Sharp-eyed gaze

Il est de notoriété publique parmi mes hommes que j’aime me déguiser en simple citoyen pour sortir du palais de Dol Amroth. Si ici je ne suis pas très connu des hommes de la cité, ceux qui sont venus avec moi ne s’étonnent donc pas, en ce début de soirée, de me voir troquer mes vêtements de prince de bonne facture contre ceux d’un simple soldat. Une tunique noire, un pantalon semblable, et j’attache à ma ceinture une épée sans ornements. Même si nous sommes en territoire ami, il n’est pas exclu de voir les pirates revenir sur le devant de la scène lors d’une nouvelle attaque. A cette pensée, mon cœur se serre. Si j’ai quitté Dol Amroth avec mes hommes, c’est avant toute chose pour venir aider par ici, mais mon cœur reste tout de même coincé dans ma cité natale. J’ai peur que le temps que je prends pour me remettre ici de ma récente blessure à l’épaule. Alors, oui, en ce début de soirée, je me grime en soldat et tape sur l’épaule de mon bras droit pour qu’il couvre mon absence, si jamais l’intendant avait envie de me voir. J’ai besoin de m’éloigner et de simplement m’amuser avec une choppe ou deux.

Dans un premier temps, deux gardes m’accompagnent, et ensemble, assis dans un coin un peu isolé de la taverne, nous discutons. Et puis, avec l’alcool, leurs envies divergent des miennes et ils s’éloignent vers un coin plus animé de la pièce. Je me laisse donc aller sur ma chaise et observe toute la salle. Je n’ai bu qu’une demi-chope de bière, et j’ai donc la totalité de mes sens. J’aime cette impression d’être anonyme dans cette foule. Et puis, l’obscurité qui m’entoure me permet surtout de ne pas être vu. Personne ne fait attention à moi et je m’en contente parfaitement. Si nous avions été à Dol Amroth, j’aurais sûrement sorti un carnet pour gribouiller quelques dessins bancals. Ce n’est pas que je n’aime pas ça, c’est un passe-temps que je n’ai jamais pris la peine d’exploiter. Tant d’autres choses à apprendre lorsqu’on est prince… tant d’autres disciplines à maitriser. Il n’est pas possible de tout voir et de tout faire d’un seul coup. Alors, me voilà presque à l’âge adulte, à gribouiller pour m’occuper. Comme un enfant.

Au bout de quelques minutes, mon regard est attiré par une jeune femme qui m’observe. Nos regards se croisent et je fronce les sourcils durant quelques secondes. Mon pied frappe la chaise en face de moi pour l’éloigner de la table et je la désigne de la main pour l’inviter à venir me rejoindre. Qui qu’elle soit, ça peut être amusant de faire sa connaissance, n’est-ce pas ? Elle prend quelques minutes pour se décider et j’en profite pour boire une nouvelle gorgée du liquide ambré avant de finalement la voir s’installer en face de moi. Vous m’observiez, mademoiselle … ?

L’attitude de la demoiselle me montre très clairement qu’elle ne s’attendait pas à mon invitation. Peut-être simplement pas à être surprise en flagrant délit de curiosité. Certains hommes l’auraient mal pris, car après tout beaucoup considèrent les femmes comme étant des êtres inférieurs et moins intelligents qu’eux. Moi, elles m’intimident, tout simplement. Enfin, celles qui ne sont là que pour tenter de m’épouser me font carrément fuir. Lorsque je prends mon identité de vagabond, si je puis l’appeler ainsi, elles sont bien plus accessibles. Certaines le sont trop, commes elles veulent m’emmener vers les plaisirs de la chair qui ne m’intéressent pas. Non, réellement il n’y a qu’une seule demoiselle qui me semble valable, c’est la sœur de mon cher Nalf. Svéa est adorable, intelligente, et elle me fait réfléchir plus que personne d’autre. Il faudra que je passe la saluer à Osgiliath avant de m’en retourner vers Dol Amroth. Voilà de nombreuses années que nous ne nous sommes vus, et son sourire me manque.

Voilà donc la demoiselle installée en face de moi, et je la taquine légèrement. J’espérais qu’elle me dirait son nom, mais elle se contente de se tortiller sur place en se perdant dans des explications un peu confuses. Même habillé comme un homme du peuple, il me semble que je sois bien trop intimidant pour la gente féminine. Ou bien, peut-être était-ce se retrouver à la table d’un inconnu qui dérangeait la dame ? Qui sait. Je vois. Elle ne me regardait donc pas spécialement, ou peut être parce qu’elle n’avait jamais vu mon visage auparavant. Cet endroit semble fourmiller d’habitués qui se saluent et s’installent autour des tables en apostrophant les serveuses. Je dois sembler bien déplacé, seul dans mon coin.

