Le lait de chèvre [Solo]

L'inconnue avait beau cacher son visage, j'étais pas dupe. Non pas qu'un type qui passe sa vie à traire les bêtes soit dupe par nature hein, j'ai jamais dit ça. Juste que moi, je l'étais pas. Peut-être suffisament idiot pour l'inviter à s'assoir, mais pas naïf. Sa capuche plongeait peut-être dans l'ombre ses traits, mais son visage lui, oh, je le voyais très bien. Vous savez, si on trait de génération en génération chez les Bandoufle, on a aussi une vision légendaire qui se transmet - et je peux vous dire que ce que mes pupilles percevaient était une petite étoile. Tombée du ciel, pof, jusque dans ma grange puante. A ce propos, j'ai eu un peu de gêne en réalisant que j'accueillais pareille hôte dans un endroit aussi peu élégant, mais elle semblait ne pas en tenir compte. Une étoile je vous dis. C'est pas ma femme qui serait restée aussi sage et douce le nez quasiment dans la fosse à purin, j'vous le dis !

« Du lait de chèvre ? »

Ses yeux étaient aussi marons que les miens, mais ils avaient une sorte d'éclat. Quelque chose de beau et dangereux à la fois. Elle était peut-être belle, mais les deux lames que je voyais se dessiner sous sa cape me rassuraient pas pour autant. Jolie mais dangereuse - ça pourrait caractériser toutes les elfettes du coin, sauf que elles, elles se montraient pas à nous. Pas à la plèbe. « Oui je.. Ma femme aime pas ça, elle préfère la vache, donc au final je me retrouve avec ce truc fort et à moitié tourné en fin de semaine - mais, si vous voulez, je peux aller traire une vache, ou prendre un peu d'eau de leur abreuvoir si vous préférez. » Un instant ses lèvres bougèrent en une tentative de sourire, mais non. Les étoiles ont une raison de rester en haut j'suppose, et je ne savais décidément pas pourquoi une elfe avait décidé de traverser seule un village d'hommes une nuit. Pour sûr, personne me croira demain.

« Vous sacrifiez une partie de votre travail parce que votre aimée n'en apprécie pas le goût ? » J'vais leur dire qu'elle est venue, comme ça, alors que je fermais les boxes de mes cheveaux, quand soudainement elle a vu la lumière de ma bougie -probablement la seule de tout le village à cette heure-ci - et à décidé de venir. Venir pour quoi ? qu'ils me demanderont. Et bien pour parler de lait et de chèvres pardi. « Mon aimée je sais pas, mais ça oui, c'est plusieurs heures avec ces chèvres que je perd à cause de son caractère ! » Et voilà le sourire de l'elfe. Discret, simple. Si ç'avait été n'importe qui d'autre, j'aurais craint pour ma vie, mais on dit que ces gens là respectent la vie, les êtres.. Et puis, quelque chose se dégageait d'elle, quelque chose bien plus doux que du lait de vache. « Le mien aussi a perdu du temps à cause de mon humeur. » Ses pupilles s'accrochèrent au miennes, et bien que je sois un rude gars, je ne me suis pas amusé à laisser mon regard dans celui d'une personne probablement agée d'un siècle ou deux. « Il a perdu des dizaines et des dizaines d'années à m'attendre tout cela parce que.. » Elle reporta son attention sur son gobet en fer blanc, un gobet que j'aurais mieux fait de laver si j'avais su. « Parce que je n'aimais pas le lait de chèvre. »

