Melda Vennonya,
Nous nous connaissons depuis bien longtemps, vous et moi, mais toujours subsiste un mystère entre nous. J'ai vous ai tenu éloigné de mon passé, de celle que je fus et ne voulais plus être. La douleur en premier lieu m'a retenu de vous compter mon histoire, puis la joie que vous m'avez apporté et le tumulte enfin de ces temps troublés.
Bientôt nous quitterons ces Terres que nous avons chéri une longue part de notre vie, et mon passé nous rattrapera comme une vague qui s'est retirée depuis trop longtemps. Vous découvrirez bientôt Aman et Valinor, mon ami, vous contemplerez la terre qui m'a vu naître et que je me languis de rejoindre depuis si longtemps. Mais avant que nous gagnions les rivages des Terres Immortelles, il est temps que je vous révèle qui vous avez aimé et courtisé avec tant de ferveur. Ainsi, Celeborn, mon âme et mon coeur vous appartiendront pleinement, maintenant qu'ils ne sont plus appesanti par la lourde tâche qui me fut confiée le jour de ma naissance. Il n'y aura plus le moindre secret entre nous, mon aimé, que ceux que vous souhaiterez conserver.
Bien sûr, vous connaissez l'Histoire et je crains d'avoir toujours été un pion sur l'échiquier de la destinée, tout comme vous savez que j'ai toujours éludé vos questions à ce sujet, jusqu'à vous lasser de me les poser. La vérité, Melda Vennonya, est qu'il m'est douloureux de me souvenir des années qui ont précédées mon arrivée sur la Terre du Milieu.
En tant que plus jeune enfant d'Eärwen et de Finarfin, de la lignée royale des Noldor, je suis née dans la belle ville de Tirion en Valinor, à une époque où la lumière de Telperion et Laurelin nous illuminait encore d'or et d'argent. Je grandis tranquillement sous leur protection auprès de ma famille, apprenant très vite à m'imposer auprès de mes frères pour que ma voix soit entendue de nos parents. Seule fille de notre fratrie et petite dernière, j'étais choyée et aimée de tous. Mon père vantait régulièrement ma beauté à qui voulait bien l'écouter, et ils étaient nombreux à écouter le fils de leur roi. Quant à ma mère, elle me répétait souvent en me bordant que je ne devais pas laisser ces éloges trop me séduire, car elle devinait la vanité grandir en moi.
Mais dans mon entourage, un autre elfe cultivait sa vanité comme un arbre centenaire. Feänor, mon cousin que je n'ai jamais réussi à aimer simplement. Notre relation m'a tourmenté pendant des jours et des nuits dans ma jeunesse. Comprenez-moi, je ne me connaissais pas comme je me connais aujourd'hui, j'étais jeune et n'avais connu que la lumière, la confiance et l'amour inconditionnels de ma famille. Valinor était à son zénith, j'étais insouciante, je pensais que le monde ne pouvait être autrement que ce que je connaissais. Et malgré tout, il y avait ce sentiment étrange qui m'habitait quand il était question de Feänor. Son nom me laissait un goût amer, sa présence me mettait mal à l'aise. Lorsque je me perdais dans son regard, comme j'avais l'habitude de le faire avec tous ceux que je côtoyais, je ne parvenais pas à m'extasier sur sa couleur sublime, comme s'il y avait une ombre, ou un voile qui m'interdisait de sonder son âme.
Je ne cessais de le repousser, toujours un peu plus violemment au fil des années, alors qu'il ne faisait rien pour mériter mes foudres. Mon pauvre cousin m'aimait comme le reste des miens, il n'avait à mon égard que des compliments, de la tendresse. Il m'adorait comme un cousin adore sa plus jeune cousine, me comblant de délicates attentions que je fuyais. C'était chez moi comme une pulsion à laquelle je ne pouvais me soustraire, une méfiance sans cause qui me tordait l'estomac en sa présence. Une boule qui explosa par trois fois lorsqu'il me demanda des mèches de cheveux.
Sa dernière demande se solda par une vive dispute et plus jamais il ne me demanda quoi que ce soit. Mais la quiétude revenue, je me sentais coupable d'un tel excès. Je méditais longtemps sur ce qui s'était passé, sur ma réaction et la sienne, mais je ne comprenais toujours pas ce qui se jouait entre nous. J'hésitais alors à aller me confesser auprès de lui, m'excuser pour mon comportement qu'il ne méritait pas, mais l'orgueil et la méfiance, toujours présente, me firent repousser ce projet jour après jour. Jusqu'à l'abandonner lorsqu'on me rapporta ses paroles sur sa nouvelle création "La lumière des Arbres se reflètent dans les cheveux d'Artanis. Qu'elle me les refuse m'a donné l'idée de la recréer ailleurs. Il en existera trois, un pour chacun des cheveux qu'elle ne m'a pas donné. Et ils seront plus parfait encore que de simples reflets."
Ils le furent, mon ami, ô combien ils le furent. Trois pierres parfaites, si lumineuses, si belles, qu'elles reçurent la bénédiction des Valars. La première fois que mes yeux les virent, je ne peux nier en avoir ressenti de la fierté. J'étais éblouie comme nous le fûmes tous devant tant de splendeur, mais plus encore comme je songeais que j'avais ma part dans cette création. Feänor n'aurait pas fait de telles merveilles sans moi pour lui en souffler l'idée. Ô mon aimé, ma culpabilité fut à l'égal de mon orgueil, lorsque plus tard... les Silmarils ont conduit au sort que nous connaissons.
