Cela ne faisait pas tout à fait une lune qu'elle s'était établie auprès de ce village, non loin de la trouée du Rohan. Si elle était relativement mobile, avec sa charrette et sa mule, Carmella ne s'était pourtant jamais aventurée aussi à l'ouest qu'elle ne l'avait fait là, mais force était de constater que son chemin de fuite l'avait aussi menée ici selon son bon vouloir, bien plus qu'elle n'aurait choisi elle-même de venir s'établir aussi près d'Isengard. Mais de mal pour un bien, elle avait tenté de faire bonne figure, installant comme à son habitude ce masque d'assurance feinte sur son minois mesquin, et dans ses yeux trop pâles la discrétion qui cachait sa propension monstrueuse à vouloir user de la crédulité d'autrui. Alors elle avait fait comme chaque jour, quand elle s'arrêtait près d'un village, et elle avait vendu à qui voulait l'entendre des remèdes pour des maladies incurables, des amulettes pour se protéger du mauvais sort et toutes sortes de breloques auxquelles elle vantait des vertus improbables, mais qui, sous son ton persuasif et sous la volonté des gens de se défaire du mal, se vendaient assurément comme l'on vend du pain.
Si elle avait vu bien des visages depuis ses débuts, celui de la jeune femme qui s'avançait vers elle resterait sans doute dans sa mémoire pendant quelques semaines. La pauvre femme peinait bien à marcher, elle semblait pourtant jeune, mais portait sur elle le fardeau d'un enfant à naître qui lui prenait un peu trop de ses forces vitales. Elle était accompagnée d'un homme, au demeurant fort et imposant, mais pas moins sur le bord de l'inquiétude que son épouse ne semblait l'être. La peur, Carmella l'avait déjà vue de nombreuses fois sur les visages de ceux qui venaient à elle comme un dernier espoir, et elle savait qu'elle pouvait prendre de multiples formes ; elle en avait là deux exemples opposés, l'une qui sanglotait avant même que l'on ait prononcé son jugement, et l'autre qui, méfiant, laissait plutôt la haine parler, pour des gens comme elle.
« Gemma, je te dis que c'est une sorcière, ne la laisse pas te toucher ! » pouvait-elle déjà l'entendre protester, alors qu'il n'était vraisemblablement pas d'avis de s'approcher de la cahute de Carmella. Il avait sans doute raison, mais son imposante carrure jeta déjà sur la jeune femme le sentiment qu'elle ne devait pas faire d'erreur, pas aujourd'hui. « Mais c'est notre seule chance.. » bredouilla la femme, passant ses mains autour de son ventre arrondi par le démon qui devait déjà y grandir. Carmella se souvenait avec amertume de sa propre grossesse, elle avait elle-même concocté la potion pour se débarrasser de ce mal qui la rongeait de l'intérieur dès qu'elle avait eut quitté son mari. Elle fit mine de n'avoir pas entendu les médisances de l'homme lorsqu'il s'approcha, et posa ses mains sur le ventre de la jeune femme dès qu'elle en eut l'autorisation.
« J'en viens à vous, guérisseuse, pour nous apporter l'aide dont nous avons besoin » La jeune mère échangea un regard avec son époux, qui se retint probablement de la corriger pour insister sur le fait que c'était une sorcière, et non une guérisseuse. Carmella ne l'écouta pas vraiment, elle sentait par elle-même ce qui se passait sous ses paumes, et au travers de la paroi, pouvait comprendre que le bébé était anormalement immobile pour un enfant à naître dans les semaines qui arrivaient. Elle ne tira pourtant pas de moue, car elle ne pouvait pas se permettre de les renvoyer chez eux sans rien faire, auquel cas elle sentait déjà la rage de l'homme s'abattre sur elle. Alors, elle prit son temps pour fabriquer un breuvage à l'aide de plante qui, elle l'espérait grandement, pourraient venir aider l'enfant dont la vie ne tenait probablement pas à grand chose.
**
Elle avait mal dormi, cette nuit là, parce qu'elle sentait sur ses épaules peser le poids de l'erreur qu'elle avait potentiellement commise. Chaque bruit au dehors la réveillait en sursaut, elle se sentait prise au piège dans cet endroit trop loin de ses habitudes. Elle avait vite compris, au contact de la jeune mère, que son enfant aurait de fortes chances de ne pas survivre. Des mots difficiles qu'elle avait pourtant jugé bon de leur communiquer, mais elle savait, la sorcière, que comme à chaque fois, ce serait elle qui serait désignée coupable. C'était pourquoi elle s'était méfiée de tout, de chaque bruit, de chaque onde et de chaque clameur qui se serait fait entendre au loin dans la forêt.
