Narsil, red and white flame (ft.Elrond)

Narsil… Symbole d’un royaume déchu, d’une gloire qui fut naguère grandiose, mais qui comme tout chose qui n’est éternelle avait vu le temps l’affadir et la ternir. Il avait vu la grandeur de Numénor, héritage de son feu frère, tomber de haut. La race des Hommes restaient ce qu’elle était ; un cœur sensible à l’obscurité, capable d’accomplissements les plus grands, mais à l’âme ultimement corruptible.

Elrond avait vu les âges détruire ce qu’Elros avait bâti. Il avait été le témoin silencieux d’une chute et spectateur des fondations maintenant de cendre. De la grande lignée de son sang, il n’en restait plus qu’un : Estel. Son dernier espoir… Pourtant, ô combien il prévoyait un avenir sombre d’obstacles lorsque le regard millénaire du peredhel se tournait vers son chemin à parcourir. Rien n’était une certitude, mais nulle n’était tenu de se dérober à son destin.

Depuis la mort d’Isildur, les morceaux de Narsil lui avaient été remis par son écuyer. Héritage brisé qui reposait maintenant en la belle cité de Fondcombe, le semi-elfe avait exposé la lame scindée entre les mains d’une statue prédisant qu’elle ne serait reforgée que le jour où la puissance de Sauron renaîtrait de ses cendres et que l’anneau Unique referait surface. Et ce jour viendrait bien trop tôt à son goût. Mais pour l’heure, Narsil attendait, reposant telle une relique ayant fait sa place dans l’histoire.

Il était rare qu’Elrond vienne errer dans cette partie de la Dernière Maison Simple. Les lieux étaient empreints de souvenirs parfois trop lourd à porter. Les morceaux de l’épée lui rappelaient l’un des rares regrets qu’il portait, un secret que trop peu d’âmes ayant foulées Arda depuis la chute de Sauron connaissaient. Là où Isildur avait échoué, Elendil n’aurait pas terni l’estime du Grand Héraut de Gil-Galad lorsque serait venu le temps de se départir de l’anneau maudite. Un combat gagné contre l’Ennemi, mais en vain.
Pourtant, malgré qu’il évitait cette salle en temps habituel, voilà pourtant que ses pas l’avaient mené non loin et que son regard avait su capté la présence d’une silhouette familière. S’il n’avait été du fait qu’il avait aperçu la jeune elfe admirer les restes d’une dynastie déchue et les peintures d’une époque révolue, sans doute n’aurait-il point fait de détour. Voilà néanmoins qu’il se trouva à mettre pied dans un lieu depuis longtemps évité.

« Et la masse de Sauron s’abattit sur Narsil, scindant sa lame sur le coup et terrassant son porteur sous l’assaut. » Compta alors la voix grave d’Elrond comme il apparaissait derrière Nostariel occupée à contempler la fresque. Ses pas le menèrent à l’épée et il effleura du bout des doigts le tissu sur lequel les restes de l’arme légendaire reposait sans oser toucher sa lame. « Isildur brandit alors la lame brisée de son père et sectionna le doigt de l’Ennemi, séparant ainsi l’Unique de son porteur et mettant, par le fait même, fin à la guerre. » Le regard de l’Eldar s’était momentanément perdu sur les restes de Narsil et il sembla déployer un effort volontaire pour s’arracher à sa contemplation douloureuse.

« Je ne suis guère surpris de te trouver ici, Nostariel. » dit-il enfin, posant ses pupilles grises sur la jeune elfe. La voir vagabonder en un lieu d’histoire, alors qu’il connaissait combien elle se nourrissait de savoir, n’avait pour lui rien d’étonnant.


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Il avait surpris la jeune elfe a rôder ici, en ce lieu emprunt d’une histoire qui avait à jamais changé le monde dans lequel il vivait et où les choix d’un seul homme avait forgé le destin de milliers d’autres. Si seulement il avait su, si seulement il avait pu voir l’impact que ses décisions auraient eu, peut-être l’aurait-il alors laissé tomber cette anneau. Mais on ne pouvait guère sous-estimer le pouvoir de l’Unique. Même Elrond aurait pu faire bien autrement, mais il avait choisi de remettre le choix entièrement entre les mains d’Isildur.