Mais avec le recul, je peux affirmer qu'il y avait déjà une ombre dans mon coeur quand il nous présenta son oeuvre. Ses paroles me faisaient peur, son obsession pour les trois pierres grandissait au fil des compliments qu'il recevait.
Sa création était pure, mais une fois extirpée de son esprit, mon cousin perdit toute sa lumière. De jour en jour, il se consumait et la jeune fille que j'étais le voyait, sans pouvoir se l'expliquer, ni parvenir à faire part de ses doutes, de peur de se tromper, de faire du mal à quelqu'un qui ne méritait pas tant d'acharnement.
Et puis les années passèrent sans que rien ne vienne perturber ma vie tranquille. Trop tranquille pour moi. Vous me connaissez, cher amour, vous savez l'amour que j'ai longtemps eu pour ce qui était au-delà de mes frontières, je l'avais déjà à cette époque. J'aimais Valinor, me reposer à la lumière des Arbres mais je rêvais d'autre chose. D'un endroit où je pourrais appliquer ma volonté, régner sur mon peuple sans rien devoir à personne. Le monde m'appelait comme la douce mais incessante litanie que la mer nous impose aujourd'hui. Et cet appel, ni mes fougueux frères, ni aucune leçon d'escrime ou de tir à l'arc ne pouvait le faire taire.
Je finissais pas toujours par me perdre dans quelques recueil de géographie, apprenant par coeur les routes et les reliefs que j'ai bien longtemps foulés par la suite, dont nombre à vos côtés.
Le hasard ou la chance voulurent... Non, ces mots ne pourront vous abuser et je vous ai promis l'honnêteté. Alors soyons honnête. Ma curiosité dévorante me fit entendre d'autres échos. Les voix des Noldor s'élevaient ici et là, porteuses de la même envie de retrouver leurs racines dans ce monde où nous avons vu le jour. Voyez mon ami, comme vous n'avez jamais eu la moindre chance de me faire des cachotteries, puisque j'arrivais déjà si longtemps avant notre rencontre à découvrir les secrets les mieux gardés auprès d'un peuple si secret. Nolwessë, m'appelait parfois Finrod : "celle qui connait les secrets" quand il me surprenait à détenir une information avant lui.
Mais ces échos se transformèrent bien vite en tempête qui sema le trouble et la discorde en Tirion et dans ma vie. Melkor se mêla parmi nous, capta bien mieux que moi les envies de mes pairs et attisa ainsi leur orgueil, pointant du doigt les Valars à travers Feänor. Les révoltes éclatèrent à Tirion et Feänor fut chassé. Et pendant que la tragédie s'abattait sur notre famille, le Déchu s'arma pour détruire les Arbres et répandait la nuit sur nous avec la terrible Ungoliant.
Il y eut la terreur en Aman, car nous n'avons pas compris immédiatement ce qui se passait. Pendant que mon oncle Fingolfin et mon père travaillaient à assurer la protection de Tirion avec l'aide de mes frères et de tous les guerriers de la ville, ma mère et moi nous acharnions à rassurer la population. Je dus taire mes propres craintes, fermer mon coeur pour endiguer la panique. Il était bien difficile de rester calme soi-même, pourtant il le fallait. J'étais princesse des Noldor et c'est moi que les regards se tournaient à la recherche d'un peu d'espoir. Je compris alors quelle était vraiment ma place et quel fardeau je devrais porter toute ma vie. Mais cet amour, cette confiance qu'ils avaient en nous, en moi, me rendaient forte.
A peine remise de ce premier choc, d'autres affrontements se profilèrent, un vent de guerre souffla dans nos vies paisibles. Bien que mes frères m'aient appris à me battre, je ne vis aucun champ de bataille, car mon rôle, une fois encore, fut de rassurer notre peuple auprès de ma mère. Tandis que les hommes combattaient de front, notre bataille était de plus longue haleine. Nous luttions sans répit contre le désespoir, portant les bonnes nouvelles et les mauvaises en personne. J'y mettais un point d'honneur. Ainsi les Noldor restèrent soudés sous notre bannière, dans la victoire comme dans la perte d'êtres chers.
Alors que Feänor bravait son exil pour prévenir de son projet fou de récupérer les Silmarils volés, sa voix sonna le glas de mon innocence. Il n'était plus temps de rêver à mon avenir : il était l'heure de le choisir.
Je sentais toujours la noirceur émaner de mon cousin, mais si je ne pouvais pleinement lui faire confiance, je ne pouvais plus contenir mes propres ambitions. Je le savais : je voulais gouverner un royaume, sentir irradier le pouvoir dans mes veines quand ma voix ferait la différence dans le coeur de mon peuple. Quitte pour cela à marcher dans les pas de Feänor. Mon père et mes frères partageaient peu ou proue le même avis que le mien, ce qui me conforta dans mon choix : nous voyagerions ensemble, unis dans l'adversité comme nous l'avions toujours été.
Les récents événements m'avaient exaltée, mais nombreux le furent plus que moi, participant au serment de mon cousin. J'étais réticente sur ce sujet, mon oncle également, mais mon choix était fait : je suivrais Feänor et ceux qui voulaient partir jusqu'à la Terre du Milieu. J'y voyais seulement mon intérêt, celui d'une grande expédition qui ne se produirait sans doute plus jamais vers les terres inexplorées que mon coeur attendait depuis si longtemps.