Pourtant, lorsqu'elle entendit enfin le son caractéristique des fourches et le crépitement des torches, c'était déjà trop tard pour elle : elle n'avait aucune échappatoire, et quand des poignes vinrent la saisir pour la tirer hors de sa charrette, elle couina sous la douleur. Sa robe déjà tâchée de boue, on la traina au sol sans lui laisser le loisir de marcher, ses petits pieds nus incapables de suivre le rythme imposé par les soldats qui l'avaient attrapée. « C'est elle ! » cria-t-on dans la foule, un homme qui la pointait du doigt et qu'elle reconnut aussitôt. « C'est la sorcière ! Celle qui a tué mon fils ! »
La clameur se fit plus étouffante, à mesure que les villageois, ligués derrière cet homme qui devait être d'une certaine importance pour eux, ne commencent à lui jeter des choses à la figure, le temps qu'on la traine jusqu'au village, jusqu'à une place publique, où on lui annonça qu'elle était l'unique fautive du meurtre de l'enfant qu'elle s'était pourtant appliquée à soigner la veille. Compulsivement, la sorcière se mit à rire devant l'accusation, à rire à gorge déployée de voir à quel point la folie humaine était pathétique. Pour une fois qu'elle y avait mis de la bonne volonté, ce têtard avait préféré crever que de lui rendre service, alors qu'elle s'affairait d'ordinaire à rendre la vie difficile aux gens sans se faire choper.
« Qu'on la brûle ! » criait-on dans la foule, mais on préféra sans doute un bon coup dans la mâchoire pour la faire taire, et quand elle releva le visage, tâché de boue, Carmella eut soudainement dans le cœur bien plus de peur qu'elle n'en avait eu depuis longtemps.
Ind et Rín s’élevèrent dans les airs, dédaignant le villageois pour lui préférer les hauteurs. Au sol, l’humain sembla hésiter un instant avant de rebrousser chemin, l’air maussade. Les deux corbeaux battaient des ailes dans un même rythme, mus par une même pulsion, un même battement. Tant et si bien que le villageois au sol se demanda si il ne voyait pas un seul corbeau deux fois.
Si ils avaient été deux oiseaux normaux, ils auraient probablement flâner un moment, jouant avec la brise, se chamaillant un peu ; ils se seraient dégoté un dîner, que ce soit dans les bois ou dans les champs du village de l’Isen (après tout, la forêt était de moins en moins sûre). Mais ce soir, ils avaient un devoir à accomplir, et ils comptaient bien s'y tenir. Pour autant, sentir le vent dans leurs plumes était des plus agréable. Ils battirent de leurs longues ailes, se stabilisant dans la continuité d'un courant ascendant: ils se rendaient à Orthanc, tour du magicien blanc.
La silhouette de la tour, presque dissimulée dans la nuit noire, se dressait au milieu de la Nan Curunir comme un titanesque monolithe. Seul quelques points de lumière (les fenêtres de l'habitation) indiquait que l'endroit servait de domicile, et non pas de cailloux planté là par erreur.
Ind et Rín se laissèrent porter jusque dans les hauteurs de la tour, passant par la double porte d'un balcon grande ouverte. Ind se posa sur le dossier d’un fauteuil ; Rín sur un globe terrestre. La pièce était spacieuse et éclairée : de multiples bougies couvraient les différentes tables, et un feu brûlait dans l’âtre. Les établis et les étagères étaient couverts de fioles, de parchemins, et boîtes et d’autres bibelots à la signification plus ou moins évidente. Saruman était assis devant un crâne, apparemment humain. Il tenait à la main une longue tige métallique étrangement tordue et une longue lame, légèrement courbe. Son bâton était posé contre un mur, dans un coin de la pièce, et il semblait parfaitement absorbé dans sa tâche. Pourtant dès que ses serviteurs entrèrent dans la pièce, il releva les yeux.
-Bonsoir.
Ind inclina la tête.
-Monseigneur Saruman. Que faites-vous, si je puis me permettre ?
-Une salade de fruit, répondit-il avec le plus grand des sérieux. Que puis-je pour vous, sergents ?
Il posa ses outils, dirigeant son attention vers Ind. Si ils ne s'étaient pas entraînée, leurs plumages se seraient probablement gonflés de fierté en un instant. Leurs titres, au sein des corbeaux d'Isengard, leurs avaient toujours paru source de fierté; dans la bouche de Saruman, pourtant, ils prenaient une sonorité et un aspect encore plus méritoire.
-Des mouvements étranges ont était reporté du côté de l'Isen. Le village, pas le court d'eau.
Saruman fronça les sourcils.
-Quels genre de mouvements ?
-Des torches. Beaucoup de lumière, des flammes. Et une foule massive, dans les rues.
-Massive pour le village, ou massive en général ? Soyez précis.
Le corbeau eut une petite seconde de réflexion. Rín intervint.
-Massive pour le village. Nous avons intercépté un messager, en direction de la tour.
