Le miroir des générations [Thorin]

Le miroir des générations

Il y avait des habitudes tenaces dont on oubliait la rudesse. Plus jeune, le petit prince avançait presque à reculons, trouvant des excuses puériles pour se perdre en chemin. Cela avait pris un temps considérable avant que sa maladresse ne se corrige doucement, que l’expérience passe au dessus de ses gouts, au dessus de la douleur dans ses membres après un long entraînement. Manier des armes n’étaient pas juste un jeu, pas lorsqu’elles n’étaient ni faites de bois, ni accompagnées d’une mascarade de marionnettes infantile. Qui sera l’orc et qui sera le soldat ? Bien innocent jeu de rôle qui avait perdu sa saveur lorsque l’enfant de jadis avait compris que la lame entre ses mains pouvait bel et bien tuer. Ses épaules s’étaient élargies fatalement, comme le reste d’une musculature née de l’usure de gestes répétés à en avoir des ampoules dans les plis des mains. Cette peau si tendre s’en été allée, l’enveloppe s’enorgueillissant bien d’avantage que l’être qui y siégeait.

Depuis, la routine avait envahit ses réticences juvéniles. Il ne trainait plus, même s’il chahutait parfois encore son cadet. Son oeil se posait sur lui avait un bienveillance presque émerveillée par une habileté qui ne serait jamais sienne. L’apprentie avait donné beaucoup de son temps, beaucoup de son énergie physique et mentale pour en arriver à s’estimer honnête en comparaison. Il jouait avec ces instruments là dans une partition bien exécuté, manquant de sentiments cependant. Des fautes, il en commettrait toujours sans l’envie. Cette envie, s’il l’avait eu un jour, ce n’était pas pour de bonnes raisons. Alors, ses mouvements abrupts fendaient l’air dans un concert métallique dissonant. Cette habitude, elle se sentait en lui qui ne lésinait pas sur le temps accordé à un devoir indispensable, tout de même un peu vain lorsqu’il tournait les talons sans un regard en arrière.

Le sueur suintait à la racine des boucles naturellement, son visage affichait des couleurs que seul l’exercice parvenait à lui arracher lorsqu’il y mettait vraiment du sien. Ca n’arrivait plus aussi souvent, la mécanique trop bien huilé pour cela faisait écho à l’orgueil d’être parvenu ici. Se reposer sur ces acquis lui suffisait, à défaut de mettre en joie son maitre d’arme. Il était devenu flemmard dans un sens, comme s’il avait lâché la bride maintenant qu’il tenait bien en scelle. D’un haussement d’épaules il approuvait en demi-teinte, tenant un brin d’humour là où il reconnaissait une part de vérité dans les reproches qu’on pouvaient lui adresser.

Le souffle rauque marqua le trêves qu’il s’accordait, l’arme pointa vers le sol rapidement, alors qu’il essuyait sans y penser les gouttelettes moites sur son front. Au moins se sentait-il vide, presque serein… Une fatigue saine envahissait déjà son corps, à laquelle il trouvait certains avantages avec la maturité. Il se délestait ainsi des pensés trop corrosives ayant élu domicile dans son esprit depuis des jours. Bientôt il allait devoir quitter les cavernes qui l’avait vu naitre et grandir. L’évocation de cette quête le laissait dans un état dubitatif, partagé entre des questionnements contraires indistincts. Ce qui expliquait que non, cette fois-ci, Kili ne devançait pas ses pas d’un demi pied. Il avait eu besoin de ce défouloir idiot pour ne plus s’écouter. Longuement, lentement, il respira en fixant un point invisible, puis il lâcha la lame qui tomba lourdement, avec fracas sur la dalle de pierre. Que pouvait-il contre ça, ou au contraire, que pouvait-il faire pour rendre les choses plus facile ?