Nous partîmes donc, quittant Tirion dans une grande procession aux côtés de mon cousin. Je me rappelle encore des traits tirés de mon père qui répondait à l'air grave de mon oncle. Je pouvais sentir leur inquiétude comme si elle était la mienne. Mais au fond de moi, se disputant la place à l'excitation du voyage, commençait à flamboyer une once de culpabilité qui ne m'a plus jamais quitté et dont je n'ai fait part à personne durant de longues et pénibles années. Je me sentais responsable et me demandai sans cesse ce qui serait advenu si je n'avais pas refusé quelques cheveux à Feänor, s'il n'avait jamais créé les Silmarils. Et cette question me hanta pendant les heures de voyage qui nous conduisirent jusqu'au peuple de ma mère.
Je n'étais âgée que de 133 ans mais le massacre qui fut perpétué par mon cousin à Alqualondë ne s'est jamais effacé de mon esprit. Il y eut d'abord des éclats de voix, puis les lames tirées au clair. Le sang coula à flot jusqu'à ce que Feänor s'empare des somptueux navires des Teleri et nous trahisse tous, partant avec ceux qui avaient prêtés serment. J'eus beau crier, me débattre et chercher à arrêter mon cousin, mes protestations furent inutiles. Il n'écouta personne, pas même moi, sa cousine qu'il avait admiré si fort. Ma voix ne l'atteignait plus, pas plus que mes larmes ou que ma colère. J'étais un orage qui tentait de percer une tempête, autrement dit rien du tout face à sa folie.
Quand le calme revint enfin, Feänor était parti, nous laissant le coeur brisé et l'âme souillée. Nous avions défié les Valars en le suivant et comme l'avaient craint mon père et mon oncle, cette entreprise s'achevait dans les larmes. Mon coeur saigne encore pour ce jour et il saignera toujours d'avoir vu pareille sanglante hérésie. Aucun peuple ne mérite plus ma haine qu'un autre à mes yeux, car la folie peut toucher chacun d'entre nous, homme, elfe ou nain, mon ami, cela ne fait aucune différence quand le plus vieux peuple de ce monde, les premiers enfants et les préférés, nous, sommes capable d'une telle cruauté. Je sais que vous avez souffert de la trahison des nains qui ont causé la perte de votre pays, tout comme j'ai souffert de la trahison de Feänor, mais je n'éprouve plus aucune haine envers quiconque. Nous avons tous nos faiblesses, mon bien-aimé, et notre ennemi commun sait comment s'y infiltrer pour nous gangrener qui que nous soyons.
Suite au fratricide dont j'ai été l'impuissant témoin, la malédiction de Mandos s'abattit sur nous. Il nous était impossible de gagner le pardon des Valars, de rebrousser chemin pour pleurer ce jour dans nos maisons. Valinor nous était désormais interdit. La sentence fut lourde mais je ne pensais pas à m'en indigner, accusant le coup comme les autres, le coeur et le visage baigné de douleur.
Mon père fut comme toujours le plus sage d'entre nous et réagit le premier. Il décida contre toute attente de tenter un retour à Valinor pour demander le pardon des Valars et nous pria de le suivre dans sa démarche. Il nous aimait et je crois qu'il avait peur pour nous. Mais au fond de moi, je n'ai jamais souhaité faire marche arrière. Qu'importe les épreuves, j'avais prêté mon propre serment et toutes les paroles aussi justes et vraies qu'elles furent de mon père ne pouvait rien y changer. J'avais fait mon choix à l'instant où Feänor nous avait offert l'opportunité de partir.
La séparation fut difficile, mais je laissais mon père regagner Tirion pour me tourner vers mon avenir. Aujourd'hui encore, quand je vois l'un des nôtres s'en retourner sur les Terres Immortelles, j'ai l'impression de le revoir. Mon regard qui se perd dans les mèches blondes de sa chevelure, qui grave ses larges épaules dans ma mémoire et je m'imagine son regard triste et sa mâchoire serrée dessinant une drôle de ligne sous sa joue.
Mais il me restait mon oncle qui prit grand soin de moi, tout comme mes frères. Le réconfort, je le trouvais cependant auprès d'Aredhel, ma cousine, aux cheveux aussi noirs que les miens étaient blonds. Nous n'avons jamais été très proche l'une de l'autre bien que soyons nées la même année, puisqu'elle fréquentait les fils de Feänor que je tâchais pour ma part d'éviter. Durant le voyage pourtant, après leur trahison, nous nous sommes retrouvées, unies dans notre désir d'aventures, veillant l'une sur l'autre pour panser nos blessures.
Nous avons fini par reprendre nos esprits et vint le moment d'affronter la traversée d'Helcaraxë. Menés par Fingolfin, notre peuple brava la glace et le froid. Nombre d'entre nous n'y survécurent pas, tant les conditions étaient difficiles. Nous avions l'impression de ne pas avancer, que chaque pas était un pas en arrière. Certains pensèrent qu'il s'agissait de la malédiction de Mandos s'abattant sur nous, et peut-être avaient-ils raison, mais je n'étais pas prête à le croire. "Les Valars n'auraient pas la cruauté de nous faire mourir" dis-je aussi fort que je le pus pour couvrir le blizzard et être entendue. "Nous avons fauté, mais nous sommes le fier peuple des Noldor, ne laissons pas le froid durcir nos corps, ne laissons pas le vent balayer nos espoirs. Nous sommes frères et soeurs, nous sommes ensemble, unis par la même volonté de forger notre destin et nous nous relèverons parce que notre vie est longue et que notre coeur est fort. Par delà la tempête, ce seront les fruits de Laurelin et Telperion qui nous accueilleront".
