Sharp-eyed gaze

Adrahil s’éloigna pour aller voir où en était Lorin, mais il ne le trouva pas. En voyant les herbes écrasées, la toute première chose qui lui vint à l’esprit, ce fut un troll. Autant dire clairement que cela ne lui plaisait pas vraiment. Un frisson grimpa le long de sa colonne vertébrale. Ce n’était pas bon. Et en plus, c’était Lorin. L’équipée n’avait l’habitude de laisser quiconque derrière elle, ça non. Leur force était leur unité. Mais, c’était Lorin qui s’était fait passer pour le prince, et cela compliquait de beaucoup les choses. Ils allaient devoir de comporter comme si c’était lui qui importait et non Adrahil. Le prince se sentait pris au piège dans ses mensonges et il ne savait plus comment s’en sortir, vraiment plus. Annoncer la vérité à Elwel serait probablement la solution la plus logique, mais il n’était pas tout à fait certain de la tournure qu’allait prendre l’histoire ensuite. Il baissa les yeux vers ses pieds, puis il confirma la question de la jeune femme. Tous les indices le prouvent : les fourrés ont été écrasés comme si un pied géant les avait retournés. Cela ne peut être qu’un troll, ou alors une créature de légende comme… Un arbre qui parle. Adrahil avait dit cela sur un ton un peu las. Il ne croyait pas réellement à ces légendes. Et puis, celles-ci prenaient leurs sources bien plus au nord. Un arbre qui parle par ici, ce serait un peu incongru. Beaucoup, même. Adrahil ne croyait même pas à ces légendes.

Evidemment, Eldred n’était pas vraiment content de la tournure des choses. Il n’aurait pas laissé Lorin se faire tuer, mais Adrahil lui rappela en un instant qu’il se faisait passer pour le prince. Il baissa les yeux vers ses chaussures, un peu honteux de l’imposture, et de la peine qu’il lisait dans les yeux de son mentor. En gentleman, le prince se tourna vers Elwel pour lui demander de rester en arrière. Il n’avait après tout aucune idée de si elle savait ou non se battre, et il n’avait pas envie de la voir être blessée. Il fut donc un peu surpris de la voir réclamer une épée. Après un long instant de réflexion, il se décida à hausser les épaules. Il fit un geste de la main pour que Rorin donne une épée à Elwel à sa demande. Il était cependant inquiet pour elle.

Il s’apprêtait à lui dire de faire attention lorsqu’il entendit un énorme craquement dans son dos et il se retourna, épée au clair, pour faire face à la zone de danger. Les autres étaient venus se placer à ses côtés presque immédiatement, réagissant au danger comme ils l’avaient toujours fait : ensemble. Leurs années d’entrainement portaient leurs fruits et ils savaient se battre comme une seule personne, se protégeant les uns les autres. Adrahil ne put s’empêcher de jeter un regard dans son dos pour voir la jeune femme. Seul son regard montrait qu’elle avait peur. Il fit un bref signe de tête à Eldred qui partit en avant avec Rorin. Sean restait à ses côtés. Venez, Elwel, fit-il simplement. Marchez dans mes pas et essayez de ne pas faire de bruit. Votre épée n’est pas trop lourde ? En disant cela, il tira de sa ceinture une longue dague qui reposait le long de sa jambe. C’était un cadeau de son père, et les armoiries de Dol Amroth étaient gravées sur le manche. Prenez ceci si vous êtes plus à l’aise. Il ne faut pas que le poids vous gène, ce serait le meilleur moyen de se faire tuer. Et ça, ça serait quand même une sacré mauvaise nouvelle. Adrahil attendit la réponse de la jeune femme puis il se mit à marcher devant elle, Sean fermant la marche, en direction du bruit étrange…

Elwel armée de la longue dague du prince, celui-ci se remit en marche sans un mot. Il n’était pas homme à parler en mission. Sean suivait Elwel comme son ombre, et le prince savait qu’elle serait en sécurité avec lui. Il s’avança dans la nuit en regrettant de ne pas avoir pris de torche. Mais, une torche aurait averti celui – ou ceux – qui avaient pris Lorin, et c’était une chose qu’il ne pouvait pas se permettre. Adrahil avançait dans la nuit la plus sombre et il se dirigeait vers l’endroit où était parti Eldred.

