<----------------------------><> Hemrod <><---------------------------->
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Qu'ont-ils fait de ma fille ? Au matin était arrivée la funeste nouvelle jusque dans la demeure du seigneur Hemrod. Depuis la salle principale de sa demeure sur les hauteurs de cité blanche il observait l'horizon et le soleil pâle se lever au delà de l'horizon, sur ce jour si terrible. La nuit avait emporté avec elle son unique enfant chérie, sa bien aimé Isabeau. De ses noces tant espérées depuis des années n'avait finalement découlé qu'un mauvais sort. Hemrod n'avait pas adressé un second regard au messager dont il haïssait les mots avec toute la retenue dû à son rang et son éducation.
- Nous ne savons pas mon Seigneur. Ils ont tout brulé, nous ne savons même pas d'où ils venaient. Et vos hommes… ils siégeaient autour des cendres du campement avec la tête entre les mains. Ils ont pris leurs yeux… Les objets de valeurs, les chevaux et quelques femmes, jeunes, semble-t-il.
Les brigands étaient une menace courante. Le seigneur avait veillé à ce que sa fille voyage sous bonne garde jusqu'à la demeure de son futur époux au Rohan. Ses soldats valeureux gisaient donc ainsi, mutilés et humiliés par une horde de barbares venue de nulle part. Il y avait longtemps cependant que le seigneur Hemrod n'avait pas eu d'échos de ces carnages aussi au sud. Ces pilleurs là étaient plus que de simples vauriens, ils prenaient et tout disparaissait dans la nature sans espoir de voir réapparaître quoique ce soit. C'était donc ainsi qu'il devrait pleurer la douce Isabeau avec les siens sans pouvoir revoir son visage si délicat.
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Pourchassez-les, si seulement vous le pouvez… déclara-t-il sobrement alors qu'il sombrait déjà dans la plus profonde des tristesses.
<----------------------------><> Isabeau <><---------------------------->
Combien de semaines étaient passées ? Combien de lieues avaient-ils parcouru toujours plus au nord-est ? Aussi surprenant que cela semblait être, elle n'avait pas été véritablement maltraitée. Bien qu'on l'eut réduite à n'être qu'une prisonnière on lui accordait le droit de parler, d'apprendre de ses ravisseurs et même de s'échapper. La brutalité première de l'attaque n'avait d'égal que l'étrange tolérance avec laquelle ces hommes s'acquittaient de leurs tâches. Shinguan, le chef de cette étrange bande de sauvages avait une finesse inattendue. Très vite il avait deviné ce qu'elle était et il n'avait cessé de lui poser toujours plus de questions. Ces échanges étaient pour le moins étranges mais doucement Isabeau avait appris à profiter néanmoins de ces instants, oubliant parfois qu'elle était seulement sa captive.
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Vous parlez ma langue, n'est-ce pas inutile ? -
Beaucoup d'entre nous l'ont apprise. Je sais ce que tu penses, que nous sommes des barbares. Tu verras que nous sommes bien différents de l'idée que tu te fais de nous d'ici peu de temps. -
Vous le savez déjà, je suppose… Je vaux cher, vous auriez dû demander une rançon. Shinguan avait rit silencieusement derrière sa barbe sombre comme si cette idée était ridicule. C'était bien ce qu'il était pourtant, un voleur. Il ne niait pas cet évidence. Plus elle en apprenait plus elle parvenait à comprendre ce qui faisait battre ce cœur. L'argent et les bijoux qu'il avait amassé n'était rien d'autre qu'un gage de sa valeur, qu'un cadeau à offrir pour s'assurer une loyauté durement acquise. Certaines paradoxes s'éclaircissaient au fil des jours, si bien que la noble Gondorienne qu'elle était depuis toujours en était presque venue à assimiler jusqu'à la vision du monde de ce pillard.
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Il y a des hommes qui préfèrent les pierres précieuses ou les chevaux, d'autres qui aiment d'autres joyaux. Il y a de bien plus grands désirs, des rêves sans limites qui peuvent rassembler les plus égoïstes des hommes.<----------------------------><> Kodan <><---------------------------->
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Tu vois mon fils, jadis il n'y avait nulle frontière. La terre, le ciel, les cheveux et les insectes, chaque chose nous appartenait. Un jour viendra où nous retrouverons les jours lumineux. Les envahisseurs du sud ploieront sous la main des dieux. Toi aussi alors, tu pourras chevaucher jusqu'à l'infini et te nourrir de cette terre. Kodan avait ce désir. Les mots qui l'avaient transcendé n'étaient que le reflet d'un espoir qui habitait chaque Mozgat depuis des siècles. En tant qu'Olthaï, il se devait d'écouter les pensées de ses sujets comme il partageait leurs repas et leurs peines. Ses enfants se devaient de comprendre pourquoi il partait se battre durant de long mois en laissant seuls. Ils devaient comprendre pourquoi des vies étaient sacrifiés afin que la grandeur du peuple soit enfin restaurée. Kutzeï, le 4ème de ses fils était née de cet idéal. Il était ainsi forgé à devenir l'instrument de la victoire et son âme même était tissée de ce songe. Quant à sa mère, il n'avait jamais souhaité un aussi somptueux cadeau pour de la part de celui qu'il considérait à présent comme son unique souverain.
L'étrangère était devenue sa 3ème épouse depuis presque 10 ans et il l'aimait sincèrement comme aucune autre de ses femmes. Elle n'avait jamais tenté de fuir, la steppe l'avait engloutie, faisait naitre la promesse nouvelle d'un avenir qui aurait pu être bien plus sombre. La douce et mystérieuse Isabeau avait-elle cependant fini par oublier le Rohirrim auquel elle avait donné son cœur jadis ? Elle avait pourtant troqué sa vie contre une autre, doucement, sans même en prendre pleinement conscience. Au fond sa femme n'était pas aussi malheureuse qu'elle s'en donnait parfois l'air, enfanter l'avait confortée dans l'idée que sa vie était à présent ici. Kodan savait se contenter de son consentement et son épouse, elle, savait aimer les fruits de cette union.