Les mots me vinrent naturellement, s'écoulant de ma bouche comme s'ils avaient toujours été là, attendant le moment propice pour être entendus. J'en prononçais d'autres à chaque nouveau jour de lutte, gagnée par une force qui m'électrisait et me poussait à avancer sans me retourner. J'étais faible pourtant, je souffrais parfois de terribles hallucinations, des voix me susurrant à l'oreille dans le vent, des visages m'apparaissant dans les bourrasques de neige. Mais elles étaient bienveillantes, pour la plupart. J'entendais ma mère m'encourager, je sentais les mains de mon grand-père, mort alors, sur mes épaules, m'enjoignant à avancer et devant, loin devant je voyais le dos de mon père et sa silhouette tranquille me donnait du courage.
Je n'ai que des souvenirs flous du reste de notre traversée et je suis bien incapable de discerner les illusions des véritables événements. Sans les récits des survivants, j'aurais très certainement pensé que mes discours étaient tout autant le fruit de mon imagination que le reste. Pourtant, nombre des Noldors s'en souvinrent et les récits me dépeignent comme l'une des plus fortes du voyage, guidant mon peuple avec quelques autres, comme mon oncle. Celeborn, vous êtes le premier que je mets dans la confidence : je n'étais pas vraiment consciente. Ma force tenait du délire, un délire peut-être salvateur, mais guère plus qu'un délire. Bien sûr, il est trop tard pour refaire l'histoire, et je suis heureuse au fond de mon coeur que ce soit ma figure qui soit restée dans les mémoires, mais la vérité est que nous étions tous dans une extrême faiblesse en émergeant du blizzard, et que notre survie tient bien plus de la chance que de quoi que ce soit d'autre.
Cependant, ma prédiction s'avéra exacte. Lorsque Fingolfin s'avança le premier sur la terre promise, le premier soleil se leva et baigna mon oncle dans la lumière avant de nous y accueillir.
Heureux, mais affaiblis, nous avons profité des bienfaits de l'aurore et de la journée pour nous réchauffer le corps et l'âme. Les moins faibles d'entre nous se mirent aussitôt en quête de nourriture et d'eau. Il n'y eut pourtant pas de fête, ni d'éclats de joie, car nous avions perdu de nombreux proches dans la traversée et nos coeurs étaient au deuil plus qu'à l'allégresse.
Par la suite, notre cortège se disloqua. Mon oncle retrouva Feänor et ils finirent par se partager les nouvelles terres, tandis que je venais me reconstruire dans votre beau royaume de Doriath, où Elu Thingol m'accueillit à bras ouvert de par notre parenté.
J'y rencontrais par la même occasion Melian, qui m'enseigna son savoir comme vous le savez. Je me plaisais en sa présence, douce et réconfortante, et dans ses enseignements sur votre royaume et le reste de ces terres. J'appris énormément à ses côtés, mais surtout je pansais les blessures qui m'avaient été infligées. La scission de ma famille, la trahison de Feänor, et ma culpabilité m'infligeaient beaucoup de souffrance, beaucoup plus que je voulais bien le laisser transparaître. Melian m'aida à apaiser ces tourments par ses conseils chaleureux et son oreille attentive. Ma confiance lui était acquise, si bien que je finis par lui révéler mon plus lourd secret : mon implication dans la création des Silmarils. En lui révélant ce souvenir douloureux, je ne m'étais pas attendu à sa réaction. Avec un doux sourire, elle passa un long moment à peigner mes cheveux d'or et je la voyais faire à travers notre reflet dans l'étendue d'un lac.
Elle attendit que je fus complètement apaisée pour me livrer ces quelques paroles, que vous et moi sommes les seuls à connaître désormais : "Le Mal trouve toujours une faiblesse dans laquelle s'insinuer". En méditant ses paroles, je compris que je n'étais à blâmer pour l'avidité de Melkor. Et j'en vins à penser que si Feänor n'avait créé les Silmarils, la lumière des Arbres se seraient éteinte à jamais. Cependant, Melian me fit aussi comprendre peu à peu que plus je me laisserais guider par mes ambitions, plus je devrais être vigilante car le Mal choisit ses cibles parmi les puissants.
Les nombreux moments passés en compagnie de Melian ne sont pas les seuls à avoir marqué mon séjour à Doriath, vous devez vous en douter. Je parle bien sûr de notre rencontre et de l'amour inconditionnel que j'ai senti fleurir en moi au premier regard. Mon bien-aimé, ne doutez jamais plus de m'avoir conquise au premier jour. J'ai senti cet élan au moment que vous, bien que je vous ai forcé, pendant si longtemps, à me courtiser. Nos conversations et vos présents continuels ont été un fantastique baume sur mon pauvre coeur, mais avant de m'engager à vos côtés, je voulais tout apprendre de votre monde.
Et puisque je vous ai promis une parfaite honnêteté, ce sentiment nouveau m'effrayait quelque peu. Je n'avais au cours de ma vie rien senti d'aussi fort, pas même pour mes parents et la séparation, que je pensais immuable, avec eux m'avait causé tant de peine que j'étais tétanisée à l'idée de vous perdre, vous aussi.