Lorsque la serveuse vient nous proposer quelque chose à boire, je souris et secoue lentement la tête négativement. J’ai encore un fond de bière naine dans ma choppe et n’ai aucunement l’intention de boire plus que de raison. Nalf, lorsque nous étions enfants et qu’il était encore vivant, n’arrêtait pas de me traiter de rabat-joie. Il disait que j’étais bien trop sérieux. Un adulte responsable dans le corps d’un enfant. Sa remarque flotte à la limite de mon esprit et un rire léger monte à ma poitrine. C’est la voix de mon inconnue qui me ramène au présent. Je pose mon regard sur elle et fronce les sourcils. Mais qui vous dit que je suis un soldat ? Ma tenue de cuir noire est tout ce qu’il y a de plus sobre et mon épée est bien cachée sous la table. Je croise les bras, amusé. Je pourrais être forgeron. Menuisier. Prince même. Qu’en dites-vous ? Je prends néanmoins la part de brioche et la porte à ma bouche. Le goût sucré du produit emplit mes papilles, et une seconde durant, j’espère qu’il n’y a pas de poison là-dedans. Si je venais à mourir, Père n’aurait plus d’héritier et il serait dommage de voir la lignée des Princes de Dol Amroth s’arrêter d’une manière aussi étrange. Je me nomme Adrahil., je réponds à sa question. Cependant, je ne précise pas que je viens de Dol Amroth. De toute façon, il ne doit pas y avoir qu’un seul Adrahil dans le monde. Moi-même, j’en connais deux autres à Dol Amroth, nés une année après moi. Leurs parents les ont nommés ainsi en hommage à la lignée dirigeante. Je ne suis donc pas obligé d’être moi. Et, encore faudrait-il que cette demoiselle ait entendu parler de Dol Amroth et de sa lignée de princes. Nous ne sommes pas non plus des célébrités. Et vous, demoiselle ?

Intéressante cette façon qu’a cette demoiselle de me détailler avant de repousser une à une mes idées, pour finalement me dire que je ne suis qu’un soldat. Si elle savait. J’étouffe un petit rire. Un jour je lui dirais la vérité, mais pour l’heure j’entends bien profiter de l’anonymat que me laisse avoir ma tenue. Pour l’heure, je laisse le prince au placard, même s’il m’en restera toujours quelques manières que je ne peux totalement effacer. J’en profite pour semer le doute dans sa petite tête. Oh vous savez, je suis encore jeune… Les apprentis ne touchent pas réellement au travail du fer avant de nombreuses années… Ils sont condamnés aux menus travaux de préparation et autres activation du soufflet. La forge m’a toujours passionné. Pas que j’ai envie d’en faire mon métier mais… J’en sais assez pour pouvoir tenir ma couverture lorsque je décide de me faire passer pour un apprenti forgeron. Mais, il est vrai qu’avec ma stature et les combats que j’ai déjà vécus, le soldat est celui qu’il m’est le plus facile à jouer. Les blessures récentes commencent à me faire quelques cicatrices qui marqueront mon corps jusqu’à la fin des temps. Enfin, la fin de ma vie surtout. Espérons qu’elle ne soit pas écourtée par une lame trop bien placée. Ce serait dommage. Très dommage.

C’est un joli nom. Je souris, sincèrement. Les femmes sont un vrai mystère pour moi. Soit elles tombent sous mon charme et me font fuir, soit elles se transforment en harpies et je n’ai plus jamais envie de me retrouver face à elles. Clairement, si c’était possible je passerais ma vie entière seule. Malheureusement… Je dois donner un héritage à ma famille et des petits enfants à mon père. Je dois continuer la lignée. Donc, un jour – le plus lointain possible – il faudra que je me marie. J’espère sincèrement que celle qui me mettra la corde au cou sera du même genre que Svéa. Cette fille est douce et gentille comme pas possible. Et, de noble lignée, qui plus est, ce qui n’enlève rien à sa beauté, si j’en crois les portraits qui me parviennent régulièrement.

Après un moment de silence que je ne ressens pas le besoin de briser, à manger de la brioche – décidément très bonne – et à boire un peu, Elwel me pose une question. Ce qui m’amène ici. En effet, je ne suis pas d’ici. Je viens d’un port, plus à l’ouest. Mon unité a été réclamée pour faire face aux récentes attaques de pirates sur la ville d’Osgiliath. Là où est censée vivre Svéa. Au final, j’aurais combattu pour la défendre et n’aurais jamais été la voir. Vraiment, il faudra que je répare cela. Je repartirais dès que mes blessures seront guéries.

Je souris avec amusement lorsque la demoiselle me demande si j’ai été soigné. Père ne m’aurait jamais laissé quitter Dol Amroth sans avoir reçu de soins pour mon épaule, tout comme les blessures que j’ai eues depuis… Et bien mon cher bras droit ne m’aurait jamais laissé m’en sortir sans avoir tout examiné de lui-même. Mais, je me suis fait recoudre et recouvrir de baumes odorants par un vieux guérisseur qui savait ce qu’il faisait avant même qu’Eldred ne commence à vouloir voir ce que je faisais. Ne vous en faites pas, je vais bien. Je lui lance un sourire amusé. La preuve, mon guérisseur m’a laissé sortir de son antre odorante et même accordé une soirée de repos. Je lui lance un sourire sincère. Je suis entre de bonnes mains. Et, je vais pouvoir rentrer à la maison sous peu. La maison… Pas sans avoir vu Svéa. Pas sans l’avoir vue. Pas sans m’être assuré qu’elle va bien. Pourtant… Pourtant je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. J’ai peur que ce soit le meilleur moyen de briser ce lien qui nous unit. Ces lettres magnifiques et enflammées que nous nous envoyons depuis des années… J’ai peur qu’elles ne soient plus pareilles. Nous ne nous sommes plus vus depuis tellement longtemps… J’ai peur de me rendre compte de choses qu’une correspondance ne peut pas montrer. Vraiment pas.