<----------------------------><> Hwoï <><---------------------------->
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Tu es grand mais tu es plus chétif qu'une chèvre malade. Approche-toi donc je ne vais pas te mordre. Comment t'appelles-tu ? -
KutzeïL'enfant aux boucles brunes s'était avancé de quelques pas dans l'obscurité pesante de la tante enfumée. La vieille Hwoï l'observa attentivement, sans même cligner des yeux. Lorsqu'il fut suffisamment proche elle agrippa brusquement ses avant-bras et l'attira en avant jusqu'à ce que l'espace qui les séparait soit plus fin qu'une lame. Elle renifla son odeur, puis, de ses doigt décharnés et tordues comme de vieilles brindilles, elle palpa la peau fraiche de ce visage juvénile durant de longues et silencieuses minutes.
Elle sourit et acquiesça à ses propres pensées. Cet enfant là avait reçu l'amour de la déesse Yana, elle l'avait marqué de son sceau. Hwoï pouvait sentir son aura divine l'entourer férocement comme une mère, ou plutôt, comme une épouse maladivement jalouse. Il ne pouvait mourir tant qu'elle se serait pas lassée du lui. La dame qui murmurait à l'oreille des guerriers s'était choisie un nouvel amant. Et bien qu'il fut un faux sang, la noblesse de son coeur avait attiré à lui ses présents dès sa naissance. Il devrait vivre de longues années avec les victoires qu'elle lui offrirait sur un plateau et l'affection cruelle dont elle l'accablerait.
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Ne crains rien, si ce n'est l'amour que Yana te porte. Elle te promet de grandes choses, sers-la fidèlement et tu connaitras la gloire. Tu sacrifieras un agneau pour remercier Yana de te garder sauf et avant cent lunes tu partiras rejoindre ton père au combat. Honore-le lui aussi pour l'espoir qu'il place en toi, Kutzeï. Dans ses grands yeux clairs, il y avait tous les rêves et le courage d'un enfant qui ne souhaitait que le bien de son peuple au détriment du sien. Yana avait bien choisi. Hélas pour lui, ce que la déesse désirait d'autres viendraient fatalement à le désirer aussi. L'avarice était sans limites pour les dieux qu'elle vénérait. Yana châtierait ceux qui souhaiteraient détourner son favori d'elle pour s'en accorder les faveurs. Cet enfant subirait les tourments de l'âme et la douleur lancinante de la perte, assurément. Ce ne serait là qu'une épreuve dont il devrait se montrer digne.
<----------------------------><> Miklaï <><---------------------------->
Miklaï était encore jeune mais il savait déjà qu'il deviendrait un jour Olthaï, comme le voulait la tradition. Bien qu'il fut pâle et chétif il n'en demeurait pas moins un sang pur contrairement à son ainé. Lorsqu'il regardait son demi-frère, le garçonnet ressentait une vive brulure. La préférence des gens de la tribu était toujours acquise trop facilement à ce grand idiot idéaliste de Kutzeï et on disait de lui qu'il était un bon garçon qui faisait honneur à son père. Il devinait que leur père aurait préféré faire de lui son successeur, lui qui était si grand et si vaillant en comparaison. Ce qu'il haïssait d'autant plus était l'amour inconditionnel de Kodan pour l'étrangère qu'il devait néanmoins tolérer comme seconde mère. Il refusait de d'admirer ce faux-sang et en grandissant son envie de le faire chuter dans la boue s'était accrue encore d'avantage.
Lorsque Kutzeï était enfin parti à la guerre, cela n'avait pas vraiment soulagé Miklaï comme il s'y été attendu. Il espérait silencieusement que sa mort viendrait rapidement en se terrant dans son coin, comme s'il était en manque de figure à haïr. La privation de la présence bienveillante de son ainé creusait déjà le sillon d'une obsession dangereuse. Il n'avait jamais osé affronter son frère, il savait pertinemment qu'à ce jeu là il ne pouvait gagner, surtout à l'heure où l'écart entre eux devenait insurmontable. Il en devint méprisant et l'autre ne lui rendit plus que de l'indifférence.
A sa manière il avait de l'affection, une affection hors norme et déviante dont il terrait tant bien que mal les signes annonciateurs. Kutzeï avait fini par l'abandonner, puisqu'il ne valait au fond pas mieux qu'un autre. Sa froideur à son égard le tailladait pourtant de part en part, accentuant ses plus vils défauts. On pouvait bien le reprendre, on pouvait bien le punir. Ce qu'il ne pouvait obtenir par la force, il l'obtiendrait par la ruse. Si on ne voulait plus de lui avec les changements qu'apportaient l'imposteur Shinguan, il devrait le faire tomber également.
<----------------------------><> Toghan <><---------------------------->
A 14 ans tout juste Toghan n'était pas bien épais mais il avait déjà certains traits de son père, le grand et estimé Shinguan. Ce dernier lui avait donné pour professeur attitré un jeune soldat d'un autre clan, promis à de grandes batailles. Des jours durant il avait attendu le retour de son mentor. Lorsque la tête brune de Kutzeï était apparu entre les tantes, il s'était avancé vers lui avec un sourire étrange.