Il me fallut rejoindre mon frère aîné Finrod et m'entretenir avec lui lors de la célébration de Nargothrond pour comprendre à quel point je me montrais cruelle envers vous. La fête battait son plein pour honorer la fin de la création de la cité lorsque je me confiais à mon frère et qu'il me révéla pourquoi lui-même ne prendrait jamais de femme et n'aurait jamais d'enfants. Son coeur avait toujours appartenu à Amarië et il lui resterait fidèle de corps et d'esprit, malgré la distance et la certitude qu'il ne le reverrait plus jamais. En l'écoutant parler d'elle, je vous devinais dans les mots qu'il employait pour la décrire, mais sa voix était teintée d'une mélancolie qui me brisa le coeur.
Je ne pouvais me résoudre à vous faire languir plus longtemps, bien que je craignis toujours de vous blesser car la malédiction de Mandos planait toujours sur moi. Et elle s'abattit comme la foudre sur le reste de ma famille. Ainsi je perdis un à un les êtres qui m'étaient chers. FInrod trahis et exilé, Orodreth abusé et mes quatre frères morts dans les batailles qui nous opposaient au Mal. Ma cousine fut tuée également, et mon oncle succomba sous les coups de Sauron, un acte désespéré qui ne nous sauva pas.
Pourtant... pourtant je ne peux nier avoir vécu de belles années auprès d'Elu Thingol et Melian à apprendre les secrets de la Terre du Milieu et vous apprendre, vous. Au risque de vous surprendre, je conserve encore précieusement le ruban que vous aviez noué autour de la première fleur que vous m'avez offerte. C'était au premier banquet qu'avait donné Elu Thingol pour fêter notre arrivée à Doriath et j'avais refusé systématiquement toutes les invitations à danser, par peur de me ridiculiser n'étant pas familière de vos danses. Vous n'avez pas dansé ce soir-là. Je le sais parce que je ne quittais pas les danseurs des yeux, émerveillée par la grâce des Sindars et leurs musiques. Mais alors que je quittais la fête, encore fatiguée du voyage, vous m'avez rejointe, me tendant un simple bouton d'or où vous aviez noué un ruban. Il était blanc et il enlaçait cette petite fleur sans l'abîmer. J'ai porté votre présent comme une broche sur ma robe puis je vous ai donné ma main, et vous m'avez guidé gentiment sous la lune, comme votre ruban autour de la fleur.
Je n'ai jamais eu le coeur à partager les pas que vous m'avez appris cette nuit-là avec qui que ce soit d'autre. Mais je crois que vous le savez déjà. Je le vois dans vos yeux quand vous venez me chercher pour cette danse, ne laissant jamais l'occasion à quiconque de vous devancer. Le petit sourire que vous arborez en prenant ma main m'horripile toujours autant, mais vous le savez aussi n'est-ce pas ? Vous vous jouez de moi à chaque fois, parce que vous savez que je vous appartiens pour cette danse et que je déteste être dirigée. A peu près autant que j'aime ce moment partagé.
Que ne ferais-je par amour pour vous ? Je me le demande. Puisque j'ai pu refuser de rentrer à Valinor malgré le pardon des Valars, je pense que je serais capable de tout. Quand la nouvelle nous parvint qu'Eärendil avait obtenu pour nous le pardon, je vis un bon nombre de Noldor que je connaissais repartir, certains me demandant de les accompagner, en tant que leur princesse. Mais je ne pouvais m'y résoudre, pas après tout les sacrifices faits pour gagner le Beleriand. Pas quand je n'avais plus d'espoir d'y revoir mes frères. Pas quand je vous avais, vous, et enfin l'occasion de fonder notre royaume.
Parmi vous, j'avais de surcroît trouvé un nouveau peuple. Avec la mort de Thingol et le départ de Melian, ce fut vers moi qu'ils se tournèrent. J'étais une des dernières, si ce n'est la dernière représentante de la royauté, si bien que Sindar et Laiquendi s'en remirent à mon jugement. Les abandonner ne m'effleura pour ainsi dire jamais l'esprit. Je préférais fuir le Beleriand avec vous et tenter de reconstruire un royaume ailleurs que renoncer.
Et l'avenir nous prouva que j'avais fait le bon choix, puisque nous avons eu le bonheur de donner naissance à notre fille, Celebrian, peu après notre installation aux alentours du lac Nenuial. Traverser l'Ered Luin n'avait été qu'une formalité par ailleurs, en comparaison de ce que j'avais vécu.
Les plus belles années de ma vie se profilaient. Elever notre fille me combla de joie et m'apporta une paix que je n'avais jamais connu, tout en renforçant mes envies de construire un lieu où elle pourrait s'épanouir en sécurité, où le Mal ne pourrait plus avoir d'emprise, quelle que soient nos fautes et nos faiblesses. Pendant quelques temps et malgré le souvenir cuisant que vous avait laissé la trahison des nains, je pensais que j'avais atteint mon but. Nous étions épargnés par les batailles et nous vivions dans la sérénité.
C'était sans compter sur cette certitude qu'un nouveau mal s'éveillait à l'est. Ce fut d'abord une simple intuition, une idée passagère qui m'avait traversé l'esprit, mais cette idée enfla au fil des jours, ne me laissant plus aucun répit. Une nuit enfin, j'eus une terrible vision qui me convainquit définitivement de partir. J'avais la conviction qu'il me fallait dresser un royaume pour stopper l'avancée de ce mal que j'avais perçu, pour protéger ce que nous avions construit, notre peuple mais avant tout notre fille.