Nostariel avait paru absorbé dans sa contemplation jusqu’à ce que la voix d’Elrond l’eut rappelé et qu’elle prenne note de la présence du semi-elfe. Il répondit d’ailleurs à son sourire et lui rendit sa salutation. Il pouvait apercevoir dans son regard l’étincelle de curiosité qui l’animait lorsque l’histoire venait guider son esprit qui s’en nourrissait comme l’eau désaltère le corps.

En tant que maître du savoir, le Seigneur d’Imladris savait bien choses sur l’histoire du monde, même à propos d’évènements auxquels il n’avait assisté. Mais les mémoires de son esprit millénaires avaient connu trois âges et les Valars savaient combien il en avait vu. D’autant plus qu’il avait été très actif dans les grands évènements qui avaient marqué le monde, rien ne valait l’avoir vécu pour mieux le raconter.

Sachant ô combien les légendes et les récits pouvaient nourrir le cœur de Nostariel, le Noldor sourit à la métaphore qu’elle souleva. Pourtant, elle n’aurait pas su dire plus juste et elle n’avait point idée comme les livres et les histoires pouvaient être un échappatoire salutaire pour certains. Évidemment, avec la jeune elfe, le récit ne pouvait jamais être court, car il était immanquable pour elle de vous bombarder de questions. Le Seigneur d’Imladris ne passerait jamais à côté de cette soif insatiable. Il ne pouvait cependant lui en vouloir, lui aussi avait été dans sa position fut un temps.

Elrond lui répondit d’abord par un sourire avant de poursuivre à son tour. « Il suffit de n’en choisir qu’une seule pour commencer et les autres suivent bien souvent d’elles-mêmes, si elles ne sont pas répondues entre temps. » L’ancien Grand Héraut de Gil-Galad savait pertinemment que les lèvres de son interlocutrices lui brûlaient. C’était une histoire qu’il lui avait raconté maintes et maintes fois et il avait conscience des détails qu’il avait omis ou déviés pour épurer les évènements qui étaient trop nombreux de cette guerre.

« Dis ce que tu penses. » l’invita alors Elrond. Il croisa les mains derrière lui, ses pupilles grises illuminant telles deux étoiles dardant leur lumière dans l’obscurité. Deux lueurs de savoir auxquelles Nostariel aimait tant s’accrocher.



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La curiosité et la soif de savoir étaient parmi les traits qu’il portait le plus à la jeune elfe depuis qu’il avait fait sa rencontre dans les bois de la Lorien. Elle n’était alors qu’une enfant qui ne demandait qu’à connaître le monde dans lequel elle vivait. Il y avait toujours cette avarie particulière liée à la connaissance lorsqu’on n’avait point connu les évènements dont notre esprit était tant avide d’obtenir les détails. La relation était loin d’être la même lorsqu’on l’avait vécu, lorsqu’on était de ce côté de l’histoire. Il y avait une notion largement plus personnelle qui s’impliquait dans les faits et qui offrait une vision tout à fait unique.

Elrond se souvenait de cette curiosité qu’il avait partagé lorsqu’il n’était encore que très jeune semi-elfe. C’était lors de son arrivé en Lindon, après la Guerre de la Grande Colère, il avait entrepris d’apprendre l’art de la guérison, mais aussi de devenir maître du savoir. Au départ, cependant, cette soif d’apprentissage venait davantage du besoin de s’évader et de trouver refuge dans les livres, les écritures et les récits de ses Eldars millénaires. Son esprit fuyait les horreurs de la guerre auxquelles il avait été confrontées trop jeune. Mais dans le cas de Nostariel, ce n’était point de la même nature, fort heureusement.