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J'ai un truc à te montrer. Kutzeï avait sourit, ne s'offusquant pas une seule seconde qu'il ne lui souhaita pas d'avoir de nombreux fils avec sa nouvelle épouse. L'adolescent avait tourné les talons, intimant à l'archer de le suivre. Ils avaient marché un moment pour s'éloigner du campement dans un silence tranquille comme il n'en existe qu'entre de très bons amis. Puis, il stoppa ses pas une seconde avant de foncer à la charge. Il percuta violemment Kutzeï. Bien que l'autre soit bien plus grand et plus âgé, la rudesse de son élan l'envoya à terre. Le plus vieux était à la fois incrédule et rieur, esquivant à peine les poings qui s'abattaient sur lui avec férocité. Il n'y aurait pas de victoire, Kutzeï aurait pu gagner facilement car après tout il n'était encore qu'un simple gamin.
Brusquement statique, Toghan fixa son ainé sous lui, parfaitement silencieux. Son admiration dépassait peut-être son propre entendement. Il ne savait dire ce qu'il détestait chez lui, mis à part ses épousailles. Et ça, le futur Szu-Olthaï ne pouvait l'entendre. Kutzeï lui appartient, depuis le premier instant où il l'avait vu. Depuis le premier instant où ses paumes avaient frôlé ses cheveux et que sa voix l'avait encouragé.
L'imaginer fonder une famille ternissait l'image qu'il avait de lui.
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Mes entrainements t'ont tellement manqué que tu ai besoin de te défouler comme ça ? Bien sur que non, mais Toghan acquiesça malgré tout. Il ressentait quelque chose de trop fort qui le rendait avide. Avide de quoi, il ne savait pas vraiment. Peut-être simplement d'être immortel même lorsque les années seraient passées et que cette femme serait morte. L'adolescent se pencha vers son ainé avec un sourire presque bienveillant qui n'éveilla aucune méfiance chez lui. Il se rappelait seulement être obnubilé par cette peau sous la tunique de cuir, avant de se retrouver soudainement sur le dos. Au dessus de lui, il n'y avait que ce visage amusé, cette force pratiquement insoupçonnée qui le clouait dans l'herbe fraiche et humide de la steppe.
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Ne t'inquiètes pas, demain tu ne pourras pas mettre un pieds devant l'autre. Demain serait un autre jour, il aurait oublié un peu de ce ressentiment. Kutzeï relâcha sa poigne, il s'apprêtait à disparaitre pour festoyer avec les autres. C'était plus fort que toute raison, ou peut-être était-ce justement raisonné... Ses bras s'agrippèrent au torse du faux sang et avant même qu'il ne soit repoussé ses dents s'enfoncèrent dans sa chair, sans aucune retenu. Il mordait, avide, il dévorait, sans se préoccuper de la douleur qu'il infligeait. Son sang n'était sans doute pas différant de celui des autres mais le gout lui plaisait particulièrement.
Kutzeï était parvenu à lui faire lâcher prise trop rapidement. Ce n'était pas si important, la blessure était bien là, béante. Le sang qui coulait sur sa clavicule était comme une œuvre d'art et l'apprenti s'en souviendrait longtemps. Une main se posa sur la blessure, constatant les dégâts sans le quitter des yeux. Toghan ricana avant de rire plus franchement de la stupeur qu'on pouvait lire sur le visage de l'archer.
<----------------------------><> Utha <><---------------------------->
Quand ce jeune soldat avait croisé sa route au retour des combats, Utha avait décrété qu'il serait son époux. Il avait été promu à 16 ans, et même s'il était à présent éclaireur et qu'ils se battaient souvent en première ligne, cela forçait indubitablement son admiration. Alors, elle lui avait presque intiment demandé de la prendre pour femme. Ce qu'il avait fait peu de temps après. Aujourd'hui, elle regardait son ventre s'arrondir pour la seconde fois en espérant que les dieux lui accorderait cette fois ci le souhait d'avoir un fils, tout en écoutant le souffle régulier de Kutzeï, endormi à ses cotés.
Ces moments étaient rares. Même si le jeune homme semblait paisible ainsi, elle devinait pourtant que ses songes étaient loin d'être si idylliques. Kutzeï en parlait très peu mais son regard, ses soupirs et les murmures des guerriers en disaient long sur la rudesse des affrontements qui se jouaient plus au sud. Parfois, elle priait Yana de ne jamais l'abandonner et lui ramener son bien aimé en vie. A chaque retrouvailles cependant, la jeune femme découvrait de nouvelles cicatrices sans oser demander comment cela été arrivé. Elle profitait simplement de cette présence chaleureuse et pourtant lointaine qui laissait dans son sillage beaucoup de peines, beaucoup de manque.
Shoka était encore bien jeune mais elle connaissait trop peu le visage de son père. Ce n'était pas seulement sa famille qui souffrait des longs mois de campagnes militaires, car l'absence des pères et maris était devenue le pain quotidien de toute femme. On pouvait bien se consoler en fêtant l'avancé remarquable des troupes en territoire ennemi à défaut de l'affection de l'être cher. Utha se montrait compréhensive. Que pouvait-elle faire face à ce grand idéal que portait Kutzeï malgré lui à bout de bras ? Utha avait bien conscience de n'être que peu de chose en comparaison des sentiments contradictoires que lui inspirait cette guerre. S'insurger contre ça aurait été renier une grande partie de ce qu'elle aimait tant chez lui. Au delà, elle avait également peur de distendre le lien suave entre leurs deux âmes. Elle gardait pour elle ses reproches, ouvrait ses bras et attendait patiemment en scrutant l'horizon.
<----------------------------><> Shinguan <><---------------------------->
Shinguan avait réuni Kodan et le 4ème de ses fils. Ce n'était pas première fois qu'il demandait une faveur à ce jeune homme. Depuis qu'il lui avait confié son héritier, le soldat avait encore grandi et son parcours au sein de l'armé méritait bien les honneurs qu'il recevait de ses compagnons. Shinguan savait combien Kodan estimait cet enfant et la tâche pourtant difficile qu'ils allaient lui confier, ensemble. Beaucoup de rumeurs circulaient sur Miklaï, sa fourberie et ses perversions n'avaient d'égal que son intelligence et sa finesse à les cacher. Depuis quelques temps, Shinguan avait appris par certains de ses espions que le successeur officiel de son fidèle ami complotait contre lui. Miklaï était devenu un élément gênant dont il n'était pas si aisé de se débarrasser sans attirer les foudres de ses alliés. Les apparences devaient survivre, d'autant plus aujourd'hui que Toghan avait pris pour seconde épouse la soeur ainée de celui qui siégeait devant lui.
