The sky doesn't look that blue (Ash & Elea)

 

La fatalité du quotidien était toujours recouverte de ce voile grisâtre. Où qu’il regarda, son regard ne percevait que les silhouettes brunes et biscornues du monde auquel il était sensé appartenir. Si la morosité et l’habitude n’avaient pas de prise sur ses émotions, son regard ne fuyait pas ce cauchemar éternel baigné pourtant dans la cruauté impitoyable de la réalité crue, suintante, érodante. A présent qu’Ash avait connu des collines dorés, la fraicheur lumineuse de ces jours passés à Imladris, sa propre réalité avait pris une nouvelle dimension, plus opaque et pourtant plus nette. Lui-même n’était fatalement qu’un observateur mais il portait sur lui les stigmates de ses origines.

Ash n’aurait su vraiment dire combien de temps s’était écoulé depuis qu’il avait quitté la cité Elfique. Il avait parcouru bien des routes, indifférent aux jours, se fendant de quelques missions, séjournant dans les abords des villages jamais plus d’une nuit. C’était un vagabond, nulles attaches ne l’entravaient, pas même ce besoin de partager quoique ce soit avec des congénères. Son plus gros travail avait été de servir de guide pour traverser la dense forêt dont il s’était fait cartographe malgré lui. Mais la solitude revenu l’avait presque soulagé.

Dans les songes, étriqués, fins et volatiles comme un ruban de fumé, surgissaient parfois ce visage clair, rayonnant dans la lumière délicate d’un matin d’argent. Un sourire, l’ébauche d’une voix encourageante murmurait dans un lointain irréel. Ash ne s’accrochait pas à cette vision mais elle serpentait au milieu du ruisseau disparate de sa mémoire, remplaçant peu à peu la créature qui l’avait précédé.

Cette promesse il l’avait faite en silence à cette jeune femme… Revenir, un jour, sur ses pas. Ce jour était venu, comme une évidence.

Les rues et les bâtiments évoquaient des souvenirs, mais il était encore incapable de voir au travers. Alors, il avait attendu devant le dispensaire, s’attirant les regards curieux des passants et des guérisseurs. Puis, finalement, un elfe était venu à sa rencontre, sans doute alerté par d’autres. C’était vague pourtant Ash reconnu en lui celui qui lui avait apporté régulièrement ses repas lorsqu’il avait séjourné ici, comme patient. Ardu était la tâche de se délester de mots, heureusement l’elfe avait rapidement compris la raison de cette visite inattendue.  

S’il avait cru cette place imprenable, elle ne l’était fatalement pas. L’image souriante de la guérisseuse humaine n’était imprimé que sur sa rétine, car la jeune femme glissait vers des ombres dont il ne soupçonnait qu’à peine l’existence. L’elfe lui avait raconté vaguement l’état inquiétant dans lequel se trouvait immergée Elea. Pourtant Ash ne démordait pas de son idée, il était venu pour la voir, comme il l’avait promis, lui qui pourtant ne garantissait qu’un contrat contre de l’argent d’ordinaire. S’il garda une expression de marbre durant la totalité cette entrevue, il n’avait nullement l’intention de repartir ainsi, dût-il se tenir simplement à son chevets quelques minutes, sans rien entendre en retour, comme elle l’avait fait pour lui.

Mais l’incompréhension montant d’un cran lorsqu’il se retrouva devant la maisonnette de la jeune femme. Le calme retentissant résonnait comme un cri d’alerte dans cet environnement pourtant si agréable et paisible. Les tourments des âmes Ash savait s’en préserver, les passions violantes qui agitaient les êtres étaient des marionnettes dansant dans le vent. Ce n’était qu’un étranger devant les portes des émotions rongeant la pensée. Il était facile de deviner que si la dame était bien en sa demeure elle ne daignerait pourtant ouvrir cette porte le sourire aux lèvres. Il frappa, sans attendre de réponses, plus pour la forme. Son regard s’abaissa jusqu’au chien, toujours fidèle qui patientait aux cotés de son maitre.

 

La porte demeura aussi hermétique que silencieuse. Longtemps, pourtant, il attendit, n’osant réellement entrer sans y être invité. Dans son esprit, Ash se répétait les paroles peu encourageantes de l’elfe croisé plus tôt. Quels malheurs accablaient la guérisseuse ? N’avait-on point essayé de la guérir ? Les mots de l’âme avaient une essence difficilement palpable et aucun onguent ne parvenait à atteindre des pensés obscures. Réparer un corps appartenait aux vivants, réparer une âme touchait au divin. Les minutes passants, la courses du soleil, inexorable, ne pouvait être stoppé que par un maléfice.

Peut-être était-ce cela, un maléfice…

Sans doute ne pouvait-il rien faire pour changer la situation, malgré sa dette, malgré le sentiment particulier qu’évoquait toujours ce visage souriant et cette bonté désintéressé. Sa main se posa finalement sur la poignée, conciliante. Comme il fallait s’y attendre, la maisonnette était ouverte aux visiteurs, à ceux en tout cas qui avaient assez de courage ou prétention pour braver un sanctuaire. Alors, il entra sans se poser plus de question.

Cette pièce chaleureuse, à l’image de sa propriétaire lui paru étrangement froide et inhospitalière, vidée de toute la joie qui l’avait habité jadis. Un silence étouffant dans l’atmosphère funeste surchargée d’une poussière vaporeuse. C’était ici la maison d’une morte… Et cela l’attrista tous de même un peu de découvrir cet état de fait de ses propres yeux. S’il essayait de comprendre ce mal qui se glissait jusque dans les moindres recoins, il lui était pourtant bien étranger.

Peut-être était-ce, une malédiction…

Dû elle venir le rabrouer pour s’être autorisé cette audace qu’il en aurait été en un sens rassuré. Rien ne vint, que le parquet craquant sous ses pas résonnant à l’extrême dans le mausolée de chagrin. Ce qu’il connaissait de cette endroit se résumait à cette pièce vidé de sa chaleur qui s’attendait sous son regard placide. Ainsi, arrivait-il trop tard finalement ? Comme il lui avait semblé arriver toujours trop tard, sans pour autant savoir d’où venait cette impression fugace, parfois.

Il observa longuement le salon, ne sachant vraiment s’il devait s’aventurer plus loin ou finalement rebrousser chemin. Ash n’avait cependant nul peur des fantômes, ils étaient partout, indistincts, parcourant les méandres d’une mémoire dissolue, des limbes éternellement opaques. Et ses pas hésitant seulement dans son esprit menèrent finalement l’homme jusqu’a une porte inconnue derrière laquelle se laissait dépérir la jeune dame. Il repoussa le ventail de bois d’un geste paisible ne troublant qu’à peine le calme mortifère de ce lieu.

Et la vision qui s’offrit à ses yeux n’étaient guère rassurante. Les yeux d’Elea étaient clos, la pâleur de son visage se voilait d’une peine abyssale, alors qu’elle gisait étendu entre ses couvertures, telle une malade vivant ses derniers jours. Aucune couleur n’ornait plus des joues qui avaient déjà perdu de leur rondeur seyante, érodés par des larmes abondantes. Le souffle de la vie s’envolait doucement, indifférant aux jours passées et aux jours à venir.

- Bonjour Elea, déclarant l’homme passivement, comme s’il l’avait vu la veille.