La jeune elfe dardait la fresque d’Isildur, semblant en proie à une profonde réflexion sur quelle question poser d’abord, puis elle finit par se tourner vers lui. L’Unique. Bien entendu. Elrond la laissa bombarder ses questionnements qui assaillaient son esprit à propos de l’anneau de Sauron pendant qu’il contournait d’un pas lent la statue qui exposait les fragments de Narsil. Oui, il y avait bien une raison pour laquelle, lorsque le Seigneur elfe lui avait raconté maintes et maintes fois cette histoire, il s’était abstenu de lui réciter cette partie.

« C’est un artéfact puissant, en effet… » commença-t-il d’une voix grave. « Capable de corrompre même les esprits les plus solides. » Il avait disparu de l’autre côté de la statue, en ne laissant plus que sa voix emplir les murs de son récit. « Lorsqu’Isildur sépara l’Unique de son porteur et que le corps de Sauron fut détruit, une vague d’énergie pure balaya le champ de bataille, remplaçant le bruit infernal des combats par un silence de mort… » Elrond s’était arrêté derrière la statue, dévoilant des détails qu’il n’avait encore jamais comptés à Nostariel, des mots qui n’étaient écrits dans aucun livre d’histoire et qui notaient davantage d’une expérience personnelle, de quelqu’un qui avait vécu ce moment. « Lorsque je me suis redressé, Isildur tenait l’Unique dans ses mains… » Un silence tomba alors, presque lourd. Nostariel ne put voir le regard grave du semi-elfe avant qu’il ne continue son récit. « Je l’ai sommé de me suivre à la Montagne du Destin… Cirdan et moi-même l’avons sommé de jeté l’anneau dans le feu du volcan… mais il a refusé. Isildur réclama l’Unique pour lui, rétribution pour la mort de son père et de son frère. »

Après un moment, Elrond réapparut, les mains toujours croisées derrière son dos. « L’anneau ne fut pas détruite et fut conservée par le nouveau Roi du Gondor et de l’Arnor… Jusqu’au jour où lui et ses hommes furent attaqués par des orcs près des Champs de Flambe. Isildur y perdit la vie, de même que ses quatre fils… l’Unique fut perdue… et elle ne fit pas surface depuis ce jour, nul ne sait où elle se trouve… » Son regard glissa vers l’épée brisée. « Et ce fut depuis ce jour que je recueillis les fragments de Narsil, apportés par l’écuyer d’Isildur. » C’était là une bien longue et triste histoire.



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C’était étrange, car il s’en voulait. Il s’en voulait de ne pas avoir convaincu Isildur de jeter cette anneau maudite dans les flammes de la Montagne du Destin. Il s’en voulait de ne pas avoir prévenu tout le mal qui avait découlé du fait que Sauron n’avait pas été complètement vaincu, qu’une part de lui subsistait toujours grâce à l’Unique. Un poids bien grand pour une décision qu’il n’avait jamais prise. Il aurait du insister davantage, mais ce bijou du malheur avait une fois de plus eu raison de l’esprit d’un homme. Le Seigneur des Ténèbres n’avait pas eu raison du peuple des elfes, ni de celui des nains, tel que ses sombres espoirs l’auraient voulu, mais il avait fait son nid dans le cœur des Hommes et ne l’avait plus quitté. Le fils d’Elendil avait cédé à la tentation d’un seul battement de cil. Il en avait pris peu pour son esprit s’enlise dans ce désir surnaturelle de posséder l’objet maudit. Elrond l’avait vu dans son regard, cette ombre se dessiner et s’immiscer dans son âme. C’était là un bien lourd secret, sur les sentiments découlant de cet échec que le semi-elfe portait, dont nul n’en connaissait l’existence. Du moins nul ne foulant présentement Arda. Sa tendre épouse avait certes bien tenter de chasser ce remord, mais elle n’était plus et sa lumière, avec elle, partie pour Valinor.

