Vivre Encore [Solo]

« Mange, petite. »

La voix était douce, et des mains lui tendaient aussi délicatement que possible une assiette. L'enfant s'enfonça dans le lit, recule, et songea à se dissimuler sous les couvertures. Cette femme, là, elle vivait avec son sauveur, il avait dit que c'était sa femme. Mais elle ne pouvait pas lui faire confiance, elle n'avait confiance qu'en son sauveur.

« S'il te plaît. » murmura l'adulte, inquiète.

Mais la petite resta sourde à ses mots, et la femme finit par abandonner, avec un soupir. Voilà seulement quelques jours que l'enfant vivait chez eux, et autant qu'elle refusait tout ce que lui demandait l'adulte. Elle n'écoutait que son époux, avec une attention presque religieuse.

« Il va falloir changer tes bandages, aussi. » soupira une nouvelle fois l'adulte.

La petite fille releva légèrement la tête, et voyant l'adulte approcher, s'empressa de se glisser sous la couverture du lit. Mais l'adulte savait qu'elle ne pouvait pas céder, cette fois. Son époux, Cyrénias, ne rentrerait que tard dans la soirée, et il était plus que temps de changer les bandes de tissu qui dissimulaient les brûlures de l'enfant. Même si cette dernière n'était pas d'accord. Alors, elle souleva la couverture, agrippa solidement le bras droit de l'enfant qui se pétrifia sous le contact.

L'adulte en profita pour, de sa main libre, saisir doucement son poignet et défaire les bandages qui l'entouraient . Ils étaient encore un peu humides, mais il était temps de les changer. Avec un chiffon humide, et propre, la femme nettoya soigneusement la plaie, et les restes de pommade. Puis, tout en douceur, elle y appliqua un mélange de thym et d'aloe vera, conseillé par un vieil herboriste qui lui avait assuré que ces plantes aideraient à la guérison des brûlures. Enfin, elle récupéra des bandes de tissus propres, et les trempa dans une bassine d'eau claire, toute proche, avant de les enrouler délicatement sur le poignet de l'enfant, sans trop serrer.

La petite était plutôt docile, bien qu'elle soit crispée, et que des larmes coulaient sur ses joues. Elle semblait n'avoir qu'une envie : libérer son poignet et retourner se cacher sous sa couverture. Mais ses plaies lui faisaient mal, et les soins de l'adulte la soulageait un peu, et elle savait, au fond d'elle, que c'était pour son bien.

L'adulte s'attaqua ensuite à son autre poignet. Une nouvelle fois, l'enfant resta relativement calme. Mais dès que la femme commença à soigner ses pieds...La petite se mit à se débattre, obligeant l'adulte à la tenir fermement. Les brûlures sur ses pieds étaient plus étendues, elles entouraient la cheville, et s'étalaient sur sa plante de pied, et un peu sur le dessus.

« Non, non ! » cria la petite, en continuant d'essayer de se libérer.

Malgré les pleurs et les cris, l'adulte reste ferme et s'empresse de soigner ses pieds, avec autant de douceur qu'elle peut, dans cette situation. Enfin, ses deux pieds sont de nouveau bandés, et elle libère la petite. Celle-ci se réfugie aussitôt sous sa couverture, en larmes.

L'enfant sanglota longtemps, mais finit par s'apaiser et s'endormir, abattu par la douleur et le chagrin. Le soir venu, Cyrénias rentra à la maison. Il trouva la petite endormie, et sa femme, assise à table. Elle avait l'air particulièrement épuisée, et il semblait qu'elle était prête à tout abandonner, quel que ce soit le tout en question. Il se glissa doucement à côté d'elle, et l'enlaça.

« Elle a encore refusé de t'écouter ? murmura-t-il.
-Elle ne veut rien entendre, Cyrénias, elle est complètement perdue...
-Elle a tout perdu, Guenièvre. Et ce n'est qu'une enfant, elle ne peut que l'être.
-Je sais, excuse-moi...Il faut que tu restes à la maison, et que tu t'occupes d'elle. Elle ne peut pas continuer à se nourrir que lorsque que tu es là pour l'y forcer. C'est dangereux. Déjà que ses blessures l'affaiblissent.
-Je...d’accord, je vais rester. De toute manière, aucuns de ses proches ne s'est manifesté, il est vain que je continue à chercher sa famille.
-Nous allons devoir retarder notre départ, aussi.
-Ce n'est pas grave, nous rejoindrons le convoi directement à la prochaine ville, plutôt que de faire route ensemble.
-D'accord...» fit Guenièvre et elle se laissa tomber dans ses bras.

Le lendemain, c'est donc Cyrénias qui se chargea de réveiller l'enfant, de la divertir, de la nourrir. La petite lui faisait confiance, elle semblait prête à faire tout ce qu'il lui disait. Il l'avait sauvé, il était son unique repère, désormais. Et doucement, Guenièvre réussit à ne plus être une étrangère pour l'enfant. C'est elle qui préparait à manger, elle qui la soignait, et avec Cyrénias veillant dans l'ombre, la petite était moins effrayée. Si Cyrénias laissait faire la femme, alors tout allait bien.

« Il faudrait te donner un nom, petite...fit, bien des jours plus tard, Cyrénias, alors que Guenièvre changeait une nouvelle fois les bandages de l'enfant.
-Cela cicatrise bien, bientôt tu pourras marcher, sourit la jeune femme en achevant ses soins, alors que la petite ne répondait rien. Cela n'avait rien d'étonnant, elle ne parlait que rarement. Le plus souvent, elle hurlait la nuit, dans ses cauchemars, ou criait quand elle souffrait trop, mais en dehors de cela, il était rare de l'entendre.
-Si tu ne dis rien, je vais le choisir tout seul, prévient Cyrénias en lui ébouriffant doucement les cheveux.
-Pourquoi pas Théodeline ?
-Ou Azurine ? Bleu, comme tes yeux, rit Cyrénias.
-..., si la petite ne répondait pas verbalement, elle secouait la tête à leurs propositions.
-Klarisse ? proposa Guenièvre, déclencha un nouvel hochement de tête négatif.
-Daeka ? continua Cyrénias. Et cette fois-ci, l'enfant sembla réfléchir. Elle n'aimait pas spécialement le prénom, elle n'avait guère cœur à aimer quoi que ce soit, mais il lui plaisait un peu. Peut-être parce que c'était le prénom d'une des princesses de ses livres d'enfants, ceux que sa nourrice lui lisait; Elle coupa court à ses souvenirs et hocha doucement de la tête, pour signifier qu'elle était d'accord.
-Alors, désormais, tu seras Daeka, petite. » conclut l'adulte avec un grand sourire, qui rassura l'enfant, comme toujours.

Daeka, désormais elle s'appelait ainsi. C'était doux, comme prénom, et très différent de son ancien nom. Autrement dit, il état parfait. Elle n'était plus Amaryllis, elle n'avait plus rien de la fille de son noble de père, elle n'avait plus de père, elle n'avait même pas d'héritage, elle n'était plus Amaryllis. Elle était Daeka, et Cyrénias et Guenièvre veillaient sur elle.