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Certains ici connaissent les différents qui vous unissent, Miklaï et toi. Mais tu es un homme estimé, personne n'ira remettre en cause ton jugement s'il venait à lui arriver malheur en ta compagnie. Kodan acquiesça en silence sans lâcher Kutzeï du regard. Lorsqu'un fils devenait un ennemi, s'en séparer devenait une affaire d'état. Le soldat était assez intelligent pour comprendre ce qu'on attendait de lui. Il y avait des années que les frères ne se parlaient pratiquement plus que pour échanger des propos acerbes et glacés. Bien que calme, Kutzeï avait forcé les sourcils et courbé la tête. Le convaincre ne serait sans doute pas aussi facile qu'il s'y été attendu.
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Est-ce bien cela que vous me demandez ? Même vous, père, est-ce là ce que vous souhaitez ? Je sais ce qu'il est, je le connais suffisamment. Je crois que je comprends d'ailleurs ses sentiments. -
Tu sais donc qu'il n'est plus mon fils et combien cela m'attriste moi aussi qu'il ne partage pas nos convictions. Le soldat avait fermé les yeux quelques seconde. Il lâcha un soupir ressemblant presque à un rire tout en hochant la tête. C'était encore ce que Shinguan craignait le plus, cette empathie qui rendait Kutzeï si fragile, et dans un même temps, terriblement dangereux. Il ne ressentait pas chez lui suffisamment d'aversion. Miklaï demeurait son petit frère et il avait droit à ce titre à sa protection. C'était pourtant un homme de confiance et personne n'aurait pu réussir mieux que lui cette mission. Shinguan avait cru sincèrement que le soutient de Kodan assurerait son accord.
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Nous t'aiderons et tu n'auras à subir aucun préjudice. -
Des préjudices… ce n'est qu'une banale habitude lorsqu'on donne trop de sa personne. Je pense que c'est déjà le cas. Ce n'est pas que je ne crois pas en vos raisons, elles sont légitimes. Presque… sensées. Mais, les siennes aussi quelque part. Dites-vous simplement que je ne peux pas faire de Miklaï une victime de plus et je n'en suis pas désolé. La franchise brutale qui émanait de ces mots était celle d'un homme qui ne faisait que tolérer l'intolérable. Kodan l'avait pourtant mis en garde. Ses iris brusquement obscurs s'agrippaient à ceux du souverain, ne masquant rien du dégout que lui inspirait ce geste. Un respect inattendu contenait les gestes de l'archer lorsqu'il s'était redressé, surplombant ses aïeux dans un silence emprunt de colère avant de sortir en trombe.
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Il rechignera mais il aura du mal à accepter que quelqu'un prenne sa place, ne serais-ce que par dévotion pour notre cause, j'en suis persuadé. Tel est le fils d'Isabeau. <----------------------------><> Isabeau <><---------------------------->
Isabeau avait vu Miklaï grandir avec une méfiance toujours plus grande. Une nuit il était revenu du front et, dès le lendemain, il avait demandé la main Shion. Cette facette de la culture Mozgat l'avait toujours dérangée. La dame acceptait, parce qu'il s'agissait d'une coutume visant à préserver ce sang qu'ils estimaient si important. Pourtant, Shion était une faux-sang, Miklaï ne pouvait la désirer véritablement alors qu'elle sa demi-soeur. L'âpre rancoeur qui se tapissait dans son esprit malade était d'une noirceur abyssale. Ce qu'il aurait fait d'elle, la Gondorienne le savait déjà car elle avait vu la manière dont il traitait avec violence sa première et si tendre épouse. La peur avait saisi son coeur à l'idée que ce monstre parvienne à convaincre sa propre enfant de s'unir avec lui. Après tout, Shion était naïve et lui un redoutable prédateur dont l'assiduité était nocive pour les esprits délicats. N'était-ce pas normal pour une mère que de protéger son enfant ?
Jamais il n'aurait abandonné sa lubie et il aurait préféré tuer Shion que de la voir appartenir à un autre. Miklaï était un fou, un fou dont le pouvoir dépassait le sien. Même Kodan n'avait rien pu faire pour endiguer cette folle idée et faire cesser ses avances répétées. Kutzeï n'aurait pas toléré ça, mais il était bien loin, pleinement accaparé par une nouvelle mission de reconnaissance dans des territoires inconnus. Une angoisse viscérale avait fini par l'étouffer, lui faisant perdre la raison peu à peu. Désespérée, Isabeau avait choisi de prendre elle-même les armes.
Ainsi elle avait joué et elle avait perdu… Assassiner quelqu'un n'était pas donné à n'importe qui semblait-il. La loi la condamnait pour son acte. Aujourd'hui, elle allait mourir. Par sa faute Shion l'accompagnerait dans ce funeste voyage, dommage collatéral d'un combat inégal. Ici, devant la tribu, devant son époux et Otlhaï, et devant ce chien de Miklaï, elles subiraient toutes deux la punition qui convenait. Personne ne pouvait les sauver à présent, telle était la loi et telle elle s'appliquerait sans distinction. Le fou jubilai en silence, sein et sauf, se délectant à l'avance du spectacle sanglant qu'offrirait à lui cette exécution. Kodan avait demandé une mort plus douce pour leur épargner trop de souffrances inutiles. L'ignorant, son héritier avait choisi l'écartèlement, puisque le droit lui revenait de choisir.