-Ah ?
-Il vous demandait expressément de venir. Ils auraient besoin de votre science. -Hum. Très bien. Repos.
Les corbeaux s'envolèrent, après un petit signe de tête. Saruman observa le crâne d’un air pensif, puis sortit des plis de sa cape son Palantir. Le village n'étant pas loin, il n'aurait aucun problème à voir ce qui s'y passait. Il plongea ses yeux dans l'orbe d'obsidienne, conjurant en son sein les images du village de l'Isen.
***
Sur la place du village, l'atmosphère était électrique. Des torches et des flambeaux, amenés à la hâte, éclairaient de leur lumière vacillante les villageois: une foule impressionnante était amassée ce soir, grouillant et murmurant sur le parvis du Manoir du Bourgmestre. Ils formaient une sorte de demi-cercle, aux contours ondulants et ondoyants comme un bord de mer. La foule était murmurante, mais le murmure de l’un conjugué au murmure de l’autre faisait enfler le niveau sonore, au point de créer une véritable foule bourdonnante. Elle semblait attendre quelque chose -en l’occurrence, quelqu’un- qui se présenta bien vite. La foule se fendit soudain, et les murmures baissèrent. Se simplifièrent en un seul mot, qui lui même se mit à gronder jusqu’à devenir un cri lancé à la face du monde.
-Sorcière !
Les villageois scandaient ce simple mot, sans véritable conviction. Quelques uns, pourtant, semblaient irrémédiablement convaincu que si ils le criaient suffisamment fort ça transformerait la détenue en véritable sorcière. La femme était tenue, à genoux sur la place du village, par deux hommes (les fils du bourgmestre). Un peu en retrait, le boulanger frémissait et ses yeux lançaient des éclairs. Un homme, essoufflé, s’approcha des geôliers de la sorcière.
Le dénommé Barnabas redressa la tête de la sorcière. Il lui lança un regard mauvais, poing serré et grimace au visage.
-Tu vas être jugée pour le meurtre de l’enfant à venir de Xavier, notre boulanger. Et pour pratique de la sorcellerie. Notre « juge » arrive, mais je pense que sa décision se fera sans grande surprise. Hein, poulette ?
Barnabas était plutôt fier de sa tirade. En toute modestie, il la trouvait suffisamment menaçante, et juste assez énigmatique. Il avait bien appuyé sur le mot « juge », et pensait avoir fait bonne impression. L’exclamation « qu’on la brûle » ne fit d’ailleurs que le conforter dans cette idée. Aussi prit-il le rire de la sorcière plutôt mal. Elle riait à gorge déployée, là, sous son nez, arrogante au possible, gâchant tout l’effet de sa tirade. Le fils du bourgmestre ayant une répartie relativement limitée, il lui asséna un crochet du droit.
-Attends qu’ « il » arrive, maudite fille du démon. Siffla-t-il d’un ton rageur.
- « Il » est là.
La foule s’écarta précipitamment, comme lorsque la sorcière était arrivée. Saruman était vêtu d’une simple toge blanche, d’un blanc un peu cassé, sans décoration particulièrement. Il tenait son bâton dans sa main, et le son du bois contre les dalles de la place principale soulignait l’aspect légèrement dramatique de son arrivée. Quelques uns relevèrent la vitesse à laquelle il était arrivée, mais peu s’en formalisèrent. Son regard de charbon balaya la foule. On évitait, le plus souvent, de se formaliser de quoi que ce soit avec Saruman.
-A quoi cela rime-t-il?
Les murmures s’étouffèrent aussitôt. Le ton employé impliquait que si la justification n’était pas appréciée, la colère de Saruman ne se retournerait pas vers la sorcière. Le boulanger, pourtant, frémit de colère et s’avança, bravant le mage.
-Elle a tué mon fils.
Saruman se tourna vers lui, l’air indéchiffrable.
-Explique.
-Je… nous sommes allé vers elle pour la grossesse de ma femme. J’avais beau lui répéter que ce n’était qu’une vile empoisonneuse, elle ne voulait pas m’écouter. Elle voulait son avis de sage femme ; celle du village lui avait assuré que tout se passerait bien, mais elle ne lui faisait pas confiance. Elle a toujours été du genre à trop s’inquiéter. Cette démone lui a donné un filtre, et mon fils n’a pas survécu à l’accouchement. Cette fille du diable ne devrait pas avoir le droit de survivre !
Ses yeux étaient brûlants de rage. Son cri fut repris par quelques personnes (« Ouéééééé »), mais sans plus. Son accusation laissa même un lourd silence pesant. Lentement, Saruman se tourna vers la sorcière.
-Elle vit dans une roulotte, en dehors du village. On y a trouvé des herbes, des amulettes, des potions… l’arsenal d’une sorcière.