L’attention d’Elrond se reporta sur Nostariel, il allait de soi que les questions étaient loin d’être terminées. « L’Unique n’obéit qu’à son maître et créateur. Elle en est son essence, mais je ne saurais dire tout ce qu’elle renferme, ni dans quelle mesure ou comment elle corrompt ceux qui la touchent ou l’observent trop longtemps… Chose certaine, cette anneau évoque un profond désir de possession à quiconque à le malheur de la prendre… Nul doute qu’Isildur n’a jamais voulu la jeter. » Est-ce qu’il était alors pleinement corrompus, lorsqu’il s’était retrouvé au cœur du volcan ? Elrond en doutait, mais l’anneau exerçait une influence déjà suffisante pour que son désir de la conserver surpasse l’évidence de la détruire. Quelle monumentale erreur, pourtant.

Le sujet dévia cependant sur les fragments de Narsil disposée à Imladris. Que faisait-elle bien là, alors qu’elle appartenait à lignée de Numénor ? Ce à quoi Elrond répondit, son regard maintenant sur la lame brisée. « Les fragments de Narsil sont ici à Imladris, car depuis la mort d’Isildur, j’ai recueillis et enseigné à chacun des descendants de cette lignée… » Son regard s’égara un moment. « Lorsque les Royaumes du Nord ont été détruit et la lignée destituée, les fragments demeurèrent l’héritage des Rôdeurs. Ils ne font que demeurer ici, à défaut d’un lieu plus sécuritaire. » Et ultimement, parce que le sang de la lignée de Numénor était aussi le sien, mais c’était un détail dont il se garda, pour le moment, du moins, de dévoiler. « La lignée n’est pas éteinte. » Il restait bien le dernier représentant, ici, à Imladris, mais il ne comptait pas dévoiler sa présence à Nostariel, bien qu’il la considère proche de sa famille. Estel n’avait pas besoin de ça. « Et Narsil ne sera reforgée que lorsque la puissance de Sauron renaîtra et que l’anneau Unique refera surface. » Sa dernière phrase eut un ton prophétique, une vision qu’il avait eu naguère lorsque les restes de l’épée lui avait été apportés. Une prophétie des plus troublantes et qui reflétait ses craintes les plus sombres quant à ce vieil ennemi resté trop longtemps tapi dans l’ombre…




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Il était étrange comme Elrond portait ce fardeau de culpabilité depuis les évènements qui avaient marqué la fin de la guerre, mais qu’en même temps, sa foi envers la race des Hommes s’était aussi vu diminuée ce jour-là. Pouvait-il véritablement leur porter rancune ? Non, le terme n’était sans doute pas des plus appropriés. C’était plutôt un espoir écorché. Une déception profonde face à un choix qu’il avait estimé alors évident, mais qui avec un certain recul ne pouvait être entièrement blâmé. L’Unique était puissante. Et l’esprit d’Isildur avait déjà été abîmé par la guerre et la perte de son frère et de son père. Lorsque Nostariel s’interrogea sur l’effet de l’anneau de Sauron et sur les raisons qui semblaient faire en sorte de le semi-elfe et Cirdan n’en semblaient point affectés, Elrond fut silencieux un moment. Certes, les raisons, il les connaissait. Certaines étaient cependant plus légitimes que d’autres à lui avouer. « Cirdan est un elfe Originel. » commença-t-il alors. « Il est naturellement plus résistant au Mal… » Il était aussi, à l’époque, le nouvellement porteur de Narya, l’anneau de feu, suite à la mort de Gil-Galad, mais le Seigneur d’Imladris omit volontairement ce détail. « Quant à moi… » Il parut réfléchir, comme si la réponse ne lui paraissait pas des plus évidentes. Certes, il portait déjà Vilya depuis un moment, mais il connaissait sa nature et même avant d’avoir obtenu l’anneau de saphir, Elrond n’avait jamais succombé à l’influence de Sauron. « J’imagine qu’il y a quelque part une question d’héritage de sang… » souffla-t-il enfin. N’était-il pas, après tout, le descendant de Melian ? « Il ne faut pas croire nos semblables immunisés aux pouvoirs de l’Unique… même Cirdan et moi-même serions très probablement affectés à plus long terme. » D’autant plus qu’entre des mains plus puissantes, l’anneau de Sauron l’était aussi.