Isabeau refusait de perdre sa dignité. Elle ne supplierait pas. A aucun moment elle ne lui donnerait ce plaisir supplémentaire. Elle avait regardé une dernière fois son époux impuissant, reconnaissant en ses dernières minutes qu'elle l'aimait à sa manière, malgré tout. Lui aussi devrait endurer la scène sans faillir et sans montrer à Miklaï qu'il était parvenu à le toucher. Il était l'heure et ses dernières pensés furent pour son fils avant qu'elle ne ressente la douleur fulgurante transpercer ses membres tiraillées, lui faisant oublier dans cette souffrance insoutenable jusqu'à l'existence elle-même.
<----------------------------><> Besret <><---------------------------->
La cité était tombée. C'était une chose bien impensable et son père avait ri à l'idée de se rendre à ces envahisseurs apparemment anodins. Il aurait dû écouter le grondement au lointain et les rumeurs qui faisaient état des victoires de ces barbares avec leurs lances et leurs arcs. Les rues étaient à feu et à sang, partout raisonnait les hurlements de terreur et les cris d'agonie. Le palais était jonché de cadavres et de mourants déversant leurs fluides vitals comme des torrents cauchemardesques. Elle y croyait à peine, refusant d'admettre que l'odeur de la mort collait déjà à ses vêtements d'or et de souillures.
Devant elle, le seigneur venait de chuter à terre brusquement. Une longue flèche transperçait le visage de celui qu'elle appelait père et qui gisait sur le sol encore vivant pour quelques secondes. Besret avait levé les yeux, immobile au milieu du carnage, alors qu'une seconde flèche rasait ses cheveux, trouvant sa cible dans une seconde victime. Plusieurs hommes étaient tombés ainsi, ravagés par les pointes meurtrières d'un archer qu'elle ne parvenait à trouver dans le désordre. L'un d'eux était son père, un autre son frère. La jeune femme peinait à comprendre car le temps se contractait douloureusement.
Puis, elle l'avait vu, sans pour autant parvenir à fuir, paralysée par la scène dans laquelle elle était emprisonnée. Sa flèche et ses yeux étaient braqués sur elle. L'assassin lui paraissait loin et pourtant il n'avait eu aucun mal à faire son office méticuleusement. Son visage soucieux, la concentration qui courbait ses sourcils et la froideur chagrine de ses traits s'étaient tatoués sur sa rétine. Elle ne parvenait pas encore à le haïr, ce n'était qu'un tableau surréaliste dont elle refusait l'existence insupportable. Le meurtrier avait abaissé son arc, presque indifférant à la vie qu'il laissait après toutes celles qu'il venait de prendre. Ils n'étaient donc que des statues de poussière que le vent du nord venait de balayer d'une bourrasque taquine… Voila toute l'impression qu'elle en avait, n'être rien et n'avoir pas même le droit de mourir ici avec les siens car il lui refusait. Qu'était-ce là, de la bienveillance malvenue ou de la cruauté maladroite ? En tout cas, quelque chose qui la dépassait largement et la rendait foncièrement impuissante.
<----------------------------><> Miklaï <><---------------------------->
Après la mort de sa mère, Kutzeï n'avait rien fait d'autre que boire plus que de raison en se murant dans le silence. Miklaï en riait en son fort intérieur, jubilant de la douleur que son frère devait ressentir sans pouvoir s'en délester. Sa Némésis sombrait, irascible et désorientée, se jetant dans les bras de la déesse guerrière comme si elle pouvait lui apporter un peu de réconfort. Il le piétinait encore avec délice en s'octroyant le droit de lui voler le cadeau dont il le jugeait pourtant plus que digne. Cette femme, Miklaï l'avait désiré ardemment. Il la désirait d'autant plus à présent qu'elle était offerte à son ennemi le plus fondamental. Il l'avait prise, ni plus, ni moins. Ce que Kutzeï pouvait faire était sans importance à présent qu'il n'était plus que l'ombre de lui même.
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Lâches, vas-tu te cacher encore longtemps ? Cette femme est mienne ! Que quinconce ici lève la voix s'il trouve que je bafoue me droit. Tu attends ce silence mon frère, tu l'entends ? Il t'exhorte de venir te battre. Tue-moi ou je te trancherais la tête. Il aurait cependant dû se méfier de cette apparence. Avait-il oublié un instant, en savourant sa victoire, que Kutzeï n'était peut-être pas si déférent de lui ? Cette voix grave et excédé n'était pas encore prête à se briser. La bête se relevait malgré les lames qui la déchiraient, sa gueule béante s'apprenant à le dévorer. Miklaï avait commis une grave erreur de jugement. Cette trahison envers lui-même lui laissait un gout amer. Personne ne s'insurgerait, ils étaient seuls à s'affronter à présent, même entouré d'une si vaste horde. La haine se confondait à ses plus anciens souvenirs de bonheur, lui faisant tirer son sabre dans un sourire de soulagement.
L'heure était venue de s'offrir intimement à cette lutte éternelle. Pourtant, le souffle lui manquait déjà et la peur de mourir de ces mains s'infiltrait sous son épiderme. Le monde disparaissait dans le fracas irrégulier de deux lames luisantes. Il ne reprendrait rien, ni ses mots, ni ses actes. A chaque coup s'abattant sur l'autre, à chaque coup qu'il lui rendait, son corps vibrait autant de violence de l'agression que de l'euphorie circulant dans ses veines. Il en était de même pour son assaillant, il en avait la conviction. Kutzeï l'entaillait sans pitié tout en prenant son temps, ses attaques bien plus précises que les siennes ne lui laissait que peu de chance d'en rechaper. Il ne souhaitait pas mourir, pas maintenant, pas ici et surtout pas ainsi. Dans un dernier sursaut méprisant, Miklaï avait rassemblé ce qui lui restait de force pour continuer à combattre avec plus d'ardeur. Ses attaques étaient pourtant chaotiques, dictées par l'angoisse de la mort, portées par l'adrénaline. Le sang qu'il perdait le rendait de plus en plus faible et vulnérable. Étrangement, il n'en attendait pas moins de son ainé que cet acharnement et la minutie avec laquelle il le poussait lentement, avec une délectation certaine, vers sa fin. L'ultime coup, fulgurant, l'avait traversé de part en part, l'ébranlant par sa puissance destructrice, lui faisant cracher son sang et lâcher les armes.