Oui, des pirates. Je m’arrache avec difficultés aux possibilités d’une rencontre avec celle qui fait battre mon cœur sans que je ne l’ai vue, et je me concentre sur la femme en chair et en os en face de moi. Nous avons repoussé les pirates pour le moment. Je dois cependant repasser à Osgiliath pour vérifier que… Et bien que tout va bien pour certains amis qui vivent sur place. Je souris tristement à cette idée. Vraiment, c’est n’importe quoi. Ces pirates… Ils ne se rendent pas compte que ce que leurs idées de grandeur et leur besoin de plus de richesse engendre. Mais, au vu de mes blessures, il est hors de question que je recommence à combattre. Ce serait du suicide. Je vais devoir me soigner un peu avant. D’ailleurs, je vais emmener avec moi mes comparses. Mon unité ne restera pas là sans son capitaine. Mais, je ne vais pas avouer à la jeune femme devant moi ce qu’il se passe. La plupart sont déjà repartis, d’ailleurs. Il ne me reste que mon bras droit et deux gardes qui assureront ma sécurité durant le chemin du retour. Eldred ne m’aurait de toute façon jamais laissé seul ici. Il a bien trop peur que je ne me fonde dans le décor et ne devienne cette couverture de simple soldat que j’affectionne tant. Et vous alors ? Parlez-moi de vous ? Vous êtes d’ici ?

Marchande. Intéressant. Je m’adosse à ma chaise et croise les bras, écoutant la demoiselle qui me raconte, en quelques mots, sa vie. Je hoche la tête, plus pour moi qu’autre chose, lorsqu’elle me dit qu’elle cultive des herbes et autres. Voilà un métier intéressant, et un savoir qu’il est important d’avoir. Je connais quelques herbes moi-même, mais je suis loin de me considérer comme étant un spécialiste. Cette demoiselle doit s’y connaître plus que moi, certainement. Je suis simplement capable d’arrêter un saignement avec quelques plantes et d’empêcher une plaie de s’infecter en attendant qu’un guérisseur s’occupe de tout ça. Vraiment rien de plus : c’était dans mon entrainement de guerrier. Je vois, c’est en quelque sorte un commerce de famille. Je lui souris et la laisse continuer. Lorsqu’elle me précise ne pas être marié, une peur envahit mon cœur. Par pitié, faites qu’elle ne soit pas comme toutes ces femmes qui ont tendance à me courir après à Dol Amroth. Père organise souvent des bals en mon honneur, car il n’apprécie pas tellement que son fils unique ne soit pas encore marié et ne lui ai pas encore fait de petits enfants. Toutes ces filles prêtes à me faire des révérences uniquement pour me plaire et à dire uniquement des choses qui me sont favorables pour gagner mes faveurs… Non, vraiment ce n’est pas pour moi. Il n’y a aucune honte à ne pas être mariée… Mon regard reste dans le vague alors que j’entends sa question suivante. Et voilà, la question qui finit toujours par me fâcher. Je prends une gorgée de ma bière naine et hausse les épaules. En quelques sortes. Je reste vague. Mon cœur est pris par la plume acérée de ma chère, ma très chère Svéa, mais je ne sais si ces sentiments sont réciproques ou pas. Je ne le saurais qu’en m’en ouvrant à ma jolie brune, mais pour cela je préfère la voir en face. Par lettre cela serait trop… Bien trop compliqué. Sans compter que sa réponse me semblerait prendre une année. Compter les jours serait une véritable horreur et un tourment encore pire. Ce n’est pas un sujet qui me mette très à l’aise, pour être totalement franc avec vous. Si mon cœur est en effet pris, je ne suis pas marié non plus. Et, la gente féminine a tendance à se montrer un peu trop… agressive à mon sujet. Je fais tourner la tasse entre mes doigts avant de hausser les épaules. Je dois, sur le chemin du retour vers Dol Amroth, passer voir celle qui hante mon cœur, à Osgiliath. Nous verrons si, cette fois, j’ose demander sa main ou pas.

Je soupire tristement à la suite de mon petit laïus. Je secoue lentement la tête de droite à gauche et baisse les yeux vers ma choppe. Svéa est pour moi un sujet sensible, au fond. Parfois, je me dis que je devrais simplement parler à mon père. Lui dire qu’il y a une personne qui a pris mon cœur, une personne qu’il connait bien. Ou plutôt qu’il a bien connu. Parce qu’il y a des années de cela, il a anobli la famille entière. Et, le frère de Svéa a été mon écuyer. Mon meilleur ami. Il y a bien longtemps que je n’ai pas laissé des gens entrer dans mon cœur. Bien longtemps. J’ai quelques amis, certes. Très peu. Le capitaine de la garde de Dol Amroth, un ou deux soldats… Et c’est tout. La plupart des gens ne comprennent pas pourquoi je me retrouve aussi seul. Mais, ce n’est pas grave. C’est la vie qui me convient. Je l'espère. J’espère qu’elle soit réellement dans l’attente de me voir. Vraiment. Mais, je n’en suis pas sûr. Et si… Et si elle avait quelqu’un d’autre ? La peur ne quitte pas mon cœur alors que je suis en train de réfléchir. Quoi qu’il en soit, j’écoute ce qu’a à dire la demoiselle en face de moi et sourit, amusé. Je l’espère bien, parce que je n’ai pas l’intention d’avoir la moindre liaison pour le moment. Père me tuerait… Surtout si je me mariais hors de mon rang. Ce serait un scandale sans précédent. Mais, cela, Adrahil le soldat ne peut pas le dire à haute voix. Pas devant cette demoiselle qui ne sait pas qui je suis en réalité. Et, je n’ai aucune envie de le lui dire. Les gens changent d’attitude quand ils le savent.