La suite de la défaite d’Isildur avait entraîné bien d’autres évènements, notamment celui ayant mené à ce qu’il recueille les fragments de Narsil à Imladris. Le semi-elfe avait alors prédit une prophétie inquiétante au sujet de la lame et de son implication futur. Nostariel eut bien raison d’être parcourue de frissons, car le retour de Sauron était probable. Ce n’était pas forcément une certitude, mais un destin se traçait sur ce chemin. Elrond acquiesça d’un air grave face à l’affirmation que la guerre n’avait pas été pleinement gagnée, même si plusieurs millénaires de paix précaire avaient été maintenus depuis. « Tant que l’Unique subsistera, Sauron tentera toujours de revenir en force pour assiéger son règne… » Les pupilles grises du guérisseur dardèrent l’épée fragmentées, toujours en proie à cette gravité qui lui était propre. « Mais quand ? Et y parviendrait-il vraiment ? … Ce sont des questions qui demeurent. » Oui, car, voilà près de trois millénaires, ou presque, qu’il avait prononcé les paroles de cette prophétie. C’était au tout début du Troisième Âge et rien, jusqu’à présent, n’avait su prouver qu’elle se réaliserait. Elrond préférait savoir Sauron encore bien loin de son but que trop près. « Je crains guère qu’Arda ne connaîtra plus d’alliance aussi grande entre les Elfes et les Hommes… nos semblables se font beaucoup plus rares et quittent en bon nombre vers les Terres Immortelles… » soupira-t-il. Lui qui avait connu la grandeur des armées de la Guerre de la Grande Colère et celle de la Dernière Alliance des Elfes et des Hommes, ce qu’il restait aujourd’hui de tout cela était bien maigre en comparaison, pour tous les partis. « D’autant plus que les liens que nous entretenons entre nos peuples ne sont plus aussi étroits qu’avant. » Terminées étaient les belles années ou la proximité des enfants d’Illuvatar était intarissable. La mort d’Elendil et de Gil-Galad avait achevé de creuser cette écart. Le Gondor et l’Arnor étaient divisés, le Rohan s’enfonçait de son côté, les peuples nains se terraient dans leur montagne bien à l’Ouest et même les elfes connaissaient quelques différents entre eux. L’union était plus que jamais fragilisée.




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L’optimisme de Nostariel était typique de ses jeunes années à fouler Arda et il tendait à le reconnaître dans le regard des âmes novices. En plus de six millénaires de vie, Elrond avait vu Trois Âges s’écouler et ses souvenirs remontaient aux Jours Anciens. Il avait vu maintes défaites et maintes victoires sans lendemain. La paix était un état précaire et parfois illusoire, préservée sur quelques rares territoires privilégiés, pendant que le reste de la Terre du Milieu se déchirait. À qui la faute ? Le semi-elfe retint un soupir. Il ne fallait pas croire que la cadette l’ennuyait ou l’exaspérait d’une quelconque façon, bien au contraire, leur rencontre était chaque fois un plaisir et une distraction plus que bienvenue. Mais voilà, il était las de voir l’histoire se répéter et de réaliser que, malgré les mémoires millénaires qui foulaient toujours Arda, les mêmes erreurs étaient commises encore et encore. Ce qui le déplorait d’autant plus, c’était d’avoir prophétisé le retour de Sauron peu après sa chute. Le Seigneur des Ténèbres n’avait depuis cessé de le hanter dans les tréfonds de son esprit, menace omniprésente capable de ressurgir à tout instant. Voilà pourtant près de trois millénaires qu’il était resté terré. Elrond craignait le pire de cette attente. « Lorsque Sauron reviendra, il sera prêt… » Il n’avait jamais vu de la part de l’Ainur déchu un moment où Il était venu contre les Peuples Libres et qu’Il n’était pas prêt, qu’Il ne possédait pas sa puissance et son armée. « Il ne se dévoilera jamais à nous s’il est trop faible… » Pour preuve, le Conseil Blanc avait bien tenté de le traquer par le passé, mais sans succès. Même affaibli et sans son anneau, le serviteur de Morgoth échappait à la vigilance des Gardiens.