Ainsi, nous avons formé Eregion et Ost-in-Edhil sur une simple intuition. Au moment où vous auriez pu me rétorquer une myriade d'arguments pour me convaincre de rester, vous avez pris en compte mes craintes et m'avez soutenu dans mes choix. Nul autre que vous n'aurait pu me témoigner une telle confiance.
Le royaume créé, mes craintes apaisées, j'ai tourné mon attention vers le petit fils de Feänor, Celebrimbor, un des derniers Noldor, et brillant forgeron tout comme son grand-père. En s'installant dans notre royaume, il fonda sa guilde Gwaith-i-Mirdain qui suscita immédiatement ma méfiance. Je ne pouvais l'expliquer, mais j'avais le sentiment que quelque chose s'y produirait. Voilà l'une des raison qui me poussèrent à nouer des liens avec ce jeune elfe, la seconde étant qu'il avait acquis ma sympathie en se dressant contre les agissements de sa famille. Par bien des aspects, il me rappelait mon cousin avant que la folie ne germe en lui, ce qui m'amena à vouloir le protéger, lui prodiguer attention et conseil, pour qu'il ne reproduise pas les atrocités que j'avais vues.
A travers lui, j'appris à connaître le peuple nain que vous exécrez tant. Il nous fallut à chacun un certain temps pour nous apprivoiser, mais grâce à la collaboration des forgerons de nos deux peuples, je peux affirmer aujourd'hui que je comptais quelques amis parmi le peuple des montagnes. Par respect pour votre affliction, je tâchais de ne pas ébruiter l'affaire et me contentais de rares visites, pourtant toutes rafraîchissantes et agréables. Je vous prie de croire mon bien-aimé que auriez apprécié ces gens, si vous aviez su pardonner à leurs lointains cousins.
Pendant ce temps de paix, j'entretenais également une correspondance avec mon cousin Gil-Galad dont les récits m'inquiétèrent. En effet, il me livra son agacement face à un certain Annatar qui avait tenté de le séduire. C'est pourquoi je vous abandonnais un peu précipitamment un beau matin, vous laissant les rennes du royaume pendant que je rendais visite à mon cousin dans le Lindon, pour en avoir le coeur net.
Là-bas, il me raconta plus en détail sa mésaventure. Il ne pouvait pas vraiment m'expliquer pourquoi, mais il avait senti chez l'étrange individu une force qui lui avait déplu, à lui et Cirdan, si bien qu'ils avaient rejetés sans hésiter ses propositions. "Un être séduisant, trop pour être honnête" fut sa façon de me le décrire. Devant mon trouble, il me rassura toutefois, insistant sur le fait que cet Annatar avait compris la leçon et qu'il avait été chassé si proprement qu'il ne tenterait rien de si tôt. Aussi je mis de côté mes craintes et profitais du séjour pour faire part à Gil-Galad de mon intérêt pour le Lorinand.
Nous avons longuement parlé de ce petit royaume forestier, et à cette occasion, mon cousin me fit cadeau des graines de Mallorn que le roi du Numenor lui avait données. Sans doute que mon émerveillement pour ces grands arbres d'argents se parant d'or à l'automne le convainquit de me les abandonner. "Puisque tu aimes tant cette forêt, tu devrais les y planter pour émerveiller son peuple" plaisanta-t-il au sujet du Lorinand. Mais il n'avait pas tord, dans le fond, et je gardais cette idée dans un coin de mon esprit. Je n'avais aucune intention de séduire le peuple sylvain, pas plus que je n'en ressentais le besoin, mais apporter les graines dans leur royaume m'apparaissait comme un prétexte suffisant pour m'y rendre et débuter une nouvelle amitié.
Ce que je fis, quelques temps plus tard, plantant les mellym au centre de la forêt en compagnie du roi, suivant les rites que m'avaient enseignés Melian. Ainsi débuta l'amitié qui me lia à Amroth. Et vous savez comme elle me fut salutaire...
L'assurance de Gil-Galad n'avait pas suffi à stopper Annatar qui finit par se présenter devant nous, pensant sûrement que l'Eregion n'était pas au fait de ses agissements. En un sens, il avait raison. Mais quand il osa se présenter à moi... mon sang ne fit qu'un tour : je le chassai et lui sommai de ne plus jamais se présenter à ma cour. "Moi reine, vous ne consumerez ni mon peuple, ni mon royaume" lui dis-je. J'aurais m'y prendre autrement. J'aurais du être plus maline que lui, me montrer plus sage, mais la peur de voir le mal s'étendre à travers lui sur notre demeure paralysait mes sens. Je ne voulais qu'une chose : le voir disparaître et ne plus jamais entendre parler de lui.
S'il s'exécuta, et je me souviens l'avoir vu vaciller tandis que je lui ordonnais de s'en aller, ce ne fut que pour mieux revenir et me chasser de mon propre royaume. Ce jour-là, je compris ce qu'avait pu ressentir mon frère quand son propre peuple l'avait trahi. La déception, l'amertume. Ils m'ont chassé, ils m'ont retiré ce que j'avais créé pour eux, pour les protéger. Ils n'ont pas hésité à faire confiance à un inconnu, plutôt qu'à moi. J'étais abattue mais aussi furieuse et malgré tout, ce fut l'inquiétude qui prédomina. Durant mon exil en Lorinand, j'appris que Celebrimbor avait pris la tête du royaume, je priais pour qu'il se souvienne de mes paroles, de nos échanges et que ma voix lui parvienne quand le doute s'installerait en lui. En vue de l'épauler si le jour venait où il se tournerait de nouveau vers moi, je m'armais auprès d'Amroth, rassemblant mon courage pour faire face. L'attente était insoutenable, d'autant plus que je vous savais encore là-bas et que je craignais pour votre vie, mais j'y fis face de mon mieux, épaulée par les elfes sylvains.