« Ironiquement, c’est ce qui tapisse mes étagères. »
Le magicien s’approcha d’elle, rapidement. Il lui attrapa le visage, serrant ses doigts au niveau de ses joues au point de lui faire mal. Il bloqua sa tête d’une poigne de fer, plantant son regard d’obsidienne dans celui de la jeune femme. Saruman n’avait jamais était très porté sur la télépathie. C’était comme violer le jardin secret d’autrui, il y répugniait ; ll trouvait souvent déplaisant l’esprit des autres, préférant très largement le sien. Mais il fallait qu’il vérifie quelque chose. Il sonda ses iris. Son regard devenait une véritable lame, avec laquelle il transperçait ses yeux pour y chercher les réponses à ses questions. A sa question.
Au bout de quelques instants, il releva la tête et lâcha la sorcière. Jusqu’au plus profond de ses yeux, à la surface de son âme, il n’avait détecté aucune flamme. Aucun œil sans pupille. Pas la moindre trace de la corruption de Sauron. Elle ne portait pas la marque du Mordor, ce qui était déjà une bonne nouvelle en soit.
-Enfermez la. Son jugement aura lieu à l’aube, sur la place publique. Préparez une potence, au cas où. ajouta-t-il a l’attention du bourgmestre, en retrait jusque là.
Le petit homme corpulent hocha la tête et fit un signe à ses fils, qui emmenèrent la jeune femme au loin, dans une pseudo prison en bordure de la ville. La foule murmura à nouveau, stagnante, ne sachant pas trop si il fallait qu’elle bouge ou non. D’ici quelques minutes, elle finirait par se dissoudre dans les rues du village en marmonnant (bien après que le magicien blanc et la sorcière se soit volatilisés). Saruman songea qu’il ne connaissait même pas son nom.
***
Le vieil homme réajusta sa position contre le mur de pierre. Les cellules étaient certes peu nombreuses, mais aussi inconfortables. Une simple pièce de pierre nue, doté d’une fenêtre à barreau métallique, d’un lit simpliste, et un nécessaire à toilette relativement spartiate. Il écarta une mèche de cheveux sale et gris de son visage, puis leva les yeux vers le plafond nu. Une petite araignée traversa la surface de pierre, l’air occupée. Le vieil homme déglutit doucement, écoutant les bruits de couloirs. La nuit était tombée depuis très longtemps, et l’aube menaçait de pointer son nez. Pourtant, il était réveillé, et parfaitement alerte. Quelques minutes auparavant, des bruits derrière la lourde porte de chêne l’avait mis debout. Deux voix d’hommes, et une troisième personne (qu’il supposait être une femme, au vue de l’accusation « Sorcière »), désormais locatrice de la cellule d’à côté. Le vieil homme pencha la tête par le conduit d’aération : un petit trou carré, grillagé.
-Eh, pssst.
Il s’adossa contre le mur, l’air pensif.
-Bonsoir. Excusez mes manières. C’est juste tellement rare d’avoir des voisins par ici.
Il se renifla, et se gratta le crâne.
-Alabaster Simon Cyan. Enchanté. Dîtes, sans indiscrétion, pourquoi z’êtes là, mamzelle ?
Le vieil homme se sentait un peu maladroit. Il avait connu l’étiquette, et les bonnes façons de s’adresser à une femme. Mais au diable l’étiquette, pour cette fois. Ils étaient en prison, et Alabaster avait besoin de conversation et de divertissement.
Elle avait du caractère, la sorcière ; et clairement, elle n'était pas le genre de femme qui aurait pu autoriser qui que ce fut – et sous aucun prétexte, aussi bon soit-il – à lui marcher sur les pieds. Elle avait le souvenir encore bien trop amer de la main de son mari qui se levait sur elle, et si elle ne se souvenait pas de chaque coup que ce pourceau lui avait assené, elle avait toujours en mémoire la douleur qui avait émané de cette violence gratuite. Oh, c'était aussi, indubitablement, ce qui l'avait forgée : elle n'aurait sans doute jamais eu autant de haine dans son petit cœur de pierre si cet individu n'avait pas été là. Silencieusement, elle le remercia : si elle était en position difficile, tout ce que cet homme-là lui avait infligé la rendait plus forte, et toujours plus à même de se battre. Elle avait peur, après ce coup qu'elle venait de se prendre dans la mâchoire ; mais elle savait qu'elle pourrait tenter quelque chose quand celui qui devait faire office de juge se serait ramené.