Il n’aurait su dire quoique ce soit d’autre. Le réconfort n’était pas dans sa nature, pas de cette manière en tout cas. Les mots étaient volatiles, on avait vite fait de les oublier, de les déformer. Il garda un certaine distance tout en observant ce corps affaibli, s’enquérant simplement du léger mouvement respiratoire qui attestait de sa présence en ce monde à cet instant. Personne n’avait dont eu idée d’ouvrir cette pièce à la lumière ? De l’air, un peu de chaleur, cela n’était pas grand chose mais c’était suffisamment distrayant pour ne pas voir faire oublier que dehors rien n’était à l’arrêt. Cesser de penser à soi, c’était cesser de penser à nos malheurs pour quelques minutes.

S’il demandait, elle refuserait certainement. Ash ne demandait pas, il pensait, il agissait, pour son bien en général. Son bien passait au second plan à présent. Qu’importaient les jérémiades, cette fois-ci, c’était à la guérisseuse de s’en remettre à l’humain. Et c’était peut-être de cela dont elle avait besoin pour se raccrocher à une humanité salvatrice. Toujours tranquille mais parfaitement maitre de la situation il s’approcha de la fenêtre qu’il ouvrit avant de pousser le volet d’un geste sec. Les doux rayons dorés du soleil se frayèrent un chemin direct jusqu’au lit, renvoyant les ombres à leur monde obscur. Pas encore, l’heure n’était pas venue.

 

Ces êtres là vivaient comme lui… Ils respiraient le même air, mangeaient la même nourriture, s’endormaient probablement. Pourtant, il n’y avait qu’à observer leurs usages, leurs physionomies singulières pour comprendre qu’ils étaient autres. Ash ne savait pas grand chose concernant les créatures avec lesquelles les humains partageaient cette terre, et leurs pensées lui échappait, fatalement comme celle de simples humains, dont il était pourtant issu de la même race. Mais elle, combien de temps avait-elle dû vivre ici pour se confondre avec ces autres ? Son regard fixa le visage amaigri et fatigué de la jeune femme. La torpeur qui l’enlaçait telle une immortelle ne seyait pas à ses trais pourtant délicats. Et si un soupir ne passa pas la barrière de ses lèvres l’homme demeurait perplexe au fond de lui même.

Son nom glissa, à peine perceptible alors qu’il accrochait enfin ses iris ternes. Ash n’était pas fait pour les longs discours. Qu’importaient les mots nébuleux qui traversaient son esprit, ils n’avaient aucune formes distinctes. Les rayons réchauffaient déjà l’atmosphère, éveillant une âme trop longtemps délaissée par son peuple adoptif. Il n’y avait aucune critique envers ceux qui entouraient la guérisseuse, mais enfin, à rester trop longtemps loin des siens qu’on en oubliait sa nature. Ash comprenait cela trop bien, lui-même se soustrayait aisément aux assauts d’une société qu’il peinait à comprendre dans sa substance profonde. Beaucoup d’obscurité demeurait et il ne cherchait pas à voir plus loin. A la différence cependant que ce choix ne mettait pas en péril sa vie.

Immobile un long moment, il laissa à Elea le temps qui lui sembla nécessaire pour se réhabituer à cette lumière salvatrice. Le soleil éclairait la pièce autant qu’il creusait ce visage maladif, éloignant dans une certaine brusquerie des fantômes dont il ignorait toute l’importance. Lorsque les cils blonds eurent terminé de s’agiter tels des papillons devant une flamme, l’homme s’approcha du lit, tira une chaise qui trainait là pour s’y assoir sans attendre qu’on l’y invite formellement. Elle n’avait point hurlé, elle consentait donc dans une certaine mesure. Il n’était pas même sure qu’elle eut pleinement conscience de sa présence, ni même le recul suffisant sur son état pour s’insurger contre sa propre agonie. Il présentait dans ce regard incertain toute l’irréalité de cet instant étrange.

La voix, fluette, venait d’un songe. Ce à quoi il ne sut pas répondre de la même façon trop illusoire. Il se retint quelques longues secondes, puis, passa une main sur les draps pour attraper celle de la jeune fille doucement, avant de refermer ses doigts plus rudement. Un peu de consistance au milieu d’un cauchemar, voila la façon dont il se raccrochait à la réalité lui-même. Il nia d’un mouvement succinct mais net de la tête ses élucubrations, accompagnant la chaleur irradiant de sa paume.

Comme si le décors funèbre ne s’évaporait pas assez vite, l’interruption presque inattendu de l’animal égaya d’avantage la scène encore trop figé. Pas assez de temps, la coupe se remplissait avec trop de célérité pour les humains. Peut-être avait-elle oublié, lui aussi, sans pour autant se soustraire totalement à l’avancée hiératique des jours et des nuits. Le chien avait trouvé sa place comme ses larmes perlant à présent sur des joues trop pâles.

Ces excuses, il les entendit à peine, ou peut-être les ignora-t-il sciemment. Il n’était pas ici pour demander des faveurs, ce n’était pas dans son tempérament. Elea donnait trop, bien trop et voila ce qui arrivait à ces gens qui s’ignorait ainsi, ils se flétrissaient avant l’heure. Une sorte de grognement taciturne réprimanda de telles paroles. Ce dont Ash avait besoin se trouvait déjà en sa possession, ce dont elle avait besoin était de sortir de cette léthargie fatale dans laquelle les siens la laissait se vautrer pour l’heure.

La bouillie sur la table de chevet avait déjà refroidi depuis des heures semblait-il. Ash récupéra la main qu’il avait alloué momentanément, laissant à son ombre le soin d’occuper l’espace d’une présence tangible. La respiration du chien était calme mais elle résonnait comme le souffle de la vie dans l’antichambre d’une mort prématurée. Finalement il se redressa, contourna le lit pour reprendre ce repas à peine entamée. Ainsi il s’éclipsa des minutes durant avant réapparaître avec un bol fumant à nouveau, reprenant sa place laissée vacante.

- Mange

Et alors qu’il intimait presque cet ordre, de nouveau ses yeux s’arrimèrent à la carcasse maladive d’Elea pour veiller sans concession à ce qu’elle se restaure un peu. Ce n’était pas grand chose, qu’un peu de céréales bouillent baignant dans du lait. Sans doute la mixture brunâtre n’avait-elle aucune saveur mais il doutait qu’elle se préoccupa. Ce qu’il y voyait était un peu d’énergie, de quoi redonner une semblant de couleur à un visage blême. Ce n’était qu’un début, un juste retour de cette gentillesse qu’elle lui avait accordé jadis. Elle n’avait pas le choix, comme en attestait le regard dont il la couvrait et la cuillère qu’il lui tendait déjà.

 

Un effort… Pour elle c’était peut-être quelque chose d’approchant. Tant qu’on respirait et que notre gorge n’était pas obstrué, on pouvait manger. C’était tout ce qu’il y avait de plus banal et de plus simple. Pour l’heure, Elea était en vie, dans un état préoccupant, mais en vie tout de même. Sans chercher à s’y accrocher, assouvir des besoins biologiques n’était pas si incroyable. Ash était cependant très loin de pouvoir appréhender des états d’âmes qui jouaient avec sadisme des rudiments de survie de la guérisseuse. Tout en le ressentant, à la manière d’un feu irradiant une chaleur diffuse sur sa peau, il ne faisait que les ignorer pour ce qu’ils étaient vraiment.