Le miroir des générations

Il s’était assis dans l’ombre des tribunes qui courraient autour du terrain sableux d’entraînement, là où l’éclairage des torches ne pouvait l’atteindre ? Il se dissimulait là, attendant que l’entrainement de son neveu débute. Plusieurs fois il lui était arrivé de venir les voir ainsi, sans un mot, sans se montrer et de repartir une fois les leçons apprises, simplement pour les voir s’exercer et progresser.
Il savait que Fili n’avait pas pris un plaisir certain, jeune à manier les armes, à s’entraîner rudement aux maniements des hâches, des épées, des marteaux et des arcs. Il avait lui aussi parcouru ce chemin. Il était certain que plus jeune il préférait passer son temps à chasser les fées, courir en suivant le lit des fontaines d’argent et jouer avec son frère. Mais son père Thrain l’avait poussé à se former, sans lui laisser d’autre choix et il ne pouvait qu’en être reconnaissant. Sinon il serait mort, sinon son père serait mort à Azanulbizar, sa sœur et bon nombre des leurs s’il n’avait appris comment les protéger. Il se souvenait de la pénibilité des entraînements, mais cela avait été nécessaire et c’est pourquoi, il avait poussé Kili et Fili à se former à leur tour, sans leur laisser le choix.
Mais là où Kili semblait avoir trouvé une meilleure place dans le maniement des armes, avec plus d’agilité, de dextérité que son frère, Fili fendait l’air avec brutalité, sans être habité par les lames qu’il tenait. C’est pourquoi Fili ne progressait plus. Le maître d’armes des Halls le lui avait dit. Cela n’était point étonnant, il montrait une envie bien faiblarde, bien qu’il ait été assidu. Il faisait des fautes dans les mouvementés exécutés ? Mais le combat n’était pas une partition d’un chant bien appris que l’on pouvait répéter à l’infini. Un réel combat, la guerre, c’était la traitrise, la surprise, la peur à tout moment de recevoir un coup léthal et cela ne semblait pas inquiéter Fili outre mesure.
Mais peut-être était-ce parce que le fils de Thrain se reconnaissait que trop bien en son neveu que cette image l’insupportait ? Il n’était pas un père, il n’était pas un frère, il n’était qu’on oncle qui souhaitait à tout pris que ses neveux fassent bien mieux que ce qu’il n’avait jamais fait. Il le fallait, pour que lorsque le temps serait venu, la lignée de Dùrin perdurent avec le plus brillant avenir. Mais cela Fili et Kili semblaient encore trop jeunes pour l’avoir compris et intégré. C’est bien pour cela qu’ils se satisfaisaient tout d’eux de simples choses et qu’ils avaient cessé de progresser, se reposant sur ce qu’ils maîtrisaient déjà, ignorant que face aux orcs, aux réels dangers ils ne s’en sortiraient peut-être pas avec autant de facilités qu’avec ce bon Vorwerlk.
Mais pouvait-il lui en vouloir quand il le voyait ainsi s’entraîner jour après jour jusque’à ce que la fatigue l’étreigne, Fili y mettait du sien, sûrement un peu. Mais cela serait-il suffisant pour reprendre Erebor, pour arriver en vie et sans encombre jusque chez eux .
Son neveu aux cheveux blonds laissa tomber sa lame lourdement sur le sol et le Seigneur des Exilés sorti de l’ombre. Le maître d’arme exécuta un salut martial et pris congé tandis que l’Héritier de Dùrin s’approchait à pas lents de son neveu. Il s’abaissa pour ramasser la lame qui avait chue avant de la tendre au fils ainé de sa sœur bien aimée.

« Que penses-tu de toi ? »

Le Seigneur des Montagnes Bleues souhaitait savoir ce que Fili pensait de lui en cet instant après cet entraînement durant lequel Vorwerlk lui avait adressé plusieurs remontrances, mais la question ne semblait finalement pas s’arrêter à cette simple partie d’entrainement. Que pensait réellement Fili de lui-même ? Car bien que Thorin ait été proche de ses neveux mais était-il certain de les connaître réellement ? A quand remontait la dernière fois le moment où il avait pris du temps pour converser pleinement avec eux, sans personne autour ? Avec la quête qui s’annonçait et le destin qui s’offrait à eux, peut-être était-ce le moment de se retrouver, de connaître leurs pensées sur ce qui les attendait. Peut-être était-ce une façon pour le fils de Thrain de se rassurer sur le bien-fondé d’emmener avec lui ses neveux, que ces derniers étaient prêts et qu’ils ne courraient aucun danger ? Peut-être que l’entrainement potable qu’il venait de voir était lié aux préoccupations de son héritier et rien d’autre ?

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