Elle le vit bientôt, malgré sa vision troublée par le coup et la peur ; un homme vêtu de blanc de la tête aux pieds, abritant un nez aquilin sous une longue chevelure grisâtre qui étirait son visage singulier, à presque trop en marquer l'usure sur sa peau. Alors, c'était donc ça, son juge ? Un vieillard probablement sénile au possible, sans doute à demi aveugle et sourd ? Et bien.. La sorcière prit une longue inspiration, alors qu'elle tentait de se persuader que son cas n'était pas tout à fait réglé, et qu'elle pourrait tenter le tout pour le tout, essayer de s'en sortir. Elle ne moufta pas, silencieuse sous l'emprise des deux hommes qui la tenaient, et qui se privaient bien de douceur pour la maîtriser. Elle faisait pression elle aussi, mais pas de façon à déclencher d'autres violences pour son cas.
Le vieillard s'approcha, pinçant son visage juvénile entre ses crochets osseux. En temps normal, elle lui aurait probablement craché à la figure : pour qui se prenait-il, à venir lui faire mal ainsi pour qu'elle reste immobile ? Elle comprit pourtant rapidement, Carmella, que si elle s'immobilisait le temps qu'il sonde ses prunelles bleutées, elle aurait rapidement de quoi l'éloigner. Il fixa ses mirettes avec un intérêt qu'elle n'avait jamais vu dans les yeux d'un homme, comme si la curiosité le poussait à vouloir en savoir plus sur elle, mais pas de la façon dont elle y était habituée.
Il ne rendit pas de suite son jugement, ce qui, par chance, laisserait à la sorcière le reste de la nuit pour pouvoir réfléchir à un plan d'échappatoire, et elle n'attendit pas son reste avant de se faire emporter par les deux fils du bourgmestre, en direction des cellules du village. On la jeta sans plus de précautions dans une pièce aux murs de pierre froide, avec pour seule source de lumière une vulgaire fenêtre qui ne lui permettait même pas d'y passer la tête. Elle soupira, s'installant le dos contre la pierre glacée avant de comprendre qu'elle ne pourrait pas se sortir d'ici sans l'aide de quelqu'un. Elle avait étrangement froid, comme si un courant d'air venait la geler jusqu'aux os alors qu'elle avait été habituée à la chaleur du désert du Rûhn. Son regard opale glissa sur ses poignets qu'elle massa rapidement, sentant encore l'emprise de ces hommes sur elle et la douleur jusque dans sa chair. Soudain, une voix se fit entendre par delà les barreaux qui donnaient sur le couloir de la prison, et elle tendit l'oreille, sans plus d'espoir que ce ne soit qu'un autre prisonnier, tout comme elle voué à un destin funeste.
D'ordinaire, elle l'aurait probablement envoyé paitre, mais.. Maintenant que la mort semblait la guetter d'aussi près, elle tourna sept fois sa langue dans sa bouche avant de répondre à cette voix grésillante qui l'avait interpellée. « Qui va là..? » avait-elle d'abord murmuré, quand elle entendit l'autre se présenter, alors qu'elle ne pouvait pas le voir dans l'obscurité de sa cellule. Elle hésita un instant à mentir sur son prénom, en donnant celui par lequel elle avait plus souvent répondu durant sa jeunesse. Qui était-elle, face à la mort ? Mara, Meera ? Carmella ? Elle ne savait même plus, si bien qu'elle se contenta d'énoncer les raisons qui la poussaient à être en ces lieux.
« L'on m'a accusé de sorcellerie » mentionna-t-elle, quand elle devina qu'il avait sans doute besoin d'un bon récit car il était peut-être là depuis bien plus longtemps qu'elle. « Je ne sais pas si l'histoire serait d'un quelconque intérêt, mais voilà qu'on me plaide coupable d'avoir tué un enfant, alors que pour une fois, je m'affairais à lui sauver la vie. C'est injuste, n'est-ce pas ? J'aimerais me sortir de là, mais je n'aurais sans doute pas le temps d'étudier la serrure pour pouvoir la crocheter.. »
Le vieil homme corrigea sa position, lançant un regard de biais à Carmella au travers de la porte grillagée. Une torche brûlait doucement dans le couloir de pierre, et on entendant distinctement au loin les bruits assourdis des gardes. Peut-être jouait-il aux cartes, peut-être buvaient-ils tranquillement. Au fond, quelle importance ?
-Sorcière, hein ?
Ses yeux perçants scrutaient l'obscurité, à la recherche du visage de la jeune femme. Mais l'éclairage de leurs cellules étaient tel que si elle pouvait voir sa silhouette, et la lumière des torches qui se reflétaient dans ses yeux, lui ne voyait rien de son interlocutrice. Elle n'était qu'une voix, dans un cachot sombre. Une voix destinée à la potence.
-J'ai déjà rencontré une sorcière. Z'avez d'la chance, mademoiselle (le vieillard fit un effort notable pour articuler): elle, elle avait finie pendue en place publique en moins de temps qu'il n'lui aurait fallut pour dire "Potimaron".
Il détourna son regard. Elle pouvait, probablement, voir où se portaient ses yeux. Et vu qu'ils erraient quelques part entre le mur d'en face, la serrure de sa porte et (supposément) l'épaule de la sorcière, il tourna la tête, cachant à son tour son visage dans l'ombre.