La mort était-elle vraiment une issue ? Il était de ces questions existentielles que cet homme ne se posait pas. Sa vie était loin d’être une fête permanente, beaucoup l’aurait jugé trop rude, trop solitaire, trop dangereuse. Bêtement, Ash prenait ce qu’il avait à prendre, ne sachant jamais de quoi l’avenir serait fait, mais avec prévoyance. Nulle inquiétude ne le tiraillait pour autant, car après tout, il savait ce qu’il avait et sa force résidait certainement dans le fait de savoir s’en contenter, sans avoir besoin de d’avantage. Son pragmatisme morose lui ouvrait l’esprit tout en le coupant de ses congénères.

Le bonheur existait-t-il seulement ou suffisait-il de se convaincre que rien n’allait jamais si mal ? Une philosophie réductrice peut-être mais qui assurait son stoïcisme dans les pires moments. Jamais il ne s’était effondré de la sorte, si trouvant seulement bon à attendre la fin. Pourtant, ce n’était qu’un homme sans passé et sans attache. Sans doute se serait-il montré moins tendre avec quiconque, mais Elea n’avait pas en elle ce mauvais trait caractéristique des gens qui quémandaient de l’aide tout en jouant une comédie sinistre. Il la connaissait finalement peu, assez cependant pour ne pas l’accuser de se jouer des autres.

le tact n’avait jamais été son fort, jusqu’où remontait sa mémoire, il ne comptait pas la rudoyer, pas la chouchouter non plus. Ash était franc, rugueux, mais honnête, jusque dans la manière dont il l’obligeait presque à accepter cette modeste cuillère. On ne l’attendrissait pas facilement et sa patience n’était plus à démontrer pour autant. Les larmes ne blessaient personne même s’il voulait bien croire en leur utilité pour ceux qui les versaient. La nature ne faisait jamais les choses au hasard. Néanmoins, il ressentit poindre un peu de satisfaction lorsque la jeune femme commença à manger, bien que timidement. Un premier pas, le plus difficile lorsqu’on était tombé en cours de route. Dans le silence, il la laissa faire, observant et veillant, à ses cotés.

Ash haussa les épaules faiblement, ce n’était rien. Cet homme là n’avait pas besoin de reconnaissance, mais si elle tenait à l’exprimer, soit, qu’était-il pour l’en empêcher dans le fond. Ses yeux s’égarèrent au dehors, le temps était clément, idéal pour lui faire faire quelques pas. Pourtant, revenant vers la blonde au teint blafard frissonnante dans ses couvertures, il ne pouvait que se rendre à cette évidence, il était encore trop tôt.

Demain, se surprit-il presque à envisager, ou dans deux jours. Personne ne réclamait ses compétences dans l’immédiat et la saison froide était encore lointaine. Combien de temps allait-il rester, c’était assez obscur dans son esprit, mais quelques jours de plus ne changeraient pas grand chose pour son cas mais probablement bien plus dans le sien.

Un livre trainait sur la table de chevet, déjà poussiéreux. L’homme s’en saisit, l’épousseta de sa manche avant de la tendre à la jeune femme. Se refamiliariser avec ses petits plaisirs perdus prouvait qu’il y avait eu une vie avant la déchéance. Il se doutait bien qu’au bout d’un paragraphe à peine survolé ses paupières retomberaient sur ses yeux. Ca n’avait pas d’importance, il fallait remonter en selle.

Et pendant ses songes, il demeurerait ici, sur cette chaise, se délectant presque du calme ambiant, s’adonnant au seul loisir un peu étrange dont il ne pouvait se passer. A son réveil, un nouveau bol l’attendrait, quelques pages de plus et une petite figurine en forme de renard taillée dans un petit morceau de bois pour la protéger. Ash l’ignorait, pourtant de ses mains, il donnait vie à de l’espoir, seulement lorsque son être profond venait à le souhaiter.

 

Deux jours s’étaient finalement transformés en une semaine, et alors, Ash avait cessé de compter véritablement. Doucement, page après page, repas après repas, la vie semblait de nouveau habiter ce corps délaissé trop longtemps dans un état de délabrement plus avancé que prévu. Chaque jour sans relâche le roux venait s’assoir sur cette chaise après avoir ouvert les volets de la chambrette pour que le soleil fasse son oeuvre. Il apportait de quoi manger, rallongeant avec discrétion les portions l’air de rien, si bien que si Elea ne finissait jamais, elle s’était pourtant nourri plus que la veille. Il y avait bien longtemps qu’Ash n’avait pas pris soin d’une personne de la sorte, mais ses vieux réflexes n’étaient pas perdus pour autant.

Il avait fait le tour de la maison, sans trop fouiller non plus, juste de quoi trouver un peu de lecture, choisi avec un certain soin cependant. Il lui avait même apporté le livre dont elle lui avait parlé la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, sans pour autant avoir un mot plus haut que l’autre. Toujours Ash gardait ce silence hermétique sur ses pensés profondes. Chacune de ses attentions demeuraient cachées, noyées sous le reste. Il était bien austère et droit pour un garde malade.

La table de chevet s’était étoffée de nouvelles figurines, un cerf, un ours, un faucon, entre autres. Ash ne réfléchissait jamais aux symboles, l’inspiration lui venait et ne sachant comment l’orienter, il se laissait porter, plusieurs heures durant parfois pour donner forme à sa vision. Il n’aurait su dire quand cette insignifiante habitude avait commencé, c’était venu sur une impulsion, et il le l’avait pas endigué. A présent, il se sentait bien incapable d’y résister.

L’homme avait élu domicile à l’abri de la maisonnette, sans même chercher à demander l’hospitalité. Il aimait avoir cette indépendance qui lui collait à la peau, sans doute pour se dire que rien de l’obligeait à rester d’avantage. Prendre ses marques dans cette maison ne lui semblait pas approprié, Elea avait besoin d’apprendre à aimer ses murs à nouveau, même s’ils pouvaient paraître vides. Elle irait mieux, son sourire radieux reviendrait habiter ses lèvres et tout son être pourrait reprendre la place qui était la sienne avant. Ash attendait ce jour, tout en sachant que ce n’était pas pour demain. Quelque part, son installation sommaire attestaient du fait qu’il préférait ignorer le temps que cela prendrait réellement.

Ce matin là le ciel était particulièrement clair et la brise des jours passés s’était calmée. Cette promenade, cela faisait un moment qu’Ash y pensait, pourtant devant la fatigue de la guérisseuse il n’avait eu de cesse de reporter ce moment. Fidèle à cette étrange routine qui rythmait déjà sa vie, il était entré dans la maison pour préparer le petit déjeuné, agrémentant la bouillie de céréales de fruits dont la fraicheur pouvait faire envie à la malade tout en lui redonnant des couleurs. Depuis la cuisine baignant dans un silence tranquille il pouvait presque percevoir une agitation peu commune venant de l’étage. Elea était déjà réveillée.

Pourtant, il ne s’attendait pas au spectacle qu’il découvrit en ouvrant la porte de la chambre. Les rayons clairs et doux du matin animaient déjà la pièce. Puis, ses yeux se posèrent sur la jeune femme se tenant au rebord de la fenêtre. Ash n’était pas suffisamment éclairé sur les codes féminins pour percevoir la couleur, certes un peu lugubre, de la robe qu’avait enfilé Elea. Ce qu’il remarquait était plutôt qu’elle avait fait l’effort de se lever pour s’habiller et ouvrir d’elle-même. S’il ne fit aucune remarque il hocha cependant la tête comme pour donner son approbation.

