Let them be little ϟ Bofur [Flashback]

Let them cry, let them giggle, let them sleep in the middle.

Ered Luin fourmille d'activité en cet après-midi d'automne. Les forgerons s'affairent dans la chaleur de leurs ateliers, les mineurs creusent sans relâche dans les sous-sols et les comptables passent au crible les pierres trouvées. Les cuisiniers ne se reposent jamais et les tavernes ne désemplissent pas quelque soit l'heure de la journée.  Les tailleurs de pierre, les couturiers, les marchands, les gardes, les négociants, tous travaillent sans se ménager, comme tous les jours dans les Montagnes Bleues.  J'aime me promener dans les couloirs de la montagne et regarder les gens autour de moi s'affairer, marcher d'un pas pressé en discutant avec leurs grosses voix et leurs grands gestes. J'aime explorer, passer la tête dans l'ouverture des portes de certains ateliers ou magasins pour voir ce qu'on y fait. Des fois les nains ou naines qui me voient m'invitent à entrer et m'expliquent ce qu'ils font, contents de partager leur art pendant quelques minutes avec moi. Parfois je repars avec un petit objet ou une friandise qu'on m'a offert, d'autres fois je me sers sur les étagères quand les travailleurs ont le dos tourné. Il y a toujours des jolies choses, ou des bidules rigolos que je cache sous mon lit en rentrant à la maison, en faisant attention que ni mon père ni Dori ne les voient. La dernière fois que j'avais montré à Dori la jolie montre que j'avais trouvé pour lui dans une boutique, il m'avait forcé à retourner la rendre. Ce n'était pas du tout cela que j'avais voulu au départ ; j'aurais préféré que Dori la mette à son poignet pour voir si ça lui allait bien, mais je crois qu'il n'aime pas vraiment que je ramène des cadeaux à la maison. Et mon père non plus. Il rentre toujours dans des colères noires. Alors je les cache sous une lame de parquet en-dessous de mon lit pour que personne ne les trouve, et quand j'ai envie de les regarder je les sors et les mets sous ma couverture.
En tout cas, j'aime cette montagne. Elle est si grande et pleine de passages à découvrir que je n'ai pas du tout envie d'aller à mes leçons quotidiennes. Explorer c'est bien plus amusant, alors je fausse compagnie à mon professeur et m'éclipse dans les couloirs, au grand dame de mes parents. Je me fais sermonner quand je rentre, mais j'ai l'habitude à présent, et à chaque fois je découvre des choses si intéressantes que je ne le regrette pas. Comme maintenant.

Depuis quelques temps, j'ai un nouveau passe-temps  favori qui consiste à grimper sur les toits plats des ateliers de la grande rue marchande. Certains sont si rapprochés que je peux sauter de l'un à l'autre, et je m'amuse à regarder les gens passer  sans qu'ils ne me voient. Parfois j'écoute ce que les artisans disent en me plaçant au-dessus de la porte, et je profite de leur absence pour faire un tour à l'intérieur.  Là, je suis rentré dans une poterie, et je regarde les différents pots alignés sur les étagères. Certains sont très gros, il y en a même un qui est plus grand que moi, d'autres sont tout petits. Certains sont peints de toutes les couleurs, mais la plupart sont simplement décorés de runes ou de gravures montrant des scènes de bataille ou de la vie sous la montagne.  

Je fais le tour de l'échoppe, curieux, puis je reviens à la porte d'entrée quand quelque chose attire mon œil : sur un présentoir à ma gauche, il y a une vingtaine de figurines en terre de taille et de forme variables.  L'une des plus petite représente un animal qui ressemble à un loup et dont les deux petits yeux sont remplacés par deux jolis éclats de pierre argentée. Je l'observe pendant quelques minutes, absorbé par sa beauté, quand j'entends des pas au-dehors qui me tirent de ma rêverie. Je sursaute et je fourre le petit loup à l'intérieur de ma veste sans vraiment m'en rendre compte avant de sortir de l'atelier.  Un nain à la barbe noire imposante, le potier, me lance un drôle de regard avant de rentrer par la porte que je viens d'emprunter, et je m'éloigne aussi vite que mes petites jambes le peuvent, le cœur battant la chamade. Quelques secondes plus tard, une exclamation surprise se fait entendre, et j'ai soudain très peur. Le monsieur a dû voir qu'il lui manquait le petit loup ! Il va m'attraper et me corriger ! Ni une, ni deux, me voilà en train de courir à toutes jambes, slalomant entre les nains qui me regardent passer en riant. Sauf que ce n'est pas drôle du tout pour moi, et je vire à droite, empruntant un couloir qui descend dans un quartier un peu plus bas, plus près des mines.  Après quelques minutes de course, je me cache entre deux maisonnées et je reprends ma respiration avant de m'asseoir contre le mur. Maintenant que j'y pense, ce n'était pas une très bonne idée de venir ici, car je n'ai pas encore exploré ce quartier. Mais bon, ce sera peut-être l'occasion de le faire, quand je serai un peu reposé.
Je sors le petit loup et le tiens entre mes mains, l'observant avec révérence. Il est très joli, surtout avec ses yeux qui brillent.  J'ai eu une belle peur, mais je suis content d'avoir eu le temps de prendre la figurine avant de partir. Je la range et me relève quand soudain j'entends un bruit non loin de moi. Je me retourne et me retrouve face à un autre jeune nain qui ne doit pas être beaucoup plus vieux que moi vu sa taille. Il a un sourire sur le visage et des cheveux bruns et épais. Je le regarde avec des grands yeux, surpris. Je n'ai pas l'habitude de voir des enfants nains de mon âge, car dans le quartier où j'habite avec mes parents et mon frère il n'y a que moi. Oh j'en croise des fois sur le marché et il y en a un avec moi aux leçons, mais il est bête, je ne l'aime pas trop. Cependant, devant moi se tient un authentique jeune nain, et je ne sais absolument pas quoi faire, ni quoi dire. Qu'est-on censé faire dans ces cas-là ? Après quelques secondes de blanc total, je parviens à sortir un  « Salut ? » pas très convaincu, qui ressemble plus à une question qu'à autre chose.