-Vous avez dû le rencontrer, je suppose. Le vieux. En blanc. C'est un le juge du secteur. Certains disent qu'il est magicien.
Le prisonnier marqua un temps d'arrêt. On sentait un certain scepticisme dans sa voix: apparemment, il ne croyait pas beaucoup à ces histoires, mais si sa voisine de cellule était bien une sorcière, peut-être que le vieux était vraiment un mage ?
-Du coup z'êtes là parce que vous avez voulu tuer un enfant ? Qu'est-ce qui s'est passé au juste ? Vous pouvez me raconter. T'façon ils vous écouteront pas dehors. Et on va tous les deux mourir, dans un futur assez proche. Si vous avez des confessions à faire, c'est le moment. Et de toutes façon j'emporterais vos secrets dans ma tombe.
Puis il réajusta sa position, à nouveau. Les cellules n'étaient pas d'un confort absolu, et visiblement il ne comptait pas dormir pour la dernière nuit de son existence. Et vu les qualités de bavard dont il avait fait preuve jusque là, il était plus ou moins certains que si Carmella ne racontait pas son histoire, il en raconterais des tas pour les tenir occupés jusqu'à l'aurore. Sa voix était grave, calme. Chaleureuse, quelque part. Par sa nature, elle incitait à la confession. Comme si chaque mot était porteur d'une forme d'affection, ou de vérité.
Sujet: Re: Doomsday (Saruman & Carmella) Dim 22 Oct 2017 - 1:26
Doomsday
Saruman & Carmella
Au-delà de la simple frustration de se retrouver enfermée dans des cachots – à nouveau –, la jeune femme sentait quelque chose de terriblement plus puissant, plus effrayant, naître dans son cœur. Elle se souvenait encore de cette fois-là où elle avait voulu faire occire le seigneur d'Aldburg, celui qu'elle avait tenu pour responsable des fautes de ses hommes : ce jour-là, les choses avaient diantrement mal tourné, et elle avait également finit dans les cachots, à l'attente d'une mort certaine. La différence, c'était à peu de choses près que le seigneur en question n'avait été qu'un humain, dépourvu de toute forme de magie, et sensible à tout ce qui pouvait dépasser son entendement. Carmella avait eu quelques difficultés, mais si la peur ne l'avait pas paralysée, elle avait réussi à acheter son chemin hors de la forteresse pour se voir remise en liberté, au prix de quelques mensonges et autres calomnies. Le souci, ici, c'était qu'elle n'avait pas affaire à un seul homme. Retourner l'esprit d'un humain n'aurait pas été des plus coriaces, mais se prendre à vider les cervelles de tout un village ? C'était tout bonnement hors de sa portée. La magie de Carmella n'avait rien d'une magie que l'on pouvait constater à l’œil nu, elle ne pouvait effrayer autant de personnes sans rien montrer, et ce serait alors impossible pour elle de se tirer de là, à moins de trafiquer la serrure pour s'échapper. Là encore, quelques difficultés pourraient se présenter, comme les gardes à l'entrée, ou tout simplement la traversée du village.
« Oui, je l'ai vu. » L'inconnu qui se trouvait dans la cellule adjacente, en revanche, semblait bien bavard : il avait raison, ceci étant, de trouver dans ces dernières heures le réconfort de quelques paroles. Carmella n'était pas encore résolue à laisser sa peau ici, néanmoins, une sombre idée planait sur elle, comme l'impression trop forte que cette fois, elle allait y rester. C'était seulement la deuxième fois qu'elle se retrouvait dans des cachots. La jeune femme s'adossa contre le mur, les yeux fermés, la tête en arrière et le souffle profond. Elle tentait de garder son calme, et à vrai dire, cela lui faisait du bien de voir que cet étrange vieillard lui trouvait un quelconque intérêt, et surtout, essayait de la faire parler. A quoi bon garder le silence, de toute façon ? La jeune femme échappa un long soupir avant d'entamer son récit, celui qu'elle pouvait conter avec le plus de vérité, et sans doute le dernier qu'elle conterait.