Avant cela, il fallait tout de même qu’elle prenne un peu d’énergie. Ne se laissant pas charmer par cette apparition bienvenue l’homme déposa le plateau sur le lit et se posa sur sa chaise, croisant les bras tout en fixant Elea. D’un geste succinct mais non moins parlant de la tête, il désigna la nourriture qui refroidissait déjà. Peut-être pouvait-il sembler sévère, mais il était juste, il n’y aurait pas de sortie avant qu’elle eut avalé quelque chose. Il en allait de son bien car elle était encore faible pour laisser des fantaisies la guider totalement comme le prouvaient la douleur dans ses jambes mal assurées.

 

Certains villageois avaient parfois prétendu que son chien lui ressemblait beaucoup, mais l’inverse était tout aussi vrai. Il n’aboyait certes pas, et ses mains avaient bien cinq doigts, pourtant lorsqu’il s’agissait de s’exprimer cela passait par les gestes. On s’y habituait, ou non, cela dépendait des gens et du temps qu’Ash passait à leurs cotés. Il n’avait jamais rien fait pour corriger ce trait qualifié de morose ou d’asocial car l’appréciation de ces autres n’avait aucune importance à ses yeux. Il ne ressentait pas le besoin d’appartenir à leur communauté, trop bruyante et trompeuse. Alors, cet homme pouvait faire peur, voilé dans le mystère de la chape silencieuse qui soutenait sa carcasse sombre et volatile. Dans le fond, Ash était seulement quelqu’un de simple qui ne s’embarrassait pas de civilités anodines pour exister parmi ses pairs. Pour sa malade au moins, cela ne semblait pas avoir tellement d’importance.

Une fois assise sur le lit, Ash lui tendit le bol, frôlant par la même ses doigts glacés. Le nuage sombre s’étiolait lentement même si un éclaircie n’était peut-être pas si loin. Cet homme demeurait terre à terre avant d’être pessimiste, bien qu’on pu se convaincre du contraire. Un peu de couleur sur ces joues n’était qu’un signe, pas l’assurance de la guérison. On gardait toujours une trace de nos blessures. Son très léger boitillement faisant pencher sa démarche à gauche si on se montrait attentif, attestait d’ailleurs très bien de ce fait.

Il était juste là, constatant ses frissons, sans même se poser encore des questions. Il avait fait son choix en pénétrant pour la première fois dans cette chambre, en faisant face à un fantôme. Et depuis, son esprit s’était vidé des raisonnements qui l’avaient porté. Quand on s’engageait sur une voie, on ne rebroussait chemin que devant l’inévitable. Ce n’était pas le cas ici, tout en restant septique, son regard et son appréhension de l’état d’Elea ne le trompait pas.

S’attachait-il à cette place de garde malade ? S’attachait-il en cette jeune humaine ? Autant qu’il s’était attaché à ses compagnons de voyages, ce qui n’était pas négligeable pour quelqu’un comme lui. Ces considérations là cependant n’avaient leur place que dans l’ombre de son esprit, calfeutrées sous une épaisse couche d’ignorance de ses propres affections. Il soignait bien son chien ou son cheval, les nourrissait, se fendait à l’occasion d’une caresse pas vraiment affectueuse mais tout de même probante au vu de sa façon d’être.

La question le prit un peu au dépourvu. Il était de ces réflexions qu’il ne s’infligeait pas et venant d’une autre personne cela l’aurait plus ennuyé qu’autre chose de répondre, verbalement ou non, que oui, il le pensait sincèrement. Les gens avaient toujours besoin d’être rassuré sur ce qu’ils étaient… Et le plus fréquemment, c’était en toute connaissance de leurs défauts. Sur ce cas précis, Ash avait du mal à se prononcer véritablement. Son instinct lui disait que non quand son expérience des humains lui disait que oui, et il laissa le silence en suspens un long moment.

Elea avait reprit le fil de son discourt et il l’écouta attentivement, comme si ces mots pouvaient faire pencher la balance dans un sens ou dans un autre définitivement. Qu’est-ce que c’était que ce charabia ? Sa connaissance des émotions laissait inévitablement à désirer. S’était-il déjà senti coupable… Il n’en avait aucune idée, pas après que le vieux trappeur l’eut trouvé coincé et amnésique dans ce piège en tout cas. Ca ressemblait à un rejet… Si elle voulait qu’il s’en aille, le dire pour clairement aurait été quand même plus facile, non ? Etait-ce cela ? La vérité, c’est qu’il n’y comprenait pas grand chose, tout en gardant néanmoins un visage pratiquement impassible. Ses expressions étaient à l’image de ses sentiments, réduites au plus strict minimum.

Ash haussa finalement les épaules, avouant avec franchise son incompréhension. Puis, Elea s’effondra brutalement, sanglotant contre ses couvertures. Faire de la bouillie et camoufler des crimes en accident, ça il savait faire, pour le reste… Il était clairement désarmé. Ash tira le châle qui trainait sur le dossier de sa chaise pour couvrir la jeune femme. Ca au moins, il en était sur, elle avait froid, du moins pas spécialement chaud. Dans son état de fatigue c’était bon pour attraper un mauvais rhume.

Il ressassa les paroles de la guérisseuse, ne sachant que faire face à des larmes si ce n’était les ignorer par habitude. Elle s’en voulait ? C’était plutôt une aberration, non ? Après tout, il était là parce qu’il l’avait choisi, c’était l’évidence même qu’elle le méritait dans le fond. Il avait déjà vu faire ça une fois dans une ruelle d’un village dont il ne se souvenait pas vraiment du nom. Avec une douceur toute relative pour quelqu’un d’aussi inexpérimenté en relations humaines il posa vaguement une main sur l’épaule sautillante d’Elea tout en se disant que c’était très bizarre.

Les oiseaux gazouillaient à la fenêtre et son regard fut attiré par les rayons du soleil. La jeune femme avait dit vouloir marcher… S’il l’aidait un peu et qu’elle se couvrait suffisamment, peut-être que l’air frais serait un bon remède. Oui, cette solution semblait parfaitement convenir. Brusquement Ash se redressa pour aller chercher ce qui devait être un manteau ou une cape, avec les elfes, on ne savait jamais vraiment. Dressé à coté lit la seconde suivante, il brandissait le vêtement fermement en attendant que sa propriétaire se lève et l’enfile sans faire d’histoire. Des chaussures, ce serait pas mal aussi, des chaussures…

 

Ne pas savoir ne lui posait pas de problème, au moins il allait à l’essentiel, sans avoir à se préoccuper du reste, sans avoir à remuer le couteau dans la plaie. Ash ne pardonnait pas, pas plus qu’il ne comprenait véritablement, il suffisait d’accepter sans se poser trop de questions. Si Elea n’avait pas parlé jusqu’ici de l’incident, il l’appelait ainsi à défaut de savoir comment qualifier ces histoires dont il ignorait tout, c’était qu’elle n’en ressentait pas le besoin. La jeune femme si vive et brillante avait dû affronter un événement traumatisant pour en être réduite à une ombre mortifié, voilà son hypothèse, elle s’arrêtait là.

Après une longue hésitation la blonde s’était décidée à accepter la cape. Ash resta à coté d’elle, assurant l’office de béquille naturellement. Il passa en premier dans l’escalier après avoir refermé la porte de la chambre. Faible comme elle était, c’était plus sur si elle venait à s’effondrer dans les marches, il pourrait sans mal empêcher une mauvaise chute.