Mais, voilà la demoiselle qui se dresse et m’invite à la suivre. Je commence par rester là, les fesses sur ma chaise, avant de poser deux pièces sur la table et de me lever à mon tour. Je suis assez intrigué pour qu’il soit intéressant de la suivre. Et puis, j’ai bien envie de me rendre compte par moi-même de ce qu’elle a en tête. Vraiment, c’est intriguant. Une fois dehors, voilà que la demoiselle mal à l’aise me fait des excuses. Cela me fait rire et je lève les yeux cers le ciel étoilé durant quelques secondes avant de laisser entendre un petit rire. Je vous en prie, ce n’est rien. Disons que je préfère mettre les choses au clair maintenant pour éviter les déceptions des deux côtés. Ou quelque chose du genre. Ce serait dommage, d’autant que je dois repartir d’ici peu. Et ne plus revenir, normalement. Parce qu’il n’y a que peu de chances que je me retrouve à crapahuter en pleine campagne de cette manière. Peu de chance que je doive à nouveau mener mes hommes au combat par ici. C’est une des raisons qui me poussent à mettre des barrières entre moi et le monde. Je dois avouer que j’ai du mal à m’y retrouver dans cette ville à étages. Surtout la nuit. Dol Amroth est tout de même une cité bien plus simple… Vous savez comment on rejoint la caserne depuis ici ?

Visiblement, ma question n’était pas du tout attendue par la demoiselle, et je crois bien l’avoir rendue perplexe. Cette cité est un véritable labyrinthe, et visiblement même ses habitants ont tendance à ne pas s’y retrouver. Je me sens un peu penaud de la voir réfléchir comme ça, comme si je lui avais posé une sacré colle. Je baisse les yeux vers mes pieds, et durant quelques secondes, j’attends sa réponse. Au moment même où je suis prêt à lui dire que ce n’est pas grave, que je demanderais à l’un des gardes qui s’occupent de patrouiller dans la cité, elle finit par m’indiquer qu’elle peut me guider. Le soulagement m’envahit alors. Cette fois, je ne vais pas tourner durant quelques heures avant de finalement retrouver mon lit. Vous êtes sûre de ne pas vouloir juste m’expliquer comment on s’y rend ? Je devrais m’en sortir. Il est tard. Cette demoiselle devrait rentrer chez elle, elle aussi, au lieu de faire un aller-retour dans la cité… Mais, finalement, je décide de la suivre.

Dans les rues sombres, je fais en sorte de ne pas la perdre de vue. La demoiselle s’arrête régulièrement pour vérifier que je ne me perds pas, et rien que pour ça je lui en suis reconnaissant. Si la nuit et la pénombre me cachent les expressions de son visage, j’espère que je ne suis pas en train de l’embarrasser. Ce serait un comble, tout de même. Alors que je sors de ma ruelle à sa suite, je l’entends qui murmure quelques mots. Je fronce les sourcils et soupire tristement. MA propre rencontre avec une elfe ne s’est pas très très bien passée. Je l’ai trouvée autoritaire, directive et très avare sur les informations. Pour le coup, j’ai été même soulagé lorsque nous nous sommes quittés. Si tels sont ceux qui ont, selon la légende, fondé ma famille, autant dire que je suis bien content de ne pas les voir rôder dans les parages de la cité. Mais, il n’est pas de mon ressort de briser les rêves de la demoiselle, alors je la suis en silence jusqu’à l’esplanade où elle s’arrête. Je reste en retrait, comprenant bien que cet endroit est important pour elle. Je croise les bras et observe l’endroit, pensif. Cet endroit est magnifique, et je suppose qu’il doit l’être encore plus à l’heure où le soleil est levé. J’y reviendrais sûrement.

Pendant que la demoiselle est en train de se recueillir, j’en profite pour masser mon épaule douloureuse. Ce que j’aime le moins, dans les blessures, c’est le temps que ça prend à cicatriser. Vraiment, c’est une horreur. Et, quand les croutes tombent, c’est pire. Lorsque la demoiselle revient vers moi, je l’observe un instant. Peut être que je pourrais vous trouver une place dans l’équipée qui partira pour Dol Amroth d’ici la fin de la semaine, si vous voulez. Je posterais la question au prince. C’est moi, le prince. Je devrais peut être le lui dire… Je soupire et nous reprenons le chemin jusqu’à la caserne. Pour le coup, j’ai l’impression de jouer un double jeu. Ou alors, je vais devoir demander à Arthur de se faire passer pour moi durant le trajet. Mais, une fois à Dol Amroth, qu’est ce que je vais bien pouvoir lui dire, hein ?

La tête de la demoiselle me tire un sourire amusé. Visiblement, elle ne s’attendait pas à cette proposition. Je hausse simplement les épaules à cette idée. Je suis quelqu’un qui aime à faire des surprises et à emmener les gens sur d’autres sentiers. Je ne suis pas tout à fait certain que Père apprécie ce côté-là de ma personne, mais je n’ai pas l’intention de changer. C’est cette compassion et cette écoute du monde qi faire que je suis aussi populaire auprès des gardes, et qu’ils sont là pour moi en toute circonstance. Je pense que Eldred ne va pas aimer quand je vais lui demander de se faire passer pour moi sur le chemin du retour. Mais, je lui ferais de l’odieux chantage. Je suis particulièrement doué pour l’odieux chantage. Vraiment. Eldred ne me résiste que lorsque je lui sors des choses un peu trop étranges à son gout.