« Non, je n'ai pas voulu tuer un enfant.. » fit-elle, tout en insistant bien sur ce mot. « Je sais que je n'ai clairement pas le passé qui peut justifier un acte de bonté, mais cela en était bien un. Voyez-vous, par le passé, j'ai fait mon pécule sur le dos des ignorants, j'ai vendu des remèdes miracles qui n'étaient que de l'eau parfumée, j'ai prêché le malheur sur les gens pour leur vendre des amulettes.. J'ai fait beaucoup de choses qui pourraient décrédibiliser ce que j'annonce, mais je n'ai jamais voulu tuer cet enfant. » Elle marqua une pause, la sorcière, avant de passer sa main dans sa longue chevelure rousse. Elle fut étonnée de se souvenir qu'elle avait attaché l'une de ses mèches à l'aide d'une petite pince en fil métallique, et la décrocha pour la contempler sur sa paume. « Non, ce gosse, quand ses parents sont venus, j'ai su que je n'avais pas le droit à l'erreur. »
Elle regarda la serrure de biais, ayant sa petite idée, avant de s'en approcher dans le silence le plus total, qui ne laissait entendre que ses pas discrets sur la pierre froide. La jeune femme s'approcha du verrou, entrant la petite pince dedans pour la tortiller en tous sens, sans entendre le clic habituel du verrou qui saute. « J'ai su qu'il fallait que je le sauve, et ce au prix de ma propre vie. Voyez comme le monde est cruel, quand j'essaye de faire le bien, on me prêche encore sorcière ! Les gens sont-ils tous aussi stupides ? Et si j'avais renvoyé cette femme sans lui apporter mon aide, est-ce que j'en serais là ? Je crois bien que la prochaine fois, je l'enverrais danser sur les charbons, s'il y a une prochaine fois.. Égoïstement, j'avais pensé qu'en l'aidant j'aurais le peu de reconnaissance dont j'avais besoin pour retarder mon départ de quelques jours. Finalement, il semblerait que je ne partirai jamais.. » La jeune femme s'obstinait alors à agiter son aiguille dans le verrou, qui pourtant ne semblait pas vouloir s'ouvrir. « Foutue serrure..! » s'énerva-t-elle finalement, tout en abandonnant sa cause à cette prison de pierre et de métal.
Alabaster garda le silence, se renfonçant dans les ombres de sa cellule. Il ne dit rien. Ne pensa pas grand chose. Ferma les yeux, se dérobant à la vue et à la voix de Carmella, en s'enveloppant dans les ténèbres de sa geôle et dans les vapeurs du sommeil. Pas un mot rassurant, ou encourageant ne franchit ses lèvres. Mais quelque part, au plus profond de sa tête, il espérait que la sorcière aurait le droit à un miracle et pourrait s'en sortir.
Le silence se fit assez rapidement dans le sous-sol. On entendait de temps en temps des grincements, des éclats de voix assourdies, des ronflements. La lumière dansait, inchangée depuis leur arrivée, sous la voûte de pierre. Pourtant, elle semblait moins brillante. Plus endormie. Le village entrait dans les profondeurs de la nuit, vers cette heure où très peu sont réveillés, et où les conversations les plus productives sont les dialogues de ronflements. En tendant l'oreille, près des fenêtres des deux cellules, on pouvait entendre les bruits de la vie nocturne: un hiboux, au loin. Le vent dans la pelouse, une fine pluie sur les pavés. Et en tendant encore plus l'oreille... on pouvait entendre des chuchotements. Qui soufflèrent près de la cellule de Carmella, de l'autre côté du mur de pierre, puis s'évanouirent aussi soudainement. Le silence repris sa place, son droit, dans les environs. Pendant quelques instants, les bruits de la nuit emplir l'espace et les oreilles de ceux encore éveillés. Puis, des cellules, on aurait pu croire entendre une porte grincer, quelque part à l'étage. Une latte de parquet grincer. Et des murmures. Les paroles, inintelligibles, étaient assourdies par les murs et le plafond. Incompréhensibles, mais audibles. La porte d'accès aux cellules s'ouvrit soudain, lentement, comme pour ménager quelque effet dramatique. Des bruits de pas, tranquilles, se firent entendre dans l'escalier. Et a intervalle régulier résonnait le son du bois qui frappe la pierre. Quelqu'un approchait. Les murmures revinrent, plus audibles mais non moins incompréhensibles. Une silhouette encapuchonnée se profila près de la porte de Carmella, tenant dans sa main gauche un long bâton de bois, dans l'autre une pièce dorée. Saruman cala son bâton dans le creux de son coude, et tira des poches de sa robe un trousseau de clef. Puis il baissa les yeux vers Carmella. Il se tenait devant la lumière, aussi n'était-ce pas sûr qu'elle puisse discerner son visage.
-Votre carriole n'a pas été touchée. Elle est toujours là où elle était lorsque vous l'avez quitté. Dépêchez vous. Tous le monde dort, ou presque, mais ce n'est pas une raison pour perdre du temps.
D'un tour de main, il déverrouilla la porte, l'ouvrit et s'écarta pour la laisser passer.
-Soyez rapide, et discrète. Je peux vous protéger pour cette fois, mais seulement cette fois. N'espérez pas pouvoir vendre une nouvelle fois vos arnaques stupides dans mon domaine, et vous en sortir vivante. Tenez.
Le magicien lui lança la pièce.