Combien de jours était-elle restée enfermée dans l’obscurité ? Trop longtemps à en juger son geste de repli face aux rayons du soleil qui léchaient leurs visages. Même lui se sentait oppressé à rester à son chevet durant plusieurs heures parfois. Ash était un homme d’extérieur, quatre murs et un toit l’étouffait plus qu’ils ne le rassuraient au bout d’un moment, même s’il s’agissait d’un vaste palais déserté. Il n’aimait pas vraiment ces grosses bâtisses où vivaient les notables, imposantes et grossières, se dressant comme des monstres de pierres et de bois sur la route des gens humbles. Il préférait y voir clair, ne pas se laisser abuser par une opulence traitre. Allez savoir pourquoi, il n’aimait juste pas toutes ces tromperies humaines.

Il baissa le regard vers le bras maigrelet qui venait de s’enrouler au sien, l’enserrant sans grande force pourtant, puis ses yeux se perdirent quelque part vers l’horizon doré dans une respiration aussi lente que calme alors que la malade mettait finalement des mots sur la cause de ses maux. Ce qu’il en savait lui, de l’abandon et de la mort, que ce n’était pas toujours un malheur. Tout le monde partait, un jour ou l’autre, il fallait rester et continuer. S’accabler était parfois oublier que même sans nous les autres vivaient toujours.

Brume s’était évaporée sans un adieu… Son absence avait longtemps été étrange, tout comme l’avait été sa présence. Des habitudes, voila tout, sans doute n’était-elle pas plus ébranlé que lui aujourd’hui. Brume ne vacillait jamais, elle lui ressemblait un peu dans sa rudesse et dans sa manière de poser le regard sur le monde. Ce n’était pas un être vivant, à l’image de Ash semblait-il. Mais Brume tirait vers la crasse, vers le sang, vers la mort, s’épanouissant dedans… Peut-être était-elle morte, vraisemblablement.

Ils empruntèrent lentement un sentier qui longeait un petit cours d’eau derrière la maison. Le chien les avait rapidement rejoint, se postant à leurs niveau, avançant au rythme trainant du cortège. Parfois l’animal, évoluant à coté d’Elea, levait la truffe vers elle comme s’il vérifiait lui aussi son état. Ash ne savait trouver les mots, du moins, ceux qui lui parvenaient n’étaient pas vraiment réconfortants. Blondes, jeunes, belles, voilà les seuls points communs qui unissaient Elea à la seule femme qui avait partagé son quotidien. Le parfum funèbre qui les entouraient était sensiblement différents, l’une se parait de l’obscurité quand l’autre ne pouvait survivre dans l’ombre. Ash n’avait encore que sa capacité d’adaptation pour soutenir l’un ou l’autre.

Ne pouvait-elle pas le voir simplement, que l’immensité de ces terres sauvages était la chose la plus durable et la plus rassurante sur le chemin d’un mortel ? Il s’arrêta, admirant la large vue dégagée qui s’offrait à présent à eux. Ses iris à l’éclat froid du verre ne perdait rien du spectacle, et il aurait presque aimé pouvoir partager un peu de son vide intérieur pour la soulager. Ash avait de la place, là où ces autres n’étaient que dans le trop plein débordant. La marche avait donné des couleurs à ces joues blêmes, la lumière chaude faisait à présent miroiter des fils d’or dans cette chevelure fauve.

 

A quoi allait ressembler sa vie ? Si Elea avait énoncé cette réponse à voix haute, elle n’aurait rien eu d’autre qu’un froncement de sourcils en retour. Pourtant, il y avait à dire, sans que pour autant l’homme silencieux n’arrive à partager ne serait-ce que l’ébauche d’une réponse. C’était bien trop personnel, voila pourquoi même s’entendre penser de telles choses était désagréable. A quoi allait ressembler la vie après ça ? A rien, à rien de spécial, à ce qu’elle en ferait sans doute, et ce n’était ni fabuleux, ni décevant. Il n’y avait que face à des extrémités qu’on arrivait à se persuader que nous étions le centre du monde. N’était-ce pas un simple instinct de survie ?

Gentil, c’était bien la dernière chose que les gens qui l’avait croisé dans sa vie aurait dit en parlant de lui. Ce qui se racontait dans son dos Ash s’en moquait, ça ne ressemblait ni de près, ni de loin à des compliments, et sans doute ajoutait-on qu’il avait plus d’un mystère qui faisait froid dans le dos planant dans son sillage obscur et taciturne. Cet homme là avait-il jamais été humain ? Même lui ne s’en souvenait plus, ni de son enfance, ni de ce qu’il avait pu être avant de devenir ce cavalier mutique et peu complaisant, qui n’avait que faire des états d’âme de ses congénères. A vrai dire, il n’avait pour eux aucune estime et ne ressentait nulle compassion, seulement de l’indifférence lorsqu’on ne venait pas le contrarier.

Mais il devait quelque chose à cette femme accroché à son bras, laissant échapper des remerciements une fois de plus. Sa vie, ni plus ni moins. Les contrats, ses dettes, Ash n’aimait pas en être esclave. Alors, doucement, il avait fini par s’habituer à ce rythme trop tranquille, qui ne lui convenait pas mais auquel cet homme acceptait de se soumettre, à l’image de ces gens qu’il conduisait d’un point A à un point B sans jamais s’ouvrir à eux pour autant. Ash était un rôle avant d’être une personne.

Elea était différente cependant, à certains égards. On ne pouvait pas dire qu’il aimait sincèrement, ni même qu’il y était foncièrement attaché, mais il pouvait tolérer sa présence sans se sentir irrité au bout de quelques heures. Bien qu’affaiblie, l’enfant des elfes différait des autres, dans sa trop grande naïveté, sa trop grande bonté d’âme, dans son trop grande fragilité, elle brillait comme un feu de camp au milieu d’une nuit sans lune, glaciale. Peut-être était-ce ainsi qu’il voulait encore la voir, comme au premier jour, lui qui ne vivait que pour affronter ce dont l’humanité sembler se plaindre sans cesse. Simplement, il se sentait concerné.

Et il la laissa faire, une minute, peut-être deux, ça n’avait pas tellement d’importance. Les contacts humains restaient pour lui une énigme, sans doute parce que son besoin d’affection, son besoin d’appartenance n’avait rien à faire dans sa vie. Ceci n’était fatalement qu’une parenthèse, même si cette lumière là surplombait le ciel, prenait racine dans sa chair pendant une seconde, ou pour l’éternité. Viendrait d’autres jours, d’autres nuits, sans qu’il y pense véritablement. Pas le temps, plus encore que par paraisse. Il n’était ni fait d’un bois mort, ni d’un bois divin, absent pourtant de ses propres réflexions, réfractaire, pratiquement imperméable aux émotions. Ce qu’on en faisait n’était généralement pas beau à voir, destructeur, autodestructeur. C’était épuisant, vain, inutile, Elea ne devait pas tomber ainsi, se rouler dans la boue avec ces autres.

