Il faut tenter de vivre [feat Thorin]

   

Le temps était passé depuis cette fameuse mise au point dans la salle du trône des montagnes Bleues. La blessure de son épaule s’était remise et même si la peau de cette zone était encore assez sensible, l’héritier de Thorin pouvait à nouveau se mouvoir sans avoir l’impression de sentir la plaie sur le point de se déchirer. Les entraînements en revanche, ce n’était pas encore cela… il avait bien sentit passer le fait de vouloir tenter de reprendre les armes tout de suite. L’inactivité avait eu un autre avantage, il avait eu le temps de penser – de se faire sermonner aussi – et une chose s’était imposée à lui, il devait impérativement s’excuser auprès de Thorin.

Ce matin en se levant, ça avait été la première chose lui traversant l’esprit et après avoir été subtiliser quelque chose à manger, il allait directement à l’endroit où il pensait trouver leur chef. La dernière fois qu’ils avaient été réunis ici, ça avait été après son aventure en dehors de la montagne… cette fois… il devait faire amende honorable, après être passé chez la famille de son frère d’arme décédé et avoir amené un jouet pour l’enfant de la jeune veuve. Il aimait beaucoup ces visites, il se sentait plus utile.

La nervosité engourdissait ses membres avant qu’il ne frappe quelques coups forts sur la grande porte de bois. Au départ, il n’y eu que le silence, puis il pensa entendre quelqu’un lui dire d’entrer, alors il poussait les battants et inspirait assez fort. Il avait été butté, espérons que les choses s’arrangent rapidement.

— Mon oncle ? Pouvons-nous parler un instant ?

   
   

   

 

Fort heureusement, il avait apparemment bien été invité à entrer et ne se retrouvait pas rejeté de la salle avant même d’y avoir mis un pied. Plusieurs nains étaient présents, réunis autour d’une table, pour sans doute régler quelques affaires importantes pour la montagne. Fili n’avait plus réellement prêté attention à ce genre de chose durant sa convalescence, ne sachant l’accueil qu’il aurait reçu – d’une part – et surtout parce que justement, il avait ordre de se reposer et avait bien profité de l’occasion pour ne rien faire, ou peu de chose. Qu’à cela ne tienne, le silence se faisant à son entrée, le nain blond rendait leurs salutations aux personnes présentes, soit par un signe de tête, soit par un regard, selon le nain, avant de bien entendu s’incliner légèrement devant Thorin. Malgré son entêtement, il n’en oubliait pas ses manières, même si d’aucun aurait pensé le contraire avec son comportement de la dernière fois.

Son oncle étant occupé, son héritier restait légèrement à l’écart pour comprendre qu’il était question des travaux dont il avait entendu parler, ceux destiné à renforcer les remparts de leur montagne, surtout avec les dégâts causés chaque année par le froid. Les travailleurs présents étaient tous les meilleurs de leur domaine, aucun doute n’était possible sur la qualité du rendu et il savait que le silence de Thorin, en dehors de quelques acquiescements, voulait dire exactement la même chose. Quand les choses se remirent en mouvement, signalant la fin de l’entrevue, Fili regardait les nains ranger leurs affaires et se retrouver les bras chargés, avant de se diriger vers la grande porte de la salle, sur les pas de leur Régent qui les raccompagnaient tous. C’était une bonne chose de faite mais maintenant, la motivation du plus jeune avait eu le temps de refroidir et il sentait cette boule de stress se faire une place dans sa gorge. Si Thorin ne voulait même pas l’écouter ? Si, au lieu de le laisser s’excuser, il lui disait que durant ce mois il avait lui aussi réfléchit et le ‘libérait’ du devoir qui était normalement le sien ? Non… il ne faut pas penser négativement. Même une fois la porte fermée, il n’y avait pas eu une remarque laissant penser cela, alors que Waldur s’en était allé, sans doute avec un ordre du nain brun, mais Fili n’avait pas réellement fait attention en vérité.