Je pense qu’il préfèrera qu’une demoiselle voyage avec lui plutôt que seule. Et puis, quand on prévoie la nourriture pour cinq il y en a bien pour six. Un sourire grimpe sur mes lèvres et je hausse les épaules. Laissez-nous vous accompagner au moins jusque Dol Amroth. De toute façon, nous ne pourrons pas aller plus loin. Ma voix est un peu amère. Pour le coup, je suis relativement agacé. Je n’ai pas envie de rentrer pour entendre encore une fois mon père me dire que je ne peux pas continuer à voyager. Etre coincé à Dol Amroth est la pire des choses possibles, surtout après avoir finit par voir l monde. Je ne dis pas que les batailles contre les pirates sont ma tasse de thé, ça non. Mais, voir d’autres pays, d’autres contrées, d’autres visages… C’est tellement extraordinaire. Magnifique. J’ai envie de continuer à voyager. Envie de continuer à découvrir le monde. Mais, je vais devoir recommencer à faire le parfait petit prince en arrivant à la maison. Et, cela m’ennuie, vraiment.

Je suis Elwel dans les rues jusqu’à la caserne. Un sourire grimpe à mes lèvres. Je suis soulagé d’avoir réussi à retrouver l’endroit avant que la porte ne soit totalement fermée pour la nuit. L’officier de garde ouvre la lucarne presque instantanément et je lui adresse un signe de la main. J’ai trouvé un guide pour ne pas t’ennuyer cette nuit. Il lâche un rire amusé et j’entends le cliquetis des clefs qui font qu’il va ouvrir la porte. En effet. Je vous remercie pour m’avoir guidé jusqu’ici. Un sourire grimpe à mes lèvres et je m’incline légèrement devant elle. Si cela vous tente réellement, nous partons lundi prochain, sur les coups de huit heures du matin. Soyez ici, et nous vous prendrons avec nous. Il y a toujours de la place sur le charriot de provisions. Je m’incline une dernière fois devant elle et entre dans le campement. Eldred m’attend devant la chambre que je partage avec lui et les trois autres membres de ma garde, un air fatigué sur le visage.

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Le lundi a finit par arriver. Me voilà en train de vérifier les sangles de mon étalon. Je n’ai pas grand choses avec moi. Mon bras étant encore fragile, j’ai choisi d’attacher mon arc et mes flèches sur mon cheval. Mon épée pend à ma ceinture, et la totalité de mes vêtements tient dans une de mes fontes. Je voyage léger, après tout. Tu pense qu’elle va venir, ta demoiselle en détresse ? Je tourne la tête vers Eldred et fait une grimace. Elle n’est pas en détresse, elle veut voyager. Un rire gras me répond. Vous avez intérêt à bien vous tenir. Je croise les bras sur ma tenue de voyage très sobre. Une chemine en lin grossier, une cotte de maille légère et un pantalon de cuir confortable. Au fait, qui veut tenir le rôle du prince cette fois ? Eldred lève les yeux au ciel et pousse un grognement. Un jour, il faudra que tu arrêtes de te faire passer pour un soldat et accepte ton rang... Je grogne et soupire, alors qu’une silhouette apparait dans la cours. Taisez vous, elle est là.

Autant le dire clairement : Adrahil n’en menait pas vraiment large lorsque la jeune femme s’approcha d’eux. Rien n’avait été décidé pour le moment. Rien du tout. C’était à la fois trop tôt et trop tard pour le prince qui ne savait plus réellement comment faire pour éviter que la jeune femme ne découvre son identité. Il l’appréciait, beaucoup, cette demoiselle, même s’il ne lui avait pas encore beaucoup parlé. Leur rencontre de la veille avait été aussi courte que plaisante pour lui. Il avait l’impression de s’être fait une amie, et pour le coup il espérait simplement que ce ne soit plus possible quand elle connaitrait sa réelle identité. C’était bien pour ça qu’il avait choisi de ne pas se dévoiler, après tout. Le jeune prince fit des yeux implorants à Eldred alors que son invitée s’approchait. Celui-ci finit par lever les yeux au ciel en écartant légèrement les bras. Adrahil le savait : après tout il n’y avait pas réellement de différence. Cinq larrons ou bien six… Et puis, mieux valait qu’elle voyage avec eux. Vraiment. Ce n’était pas comme ci l’un d’entre eux allait lui sauter dessus. Au contraire, tous étaient des gentlemen.

Adrahil salua la jeune femme avec un sourire et puis il se figea en voyant sa révérence. Et voilà, c’était parti. Instantanément, Adrahil se sentit mal. Il n’aimait pas les ronds de jambe, vraiment pas. Il ne considérait pas avoir fait quoi que ce soit pour mériter ça. Ça non. Adrahil lâcha un petit rire en entendant sa question. Qui était le prince. L’un de ses hommes lui mit un coude dans les côtes et Adrahil lui jeta un regard noir. Au bout de quelques secondes de battement, Rorin décida de s’avancer. Avec ses traits fins, le jeune homme pouvait parfaitement passer pour la royauté. Adrahil le remercia mentalement.