Le semi-elfe n’osa pas s’en prendre à l’optimisme naïf de Nostariel. Elle ne savait pas de quoi Sauron était capable. S’Il se préparait, s’Il montait son armée dans l’ombre, s’Il ralliait les peuples de l’Est comme Il l’avait fait autrefois, il n’existerait pas de forces assez grandes, même tous royaumes réunis, en Terre du Milieu pour l’affronter. Un dragon dormait toujours dans son antre, au cœur de la Montagne Solitaire, allié passible d’un ancien maître commun. Certes, le monde avait changé depuis ; il s’était divisé. Ce qui n’était guère à son avantage. Ce n’était non pas de la force des Elfes dont Elrond s’inquiétait, mais plutôt de celle des Hommes qui s’était égrainée et éparpillée. Chacun menait sa barque à sa guise et faisait fi de celle des autres. Et si Nostariel espérait nouer ou réparer des liens, elle se butterait à l’orgueil et l’individualisme des mortels. Sans Roi, le Gondor et l’Arnor resteraient divisés. Le Rohan avait sur son trône un roi aux qualités de régner plus que discutables. Mirkwood peinait déjà à survivre par elle-même, alors que la Lorien et Imladris fleurissaient, mais connaissaient une population décroissante à mesure que leurs semblables quittaient pour les Terres Immortelles. Le porteur de Vilya plongea son regard vers le ciel clair. « Si tu veux t’employer à refaire naître des alliances, il te faudra user de toutes tes capacités… mais les obstacles seront nombreux. » Et il était avisé qu’elle commence dès maintenant si elle désirait mettre toutes les chances de son côté.

C’était peut-être cela dont le monde avait besoin ? Un peu d’optimiste pour remplacer les vieux esprits enhardis dans un réaliste sombre, terre à terre et craintif tel que le sien. Lorsqu’on avait combattu trop longuement pour la paix, pour la maintenir, pour chasser la guerre et le sang, préserver son univers du malheur, il était difficile de franchir le pas du risque qui menaçait de tout faire chavirer. La tranquillité, la sérénité et le calme, voilà ce qu’émanait Imladris, lieu de protection et de prospérité. Cette cité avait été bâtie dans un moment où tout semblait perdu et où les terres étaient ravagées par la puissance de Sauron. Il en avait fait un refuge pour les siens qui avaient été chassés de leurs terres, de leurs maisons. Dernier bastion de l’Eriador, au pied des Monts Brumeux. N’était-ce pas cela que représentait aussi Fondcombre, la résistance ? Le regard millénaire de l’elfe se perdit un moment dans la lune argenté. Il arrivait parfois que le temps fasse oublier pourquoi l’on avait entrepris certaines choses. Plus les années s’écoulaient et plus la guerre devenait imminente. L’ombre de l’Ennemi se dardait on ne savait où, mais grandissait un peu plus chaque jour pendant que le monde regardait ailleurs. Même le regard d’Elrond était incapable de percer son subterfuge à jour. « Même sans son anneau, Sauron est capable de prouesses impressionnantes. » murmura le semi-elfe comme il songeait que même sans l’Unique, personne n’avait jamais été capable de le retracer. Le serviteur de Morgoth avait su resté caché des yeux de tous, même les plus grands de la Terre du Milieu.