Mes pensées vous accompagnaient pendant que vous meniez la lutte. Mon miroir, comme mes correspondances avec Gil-Galad me tinrent au courant en tout instant des événements. C'est par ce biais que j'appris la création des anneaux de pouvoir par Celebrimbor, qui tout comme son grand-père se laissa aveugler par le pouvoir. J'en étais malade. Je m'en voulais. Je ne savais plus quoi faire pour rattraper la situation et je rêvais de remonter le temps pour changer mes actes. L'impuissance me faisait comprendre durement que j'étais incapable d'affronter le Mal, alors que je pouvais le repérer avec une parfaite aisance. Mais à quoi bon être douée d'une telle clairvoyance si je ne pouvais rien faire ? Cette question me tourmentais sans cesse, jusqu'à ce que j'apprenne de Gil-Galad que Celebrimbor avait forgé en secret trois anneaux supplémentaires et qu'il nous donnait rendez-vous, à tous les deux, à l'insu de tous.
Je ne compris pas immédiatement de quoi il retournait mais je partis sur le champ, accompagnée de ceux qui voulaient me protéger, de peur que je ne tombe dans un piège. Ils étaient plus nombreux que je n'aurais pu l'imaginer. Ce fut avec une véritable escorte inquiète mais aussi pleine d'espoir que je répondis à l'appel du roi de l'Eregion. Nous nous sommes retrouvé et l'entrevue a duré toute la nuit. Celebrimbor peinait à soutenir mon regard, il se confondit en excuse, couvert de honte quand il nous raconta toute la vérité.
"Vous aviez raison, me dit-il, j'aurais du vous écouter. Ce que j'ai fais, je ne pourrais le défaire mais je me suis rappelé de vos conseils au dernier moment. Vous avez été ma seule lumière quand les ténèbres m'ont recouvert. J'ai donc forgé trois anneaux supplémentaires qu'il n'a pas touché. Puissent-ils être votre force, à tous les deux, et vous aider là où j'ai échoué."
Il me tendit Nenya et confia les deux autres anneaux à Gil-Galad. Le bijou allait parfaitement à mon doigt, magnifiquement ouvragé et resplendissant dans la nuit, comme s'il l'avait façonné avec un morceau de la lune. Mais sa beauté n'était rien en comparaison de sa puissance. Dès que je l'eus glissé à mon doigt, je me sentis aspirée dans un typhon. C'était effrayant mais en une fraction de seconde, sur une unique injonction qui avait été comme un réflexe, un cri plus puissant que tout le reste, l'eau se calma et je la sentis couler doucement en moi, m'inondant de fraîcheur. Je devenais un arbre et la magie devenait ma sève, aujourd'hui encore, je n'ai pas trouvé meilleure comparaison.
Tandis que la puissance de Nenya se distillait doucement en moi, nous nous sommes séparés. Je suis retournée à Lorinand pour y retrouver notre fille et éloigner l'anneau de Sauron. Mue par une intuition irrépressible, j'offris l'Elessar à Celebrian. Pauvre enfant, elle accepta mon présent avec joie et ne la quitta plus dès lors. Ce bijou l'avait toujours fasciné mais j'avais toujours refusé de lui abandonner. Tant qu'elle resta dans le royaume sylvain, l'Elessar contribua à le garder intact, le protégeant de se formidables pouvoirs de guérison couplé à la puissance de Nenya que je portais.
Mais le temps passa dans cette chère forêt, et si je me réjouissais de voir pousser les mellryn ainsi que de notre régulière correspondance, la mer vint à me manquer. Les ruisseaux ne suffirent bientôt plus à combler mon besoin d'entendre le roulis des vagues s'échouer contre la berge. Je finis donc par quitter Lorinand et tous les amis que j'y avais pour vous rejoindre, Melda Vennonya, en Imladris près de votre ami Elrond qui vola le coeur de notre fille et nous emplit tous de joie en concevant avec elle nos trois merveilleux petits-enfants.
Vous retrouver fut un bonheur sans borne, par ailleurs. Autant que l'eau salée, votre mer d'argent m'avait manquée. Et je remercie chaque jour le destin de ne plus nous avoir jamais séparé. Que furent beaux nos voyages au Lindon, en Belfalas et en Lorinand, car enfin vous acceptiez de m'y accompagner. Nos séjours restaient brefs bien sûr car la proximité des nains vous irritait toujours mais j'étais heureuse que vous me laissiez vous conduire sous la cime des arbres pour vous montrer les merveilles de ce paisible royaume que j'aimais tant.