Rapidement, le voyage se mit en place : Adrahil enfourcha sa monture, Elwel finit dans le chariot et ils se sont mis en route. Adrahil laissa, durant quelques temps, à Elwel le soin de réaliser qu’elle était en train de quitter tout ce qu’elle connaissait. Et puis, sur le large chemin qui les menaient vers la mer, il avança son cheval auprès du charriot. Nous avons une semaine de voyage, à ce rythme, je pense. Il tourna la tête vers elle, s’appuyant sur le pommeau de la selle. Vous êtes toujours sûre de vous ? De vouloir partir, je veux dire. Le jeune homme tenait à être certain qu’elle avait fait le bon choix. Beaucoup de monde voulait voyager, mais il n’était pas réellement possible pour eux de le faire. Une fois qu’ils avaient commencé, autant dire qu’ils étaient souvent déçus. Ce n’était pas ce qu’espérait le prince, ça non. Il voulait que la jeune femme soit heureuse dans son choix. Mais, ce n’était pas forcément le plus facile non plus. Dans tous les cas, j’espère que vous aimez la soupe brûlée. C’est à Eldred de faire la cuisine ce soir. Il a perdu son pari. Il lâcha un rire. Il était persuadé que vous ne viendriez pas.

Au fond, Adrahil était content de voir ce qu'il se passait. Il était content que la jeune femme ait choisi de voyager avec eux. Il valait après tout mieux qu'elle vienne avec lui plutôt qu'elle se retrouve seule. Totalement seule sur ces routes particulièrement dangereuses. Et, les voleurs étaient, aux yeux d'Adrahil, ce qu'il y avait de plus facile à gérer sur ces routes. En plus de cela, il y avait les pirates, qui pouvaient très bien avoir décidé de hanter les routes, après les attaques surprises partout sur les côtes, les orcs, les violeurs, les tueurs en fuit, et des créatures particulièrement dangereuses comme les trolls... On racontait de vieilles histoires à propos d'arbres qui parlaient aussi. Alors, oui : le prince était content de voir Elwel suivre sa propre voie, tout en restant avec lui, au moins pour le début du trajet. Qu'elle parte après leur arrivée à Dol Amroth, cela serait son problème. Maintenant, elle était sa responsabilité jusqu'à ce qu'ils arrivent à destination. Et, Adrahil en était bien content.

Tout le monde a besoin de rêve, répondit l'homme avec un sourire. Certains étaient réalisables, d'autres pouvaient être atteints à force de travailler, mais de temps à autre, cela restait simplement un rêve, une de ces douceur avec lesquelles se permettre de laisser son esprit s'envoler en conjectures. Adrahil sourit. Il plaisant ensuite sur l'un de ses hommes, Eldred, qui avait parié qu'elle ne viendrait pas. Mais, Eldred était un piètre cuisinier. Capable de brûler une soupe. Oh, mais vous ne ferez que repousser le gage. Un gage est un gage. Il a perdu, à lui de l'assumer. Notre prince ne le laissera pas s'en sortir comme ça. En fait, c'était Adrahil qui veillerait à ce que la tâche soit accomplie à un moment ou à un autre. Pour le coup, ce n'était que normal. Quand on jouait, on pouvait perdre. Et puis c'était le jeu. Quant aux dégâts... Je crains qu'ils soient volontaires, quelque part. Adrahil ne savait pas si Eldred cuisinait mal simplement parce qu'il n'aimait pas ça ou parce qu'il ne savait pas comment faire. Mais, cela avait contribué à tisser le lien qui unissait les cinq hommes.

Le soir arriva bien trop rapidement, et Adrahil laissa Elwel faire la cuisine, cependant. Il jeta un regard amusé à Eldred et finit par lui tirer la langue. Son tour viendrait, bien sûr. Demain. Ou le jour d'après. Le voyage jusqu'à la maison serait long. Très long. Il saisit son écuelle, juste après que le "prince" ait pris la sienne, et il plongea sa cuiller dedans. C'est délicieux, fit-il après quelques minutes de silence, seulement brisé par des bruits de déglutition et de soupe qu'on aspire. Vous ne voulez pas rester avec nous ? Un rire retentit sur sa droite, et Eldred lâcha ça, ça va poser problème, non ? Pour notre... Petit secret.

Adrahil s’empourpra lorsqu’Eldred lui rappela qu’il y avait un petit secret qui tournait entre eux. Et oui, Adrahil était le prince et non Lorin. De toute façon, la demoiselle l’apprendrait en arrivant à Dol Amroth. A moins qu’ils ne réussissent à esquiver le passage au palais avec Elwel. Adrahil n’avait aucune idée de ce qui pouvait bien les attendre une fois arrivés, et pour être franc il aurait préféré ne pas avoir à emmener Elwel au palais. Cependant, les aléas de la vie feraient ce qu’ils feraient, et de toute façon il n’aurait pas vraiment son mot à dire là dedans. En attendant, il jeta un regard paniqué à son ami et fronça les sourcils. Il se racla la gorge et haussa les épaules. Tout le monde a des petits secrets, répondit-il avec un sourire un peu forcé. Il n’avait vraiment pas envie d’avoir à nouveau droit aux courbettes et autres symboles de respect qui finissaient toujours par arriver lorsqu’il annonçait qui il était. Personne ne le regardait ensuite comme « Adrahil le soldat ». quelque chose se brisait à chaque fois dans la relation. Il devenait systématiquement « Adrahil le prince ». C’était nul. Ce n’était pas ce qu’il aimait. Ce n’était pas ce qu’il voulait. Mais, c’était comme ça. Eldred avait beau ne pas apprécier, Adrahil ne changerait pas sa façon d’être pour autant. Déjà, le prince était content qu’elle n’ait pas reconnu son visage comme étant celui de l’homme qui avait annoncé la sentence des pirates après leur attaque sur Osgiliath. Mais, elle devait être à Minas Thirit à ce moment là, et non sur les lieux de l’attaque puis de la sentence. Adrahil en était quelque part soulagé. Et puis, Svéa n’avait rien non plus. Elle et sa mère avaient été mises à l’abris dès les premières minutes de l’attaque. Adrahil avait eu la chance de pouvoir s’entretenir avec sa belle quelques minutes avant de devoir repartir, et son cœur se languissait déjà de ce sourire radieux et de ces grands yeux pétillants de malice.