Les bras de son frère l'avait enlacé étroitement pour empêcher sa chute, enfonçant plus encore le sabre dans son abdomen. Le liquide poisseux et brulant s'échappait de ses lèvres, sa vue s'embrumait déjà et ses membres léthargiques pendaient inertes. Alors que le froid l'envahissait progressivement Miklaï se raccrochait encore à la chaleur vivante contre lui. La douleur vive en son sein lui rappelait que son esprit ne s'était pas encore envolé et lui donnait envie de vomir. Le souffle ardent de sa rancœur raisonnait à ses oreilles comme un champ funéraire. Il n'en aurait pas préféré d'autre. Il l'avait tué… et pour une fois, il ne doutait pas que Kutzeï avait aimé ça.
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La loi est tout, souviens toi mon frère, la loi est tout. Elle gouverne ma lame et elle préside à ton trépas. Sois fier devant la mort et ne rampe plus dans l'obscurité comme le fourbe que tu es. Ne doute pas de mon amour et de ma haine, elles sont tiennes pour l'éternité. <----------------------------><> Toghan <><---------------------------->
Les derniers mois avaient distendu leur relation, faisant d'eux de simples camarades qui se saluaient de loin sans parvenir à échanger le moindre mot. Toghan avait indubitablement souffert du mur qu'avait érigé Kutzeï après la mort de sa mère. Impuissant et vexé, il l'avait vu s'enliser toujours plus dans la solitude et le marasme le plus total. La disparition brutale de Miklaï était fraiche et les noces avaient été précipité, malgré l'éloignement manifeste de son plus cher ami il était facile d'imaginer l'égarement dans lequel devait se trouver l'homme qui lui faisait face.
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Qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu t'es déjà lassé de ta belle princesse ? Il n'avait rien à faire ici. Cette nuit, son ami aurait dû la passer avec Besret, sa toute nouvelle épouse. Mais était-ce vraiment la passion qui avait causé ce déchirement familial ? La jalousie qu'il aurait pu ressentir à l'égard de cette femme était amoindrie par cette pensée. Sa présence à cette heure ne faisait finalement que confirmer cette hypothèse. Il le retrouvait en ce moment fatidique alors qu'il l'avait jusque là ignoré. Alors, oui, sens doute lui en voulait-il un peu sans pourtant chercher à rejeter cette présence inattendue.
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Je suppose qu'elle te plait bien moins que le laissait présager le sort que tu as réservé à ton frère. Il avait des ennemis, toi en première ligne. Je me suis demandé s'il s'agissait vraiment d'un hasard que mon père te donne ce présent… Mais déjà le regard de l'archer était devenu vague, dans le semi silence d'un soupir, c'était comme s'il avait répondu franchement à toutes ses interrogations. Toghan n'était pas totalement ignorant des affaires de son père, après tout, il était destiné à lui succéder dans un avenir plus ou moins proche. Pourtant, on l'avait écarté de cette histoire là, à juste titre. Personne n'ignorait vraiment l'affection qui le liait à son ancien instructeur, personne n'ignorait vraiment que cela aurait pu être une gêne à l'élaboration de leurs plans.
Ca n'enlevait pas le charme mystérieux des yeux sombres de cette femme dont Toghan ne pouvait ignorer la beauté irradiante. Kutzeï était là, néanmoins. Cela suffisait à l'apaiser d'autant plus que ses bras venaient d'entourer ses épaules, réduisant l'espace de leurs corps et des mois passé. Il avait espéré tellement plus, et en même temps bien moins que cette soudaine proximité, durant des années. Ce n'était que la preuve du désœuvrement qui assaillait Kutzeï mais il pouvait bien s'en contenter. Sans en avoir pleinement conscience il s'hypnotisait de son parfum et sa douce chaleur, ses doigts glissant dans les boucles brunes retombant dans sa nuque. Il lui avait manqué…
<----------------------------><> Besret <><---------------------------->
Cet amour n'était qu'une torture depuis le tout début, depuis le terrible jour où il lui avait laissé la vie à milieu de la sanglante mêlé. La jeune femme n'avait pas connu pire déchirement que celui d'être offerte à l'homme qui lui avait pris les êtres les plus chers. Elle avait bien essayé de se venger mais le poignard n'avait fait que perforer sans atteindre l'âme et tirer de cette gorge des paroles qui résonnaient encore à ses oreilles. La perte était le lot de chacun en temps de guerre… Et Besret avait compris que l'assassin de son peuple n'avait connu que cela et qu'il devait en porter le poids. A ce moment là, la tension palpable entre eux était retombée brutalement. Dans son coeur meurtris avaient germé les graines d'un amour vivace, poussant jour après jour, absence après absence, en se moquant bien des limites de la raison.
