai.
Les lectures que je lui présentais réchauffaient son coeur et je voyais encore cette fierté dans ses yeux, certainement pour les dernières fois de ma vie. Je me faisais souvent interrompre par ma mère, car je n'avais pas à aider un mourant. Elle voulait gâcher les derniers instants avec la seule personne qui comptait à mes yeux à cette époque, tout ça pour me donner des tâches ingrates à faire et pour déverser ses frustrations à coups de poings et de pieds.
Puis le jour maudit arriva. J'étais à son chevet, il semblait paisible. J'avais cru qu'il avait retrouvé un peu de vie. Il me regardait tendrement, comme l'homme qui m'avait élevé.
Búchanán, écoute-moi bien, mon enfant si courageux. Sèche tes pleurs mon tout petit. Tu es dans mon coeur et je veillerai toujours sur toi. Si tu te sens seul, regarde ton luth et tu me verras. Pardonne moi mon garçon de te laisser ici. Promets-moi de t'enfuir un jour. Il avait murmuré cette phrase dans un souffle difficile puis m'avait laissé, seul, dans cette chambre. Je n'eus pas le temps de pleurer, elle ne m'en laissa pas le temps et m'arracha au deuil qui m'aurait fait tant de bien. Je disais ainsi adieu à celui qui m'avait aimé.
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C'est ainsi que j'arrivai à un nouveau tournant dans ma vie. Ma génitrice changea totalement d'attitude. Mon protecteur n'étant plus, elle n'avait plus rien qui l'empêchait d'exercer ses forfaits et de faire ce qu'elle voulait de moi. Ainsi, je devins le valet de madame. Elle m'offrit un uniforme adéquat (c'est bien la seule chose qu'elle m'ait jamais offert) et tous les jours je devais l'enfiler, m'apprêter et servir ces deux sorcières. Elle me forçait à enduire ma cicatrice d'une pâte noire pour cacher cette horreur, mais il fallait montrer tout de même que j'étais défiguré. Tout cela pour impressionner le reste de ses amis, parce que madame pouvait s'offrir un esclave. Ses invités riaient souvent de moi.
Je passais ainsi mon adolescence à faire toutes ces tâches ingrates : laver les vêtements, faire à manger, nettoyer la maison et, les pires, servir de messagers à cette putain pour ses prétendants et nettoyer après leur passage. Mais il y avait un avantage à cela : tout ce qu'elle disait à ces imbéciles, je les entendais. Cette langue de vipère l'avait bien pendante ! Tout le monde de la cité y passait. Certaines choses qu'elle disait était honteux et indigne de son statut. Cela m'inspirait et, le soir dans ma chambre, j'écrivais des chants lyriques sur tout ce qu'elle disait, sans omettre une seule chose. Je pouvais détruire sa réputation, mais qui écouterait un monstre tel que moi ?
Cela dura des années. Des années d'une monotonie incessante et pesante, mais je n'avais pas oublié la promesse faite à mon grand-père : fuir. Fuir, oui, mais pour aller où ? J'y avais réfléchi durant de longues années, que pourrait faire un p'tit garçon sans force dehors, seul. Il fallait rester lucide et être patient.
J'avais dix-sept ans quand l'occasion, trop belle, se présenta à moi. La putain de la ville s'en été allée se faire monter. J'étais seul à la maison. Il me fallait saisir cette chance. Je partais discrètement dans ma chambre et préparais mes affaires emportant mon luth, une chemise de rechange, une couverture, des provisions et une dague. Celle de mon grand-père. Je pris la porte pour la dernière fois. Je ne me suis jamais retourné en courant sur les chemins. Je laissais mon passé derrière moi et une nouvelle vie commençait.
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Cela faisait déjà plusieurs jours que j'avais quitté Edoras. Je n'avais aucune idée de combien de lieues j'avais faites ni où je me trouvais. Le seul sentiment que j'avais, c'était le soulagement. Un poids énorme m'avait été ôté des épaules et je me sentais enfin libéré, délivré. Certes, j'étais livré à moi-même, mais c'était mieux que de rester avec ces salopes.
Je poursuivais ma route, marchant toute la journée et campant le soir dans les bois. C'était dur au début, mais j'étais parvenu à comprendre comment survivre. Je réussissais de mieux en mieux à faire un feu et à construire un abri de fortune pour la nuit. Par contre en chasse, je n'arrivais à rien. Tuer un animal m'était impossible. C'est pourquoi je volais la nourriture dans les villages où je passais. Des fois, je me contentais de fruits et de baies que je cueillais sur les chemins.
Plus les jours passaient et plus le sentiment d'être suivi me rattrapait. En réalité, je n'étais pas poursuivi par quelqu'un, mais quelque chose. Une chienne-louve blanche marchait dans mes pas. Les premiers temps, elle gardait une distance raisonnable entre nous, certainement par crainte, mais à chaque nouvelle aube elle se rapprochait de plus en plus à tel point que je pouvais partager mon repas du soir avec elle. Ce n'était pas faute de l'avoir chassée, parce qu'elle me faisait peur au début. Depuis, elle me laisse l'approcher et la toucher. Je crois que j'ai été adopté par cet animal. Elle était blanche comme la neige et avait de magnifiques yeux bleus. Ce n'était pas tout à fait un loup, car elle avait les particularités d'un chien. Une bâtarde, comme je le suis. Je décidais de l'appeler Edana qui signifie "amie précieuse". Nous ne nous sommes plus jamais quittés. Grâce à elle, je me sens en sécurité, car elle me défend férocement contre les brigands qui tentent de m'attaquer.
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J'ai parcouru le monde durant des années, toujours curieux de tout ce qui m'entourait. Je découvrais les magnifiques forêts des elfes, les travaux d'orfèvrerie des nains, la délicieuse cuisine des hobbits et les magnifiques paysages de la Terre du Milieu. Mais j'ai pu également voir l'autre facette du monde. Une bien plus sombre : haine, hypocrisie, mensonge, trahison, crime, profit, misère et désespoir. J'ai très vite compris que si je voulais pouvoir survivre dans ce monde de fous, il fallait que je m'adapte à cette philosophie de vie : fais à autrui avant qu'il ne te le fasse à toi et n'oublie pas que dans un monde d'égoïstes, seuls les égoïstes gagnent.
Cela faisait maintenant douze ans que je vivais ainsi, à essayer de gagner mon pain grâce à mon luth. Je suis à l'écoute de chaque son, dans les tavernes, sur les chemins, dans les auberges,... Je laisse trainer mes longues oreilles n'importe où. Tout peut être intéressant pour moi. Je retiens tout et je les transforme en chants. Gare à ceux qui se dévoilent trop, car j'ai le pouvoir de détruire une réputation, tout comme je peux en faire une. Je mens, je vole, je me fous de tout et de tout le monde. Méfiez-vous de l'eau qui dore, je ne suis pas moins fourbe que vous. Désormais je fais parti des fous... ou... n'en ai-je pas toujours fait partie ?