La ballade s’était avérée plus longue que prévue, ils s’étaient aventurés loin de la maison finalement. C’était plutôt encourageant. Alors qu’il baissait les yeux vers ces joues creusées, Ash estima que le chemin de retour serait déjà une peine suffisante pour l’organisme fragilisé de la jeune femme. Demain, après une bonne nuit de sommeil, il serait encore temps de s’aventurer plus loin, ou de lui confier une tache facile qui occuperait néanmoins son esprit suffisamment pour lui faire oublier ce qui allait et venait sans relâche dans son esprit. Il était fort possible qu’il se montre un peu plus rude à présent, pour la sortir de ce confort qu’elle croyait sans doute encore nécessaire mais qui l’empêchait de repousser les limites imaginaires qu’elle s’était apparement fixé depuis trop longtemps. Le chemin vers la guérison n’était pas le plus facile, il venait un moment où les béquilles n’étaient plus utiles, et le plus dur restait de les lâcher.

 

Les débuts avaient été chaotiques, mais à présent, lorsque Ash posait son regard sur Elea il voyait réapparaître la jeune femme d’il y avait quelques mois. Certes, il lui manquait encore cette candeur évanescente mais la lumière qui l’entourait devenait chaque jour plus puissante. Rien dans une convalescence n’était aussi facile et rapide qu’on pouvait le souhaiter, pas aussi longue et impossible qu’on pouvait s’en persuader, dans un même temps. Les progrès étaient nets depuis que Ash avait décidé de renforcer le régime quotidien. Quitter la chambre pour reprendre possession de sa maison avait été le premier pas, puis, il avait poussé Elea à sortir s’occuper du jardin. L’endurance physique était une chose capitale, l’épuiser la ferait dormir mieux et manger d’avantage.

l’homme silencieux était moins obligé d’être présent tout au long de la journée, à faire la bouillie et vérifier que la malade n’avait cessé de respirer dans son sommeil. Le rôle de garde malade, avouons le, ne lui convenait absolument pas, même s’il l’avait endossé sans regret, et sans se poser de questions, comme un devoir, une dette dont il devait s’acquitter. Du moins, tel était le cas lorsqu’il était entré dans cette chambre obscure puant la mort la première fois. A présent, même s’il ne prenait pas vraiment la peine d’y penser, et sans dire qu’il avait pris goût à cette présence, il se sentait bien plus responsable du bien être de son hôte. Cela même alors qu’il se permettait de la brusquer d’avantage depuis quelques temps déjà. Peut-être aurait-il pu comparer cette relation là aux deux seules autres qu’il avait connu et qui remontaient déjà à des années. Mais Ash ne pensait pas à ces choses là.

Pour l’heure l’homme s’estimait plutôt satisfait, il avait également gagné un peu de liberté. Bientôt, il le voyait, sa présence ne serait plus indispensable. Les routes l’accueilleraient de nouveau, la vie au grand air, loin de cette maisonnette, loin de cette jeune femme. Alors, naturellement, il avait repris lui aussi ses habitudes, en partie du moins. Avec son chien, parfois son cheval Ash s’aventurait dans cette vaste forêt qui enlaçait de ses bras dorées la ville elfique. Mais ces bois là n’avaient rien de commun avec ceux qu’il côtoyait d’ordinaire. Là où la morsure du froid et les ombres cauchemardesques peignaient la rudesse d’une existence de survie, la tiédeur de l’air et la brise douce faisant danser les feuilles était maitresse de l’enchantement. Ash ne s’y sentait pas vraiment à sa place mais il faisait avec, comme toujours. Il défiait cette nature délicate et prospère de son pied barbare. Son échappé belle n’avait qu’un temps, à la fois interminable et étriqué.

La lumière chutait déjà lorsque Ash se décida à rebrousser chemin pour rentrer. Il avançait au pas, son chien suivant la piste qu’il ouvrait au milieu des buissons et des lourdes branches. Lorsqu’on émergeait du sous bois, on voyait distinctement se dresser la maison quelques mètres plus bas en suivant la pente douce du regard, comme un fait exprès. Tout semblait aussi calme que d’ordinaire, et pourtant Ash remarqua l’étrange spectacle qui se jouait sous ses yeux, de loin. Il s’arrêta avant d’arriver, restant en retrait tout en observant un long moment les allées et venues de son hôte, se déchargeant d’un tas de breloques indistinctes. Un peu dubitatif, il reprit finalement son chemin sans se presser.

Enfin, lorsqu’il posa le pied à terre, Ash pu prendre en compte toute la teneur symbolique de ce grand ménage de printemps. C’était des affaires d’hommes, entre autres, qui trainaient dans ce fatras informe et pourtant imposant. Cet exercice avait donné des couleurs plus que de raison à Elea, et ses boucles blondes se rebellaient elles aussi. Ses yeux froids glissèrent du tas à la guérisseuse plusieurs fois. A cette dernière question, Ash ne répondit pas immédiatement. Elle se donnait beaucoup de mal, même si dans le fond, il pouvait voir ça comme une très bonne chose, un signe plus qu’encourageant qu’elle tournait véritablement la page. Finalement, l’homme haussa les épaules, ce n’était pas vraiment à lui de choisir à sa place. Si elle ressentait le besoin de mettre le feu au passé, pourquoi pas, ce serait, ni plus ni moins, des funérailles. Les hommes avaient apparement besoin de ritualiser ce genre de chose pour aller mieux.

Puis, avant que la jeune femme ne se remette à retourner la maison, Ash entra pour se servir du thé, et jeter un oeil à ce qu’elle avait dit lui avoir préparé. Il n’avait pas très faim, plus tard peut-être pourraient-ils manger ensemble. Ca semblait insignifiant, à peine en avait-il conscience, mais Ash veillait encore sur ce genre de détails pour s’assurait qu’elle se nourrissait correctement. Tasse à la main, il se dirigea instinctivement vers la fenêtre pour voir si la jeune femme avait effectivement embrasé ces souvenirs.

 

Observateur silencieux, Ash ne quitta pas la fenêtre devant les dernières hésitations qui semblaient assaillir la jeune femme. Lui, il n’avait jamais eu de maison, jamais eu de lieu à partager, jamais le choix de garder ce qui n’avait pas d’utilité primaire. Il comprenait assez mal qu’on s’attacha à des objects quand ceux-ci n’avaient d’autre intérêt que les souvenirs qu’ils pouvaient véhiculer. Et quand bien même, cette montagne de reliques n’apportait même pas de réconfort à Elea. Les brûler ne paraissait plus si fou en définitive et pourtant, cet adieu radical, violant, désignait tout autant le chemin parcouru que celui encore à parcourir pour se libérer du passé. Ash n’avait jamais demandé quoique ce soit, ça ne l’intéressait pas vraiment, même si son oreille s’était montrée attentive aux bribes que l’enfant des elfes avait pu lui confier. Les flammes dansaient déjà au dessus des vestiges d’un amour brisé, une épaisse fumée recouvrait des jours de chagrin funeste. Fini de s’accabler avec des remords aberrants, des cendres naitrait le soubresaut de vie que cette femme méritait, ou du moins avait-elle le droit de s’accrocher à autre chose qu’à du désespoir.

Il attendit, cependant la silhouette se détachant dans la lueur chaude des flammes s’agita sans entrer. Dans ses mains le thé avait perdu de sa chaleur, l’indifférant, son attention se portait sur elle, la fugace présence qui disparu finalement dans le crépuscule naissant. Il ne pouvait pas deviner des émotions étrangères à sa nature, seulement les observer de loin, sans parvenir à les toucher du doigt. Peut-être aurait-il voulu comprendre à présent, un peu, un tout petit peu. Ce n’était pas de lui hélas, dont le calme morose et perpétuel figeait les traits dans une plénitude placide. Qu’avait-il de plus à apporter maintenant ? Comme un object, il entrevoyait son inutilité dans l’incompréhension dont il gratifiait ses congénères, plus spécifiquement, cette jeune femme prenant à bras le corps son destin malmené.