Le deuxième âge touchait à sa fin quand la nouvelle de l'éveil d'un balrog dans les mines de la Moria nous parvint, suivie peu de temps après de la mort du roi Amroth. Bon nombre d'elfes fuirent à cette occasion le pays, mais quelques uns restèrent et m'envoyèrent quelques lettres à leur tour, me confiant leur désarroi. Il n'en fallut pas plus pour me convaincre que ma place était là-bas, auprès d'eux. Mais cette fois, je refusais de m'y installer sans vous, mon ami, car je tenais trop à notre bonheur pour le risquer. Il me fallut donc vous convaincre de venir et c'est ce que je fis, avec beaucoup de facilité que je ne l'aurais imaginé. En vérité, c'était comme si vous aviez déjà accepté avant que nous passions la nuit à en parler sur le balcon de notre chambre bien que vous m'ayez laissé exposer tous mes arguments pour vous convaincre avec le plus grand des calme et la plus grande des attentions.
Nous sommes donc parti, laissant derrière nous le reste de notre famille pour venir en aide aux rescapés. Beaucoup me connaissaient déjà et vous avaient déjà vu à mes côtés, il nous fut ainsi plus aisé de les aiguiller pour que l'ordre reviennent à Lorinand. Sous notre impulsion, la construction de Caras Galadhon débuta sur les mellryn que j'avais semé, de nombreuses années auparavant et nous avons pu nous installer. Nenya enveloppa la forêt de sa protection et je renommais la forêt en Lorien, la forêt de mes rêves, qui comme nous cessa peu à peu d'afficher son âge, se figeant pour l'éternité dans le mystère et la beauté d'un songe.
Très vite et grâce à la sagesse de Nenya, j'ai su que j'avais trouvé là ce que j'avais longtemps cherché : non pas un royaume à gouverner, mais un peuple à protéger et à guider s'il en faisait la demande. Notre présence redonnait joie et espoir à ceux qui nous avaient appelé, m'emplissant d'une douce quiétude. D'un commun accord, nous avons donc refusé le statut de roi et reine au privilège de Seigneur et Dame. Le peuple sylvain se nomma dès lors Galadhrim, et ce fut une preuve suffisante de leur amour pour moi, comme le jour où vous m'avez appelé Galadriel.
Depuis ce jour, et depuis le départ de Celebrian que je ne me pardonnerais jamais, comme je ne peux me pardonner le reste de mes erreurs, je n'ai cessé d'apporter mon aide à ceux qui la demandait. J'avais enfin trouvé ma voie, bien qu'il ait fallu passer par de douloureuses blessures pour le comprendre. La dernière fut sans doute la plus pénible, la perte de notre petite fille. Je n'oublierais jamais son regard éteint quand elle me remit l'Elessar qui avait soigné son corps mais n'avait pu empêcher son coeur de saigner et de rejeter cette terre où elle abandonnait ses enfants.
Je mentirais en vous disant que je ne l'avais pas senti, lorsqu'elle nous avait parlé de venir nous rendre visite. Mais ce n'était qu'un rêve, et je prenais mon intuition pour la simple inquiétude d'une mère qui a peur pour son unique enfant. Ce fut la dernière fois que je cessais d'écouter mes songes, mais une fois de trop. Et je ne fus pas la seule blessée, vous, Elrond, mais surtout Elladan et Elrohir changèrent quand leur mère s'en alla. Voir ces pauvres garçons ne plus vivre que de vengeance me brisait le coeur mais que pouvais-je faire, si ce n'est les surveiller de loin et espérer qu'aucun mal ne les prenne, eux aussi ?
Avec le temps, j'avais appris que m'opposer aux événements de front ne pouvait les empêcher. On ne peut pas savoir et combattre. Parfois, il faut faire un choix et le mien fut de voir car personne ne pouvait le faire à ma place. Je devais me faire une raison, je ne serais jamais le héros de l'histoire, mais je pourrais être celle qui les accompagne, celle qui comprenne et aide à panser leurs blessures. Celle qui serait toujours là quand ils en auraient besoin.
C'est pour cette raison que je voulus créer le conseil blanc. Avec plusieurs d'entre nous dont Elrond et Cirdan, nous nous réunirent avec les magiciens pour former cet ordre, ce conseil dévoué à la lutte contre le mal et ses enfants. On s'attendait à ce que je me propose comme chef, mais je n'en fis rien et ma voix ne s'éleva que pour proposer Mithrandir comme chef du conseil. Parmi nous, il était le plus sage. Mais pas le plus belliqueux, ni le plus orgueilleux, ce qui expliquait mon choix, mais qui laissa également la voie libre aux protestations de Saroumane. Il me reprocha d'avoir proposé un autre que lui, connaissant mon influence sur les représentants de notre peuple. J'aurais pu élever ma voix une seconde fois et asseoir mon autorité pour que Mithrandir soit bel et bien élu notre chef, mais cette fois, je m'abstins et laissai Saroumane se pavaner à notre tête.
A dire vrai, je n'avais pas besoin que Mithrandir siège en tant que chef du conseil. Cela nous aurait me semble-t-il facilité bien des actions, comme mener l'assaut contre Dol Guldur dès 2851 du troisième âge, après que plusieurs signes se soient présentés dans les ruines, notamment la mort d'un convoi d'embassadeurs de Lothlorien vers Mirkwood qui ne laissa derrière lui qu'une enfant traumatisée et son maître.
Mais ma voix avait été entendue cependant, on savait que ma confiance allait à Mithrandir et tacitement put se former ainsi le véritable conseil blanc. Celui qui saurait déjouer le mal le moment venu, caché de lui jusqu'au dernier moment.
Car là a toujours été ma force : voir et ne pas être vue.
Etre votre lumière au sein des ténèbres.
Et pour l'ennemi, un typhon invisible sous l'eau dormante. [...]