Quelques années plus tard, Besret se demandait encore comment elle pouvait éprouver des sentiments insensés dont la dualité la rongeait. Sans doute cela jouait-il sa part dans l'affection outrancière qu'elle portait à son époux. Il avait soupiré contre sa nuque, silencieux dans ses paroles comme il l'était trop souvent. Elle aurait donné beaucoup pour qu'il l'adule autant que d'autres, qu'il se déleste de ce silence accablant. Il y avait chez lui miles pensés qui ne lui était qu'indirectement révélées et elle se sentait, à chaque visite, un peu plus malheureuse. Ils étaient lié par la mort…
Tout aurait été différent si un enfant était venu égailler le tableau. Ce droit lui avait été refusé jusqu'ici alors qu'Utha avait accouché d'une nouvelle petite fille. Et il y avait Toghan… Il fallait être bien aveugle pour ignorer cet ami presque envahissant. Elle le jalousais tout en l'estimant pour avoir droit à un peu de ce cœur étrange, aux nuances dissonantes. Comme à chaque fois que ce sujet douloureux revenait sur le tapis, Kutzeï finissait par déserter. Utha, elle, l'accueillait et savait accepter cet état de fait sournoisement blessant. La franchise dans ses gestes, plus que dans ses paroles, la blessait, mais elle se sentait incapable de répondre. Seul son époux était capable d'être dans ses bras comme si elle était la seule femme dans son monde, et pourtant, se laisser aller à ressentir une vive agonie à l'idée de perdre son beau frère.
Le moment était venu, Besret allait partir, elle allait le quitter pour de bon. Ce huit clos émotionnel était devenu trop étouffant, trop douloureux, trop incompréhensible. Elle ne s'attendait même pas à ce qu'il la retienne et c'était d'autant plus révoltant quand elle osait y penser. Elle arrivait à peine à se décider: serait-ce là sa manière de montrer de l'affection ou simplement l'apathie dont la jeune femme était trop souvent victime ? Elle ignorait encore à la fin de cette triste histoire que les dieux se moquait d'elle une fois de plus car dans son ventre grandissait paisiblement le fruit de leur union.
<----------------------------><> Bogdataar <><---------------------------->
Après la mort de leur père, Bogdataar était devenu Olthaï. Cette place de choix il la devait au sacrifice de son cadet. Ils avaient combattu ensemble trop longtemps, si bien qu'ils se comprenaient sans même avoir besoin de parler, même lorsque autour d'eux tout n'était de débâcle et confusion. De la fratrie, peu d'entre eux avaient survécus aux nombreuses batailles, Il était normal que les derniers fils de Kodan s'épaulent. L'espace de quelques jours Bogdataar avait fortement douté de son petit frère cependant. C'était un dilemme, il en avait conscience. Kutzeï était un homme d'honneur, un de ceux qui pouvait aisément comprendre sa position. Comme on l'attendait de lui, il avait fini par prendre la voix de la tradition après une dispute retentissante. Rien ne serait plus jamais pareil, c'était une évidence. Son choix d'indépendance allait contre l'héritier de Shinguan et arrachait le peu d'espoir qui subsistait encore chez l'archer.
Désormais, ils disaient adieu à leurs compagnons d'armes. L'aube claire annonçait un renouveau ou peut-être simplement un retour aux sources. Du moins, l'Olthaï l'espérait profondément. L'empire était bien assez vaste et il n'aspirait qu'à rentrer chez lui pour vivre plus paisiblement parmi les siens. Beaucoup trop de sang Mozgat avait coulé pour la cause d'un chef qui venait de partir en fumé. La quête de pouvoir ne lui inspirait rien non plus. Même s'il détruisait ainsi l'alliance des clans, ce n'était qu'un au milieu des autres, des avares et des belliqueux dont il rejetait tout autant l'autorité.
Khowad avait déjà demandé l'appui de ses hommes, ce qu'il avait refusé sans regret, lassé par tous ces combats. Il n'irait pas chercher les conflits si ceux-ci ne venaient pas à lui et ne dérangeaient pas la vie quotidienne des tribus. Son désir était noble, profondément en adéquation avec d'anciens préceptes qu'on estimait tellement démodés. Des ennemis cependant, il s'en était déjà fait par ce simple rejet des mains guerrières qui lui été tendues. Sans même le savoir, Bogdataar venait de condamner son clan.
<----------------------------><> Toghan <><---------------------------->
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Sortez ! L'ordre avait fusé de nulle part. Toghan s'était retourné vers l'entré bien que cette voix lui fut infiniment familière. Il n'avait réfléchi qu'une demi-seconde avant d'intimer d'un geste à ses épouses de sortir pour les laisser seul. Kutzeï était revenu à lui, c'était presque inespéré. Derrière pourtant, le Szu-Olthaï n'ignorait pas que la raison de ce revirement était tragique. Rien n'aurait pu apaiser la colère que son ami devait ressentir alors qu'on venait d'exterminer son clan et la grande majorité de sa famille.
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Je veux la tête de Khowad. Donne le moi vivant et je prendrais sa tête moi-même. Personne n'osait formuler de telle de requête au Szu-Olthaï, pas de cette façon si agressive en tout cas. Pourtant, Toghan ne pouvait que se soumettre à cette demande car il ne pouvait l'abattre, c'était une évidence cruciale dont il avait toujours tenté de minimiser l'impact. Toghan était peut-être le fils du grand et respecté Shinguan il n'en demeurait pas moins faible face aux désirs d'un seul homme. La folie dans ce regard devenu sombre, la respiration mal contenu, les gestes trop brutaux, il y avait quelque chose de singulièrement beau et terrifiant dans ces détails. Il n'y avait jamais eu d'instant où le chef de clan avait autant ressenti la domination de Kutzeï sur lui-même.
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Tu l'auras, je te l'offrirai. Toghan n'avait jamais cessé de se battre pour recouvrer le trône qui lui été destiné depuis sa naissance. Il savait que ses ressources et que ses troupes n'étaient néanmoins pas assez nombreuses pour faire face à l'armé de Khowad. Sans avoir vraiment pris le temps de réfléchir, la promesse c'était faufilé entre ses lèvres. Jusqu'où devait-il aller pour inverser les rôles ? Quelque part Kutzeï lui infligeait une peine de plus en le ramenant à ce qu'il fuyait depuis déjà trop longtemps. L'affrontement serait mortel mais il s'assurerait cette victoire, il s'assurerait d'être au dessus des autres, peu importait le prix à payer en définitive. C'était ironique que l'impulsion lui fut ainsi donné par le plus idéaliste de tous.