Un temps passa, le feu s’étiola sur les cendres fumantes embaument l’air d’un parfum étrangement familier. Ash le sentait imprégner l’atmosphère en même temps que la nuit tombante. C’était presque comme s’il avait vécu ce moment une première fois. Naturellement, il avait allumé quelques bougies, et s’était occupé de ses affaires patiemment, ne sachant quand sa blonde compagne resurgirait de l’obscurité. Il ne s’inquiétait jamais vraiment, ici le danger lui semblait aussi diffus qu’un songe perdu dans ce silence agréable. Un bruissement imperceptible le tira de son ouvrage, il leva un oeil vers son hôte, une diaphane apparition, lavée de la crasse qui avait séjourné tantôt sur ses joues. Un rire, un vrai rire, de ceux que l’homme ne pouvait formuler transperça l’orbe chagrine des jours passés, suivit d’un geste inattendu dont il ne parvint pas à saisir véritablement l’essence. Elle semblait aller bien, mieux, et il se contenta de cette impression avant de la suivre jusqu’à la table sans s’y agripper d’avantage.

Un regard passant par la fenêtre il acquiesça avant de savourer une première cuillère du plat qu’on lui offrait. La nourriture était bonne, pas de ces bouillons bruns dont il se remplissait l’estomac pour subsister quand il n’avait pas pris de gibier. Ses goûts simples s’accommodaient d’un rien tout en appréciant le caractère exceptionnel d’un tel festin. Aucun compliment pourtant n’avait jamais franchi le seuil de quelques pensés fugaces et mal formulés. Ca, il ne savait pas faire, pas plus que ses gestes ne savaient exprimer autre chose qu’une ondé vaguement irrité au milieu du néant. Les autres il n’en avait jamais eu besoin, et fatalement Ash ne tenait pas à ce qu’on s’attache à lui non plus. Les humains étaient destinés à disparaitre de toute façon.

« hum » Voila qui accompagna son regard qui se posa sur Elea à sa proposition. Ce n’était ni un oui, ni un non, c’était déjà quelque chose de difficile à arracher néanmoins. Puis, il reprit le fil de son repas comme si rien ne le touchait. Il était serein, presque, tant qu’elle reprenait du poil de la bête, tout lui convenait. C’était simple, et ça devait le rester, qu’importa la chaleur d’un toit, qu’importa cette voix délicate dont les tressaillements devenait une habitude confortable.

 

Ash était un homme mystérieux, beaucoup de personne l’ayant croisé plus ou moins fréquemment en convenaient. Il n’était ni sympathique, ni bavard, ce qui expliquait cela le plus aisément du monde. Quand bien même il aurait eu le langage facile sa vie n’avait rien n’exceptionnelle. Les saisons passaient sur lui comme les jours dans une sorte d’indifférence redondante. Au fond il était plus passionnant ainsi, car il n’avait pas d’avis sur grand chose, rarement plaisant à entendre d’ailleurs. Les rumeurs sur son compte valaient mieux que ses discours personnel sur du vide. Quant à son enfance et ses parents, ils n’en avaient aucun souvenir. Le surnommé ermite par certains ne souhait pas s’entendre sur le sujet. Ca n’avait aucune forme d’importance pour lui que de n’avoir point de passé quand cela aurait fait jaser et spéculer plus que de raison jusqu’à l’irriter simplement. La curiosité d’Elea pouvait certes être considérée comme normale, pourtant son interlocuteur ne parvenait pas à se dévoiler autrement que dans ces gestes plus encore que dans les quelques sons qu’il émettait parfois à détour du repas. Il appréciait du moins la réserve dont elle faisait preuve, ne l’inondant jamais de question auxquelles il n’avait l’intention de répondre. L’écouter briser le silence suffisait à remplir son esprit comme une véritablement conversation.

Après le repas, comme la jeune femme l’avait annoncé, il l’observa enfiler sa cape, signe évident que la balade était toujours d’actualité. Bien qu’il n’en montra rien Ash se questionnait sans trop y penser, se préoccupent plutôt de l’air qui s’était rafraîchie avec la tombé de la nuit. Elea retrouvait son inconséquence mais loin de s’estimer satisfait de sa condition physique le trappeur craignait malgré tout que la finesse de ses vêtements ne lui fasse attraper un coup de froid. Elle se remettait à peine et cela le préoccupait d’avantage qu’une surprise. Cette question restait en veille dans son esprit néanmoins, sans qu’il ne s’avance sur sa substance. Il avait presque le sentiment que la malade en faisait trop pour lui être agréable et compenser les semaines passées. Lui dire aurait été simple avec des mots s’il ne butait pas autant sur ses habitudes solitaires. Dans le silence, l’homme avait pris un châle supplémentaire pour le poser un peu rudement sur les frêles épaules, emmitouflant Elea avec le manque de délicatesse qui le caractérisait. Son regard glacé s’agrippa à ce visage doux un instant avant de sortir de la maison sans autre préambule.

Il se laissa guider, longeant la maisonnette au lieu de prendre le chemin dont il connaissait déjà bien la direction. Allez savoir ce qu’il aurait pu envisager, pas vraiment quelque chose d’aussi proche semblait-il. Intuitivement il jeta un regard vers son chien qui les suivait naturellement. L’animal s’était rapproché de l’enfant des elfes avec le temps, sans doute avait-il senti lui aussi sa faiblesse. A présent il trottait dans ses jupons, s’allongeait pour l’observer vaquer à ses affaires, taciturne mais présent telle une ombre bienveillante à son égard. Cette maisonnée était devenu son havre, étrangement. Lorsque Ash relava le regard ce ne fut que pour constater qu’Elea ouvrait un petit cabanon auquel il n’avait jamais vraiment prêté attention jusqu’ici. L’homme ne comprenait pas vraiment où la blonde voulait en venir mais il la suivit à l’intérieur.

Contrairement à ce qu’on pouvait en attendre l’endroit était bien entretenu. Sans doute que sa propriétaire y avait oeuvré en secret pendant que son gardien était en excursion. Ainsi n’avait-il rien vu venir. Tout en détaillant la pièce avec attention il remarqua que permis les affaires rangées là certaines étaient neuves. D’un coté il reconnaissait que la jeune femme avait accompli un travail colossal, le marqueur de son rétablissement avancé, et d’un autre, il se demandait pourquoi se donner tant de mal. Elea n’avait pas besoin de tout ça, si elle y allait trop fort elle risquait surtout de s’épuiser. Puis, au moment où elle s’éclaircissait la gorge cela lui apparu comme une évidence. Le roux se retourna vers sa compagne pour la fixer, peu de choses filtraient véritablement de ses traits dans la peine ombre mais on pouvait ressentir un peu de désappointement. Sa crainte ne fit que se renforcer à mesure que les mots glissaient de ses lèvres.