La première chose qui rompit le silence presque pesant fut une question d’Elwel. Adrahil tourna la tête vers elle et il haussa les épaules. Je n’en sais rien. Il fit une grimace avant de continuer. J’ai cru que ces arbres provenaient de soûlards qui étaient incapables de ressortir de leurs mensonges… Il haussa les épaules avec un petit sourire contrit. Mais, je commence à croire que tout est possible. Parce que, si les trolls existaient, pourquoi pas des arbres qui marchent ? Ce monde était assez ancien pour que des races aient été oubliées par les Hommes au cours des siècles. Tout était possible.

Il haussa les épaules et il reprit sa marche. Il vaut mieux ne pas trop parler pour le moment. Nous pouvons être à des lieues du point de chute comme juste à côté. Il serait dommage qu’un ennemi nous retrouve maintenant où nous sommes séparés du reste du groupe. Adrahil tentait de ne pas se montrer trop brusque avec la demoiselle. Après tout, elle n’avait jamais été éduquée dans l’art de la guerre. Après quelques minutes de marche supplémentaire, ils rejoignirent Eldred et les autres. Le capitaine soutenait un Lorin mal en point et quasiment dans les vapes. Adrahil s’avança vers le groupe et se pencha sur son ami. On lui expliqua en quelques mots que Lorin avait été trouvé là, comme ça. Il n’avait pas encore pu parler. Est-ce qu’on devrait partir à la poursuite de la créature qui lui a fait ça ? Même à la lueur de la lune, on pouvait voir qu’il avait un œil au beurre noir et qu’il allait très certainement avoir du mal à parler vu comment sa joue était gonflée. Il se tourna vers Elwel et fronça les sourcils. Ou peut-être devrais-t-on lever le camp et revenir avec une armée. Que pouvaient quatre hommes, un blessé et une femme qui ne savait pas vraiment se battre contre un troll ? Ou un arbre susceptible de marcher ?

Alors qu’Elwel s’occupait du blessé, Eldred attrapa Adrahil par le bras et l’entraina à l’écart. Machinalement, Sean se mit entre eux et la jeune femme, pendant qu’Esteban commençait à ranger les affaires. Rester ici était désormais impossible. La nuit avait été courte pour tout le monde, mais il valait mieux s’éloigner de cet endroit et de la créature qui avait attaqué ce pauvre Lorin. Une fois assez loin, Eldred secoua le bras d’Adrahil et lui jeta un regard noir. ça aurait pu être toi ! Tu te rends compte de ce que tu nous fait faire ? Adrahil baissa les yeux et hocha la tête. Nous n’abandonnons pas les notres, Eldred. Tu serais allé le chercher, vrai prince ou simple soldat. L’inquiétude qu’il lisait sur les traits de son mentor était presque palpable. Après un instant de silence, Adrahil reprit : Tu l’as retrouvé, Eldred. Il va s’en sortir. Il tentait de faire comprendre à son ami que les choses allaient s’arranger. Lorin était bien plus solide que sa fragile constitution le laissait entendre. Mais, Eldred, de mauvaise humeur, se contenta de secouer la tête. Espèce d’inconscient. Il s’éloigna d’Adrahil en bougonnant, récupérant sa couverture et la pliant rapidement. Le prince se passa une main dans les cheveux et s’approcha des chevaux pour détacher le sien et le seller.