Mon bon Bandoufle, tu es quand même en face d'une elfe qui semble innocente mais porte les armes, et qui en plus de cela commence à te raconter sa vie sentimentale. « Moi.. » Et toi pauvre idiot, tu cherches dans ton vocabulaire les trois pauvres mots qui sont pas de l'argot pour répondre à ça. « .. J'aime bien le lait de chèvre. 'fin j'pense que j'ai pas trop le choix. » Bien que j'eu essayé de masquer une grimace en buvant le-dit liquide qui avait bien tourné, l'elfe ne rata pas ma réaction et de nouveau elle souriait. Moi qui croyait que c'était coincé du derrière, il fallait croire que non, et la demoiselle fit pareil en buvant d'un trait ce que je lui avais servit sans sourciller. « Lui avait bu du lait de chèvre toute sa vie parce que j'en étais dégoûtée, et si tous les laits de ce genre on le même goût que le vôtre, je ne peux que vous plaindre tous les deux. » Ma moustache frétilla avant même que je ne me rende compte que je riais doucement à sa plaisanterie. Définitivement pas coincée pour un clou la dame elfe, dommage que les autres me croiront jamais. L'espèce d'accent qu'elle avait en parlant la langue commune rajoutait quelque chose à ses paroles, et je pense que je pourrais rester toute la nuit à lui parler si cela lui plaisait. « Vous êtes ce dont ce monde a besoin pour aller mieux, humain, tout comme mon promis l'était. Attendre et endurer, juste par amour. Se sacrifier. » A ce mot, mon regard se posa de nouveau sur ses lames, cachées sous sa cape. Oui oui, sacrifier. Du moment que je ne devenais pas un quelconque sacrifice pour un de leur dieu ou je ne sais quoi.. Acquièsce mon bon Bandoufle, acquièsce et sourit. « Il s'appellait Amroth, et il était roi vous saviez ? Roi de Lothlorien, il n'y a pas si longtemps, et pas si loin.. » Aux dernières nouvelles, c'était une elfe qui avait, pour moi, toujours régné par là-bas. Soit j'avais des problèmes de mémoire, soit définitivement, sa vision de "pas si longtemps" est bien différente de la mienne ! Mon étonnement a du se lire sur mon visage, car elle ajouta sur un ton plus laconique. « C'est le lait de chèvre qui l'a forcé à quitter son royaume. Ou plutôt devrais-je dire que c'est mon caractère qui a fait une telle chose. Le lait de vache. »

La porte de la grange grinça et une petite tête familière apparu. « Alecto file à la maison ou je.. » .. Te met une rouste. De nouveau mon regard croisa celui de l'elfe et ma bouche ne pu que s'ouvrir et se fermer sans trouver de fin légitime à mon ordre. Le petit bout de chou trotinna pendant ce temps jusqu'à la table ou nous étions installé, ignorant l'inconnue, et commença à balbutier. « Forgil m'a dit que le pont là-bas s'est écroulé, et que on pourra pas aller souhaiter son anniversaire à maman du coup parce que l'eau est trop profonde. » Un peu de morve se mélangeait à des larmes qui avaient coulé il y a peu de temps. D'un geste, j'ébouriffais sa petite tête sans rien dire, avant que ma fille ne se colle à moi en enfouissant sa tête dans ma veste. « Je suis désolée. » Sa voix s'était faite murmure en comprennant, je ne sais grâce à quel truc qu'on les gens comme elle. « Et vous continuez toujours de boire cette chose tournée alors même qu'elle n'est plus des nôtres ? » Des larmes, par ma moustache, des larmes lui étaient montées aux yeux et elle se resservit doucement de ce qu'elle avait nomé de "chose", probablement en pensant à son Amroth. Le temps que je détourne mon regard pour réconforter un brin ma petiote que l'elfe lui tendit un chien fait en paille. Tout de tresses et de noeuds, elle devait avoir ramassé la paille au sol pour lui faire ce modeste présent - et à son tour, elle vit Alecto la serrer de ses petits bras sanglotants. « Amroth aussi est mort, mais il n'a pas de tombe, il n'a pas de pont qui mène jusqu'à sa dernière demeure. » Les gars demain ne me croiront jamais. « Laissez-moi vous accompagner jusqu'à l'endroit ou elle est enterrée, peu importe le détour que nous devrons prendre. Que son lieu de repos soit celui de nos aimés, là ou nous irons boire ce lait de chèvre qui, là-bas, sera doux. »