J’ai longuement contemplé l’univers tout entier et ses nébuleuses dans les reflets de ta chevelure argentée. J’ai dessiné en rêve les contours opalins de ton visage avec la précision de celui dont tu as longtemps hanté les songes. Jamais ton visage ne s’ombrait du voile de l’inquiétude. Tu étais, tu es dans mon esprit toujours souriante et ingénue. Dans ton regard se peint avec force encore la surprise de notre rencontre et le bonheur, je crois, que nous avions ensuite partagé.
Je me suis imprégné de chacun de tes gestes comme une idole, un héros des contes et des légendes que l’on espère devenir ou approcher. Je bouillonnais d’envie, j’avais soif de découvertes alors que tu semblais vouloir sombrer. J’ai cru pouvoir te sortir du carcan mélancolique dans lequel tu restais enfermée mais en vain. Car telle était ta condition, tel était ton fardeau et je ne pouvais t’y soustraire plus longuement que l’instant de nos rencontres. Je crois alors ces moments hors du temps, nos brèves retrouvailles pouvaient nous suffire, pouvait me suffire et que mon amour pour toi s’assagirait et se contenterait de ce que tu pouvais lui offrir. Mais cela m’était et m’est impossible.
Je t’aime comme un enfant aime un songe. Je t’aime comme un oiseau aime le ciel, comme un érudit s’émoi devant l’Art ou le rêveur devant les astres qui lui échappent au loin. Je t’aime comme on contemple un rêve qui s’en va ou un navire dont les voiles disparaissent au loin, avec la douceur d’une plume et l’ardeur d’un soleil levant. Je t’aime de toute mon innocence et mon émerveillement, de toute l’absolue nécessité qu’était ta présence à mes côtés, dans toute ta splendeur et ta perfection. Je t’aime en dépit de ton inaccessibilité car je chérie la lumière dans laquelle tu m’as baigné. Je t’aime de tout mon être et pourtant cela est insuffisant.
Je crois qu’il est temps que je détache l’amarre qui nous lit, celle que j’avais accroché sans le savoir autour de ton être tout entier. L’ancre que j’avais cru pouvoir jeter n’avait jamais atteint ton cœur, pas de la façon dont j’avais tant pu l’espérer
A jamais tu es celle d’un autre je le sais et tes sentiments envers lui demeureront inchangés, immuables.
A l’opposé de ceux que j’éprouve pour toi, qui n’ont eu de cesse d’évoluer, suivant ma nature d’Homme. Des sentiments d’abord innocents à l’aube des jours que je vivais et de notre entrevue, avant que ces derniers ne rencontrent la fougue de la jeunesse, la hâte et que je puisse les définir avec certitude. C’est alors que j’embrassais le destin que je m’étais choisis et que je m’éloignais de la beauté du monde que tu portais en toi seule pour rencontrer l’ombre et les ténèbres qu’ils s’étaient embrasés. Je t’ai aimé d’un amour ardent, non pas irrespectueux et vile, mais pur et entier, comme je l’étais enfant.
Je voulais tant t’offrir et tu ne pouvais rien accepter, j’aurai voulu tant te donner mais seul le silence de la nuit connaissait par cœur mon inclinaison pour toi. Tu avais été mon phare, l’unique lanterne, lueur d’espoir au cœur de l’horreur qui m’avait fait tenir et rêver à des jours radieux. C’est là que j’ai compris que je ne t’aimais plus comme l’enfant que j’avais été, mais comme un homme aime une femme, seulement tu ne pouvais être résumée à cela, Tu n’avais jamais été femme. Etoile, mirage, rêve et mystère oui, mais je ne pouvais te réduire à une mortalité dont tu ne pouvais vouloir. Alors je t’ai aimé avec force, avec honneur, avec devoir, élevant ton être sur le piédestal que j’avais choisi pour toi, chérissant ton nom et ce que tu m’avais apporté avant que le temps ne laisse les cendres remplacer le brasier.
L’amour que j’éprouve pour toi a attendu trop longtemps que nos destins s’entrelacent et s’il demeure, l’amertume, les regrets se sont fondus en lui.
Je t’ai aimé et je t’aime, désormais tu le sais. C’est pourquoi je te dis au revoir, ce n’est pas toi qui part c’est moi qui m’éloigne car alors que tu connais seulement maintenant l’étendu des sentiments qui m’animent, je ne puis demeurer sans agir, cet amour que j’ai cru pouvoir porter pour deux ne peut plus me suffire.
Ainsi c’est moi qui reste délibérément, seul, sur le rivage blanc des années que nous avons partagés. Des années que j’ai cru partager avec toi alors que sous ton regard ensorcelant elles n’étaient que secondes. J’ai cru pouvoir dompter la nature qui nous avait fait si différents et lisser ce qui était frontière, mais tu ne pâlissais pas alors que le temps s’écoulait et marquait ma chair. Ton souvenir vivace et ta beauté éternelle ne subissaient les assauts du temps et l’enfant que j’étais autrefois était devenu vieillard. Quelle grâce aurais-je pu trouver à tes yeux ? Alors que je ne ressemblais plus à celui que tu avais rencontré, alors que le travail avait éloigné la douceur de mes mains, que le soleil avait buriné mon visage, les événements l’avaient ridés et que mes cheveux autrefois champs de blés recevaient l’écume des jours. Oui, comment aurais-tu pu m’aimer comme j’aurai souhaité que tu le fasses ?
Je ne peux, n’aurais pu et n’obtiendrai jamais ce que je t’ai accordé pendant tant d’années de ma si courte vie. Tu ne seras jamais mienne comme j’avais été tien si tu l’avais perçu et cela est sans doute mieux ainsi, les songes ne s’emprisonnent pas, les statues se contemplent au loin, exactement comme les étoiles, elles n’appartiennent qu’à ceux à qui elles sont destinées et je ne suis pas de ceux-là. J’ai cru que tu pouvais devenir cet autre qui me manquait mais mon égoïsme aurait sans doute brisé les ailes qui te rendent si belles, celles dont j’avais toujours rêvé.
Sache que je ne t’en veux pas, je te pardonne de l’abîme dans laquelle tu as laissé s’étioler mes sentiments car tu ne pouvais y répondre. Je me libère des anneaux avec lesquels je m’étais enchaîné à toi et je te remercie, car l’aurore que tu es a illuminé mes jours et fait grandir mes rêves, si je ne t’avais rencontré, sans doute serais-je devenu un homme bien différent. Tu as été mon plus beau rêve, dommage que je ne puisse avoir été le tien.
Pour toujours.