Tel qu'il était à présent, la nouvelle de cette alliance traitresse n'éveillerait sans doute plus chez Kutzeï la colère à laquelle il aurait pu s'attendre jadis. A la place son ainé en rirait peut-être, buvant plus de raison tout en se délestant de quelques inepties. Il espérait encore qu'il le récupérerait après la tempête. Avec lui, rien n'était jamais sur pourtant. Cette perspective fondait comme la glace sur un lac au printemps à la lumière de la raison. Toghan comprenait déjà qu'en empruntant ce chemin ce serait certainement la fin, non seulement pour eux, mais pour tout un peuple. Il devait accepter de s'en détacher une bonne fois pour toute, de le perdre à tout jamais.
<----------------------------><> Albiorn <><---------------------------->
Sous bien des aspects ce barbare était devenu un ami. Cette histoire avait commencé dans une taverne quelque part dans l'Eriador, alors que l'étranger cherchait du travail. Albiorn lui avait demandé s'il savait se battre et l'autre avait répondu que oui, sans ajouter plus de précisions sur le moment. Et là, tout de suite, ça lui avait suffi car il manquait vraiment de lames en plus à sa petite troupe. Kutzeï s'était joint à la caravane en tant que mercenaire et ça n'avait pas été le pire de ses choix. Il avait longtemps pensé qu'il disparaitrait dans la nature un matin, comme le faisait souvent ce genre d'âme solitaire avec un passé tourmenté. Finalement les mois étaient passés et ils avaient fini par s'apprécier sincèrement, par devenir une bonne équipe.
Allez savoir comment ce sujet s'était frayé un chemin lors d'une soirée à festoyer gaiment en s'abreuvant d'alcool fort. Albiorn avait bien une idée, son camarade n'était pas spécialement réfractaire à l'idée d'évoquer de ses origines et ce qu'il avait vécu lorsqu'ils buvaient ensemble. En parlant de sa patrie, du toit sous lequel il était née et du seigneur qu'il avait servi durant ses jeunes années, le point commun avait fatalement fini par lui sauter au visage. Ce barbare n'était autre que le fils de Dame Isabeau dont la beauté et la gentillesse l'avait marqué étant enfant. Le Gondorien se souvenait également du tragique jour où la fille unique de son seigneur avait été enlevé.
Kutzeï n'était pas aussi ignorant qu'il l'avait laissé croire de prime abord. Il mentait affreusement mal et n'avait aucun talent pour jouer la comédie mais Albiorn n'avait pas insisté. L'archer ne semblait pas encore prêt à se montrer et à endosser cette noble filiation. Puis, la cité blanche s'était fatalement trouvée en ligne de mire sans que cela ne fasse fuir le plus fidèle de ses acolytes. Albiorn savait cependant qu'il avait à craindre que cette rencontre symbolise la fin de leur partenariat. Qu'était-il de toute façon pour refuser cette évidence ? Son respect pour son seigneur était intact depuis toujours même s'il s'était choisi une vie différente de celle de ses parents.
<----------------------------><> Hemrod <><---------------------------->
Hemrod n'avait jamais pris de seconde épouse, il avait abandonné l'idée même d'avoir un héritier. Après la perte d'Isabeau, il s'était consacré pleinement à ses devoirs et ses obligations de seigneur pour oublier la peine immense qui menaçait de le dévorer. Et voila qu'Albiorn venait de faire entrer dans sa demeure un homme venu de terres inconnues en prétendant qu'il était le fils de sa défunte fille. C'était une nouvelle si inattendue qu'il avait d'abord cru à une arnaque des plus viles de la part d'un gamin qui avait joué sous la table alors qu'il mangeait.
Dans un premier temps, le seigneurs avait catégoriquement refusé de recevoir cet imposteur. Malgré lui et en dépit de son pragmatisme, l'espoir venait de renaître. Longuement il avait pensé à cet enfant et retourné tous ses souvenirs douloureux pour trouver une faille à ses raisonnements. Était-ce seulement possible ? Il lui était apparu au terme de plusieurs de semaines que oui, peut-être, l'étranger et lui partageaient le même sang. La meilleure façon de savoir était de le faire venir ici, de le voir et de l'interroger.
Quand l'homme était entré dans la pièce principale, le vieux seigneur l'avait dévisagé, profondément surpris par ce qu'il voyait. Il ne pouvait nier la ressemblance tant il lui semblait retrouver sa fille dans ses traits pourtant masculin.
Kutzeï, puisque c'était ainsi qu'il se nommait, n'avait pas essayé de le convaincre. Il ne prétendait rien vouloir de ses richesses, seulement en apprendre d'avantage sur ses origines. Sa franchise et la tendresse avec laquelle il parlait de sa mère avait mis à terre les résistances du seigneur qui ne pouvait tourner le dos à l'évidence. S'il avait effectivement réussi à se faire accepter comme son petit-fils, à ses yeux il n'en demeurait pas moins un de ses étranges barbares aux moeurs peu recommandables. L'idée d'en faire son héritier légitime se faisait une place dans son esprit alors que sa façon d'être lui apparaissait toujours plus inadéquate. Ce n'était pas un mal incurable, en théorie.
Enfin de le garder à proximité, Hemrod avait trouvé une parade qui lui semblait excellente. Kutzeï avait accepté de devenir instructeur dans l'armé du Gondor, non sans rechigner cependant. Peu lui importait les jacasseries autours de lui et les désirs de son descendant, Hemrod était bien décidé à faire de cet homme un vrai Gondorien et un vrai seigneur.
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