Certes, sa puissance était diminuée, mais il regagnait certainement des forces. Des forces assez conséquentes pour refaire un jour surface. Le Seigneur d’Imladris entendait les rumeurs qui couraient dans la Terre du Milieu. Nombres voyageurs passaient par chez lui et plusieurs lui confiaient leurs craintes quant à la sécurité de leurs contrées et de la résurgence des orcs sur les terres de l’ouest, des araignées dans la Forêt Noire. Il n’était pas sourd à ces signaux qui criaient que quelque chose se préparait, qu’un danger lorgnait dans l’ombre d’un maître qui gagnait en puissance et en influence. Si le Mal s’alliait, eux aussi se devaient de le faire, à moins de désirer connaître l’anéantissement. Mais les obstacles étaient nombreux à la réalisation des alliances. Nostariel se devait d’en avoir conscience. Elle faisait cependant preuve de beaucoup de détermination… pour peu que résolution persiste à l’égo des Hommes. Les yeux d’Elrond revint se poser sur la jeune elfe de la Lorien qui s’était rapprochée. Par où commencer ? Il y avait tant à faire et la montagne était haute, très haute à franchir. L’Eldar réfléchit un moment dans son silence. « Le plus gros du travail est à faire chez les Hommes… » commença-t-il doucement. « Le Rohan et le Gondor ne sont pas près de s’entre aider. » Ses mains se décroisèrent de derrière son dos. « Mais je serais porter à croire que la partie la plus difficile se fera au Rohan… Les rumeurs au sujet du Roi sont loin d’être… reluisantes. » Et c’était peu dire, considérant que même son propre peuple le tenait en piètre estime.

À mesure que la discussion avançait, Nostariel devenait plus pointilleuse dans ses questions, cherchant à savoir davantage sur un sujet plus que sur un autre. La puissance de Sauron et ses capacités semblaient d’ailleurs être un point tournant de sa curiosité. Elrond ne pouvait lui en vouloir de chercher à connaître davantage son ennemi, mais, bien qu’il l’eut affronté maintes et maintes fois, il ignorait dans quelle mesure il était la meilleure personne pour lui parler de sa nature. Sans doute trouverait-elle davantage ses réponses auprès des Istari plus qu’avec lui. « Par deux fois, quoi que pas directement… et la seconde il était affaibli à la suite de la chute de Morgoth, mais moins dangereux. » Mais à cette époque, ses pouvoirs étaient différents. Il détenait des capacités qui allaient au-delà de sa propre compréhension. « Mais je crois que Gandalf ou Saruman seraient mieux avisés que moi pour t’en parler. » ajouta-t-il après un moment de réflexion.  « Et lorsqu’il eut façonné l’Unique… » C’était une époque tellement lointaine, avec des individus aux puissances qui dépassaient les siennes… c’était une période différente, avec des forces différentes. Et malgré tout, Sauron était parvenu à faire bien des dommages. « Ce sont les Alliances qui nous ont sauvés. » S’il n’avait été de l’intervention musclée des hommes de Numénor, l’Eriador aurait été perdue et l’Eregion serait sans doute tombée à son tour. Encore à ce jour, la force des Hommes était cruciale à leur survie si le Maia déchu reprenait en puissance.

Une tâche qui n’allait pas s’avérer aisée compte tenue des frictions qui divisaient les deux plus grandes nations des Hommes. Le Rohan et le Gondor n’étaient pas en guerre à proprement parlé, mais des années de discorde et de mésententes les avaient séparés. « Ce qu’on raconte au sujet du Roi Fengel ? » souleva alors le semi-elfe, son regard se détournant vers la voûte étoilée. « On dit de lui qu’il est avare… et querelleur… Son peuple le tient en piètre estime… et son propre fils aurait quitté le Rohan pour s’installer au Gondor. » Un portrait peu glorieux, il fallait l’admettre. « Les deux contrées partagent des frontières, certes, et si elles ne sont pas concrètement en guerre, des querelles antérieures ont persisté. Des refus d’aide entre les royaumes lors de moment difficiles ont sans doute participé à creuser un fossé… et celui qui tient présentement les rênes du Rohan est sans doute loin d’aider à la réconciliation des deux nations. » Son regard bascula vers le paysage, s’arrachant à la contemplation des étoiles. Il aurait aimé lui en dire davantage, mais il était peu impliqué dans la politique des hommes depuis quelques temps. Nostariel devrait faire son chemin dans le caractère difficile et parfois éphémère des mortels.

