(Adrahil & Svéa) it's been a long time, my love

Le pas léger du prince était presque inaudible dans les longs couloirs du palais. Il était rentré la veille au soir de son périple au Gondor. Il n’était pas arrivé très tard, mais il avait surtout eu besoin d’un bon bain pour détendre ses muscles engourdis par deux semaines de voyages, et aussi par cette blessure à l’épaule. Un guérisseur envoyé par son père l’attendait dans sa chambre lorsqu’il était sorti de l’eau, et celui-ci avait examiné la blessure, drainé un endroit infecté puis refait un bandage correct. Adrahil avait ensuite rejoint ses gardes du corps pour faire leur rapport à son père. Celui-ci s’était terminé tard dans la nuit, et Adrahil avait ensuite passé un moment seul à seul avec son père, avant de retourner à ses appartements et de se laisser tomber sur son lit sans même se déshabiller, épuisé.

Après avoir dormi une bonne quinzaine d’heures, le prince s’était éveillé frais et dispo pour passer une – courte – soirée en compagnie de Svéa. Il avait reçut un dernier corbeau de sa belle avant de partir de Minas Thirit et il avait gardé la lettre contre son cœur tout le long du trajet. Courte, comme toujours, elle lui demandait quand il rentrait. Adrahil avait donc décidé de ne pas repousser sa visite d’une seule journée : il se devait d’aller la voir dès à présent. Ne pas la faire attendre. Lui montrer qu’elle comptait pour lui. Il espérait avoir un peu de temps avant son prochain voyage pour rester là, se poser, lui faire la cours dans les règles. Mais, une part de lui savait bien que cela ne durerait pas. Pas vraiment. Son père le lui avait dit : il allait devoir repartir rapidement pour une autre mission. Adrahil avait fait ses preuves au combat, il aurait d’autres choses à apprendre. La diplomatie. Régler les conflits sur les terres de Dol Amroth. Tout un tas de choses pour, plus tard, devenir un bon prince régnant. Le plus tard possible, cependant.

Il avait envoyé une courte missive à Svéa pour lui proposer de se retrouver dans les jardins, peu après le coucher du soleil. Le prince s’était vêtu avec soin d’un pourpoint rouge et de chausses blanches. Il fit un rapide crochet par les cuisines pour piquer une cuisse de poulet et un peu de pain. Il mangea rapidement, attablé dans la pièce accueillante et surchauffée. Il termina par une longue lampée d’eau, déposa un baiser sur la joue de la cuisinière qui l’avait vu grandir puis il se sauva dans les jardins. Juste à temps. Il s’installa à côté de la fontaine, observant le ciel en attendant sa belle.

Son cœur battait dans sa poitrine. Il battait pour elle depuis un moment déjà et cette impression avait été d’autant plus décuplée par leur brève rencontre à Minas Thirit. Svéa était devenue une femme époustouflante. Belle. Sûre d’elle. Magnifique. Lorsqu’il l’avait vue, Adrahil avait senti son cœur manquer un battement. Et, là, ce soir, il préféra continuer à observer le ciel alors qu’il entendait le frottement de la soie glisser sur le sol pavé du chemin, puis le bruissement du tissus alors qu’elle s’installait à côté de lui. Son regard se tourna vers elle après un moment de silence et il lui sourit. Bonsoir, belle demoiselle. Vous seriez vous perdue ? C’était un jeu, lorsqu’ils étaient enfants. Lorsqu’elle les suivait, Nalf et lui. Il lui posait toujours cette question en premier. Avant qu’elle ne se joigne à leurs jeux. Une petite tradition, somme toute. Il espérait qu’elle s’en souviendrait et répondrait avec la même fougue qu’autrefois. Mais, Svéa était devenue une Dame, maintenant. Peut-être avait-elle appris à tenir sa langue.

Elle était magnifique. Absolument sublime. Adrahil ne savait tout simplement plus que penser en laissant son regard se poser sur elle. Un sourire s’épanouissait sur ses lèvres et transformait son visage d’ange, lui donnant une allure de déesse qui aurait pris forme humaine. Le cœur d’Adrahil manqua un battement en la voyant. Evidemment. Il le savait. Il était accroc. Leurs lettres s’étaient faites de plus en plus longues au fil des mois, des années. La fougue de la jeune femme transparaissait toujours dans son écriture. Elle était, il le savait, faite pour lui. Elle était ce dont il avait besoin. Ce pour quoi il était né. Sa drogue. L’amour de sa vie. Toutes les autres jeunes femmes qu’on avait souhaité lui faire rencontrer en vue d’épousailles lui avaient semblé si ternes, si éteintes, alors que Svéa… Svéa était parfaite. Adrahil était en admiration devant ses fossettes, cette lueur dans son regard, sa longue chevelure brune qui tombait dans son dos… En bref, il était amoureux, et il n’était pas tout à fait certain de savoir comment la courtiser. Ce n’était pas le genre de leçons qu’il avait apprises dans ses livres ou auprès de ses précepteurs.

Adrahil finit par prendre la parole. Il ressortit les mots de ces jeux d’enfants, ces jeux qu’il avait avec Nalf et elle, alors qu’elle les suivait tous les deux, qu’elle considérait son jumeau comme sa propriété. Adrahil et son écuyer. Adrahil et son meilleur ami. Adrahil qui avait tenu Nalf dans ses bras le jour de sa mort. Et, Svéa. Qui l’avait détesté, au départ. Qui avait tenté de les séparer. De s’incruster. Qui était la seule à remettre le prince à sa place là où personne d’autre n’aurait osé. Oui, Svéa était faite pour lui. Et, il espérait qu’il se souviendrait de ce jeu. De cette petite tradition entre eux. Il l’espérait du plus profond de son âme. Son cœur loupa un nouveau battement lorsqu’il entendit les mots de sa Dame. Là où elle devait être. Oui, c’était tout à fait cela. Il se perdit dans ses yeux noisette, pétillants de malice durant une seconde, et il se sentit sourire béatement, comme un idiot. Quelle est donc ma place, dans ce cas ?

Autrefois, il aurait osé l’attraper par la taille pour la chatouiller, comme Nalf le faisait. Mais, aujourd’hui, avec un chaperon pour les observer d’un regard noir, il ne le fit pas. La servante de Svéa s’était installée deux bancs plus loin et elle était en train de tricoter. Son regard se relevait régulièrement pour surveiller le petit couple qui discutait. Elle devait veiller à la vertu de sa Dame. C’était son travail. Tout le monde se fichait de la vertu du prince, tant qu’il ne ramenait pas de bâtard. Mais, pour une Dame, ce n’était pas pareil. Cependant, le prince attendit que la servante baisse les yeux pour recompter ses mailles, il mit un doigt sur ses lèvres et attrapa la main de Svéa pour l’entrainer sur l’allée pavée. Vite, avant qu’elle ne le remarque, souffla-t-il avec un sourire d’enfant.