-Un talisman. Qui devrait vous aider à rester hors de vue, et sinon à vous acheter un bout de pain. Maintenant partez. Et ne revenez en tant que sorcière que quand vous maîtriserez de la vraie magie.
Saruman avait suivit l'échange entre les deux détenus via son Palantir et avait fait son choix. Pour autant si Carmella se faisait reprendre dans sa fuite, il n'était pas dit qu'il lui sauve une deuxième fois la mise. Son regard dévia un court instant vers la cellule d'Alabaster. Il faudrait qu'il libère le pauvre bougre, et qu'il s'assure qu'il n'en toucherait à personne. Les acteurs pour exorter la vérité aux prisonniers, c'est bien, mais si il se mettait à raconter à tout le monde que Saruman libérait les sorcières, son intérêt se verrait soudainement limité.
Sujet: Re: Doomsday (Saruman & Carmella) Jeu 22 Mar 2018 - 15:24
Doomsday
Saruman & Carmella
Les bruits de pas pouvaient annoncer bon nombre de choses, et aux abrutis elle laissait son seul salut : non, si des gens avaient franchi cette porte, c'était sans doute que son jugement avait été rendu plus dûment que prévu, et qu'elle n'allait pas échapper aux cordes lorsque le petit matin serait venu. Quelle heure était-il ? Elle ne le savait point, elle ne voulait peut être même pas le savoir : trop tard, trop tard pour tant de choses qu'elle ne regrettait pas encore, alors qu'elle sentait déjà sa gorge se serrer comme si on l'étouffait avec deux mains qui écrasaient sa trachée. Elle suffoquait de manière invisible, son regard presque éteint guettant l'allée au delà de ses barreaux.
Les pas résonnaient dans une étrange cadence, quelque chose qui lui laissait présager que son visiteur était un vieillard aidé d'une canne. Et bien.. Cela ne manqua pas, quand elle vit l'immense silhouette se profiler par devant la lumière. L'individu paraissait particulièrement grand qu'elle était encore agenouillée au sol, à dévisager la serrure qui avait osé lui résister. La sorcière portait sur son minois une expression qui lui avait déjà marqué les traits par le passé, mais si rarement qu'elle n'y était jamais tout à fait habituée. Ses sourcils étaient légèrement froncés par la frustration, ses petits yeux, humides et rouges, et ses lèvres pincées par l'énervement de s'être fait emprisonner alors qu'elle avait, pour une fois, décidé d'agir en bonne personne. Le monde était-il toujours cet injuste endroit, où jamais le bien ne vaincrait sur le mal ?
Une question qu'elle s'était tant posée, mais qui, dans l'ombre de la nuit, lui tournait encore plus les méninges. Elle soupira quand la silhouette bougea devant elle, mais fut d'autant plus surprise quand cette dernière fit sauter le verrou de la porte d'un tour de clef. Elle ne pouvait voir son visage mais devinait parfaitement ce dernier : une peu laiteuse et tirée sous des rides qui démontraient le vécu d'un tel personnage.. Quelque chose d'à la fois touchant et admirable, mais affreusement rebutant. Vieillir, ça aussi, c'était dans les choses qu'elle portait à hantise. La sorcière se releva doucement, ajustant à peine les pans de sa robe qui montraient trop de chair au goût des dames du Gondor. Elle savait qu'elle n'avait pas fière allure, sans doute même ressemblait-elle à une fille de joie, à une catin.
Elle reçu dans sa main une petite pièce, qu'elle regarda avec tout autant d'étonnement. Les paroles du vieillard n'étaient que des échos trop vagues dans son esprit alors qu'elle comprenait qu'elle allait bel et bien sortir de là. Carmella n'entendait rien d'autre qu'un murmure évanoui et lointain, elle était incapable de saisir le sens de ce qu'on lui disait : non, il n'y avait plus qu'une seule chose qui comptait pour elle : elle allait bientôt recouvrer sa liberté. Elle n'eut qu'un vague regard en arrière, vers son compagnon de cellule qu'elle abandonna aussi rapidement qu'elle l'avait rencontré avec un adieu murmuré. Le goût de la liberté avait bien plus de valeur que tout le reste, et était trop précieux pour qu'elle ne l'ait laissé quelques minutes plus loin d'elle. Pieds nus, elle se faufila jusqu'à l'extérieur, retrouvant sur son visage la fine pluie qui tombait, retrouvant sous ses pieds la sensation de la terre humide, et dans ses cheveux, le vent glacial qui ravivait cette flamme futile qu'on lui avait presque éteinte. Libre, elle était libre : le plus beau cadeau qui lui ait été fait depuis longtemps, et elle ne se l'était pas offerte toute seule. Un sourire flanquait son visage alors qu'elle savourait le monde tel qu'on le lui avait ravi ; heureuse, simplement, et elle détala comme une biche à travers la forêt.