Fort heureusement pour lui, Elwel eut l’intelligence de changer de sujet. Elle parlait du fameux gage qu’Eldred avait gagné, et expliquait qu’elle aussi ferait exprès de mal faire la cuisine dans un cas comme celui-là. Adrahil eut un petit rire amusé avant de hausser les épaules. Il vaut mieux que nous mangions de la mauvaise cuisine exprès plutôt qu’on ne se retrouve face à pire encore. Un de nos anciens compagnons a eu pour gage de s’occuper des chevaux, et il a fait exprès de mal leur curer les sabots. L’un des animaux s’est blessé et nous avons été obligés de le laisser là avec une partie de notre équipement. La mission en avait été retardée. L’idiot avait été congédié du groupe séance tenante par un Adrahil furieux. Ils avaient été obligés de refaire les fers de tous les chevaux à la ville suivante, ce qui leur avait couté une fortune. Le jeune prince soupira et secoua la tête. Manger du lapin brulé ou de la soupe trop salée n’est donc pas ce qu’il y a de pire. Esteban sortit alors sa petite harpe de voyage et entreprit de l’accorder, laissant ensuite quelques notes de musique emplir l’atmosphère. Adrahil se leva et alla récupérer de l’eau à la rivière pour les chevaux, pendant que Lorin préparait les couchages sur le sol. Eldred avait sortit un morceau de cuir et vérifiait l’affutage des lames de tout le monde. C’était une soirée normale. Personne n’avait réellement besoin de parler. Chacun avait sa tâche, prince comme soldat. Adrahil eut un sourire sincère en observant le campement. Ces hommes étaient sa famille. Ses meilleurs amis. Le prince qui, autrefois, pleurait la mort de son écuyer et repoussait le monde était bien loin, désormais. Adrahil était heureux. Vraiment heureux.

Nous devrions étouffer le feu un peu afin que les braises nous réchauffent durant la nuit, suggéra-t-il en revenant auprès de ses compagnons de voyage. ca nous évitera aussi d’attirer les orcs s’il y en a dans les parages.

Oui, des orcs, répondit-il avec un sourire. Il y a des orcs partout. Et puis, nous sommes proches du Mordor, et c’est de là qu’ils viennent pour la plupart. Les orcs évitaient Minas Thirit qui était toujours bien protégée. L’ombre noire du Mordor, cette chose qui ne dormait jamais vraiment et qui dirigeait les orcs, si tant est qu’ils pouvaient être dirigés, savait qu’il ne fallait pas attaquer la cité. Les habitants y vivaient dans une certaine paix. Mais, ce n’était pas pareil du tout sur les routes. Adrahil n’entra cependant pas dans les détails de cette histoire. Il ne voulait pas effrayer la jeune femme. Elle verrait bien, si jamais il y avait une attaque, ce qu’étaient les orcs. Et, Adrahil espérait que ce ne serait pas le cas. Vraiment pas. Parce que c’était dangereux et que cinq hommes et une femme avaient peu de chance d’en réchapper.

Une fois que chacun eut terminé ses tâches, Eldred prit le premier tour de garde. Adrahil se laissa facilement aller pour s’endormir avec les autres, non sans avoir regardé la semelle de l’une de ses bottes qui commençait à avoir quelques trous. Malheureusement, n’étant pas bottier, le prince n’y pouvait rien. Il ne pouvait que serrer les dents et espérer qu’il réussirait à trouver assez rapidement quelqu’un pour lui changer la semelle. Parce qu’il n’allait pas pouvoir marcher pieds nus très longtemps. Vraiment pas. Et, avec des trous dans la semelle ? Clairement, ce n’était pas possible de continuer longtemps comme ça. Mais, c’était la tâche d’un autre jour pour le jeune homme, qui fut le premier à s’enrouler dans sa couverture et à se positionner non loin du feu. Il ferma les yeux et sombra dans un sommeil bien mérité dont il n’avait pas l’intention de sortir de si tôt.