La voix d’Elwel fit tourner les yeux à Adrahil qui hocha la tête. En effet. C’était certes sommaire, mais le jeune homme n’avait jamais été très loquace, de toute façon. Il préférait les phrases courtes et explicites que les longs discours ambigus. Adrahil était inquiet pour Lorin et la remontrance d’Eldred résonnait encore dans sa tête. Nous avons déjà commencé. Occupez vous de vos affaires, puis nous installerons Lorin dans le charriot. Elle ne devait pas avoir remarqué l’efficacité des hommes qui avaient déjà quasiment démonté tout le campement. Sean était en train d’écraser les dernières cendres du feu pour ne pas qu’il se propage à la forêt. Les sacs des autres étaient quasiment prêts. Esteban posa une main sur l’épaule d’Adrahil avant d’aller s’occuper de sa monture. Le prince se dirigea vers son lit de fortune et le replia rapidement. Il aida ensuite Sean et Eldred à allonger Lorin dans le chariot, puis il en confia les rennes à Elwel, attachant la bride de la monture de Lorin à sa propre monture. Partons, fit-il simplement avec un sourire crispé.

S’il n’était pas prêt à tout expliquer à Elwel, il savait qu’il allait devoir le faire. Et, clairement, ça ne lui plaisait pas du tout. Elle allait lui en vouloir de s’être fait passer pour un autre. Une lueur triste passa dans son regard alors qu’au loin, le ciel commençait déjà à s’éclaircir. Il allait falloir tenir toute une journée avant de pouvoir se reposer à nouveau. Adrahil savait qu’il serait grognon. Il était toujours grognon quand on le privait de sommeil.

Les premiers kilomètres furent particulièrement silencieux, jusqu’à ce qu’Elwel rompe le silence, bien après que la côte soit atteinte. Adrahil était resté sur son cheval, un peu derrière le charriot, incapable de dire le moindre mot. Il se rongeait les sangs, à la fois pour son ami qui allait avoir droit à un sacré coup derrière la tête quand il reviendrait à lui, pour n’avoir réveillé personne ; mais aussi pour l’attitude d’Elwel quand elle apprendrait qu’il lui avait menti. Adrahil allait passer pour un imbécile, un menteur et un prince de pacotille. Il en avait honte, en fait. Il ne savait pas vraiment pas quel bout commencer pour se dépêtrer de ce mensonge, parce qu’il était bien incapable de se planter devant Elwel et de lui dire quelque chose du genre « hey, au fait … Ce n’est pas Lorin le prince, c’est moi ». Il pensait bien qu’elle lui mettrait un bonne gifle ou deux et qu’elle ne voudrait jamais plus lui parler. D’un autre côté, force était de constater que son attitude avait été différente avec Lorin le faux-prince qu’avec Adrahil le soldat. La première chose qu’elle avait faite, c’était une révérence devant lui. C’était exactement le genre de choses qu’il voulait éviter. Il voulait des gens sincères et pas des ronds de jambes.

Alors, oui, quand la voix de la jeune femme retentit, il sursauta et porta machinalement la main à son épée, prêt à dégainer. Avait-elle vu un ennemi ? Il lui fallut quelques secondes pour comprendre ce qu’il se passait et il hocha la tête. Il y a un guérisseur au palais. Adrahil soupira, et se retourna légèrement sur sa selle pour observer le capitaine de ses gardes. Sa main relâcha l’épée alors qu’il se mettait à nouveau à parler, d’une voix fatiguée qui reflétait parfaitement l’épuisement physique et moral dans lequel il avançait, bercé par l’allure de sa monture. Père voudra que je lui fasse mon rapport immédiatement, mais il faudra conduire Lorin auprès de Galion. Eldred hocha la tête avec un sourire. Galion voudra voir ton épaule, fit Eldred avant de se désintéresser de l’histoire. Père aussi, rétorqua Adrahil. Eldred ne dit rien, mais le simple haussement de son sourcil fit réaliser au jeune homme qu’il venait de faire … une gaffe. Une grosse même. Deux fois de suite. Le jeune prince ferma les yeux et se remit face à la route. Il était épuisé, vraiment. Merci d’avoir pris soin de Lorin, fit Adrahil à l’intention de Elwel, sans chercher à s’expliquer sur ses paroles. Si elle voulait en savoir plus, elle poserait la question. Et il y répondrait. Sincèrement.