Ash n’attendait rien de tel, de personne. C’était un cadeau dont il ne savait pas vraiment que faire sur l’instant. Si cela partait d’un noble sentiment, l’accepter ainsi lui paraissait trop, juste trop. Cet homme là n’avait pas l’habitude de recevoir quoique ce soit, il payait ses dettes simplement et s’en allait. Même les émotions restaient bloquées dans un coin obscur de son esprit. Redevable, sans doute un peu inquiet aussi, voila les maux sous jacent qui l’étreignaient déjà. Ses iris descendirent d’un cran vers la clé qu’on lui tendait avec trop d’obligeance sans qu’il ne puisse se décider à la prendre. Il soupira, déclarant un semblant de malaise d’incompréhension. Un roc ne concevait pas sa place, pas plus qu’il ne concevait l’intérêt de sa présence dans un futur faussement distinct.

Elle annonçait pourtant une vérité dont il avait conscience, sa tâche terminée, il s’en irait loin, disparaitrait. Ce n’était pas de ces préceptes qu’on remettait en question. Du moins, aucun souvenir ne l’attachait à un lieu, à une personne jusqu’à présent. Des années de vie pétrie de solitude n’avaient pas façonné son être autrement. A raison elle avait supposé qu’un adieu définitif surgirait au bout de ce chemin, et voilà qu’à présent la douce demoiselle s’insurgeait contre. Et lui, centre de cette attention et de ce désir humain n’avait su envisager tel cas de figure. Cela paralysa un moment les rouages de son cerveau dont les calculs primaires s’étaient suspendus bêtement face à l’impossible. Ash comprenait cette requête tout en y demeurant parfaitement hermétique sur l’instant.

Son silence impénétrable pesait plus lourd que d’ordinaire entre eux, lui même en était témoin. Ce temps nécessaire à son appréhension se ponctua d’une analyse presque trop froide et insistante de la jeune femme. Doucement, en tâtonnant Ash apprivoisait des pistes. Pensait-elle pouvoir l’attacher ainsi, créer ce lien inexistant en faisait appel à tant de pragmatisme ? De toute évidence, non, ça ne pouvait marcher ainsi avec lui. Il savait bien lui même que cela n’était pas dans sa nature car il n’avait nullement besoin de toute ces choses là. L’ermite était loin de vouloir l’en blâmer pour autant, sa peine se suffisait à elle-même sans l’accabler d’avantage. Pourtant sa franchise muette ne pouvait rester cloitrer dans l’indifférence. Il ne prendrait pas cette clé, jamais, tout lui accordant toute l’importance de ce qu’elle représentait. L’homme acquiesça vaguement avant de ranger le petit objet métallique entre les doigts fins d’Elea. « garde les pour moi. » Il se moquait des excuses et des subterfuges, c’était le message filtrant dessous qui était à ses yeux crucial, trop précieux pour le ternir ainsi.

 

Etre maitre de son propre silence ne l’emprisonnait pas dans les convenances. Muet mais jamais complaisant, Ash pouvait reconnaitre sa franchise souvent mal comprise par ses congénères. Pourtant il savait se faire entendre, n’éludant pas vraiment les confrontations lorsqu’elles s’imposaient à lui. Peut-être était en cela que le communication passait si difficilement ce soir là, dans cette remise, jamais encore ils n’avaient eu de divergences de points de vue. En était-ce seulement une en définitive ? Passé son refus de posséder un tel object son jugement était revenu sur son sentier initial, comme un soulagement. Un homme tel que lui n’avait ni le loisir ni l’habitude de perdre le nord, même s’il avait menacé une minute ou deux de rester planté là dans la perplexité et l’indécision.

Il avait presque détourner le pas, conscient d’avoir accompli ce qui lui tenait encore à coeur, mais Elea, elle, ne semblait pas vouloir s’en tenir à cela. Ash l’avait connu plus complaisante avec ses directives. Si c’était dans l’absolu une bonne chose que son caractère s’affirme ainsi comme une adulte en pleine possession de ses moyens, il n’en restait pas moins qui son monologue s’éternisait étrangement. Qu’avait-elle donc à lui prouver ainsi qu’il n’avait fatalement déjà décelé chez elle ? Le message lui avait paru clair mais une fois de plus il se méprenait sur la capacité d’un humain à lire au travers de son masque de pierre. L’ignorait-elle vraiment ou supposait-elle comme en attestait ses premiers morts. La jeune femme donnait à son geste un sens erroné, de même qu’elle inversait ses priorités. Se dire bonjour, être heureux, voila des choses auxquelles il ne pensait pas vraiment de toute façon.

De nouveau il la fixa sans ciller d’un iris glacial, croisant fermement les bras d’un air pratiquement sévère. Il ne la jaugeait qu’en surface mais bien attentif à la moindre syllabe prononcé dans ce torrent. L’accepter, il l’avait déjà fait, faire pendouiller cette clé sous son nez pendant cent lunes ne l’aurait pas fait chavirer d’un millimètre. Sa décision était déjà parfaitement prise quand bien même Elea s’obstinait à ne pas écouter ce qu’il s’était tué à sortir de sa bouche. Cela arrivait avec une parcimonie consciencieuse, aussi rustre en eu-t-il l’allure et les gestes, Ash savait parfaitement peser ses rares mots, et chacun avaient une place défini dans l’harmonie conjointe, y conférant tout son sens. Garde les pour moi, ainsi lui confiait-il son seul bien aussi fraichement acquis. Ainsi plaçait-il la présence de la jeune femme au dessus de son confort matériel.

Se délestant d’un nouveau soupir, il acquiesça finalement sans s’attendrir totalement. Ce n’était pas une chaine et cela il en avait bien pris la mesure, car de ce qu’il en avait vu Elea n’était effectivement pas ainsi. C’était encore cela qu’il ne pouvait déprécier dans sa manière d’être à la limite dévotion naïve. Oui, elle se trompait, sur le compte du trappeur. Devait-il seulement répéter une seconde fois pour qu’enfin elle prenne le temps d’assimiler véritablement ce qu’il avait tenté de lui dire de vive voix, pour changer. Lui dire quoi faire, expliquer, tout cela l’encombrait énormément. Si effectivement Ash avait dû parler à cet instant seul un « je sais » aurait été une réponse suffisante à ses yeux. Ca non plus n’était en rien une obligation. Aucune colère ne filtrait de son imperméable figure, il haussa finalement les épaules comme clôture à cette intermède qui glissait comme un rideau de pluie fraichement printanière nettoyant les carreaux d’une couche de poussière obscurcissant la vision.

Cette journée avait été fatigante à bien des égards, et il était temps pour jeune femme encore faible de prendre un peu de repos. Qu’elle le reconnaisse ou non, Elea en avait suffisamment accompli, suffisamment pour que demain soit proche du terme de sa convalescence. Généreuse sans doute, mais pas de là à s’épuiser plus que sa condition ne pouvait en tolérer, pas tant qu’il y veillerait en tout cas. Avant qu’elle ne se remette à parler de la pluie et du beau temps, parce que mine de rien, il en était arrivé à l’assimiler à de telles fariboles, Ash enroula son bras autour de celui de sa compagne avec suffisamment de fermeté pour ne pas lui laisser vraiment le choix. Pourtant, une partie de lui même était agacé par le trop plein de salive gaspillé pour tourner autour du pot aux roses alors qu’ils sortaient du cabanon pour retourner vers la maison. Cela lui passerait, ça n’avait pas grande importance, la nuit apporterait possiblement de sa clairvoyance à Elea. Tout ce malentendu ridicule s’envolerait dans la fumée un jour ou l’autre, ne serait-ce que lorsqu’il reviendrait sur ses pas jusqu’à cette clairière enchanteresse pour entendre un seul son, un seul « bonjour ».