[FLASH BACK] Retour à Forochel

La baie de Forochel s’étendait sous la glace, prisonnière du froid, infinie et terrible sous son manteau craquelé, si traitre, si séduisant. Le spectacle ne lassait pas le jeune fille à chaque fois que la saison plus douce entrainait sa tribu jusqu’en ces terres plus au sud, au confins du monde dans sa perception étriqué de la terre du Milieu. Elle savait pourtant que des immensités se perdaient là bas au delà de l’horizon brumeux, là où son père disparaissait durant de longs mois. Ce rituel revenait chaque année et ses yeux dévoraient l’immensité de la mer de givre avec dévotion, admirative de la grandiose nature que les dieux avaient placés là. Parfois son regard s’aventurait vers le sud, l’esprit plein de questions. Et si la curiosité était naturelle pour un être issue de deux peuples, celle-ci ne s’exprimait que par des mots volages, s’évaporant au fil des jours et des devoirs. Sa place en ce monde, au sein de sa communauté passait avant des états d’âmes sur ses origines et son futur. La famille avait subit cette perte avec douleur, privant des enfants d’une mère dont Endriad avait malgré son chagrin reprit la lourde tâche.

Cela faisait un an environ que la lossoth avait commencé un apprentissage auprès de la vieille Yuïka, en plus des corvées qui lui incombaient en tant qu’ainée et en tant que petite fille de chef. Ce n’était pas facile tous les jours, mais Endriad était volontaire et solide, les pieds bien encré dans le sol, la tête endurcie par le deuil et l’absence d’un père sur les routes depuis toujours. Personne ici cependant n’avait le loisir de se tourner les pouces, de blâmer son infortune. Elle remerciait ses aïeux et les autres membres de la tribu chaque jour pour être des soutiens indéfectibles quelque furent les épreuves à surmonter. Cette communauté soudé face à l’adversité était un bienfait inestimable. Au milieu de ce travail quotidien acharné pour survivre, loin d’être aussi malheureux tant les liens étaient puissants entre les êtres, certaines traditions saisonnières apportaient d’autres bienfaits.

Les réunions du milieu d’été donnaient l’occasion de voir de nouvelles têtes ou des cousins, de faire du troc, et de célébrer de nombreux mariages. C’était un moment de consécration et d’échanges comme ils en existaient peu le reste du temps. Lorsqu’on détournait les yeux de l’immensité de la mer, nul ne pouvait ignorait cette ville sortit de la glace comme par enchantement un mois par an. Les tantes s’étalaient à perte de vue, en large ilot sombre et grouillant au milieu du désert blanc. Il y régnait une étrange atmosphère de joie et de partages, fatalement contagieuse, rompant avec le silence habituel. Les cortèges de célébrations traversaient les campements des diverses tribus, recevant les bénédictions et les offrandes de chaque chef.

Endriad en profitait grandement, même si elle ne pouvait pas s’empêcher de surveiller son frère, toujours partant pour des bêtises en tous genres. Ces cousins, elle les voyait peu et c’était l’occasion de s’accorder un peu de bon temps en partageant des jeux d’adolescents. Elle n’était pas si vieille, même si elle s’efforçait de faire aussi bien qu’un adulte. La veille Yuïka lui laissait cependant un peu de temps libre en souriant, consciente que son apprentie avait aussi besoin, parfois, de se consacrer à elle-même. Endriad ne l’oubliait pas pour autant, ne ratant jamais l’appel d’un messager la demandant, les personnes qui l’accostait avec un problème, ou tout simplement les heures qu’elle  accordait à son apprentissage. La guérisseuse était reconnue dans plus d’une tribu pour ses dons dans la manipulation des os et sa connaissance des plantes. Autant dire que le travail ne manquait pas pour l’assister durant les séances lorsque les réunions avaient lieu. Alors chaque jour la jeune fille se tenait prête à accueillir les malades et à apprendre de son professeur dans cette large tante surchargée de cadeaux et de décoctions odorantes. A force, le parfum fort, piquant, si particulier qui se dégageait des tapis et des breloques suspendus lui était devenu familier, presque rassurant.

Devant l’entrée, ce matin là, la lossoth s’occupait de faire bouillir des linges avec du sel et des plantes. C’était une tâche récurante, qui lui permettait également de converser avec les passants, et quelques amis venus l’encourager dans son travail autour du feu. Un joyeux petit groupe d’adolescentes s’était formé. Elles jacassaient notamment sur les parures de Mitäh, une des grandes, fiancée la veille avec un jeune guerrier et qui allait sans doute bientôt les quitter. Les filles y allait aussi de leurs conquêtes en riant, critiquant certains jugé passables, enjolivant les traits d’un autre qui avait suffrage unanime des grands mères jusqu’aux plus jeunes. Il était beau, il était grand, et il savait chasser comme personne ce gaillard ! On s’étonnait presque qu’à 25 ans le parti le plus convoité n’eut pas encore choisi d’épouse, tout en jasant, en espérant que cela se ferait en sa faveur. Hélas, ce satané jeune homme ne semblait n’avoir d’inclinaison que pour la chasse et ses loups.


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