Un instant de battement passa, dans le silence absolu, où Thorin s’installait, rapidement suivit de son neveu qui prenait place là où l’on l’y invitait. Ce genre de discussion n’était réellement pas sa tasse de thé, toujours à le mettre mal à l’aise, à avoir l’impression d’être à nouveau l’enfant qui s’était fait prendre en train de faire une ânerie avec son frère, alors qu’il se devait de montrer l’exemple. Pourtant il était venu de son propre chef – aussi étonnant que cela puisse paraître – et ne comptait pas repartir sans s’être excusé. Il avait longtemps cherché quoi dire, quoi faire… supporté les regards lourds de sens de sa mère… il jurerait même l’avoir entendu pester sur l’entêtement des hommes de sa famille. Il n’avait pas eu le courage de lui dire qu’il avait voulu s’excuser sitôt ses terribles paroles énoncées, la naine aurait été capable de le prendre par la peau de cou et l’enfermer dans la même pièce que son oncle jusqu’à ce que les excuses soient donc énoncées, ou qu’il n’y ait un mort. Donc il avait préféré faire sa tête de Dùrin, faire celui qui ne voyait pas ce qu’il avait à se reprocher alors que son esprit carburait pour  trouver comment faire savoir à son oncle qu’il regrettait sincèrement. Puis l’illumination lui était venu, il s’était souvenu d’une autre fois… une fois où, étant enfant, il avait ‘boudé’ son oncle pendant quelques semaines également et incapable de trouver comment s’excuser à l’époque il avait confectionné de ses mains un présent maladroit. Bon à l’époque, il était très petit et le sujet de la dispute ridicule, mais il avait décidé de faire une sculpture en bois – censé représenter leur famille – très grossière, mais l’effort fait pour la réaliser avait tenu lieu d’excuses.

Non, il n’avait pas refait une sculpture cette fois, il avait grandi tout de même et s’était penché sur quelque chose de plus relatif à son peuple.

« Je t’écoutes. »

La voix dénuée de colère du second nain le fit sortir de ses pensées, il n’avait d’ailleurs pas eu réellement conscience de s’y être plongé. A plusieurs reprises, il ouvrait la bouche pour dire ce qu’il avait longuement préparé, mais maintenant… cela sonnait tellement… ridicule dans son esprit. Les mots n’étaient pas suffisants parfois. Inspirant profondément – mais discrètement – pour se donner du courage, l’une de ses mains serrées sur ce qu’il avait amené comme présent à son oncle, puis finalement ; comme autrefois, il glissait le paquet rectangulaire sur la table. La raison pour laquelle il avait été si long était ici, même si on pouvait aussi voir cela comme un moyen de gagner du temps. Peut-être que Thorin allait lui aussi se rappeler de cette fois lointaine ? C’est ce qu’il se demandait en regardant le paquet qui renfermait une boite de bois, ouvragée par ses soins, qui renfermait elle-même une dague qu’il avait eu grand peine à forgée, aux armoiries de leur famille mais surtout avec le nom de son illustre propriétaire dessus, du moins, s’il acceptait ce présent.

« Je… lors de notre dernière discussion, je me suis réellement comporté comme le dernier des ingrats et des idiots. J’ai manqué de respect non seulement au guide de notre peuple mais surtout… au seul père que nous ayons eu Kili et moi. Vous avez sacrifié énormément pour nous, depuis des années si lointaine que je ne peux me souvenir de tous… je… je suis désolé… réellement. »

Ce n’était pas précisément ce qu’il avait prévu de dire mais au moins, tout était on ne peut plus naturel et honnête.

 

Fili ne savait comment prendre la réaction de son oncle. En général, son oncle ouvrait toujours son présent avant de lui faire savoir qu’il ne pardonnait mais cette fois… il semblait ne pas prêter attention à son cadeau et, pour être honnête, le jeune héritier se sentait un peu lésé, comme s’il se fichait éperdument de ses excuses. Pour lui, l’oncle et le roi était difficilement dissociable, à ses yeux, il avait honte d’avoir désobéit à l’oncle, le chef de famille qui s’était rongé les sangs toute une nuit, en compagnie de sa mère et son frère… pas le souverain… alors oui, les raisons de Thorin lui semblaient obscures.

