Le quatrième cavalier de l’Apocalypse avait accompli son œuvre ; le sang
pruinait sur la dague qu’elle tenait encore dans sa main. Il s’écoulait sur le sol, lentement. Mais au lieu d’être
contristée, la veuve Laoghaire avait un bienêtre
effervescent et
affriolent en elle. Voir ces cadavres joncher le sol et leur sang
tapisser les murs de sa demeure était une jouissance. Si elle le pouvait, la dame
redévorerait chaque instant des yeux cette scène macabre. Mais les traits de son doux visage n’étaient
cernables pour personne. Aucun être n’aurait pu savoir exactement ce qu’elle pouvait penser à cet instant alors que sa progéniture et son mari étaient morts à ses pieds. Quelle décision impardonnable, mais pourtant la meilleure qu’elle ait pu prendre en tant que parents. «
Nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort. Et les morts qui mériteraient la vie. » C’était ce qu’on disait, mais pour Geillis, à cet instant, elle avait été la seule à décider de vie ou de mort. Une décision digne d’un bon parent. Comment auraient-ils pu vivre alors que leur mère était vouée à la honte éternelle. La veuve ne l’aurait pas toléré.
Mais alors qu’elle s’avançait à ses soupiraux, un
enroulage de souvenirs prit ses pensées. La vision de ses parents apparut alors chez Geillis. Elle ne savait pas ce qu’ils étaient devenus ; ils devaient certainement être morts ou toujours dans ce petit village miteux. Oh, aucune ambition n’avait animé leurs âmes quand elle était encore parmi eux. Geillis les aimait très certainement, mais jamais elle ne serait restée avec ses parents. Elle aspirait à la grandeur et non pas à la vie d’agriculteurs. Ce qu’elle voulait, c’était de la reconnaissance et exister en dehors que de ce minable patelin. Mais elle gardait de bons souvenirs auprès de ses géniteurs.
Sa mère. Geillis se souvenait de sa douceur. Une mère aimante et bien tolérante à l’égard de sa petite dernière. Elle savait pertinemment qu’elle n’était pas comme les autres marmots du village. Geillis ne voulait jamais se mélanger aux autres et rester donc toujours très seule dans son coin, perdue dans ses pensées. Sa mère lui avait appris les rudiments pour être une bonne épouse : la couture, la cuisine, le ménage, l’éducation des gamins et les plantes. Souvent, la petite se retrouvait avec sa génitrice à
reborder les ourlets des robes, à créer des
entre-nœuds, à préparer les repas pour le reste de la maisonnée et à créer des remèdes et des onguents. Elle lui donnait des conseils, mais elle n’aurait jamais pu imaginer qu’un jour elle commettrait des actes horribles.
Quant à son père, il menait le village comme il se devait selon son rang social. Déjà dès sa naissance, Geillis était promise à la grandeur. Elle admirait le courage qui rayonnait en cet homme qui rentrait le soir après avoir organisé le village ou après s’être battu contre des ennemis proches. C’était un homme à la carrure imposante et qui inspirait le respect. Jamais elle n’aurait osé ne serait-ce que de lui répondre de manière mal polie. Elle se serait prise sa main sur le visage. Mais c’était un homme juste qui ne renonçait jamais et qui se battait pour le bien de tous. Il aimait son épouse et sa progéniture. C’était un bon père au même titre que sa conjointe. Geillis aimait énormément ses parents.
La veuve Laoghaire chassa ces pensées de sa tête tout en admirant son travail endormi sur le carrelage du manoir. Puis elle alla changer de robe avant de prévenir ses serviteurs du meurtre qu’on venait de commettre ici.
Codage par Emi Burton