Mais, ce n’était pas ainsi que les choses allaient se tourner. Adrahil n’aurait pas le droit à une nuit complète, puisque ce soir il n’était pas de garde. Il sentit qu’on le secouait et il s’éveilla d’un seul coup, se retenant à grand peine de lâcher un « hein, quoi » tonitruant. Il observa la jeune femme dans la nuit avec un air hébété le temps de se remettre les idées en place. Encore heureux qu’il n’y ait pas d’attaque, car il n’aurait certainement pas survécu. Il était épuisé, et sa blessure le faisait encore souffrir, même si le plus gros était passé. Il poussa un soupir et se passa la main dans les cheveux pour les remettre un peu en place. Un gros bruit. Il leva les yeux au ciel et calcula rapidement l’heure qu’il était. Un peu plus d’une heure du matin selon la position de la lune. Réveille les autres, je vais voir. C’était au tour de Lorin d’être de garde. Et, malheureusement pour lui, il s’était aussi fait passer pour le prince. Adrahil pesta dans sa barbe et attrapa son épée. Il se dirigea vers l’endroit que lui avait désigné Elwel et observa les branches avec un air dépité. Lorin s’est fait capturer par un troll, lâcha-t-il lorsque les autres arrivèrent à son niveau. Il secoua lentement la tête de droite à gauche. Il faut partir. Les Trolls sont dangereux, fit Eldred, immédiatement alarmé. Eldred, on ne peut pas laisser le prince aux mains des orcs, rétorqua Adrahil en lui lançant un regard appuyé. Eldred ouvrit la bouche. Il la referma et puis il leva les yeux au ciel. Adrahil le savait : il était tout simplement impossible. Néanmoins, il avait bien l’intention de ne pas griller sa couverture. Tu auras ma peau un jour, Adrahil, lâcha le capitaine en dégainant son épée. Ma Dame, si vous ne savez pas vous battre, je vous invite à rester en arrière, fit Adrahil avec un sourire fatigué. Décidément, il n’était pas assez remis pour le combat qui l’attendait. Mais, il n’avait pas le choix. Un troll, vraiment ! C’était du moins ce qui semblait s’être produit vu la taille des branches écrasées.

Hors-jeu :

Sharp-eyed gaze

Adrahil & Élwel

Élwel réveilla le prince qui avait l'air encore tout empâté dans son sommeil. Il ne serait pas long, tous le savaient ; mais la nature est du genre à ne pas laisser beaucoup de répit aux hommes. Après tout, que représentaient-ils sur cette terre ? Rien de plus qu'une petite poussière qu'il serait facile d'écraser. La jeune femme reconnu le regard qu'elle voyait sur le visage du soldat qui était en face d'elle, il avait l'air épuisé, et c'était normal après toute la route qu'ils avaient été amenés à faire. Mais si une attaque venait à se produire, ça ne s'annonçait pas très bien pour eux.

Sur les ordres du soldat, Élwel se précipita pour réveiller les autres cependant que lui commençait à observer les alentours. Le bruit avait été sec, mais fort ; pourtant, rien ne semblait dénoter pour le moment dans le silence nocturne. La jeune femme se rua vers les couchages des autres hommes, les secouant par les épaules pour qu'ils se réveillent rapidement. Le temps des douceurs était passé pour elle, elle était dans le grand jeu de la survie en territoire hostile. Si c'était son premier essai à l'extérieur de la ville blanche qu'elle n'avait jamais quitté, elle songea que cela pourrait tout aussi bien être le dernier.

La peur commençait à prendre doucement possession de ses capacités, mais la jeune femme tentait de maîtriser du mieux qu'elle pouvait les gestes qu'elle faisait. Elle observa Adrahil de loin, alors qu'il se penchait vers l'endroit où aurait du se tenir le prince. A pas de loup, elle s'approcha pour constater tout comme lui que l'intéressé n'était bel et bien plus là.

« Un troll.. ? » questionna la jeune femme, même si elle savait parfaitement qu'il avait raison au vu des traces que la bête y avait laissé. Dans un réflexe, elle plaqua sa main contre sa bouche. Le prince. C'était le prince qu'il avait pris, comment rentrer sans lui à Dol Amroth ? Que diraient les gens si son escadron revenait simplement pour annoncer sa disparition ? Non, il fallait le retrouver. La jeune femme ne savait pas vraiment à quoi s'attendre, ni quelle chance avait l'homme de se trouver encore en vie. Elle fut coupée de ses pensées par Adrahil, qui la sommait de s'écarter si elle ne savait pas se battre.

« Oh, j'ai quelques connaissances, mon cher. Pas bien élevées, mais si je peux me contenter de couvrir vos arrières, ça suffira. » Elle prit sur son visage cet air déterminé qui contredisait tout ce que son corps lui faisait sentir ; elle n'était pas prête, elle était loin d'être prête à se battre avec autre chose qu'un habile professeur qui lui laisse sa chance.

« Donnez moi une épée, je vous prie. » demanda-t-elle à l'un des gardes. Elle se retourna vers Adrahil en affichant une expression de confiance, mais intérieurement, elle n'était pas rassurée. La petite fille de la ville enfin livrée au terrible courroux de la nature..

Élwel attrapa habilement l'épée courte que lui tendit le soldat, grimaçant discrètement sous le poids de la lame. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser ces hommes défendre leur groupe sans rien faire pour agir. La jeune femme soupesa l'arme, trouvant petit à petit son point d'équilibre. Elle fixait, tout comme les hommes autour d'elle, les buissons et la végétation foisonnante à la recherche d'une trace, d'une ombre..

Soudain, un gros craquas de bois se fit entendre de l'autre côté, et leurs têtes tournèrent toutes en même temps. Le vent agitait furieusement la cime des arbres dont certains ployaient sous sa force ; l'on aurait dit que c'était la forêt toute entière qui prenait vie. Et c'était terriblement effrayant pour la jeune femme, qui faisait son possible pour ne rien laisser paraître.

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