Les portes de la cité passées, Adrahil enfila son masque de prince. Son visage se vida de toutes émotions. L’inquiétude qu’il ressentait pour Lorin fut reléguée au second plan. Eldred prit la tête de la cohorte. Il les guida au travers de la foule qui accueillait les soldats de retour de combat. Adrahil n’arrivait pas plus à sourire que ses compagnons. Ils avaient le visage fermé. La foule se fendait devant eux puis elle se refermait dans leur dos. Ils se rendirent sans un mot supplémentaire jusqu’au palais, grimpant les marches et s’arrêtant dans la grande cours. Un guérisseur de hâta pour s’occuper de Lorin. Esteban partit avec lui. Adrahil était déjà convoqué pour son épaule. L’agitation se calma aussi rapidement qu’elle s’était créée.

Et, Adrahil se retrouva face à Elwel. Autant dire que ce n’était pas vraiment un moment qu’il avait attendu avec impatience. Loin de là, même. Il se contenta de hausser les épaules à sa question. Si, en effet. Son regard se posa sur deux conseillers de son père qui attendaient sur les marches. Adrahil était aussi épuisé physiquement que mentalement. Il leur fit signe de s’éloigner d’un mouvement sec de la main et s’adossa au mur, mal à l’aise. J’ai demandé à Lorin de se faire passer pour moi lorsque nous ne sommes pas à Dol Amroth. Les gens parlent plus facilement à un soldat qu’à un prince. Ils oublient le protocole. Et, ainsi, je peux apprendre à connaitre mon peuple. La mascarade continue à chaque endroit que nous traversons. Il parlait d’une voix froide et distante. Je n’ai rien fait pour devenir prince. Je suis juste né dans la bonne famille. J’estime ne pas mériter ce statut.

Il se contenta de hausser les épaules. Il n’avait pas l’intention de commencer à justifier plusieurs années de mensonges. Il ne méritait pas ce titre. Il n’avait encore rien fait pour mériter qu’on le traite autrement que comme un soldat. Il n’avait aucun haut fait à son actif. Absolument aucun. Il n’avait fait que quelques mission diplomatiques et des combats rapides, des combats qui n’avaient rien de glorieux. Son discours su la place de Minas Thirit avait été un calvaire. Il était heureux d’être simplement lui. Si Lorin n’avait pas été blessé, vous n’auriez jamais appris la vérité. Cela aurait été bien mieux. Je ne souhaite pas être un prince, finit-il par dire d’une voix brisée.

Visiblement, la jeune femme ne comprenait pas ce qu’il pouvait ressentir. Il le senti dans son expression, dans sa posture et même dans la façon qu’elle avait de poser un regard écarquillé sur lui. Elle tombait des nues et c’était quelque peu normal. Dans la cité, tout le monde avait compris et accepté qu’Adrahil ne souhaitait pas être traité différemment du fait de son statut. Oh, il y avait bien quelques révérences, mais… Lorsqu’il devait aider au champs, pas de traitement de faveur. C’était agréable. Loin, très loin des ronds de jambe de la cours, des faux semblants… Des trahisons et des complots. Oui, il préférait son alterégo. De loin. Je suis cet homme, finit-il par dire simplement. Je suis « moi ». Rien de ce que j’ai dit ou fait n’était un mensonge. J’ai juste effacé la partie prince de l’équation. Et, il n’allait pas revenir là-dessus. Il haussa simplement les épaules face à la demoiselle. Je ne pense pas que vous puissiez comprendre ce que je traverse. Je ne vais pas tenter de vous l’expliquer, mais j’ai plus à gagner en montrant aux gens que je cherche à gagner mon titre sang et eau plutôt qu’en le leur envoyant à la figure.

Le prince secoua la tête puis il désigna la cours. Vous êtes la bienvenue si vous souhaitez rester au palais. Il inclina ensuite la tête et salua la jeune femme avant de s’éloigner pour aller faire son rapport à son père. A peine les portes passées, il fut attrapé dans ce tourbillon  de salutations et de gens qui cherchaient à attirer son attention pour obtenir une faveur ou une autre. Le frisson du voyage lui manquait déjà.