Si la Terre du Milieu désirait une chance contre le potentiel retour de Sauron, elle le devait nul doute à une Alliance, pour le peu qu’elle se produise, ce qu’Elrond doutait fortement à l’heure actuelle. Néanmoins, tout n’était peut-être pas perdu. Du moins, il lui semblait plus facile de s’accrocher à l’espoir d’une issue probable que d’abandonner Arda à son sort. En tant qu’un de ses Gardiens et, de surcroit, membre du Conseil Blanc, il était de son devoir de veiller au bien et à l’équilibre des choses sur la Terre du Milieu. S’il s’avérait plutôt passif, habituellement, il eut toujours un temps où il se devait de prendre les devants. La patience était de mise et il n’était point nécessaire de se précipité. Le Maiar déchu se terrait encore dans son antre, occupé à reprendre des forces. La guerre n’était pas encore à leur porte, même si, parfois, des rumeurs inquiétantes murmuraient à ses oreilles. Il se contentait de les chasser d’un revers de la main, pour l’instant, mais le jour viendrait où il ne pourrait plus détourner les yeux et où il devrait faire face au retour imminent d’un vieil ennemi. Il acquiesça doucement aux dires de Nostariel qui croyait pouvoir donner le coup de grâce à Sauron avec une Alliance, autant qu’elle ait lieu. Ce qui était, pratiquement, la partie la plus parcimonieuse du travail à faire.

Les Hommes étaient éparpillés dans leur pouvoir et leur force. Si quelques alliances demeuraient, les grandes têtes dirigeantes n’étaient pas forcément en bel accord, ce qui tarissait tout début d’entraide. Le Rohan était notamment une contrée plus problématique avec Fengel à sa tête. Le Roi qu’on disait avare affaiblissait sa population par son envie du gain, ce qui n’était point de bonne augure pour une guerre éventuelle. C’était inquiétant, d’autant plus qu’il était alors facile pour les esprits perfides d’aller chercher des âmes à rallier à l’ennemi. Combien d’hommes avaient combattus pour Sauron ou Morgoth à travers les Âges pour quelques promesses de gloire et de vie meilleure ? Beaucoup trop à son goût et ils s’étaient amèrement trompés, mais la parole reluisante de l’appât du gain était souvent un argument plutôt convainquant. Cela, et la peur.

« J’ignore s’il sera possible de le raisonner… On ne le saura que si l’on s’y tente… »  enchaîna-t-il alors. « Cependant, il ne serait pas de mauvais usage déjà de tenter une approche auprès de son fils… même si le trône ne lui revient pas à l’instant. Qui sait lorsqu’il aura à remplacer son père ? Ce pourrait être plutôt que prévu… ou pas. »
Elrond soupira doucement.

« Et concernant si le temps joue en notre faveur… je ne saurais le dire pour le moment. Outre qu’un peu plus chaque jour nous rapproche du retour potentiel de l’Ennemi. »
Autrement dit, il faudrait savoir jouer avec les carte qu’ils auraient en main le moment venu. Le semi-elfe contourna lentement la statue, s’éloignant de Nostariel, les mains toujours croisées dans son dos.

« Il m’apparaît que tu ailles déjà bien suffisamment pour commencer ce que tu souhaites entreprendre… et à ce stade, je crois que davantage de questions relèveraient de la supposition, et que tu ne saurais qu’en te permettant de commencer ta route. » Un léger sourire se pointa sur ses lèvres. « À moins que tu n’ailles d’autres questions cruciales, je me retirai pour d’autres instances et te laisserai entreprendre les démarches de ta route. »

Elrond ne croyait pas pouvoir rien ajouter pour le moment aux questionnements de Nostariel, certains évènements se devaient de se mettre en place avant cela. Et pour que ces évènements surviennent, certaines routes se devaient d’être empruntées et complétées. Serait-elle prête à entreprendre un tel voyage ? Seul son cœur le dirait.