Jamais agis pour obtenir leur reconnaissance ? Mais… qu’espérait-il ? N’était-ce pas cela la famille ? Être reconnaissant pour les gestes du quotidien, même ce qui ne nous semblait pas forcément logique sur le coup ? Même ce qui pouvait les mettre à dos pendant quelques temps, jusqu’à ce que les jeunes idiots comprennent que la fureur ne résultait que de l’inquiétude et la peur… est-ce qu’il s’était encore mépris ? Est-ce qu’en fait, son oncle se moquait de ses excuses si elles n’étaient pas adressées au souverain ?

« Que vouliez-vous en ce cas ? Si ce n’est notre reconnaissance ? »

Il ne pouvait après tout pas imaginer que Thorin ciblait là le fait qu’il ait souvent fait passer son devoir avant toute autre chose, mais la dernière réplique lui fit savoir que c’était cela que visait son oncle… non… le roi, car après tout, il venait bien de lui faire comprendre qu’en cet instant, il exprimait le fait que sa famille n’était pas prioritaire sur son devoir… une chose qui lui enserra le cœur brièvement. Il n’était donc pas près de réussir à s’excuser proprement ?

Cependant, même s’il n’en avait pas l’air, le lion de Dùrin avait grandi et apprit nombre de chose, alors la haine ne pouvait le gagner en cet instant, il ne voulait être ce genre de nain, celui ne se laissant guider que par la fureur et les élans négatifs de sa personne. Il fallait laisser cela aux autres, à ceux incapables de faire la part des choses. Quand le poing de son interlocuteur se desserrait enfin, semblant écarter le risque d’un nouvel accès de rage – qu’il aurait pensé à son encontre, alors que tel n’était pas le cas – Fili secouait finalement la tête, son regard toujours fixé sur la table de bois, avant de réussir à rassembler ses pensées en une série de paroles. Comment dire les choses sans passer pour un idiot… et se faire comprendre clairement ?

« Je ne veux pas laisser la haine guider mes actes… peut-être suis-je naïf, mais j’ose espérer que tous vos actes à nos égards n’ont pas été que ceux du roi… je… vous faites énormément pour notre famille, même si vous affirmez que votre devoir est le plus important. Alors même si vos actes sont plus ceux du roi que d’une figure familiale, il est de mon droit aussi de ne point vous en vouloir. Je vous suis réellement reconnaissant, ne serait-ce que pour ce peuple que vous avez guidé malgré de nombreux périls, et pour qui vous vous battez chaque jour. Une chose que je n’avais pas encore comprise jusqu’alors. »

Puis d’ajouter une chose qu’il n’avait jamais admis avant, mais qui montrait la leçon qu’il avait retenue depuis lors.

« Je… je n’étais qu’un enfant, qui voulait faire ses preuves…mais qui n’avait pas compris ce que cela impliquait. Ce ne sont pas que nos actions qui font de nous un bon soldat ou un bon chef, c’est aussi être capable de refuser d’agir, d’annuler un combat pour la sécurité des nôtres. Je le sais maintenant, et je sais aussi qu’avec votre aide, j’ai encore énormément de chose à apprendre. »

 
Dans le silence de la pièce, Fili se demandait ce que son oncle pouvait avoir en tête. S’il le savait, il serait sans doute un peu perdu car lui aussi se demandait parfois si leur père à lui et Kili serait fier de les voir tels qu’ils étaient aujourd’hui. Il l’espérait, comme il aimait à voir leur mère sourire et être apparemment fière d’eux. Comme lorsqu’il était petit, les questions qui bouillonnaient dans son esprit n’avaient de cesse de se voir dans ses yeux clairs, surtout en voyant passer un éclair de tristesse dans les yeux de son oncle. Est-ce qu’il avait dit quelque chose de mal ? Quelque chose capable de rendre triste ce nain qu’il admirait depuis qu’il était en âge de se tenir debout et de reconnaître les visages qui l’approchait ? Pourtant quand son regard accrochait celui du plus âgé, le jeune héritier de Durin ne vit plus ces signes et pensait donc les avoir imaginé.

Un peu hésitant au départ, Fili esquissait un sourire en sentant une pression sur son épaule, c’était le moyen pour son oncle de faire preuve d’affection, pas grand-chose aux yeux de certains mais… beaucoup pour lui. Surtout qu’en toute honnêteté, Fili avait craint qu’une certaine rancœur existe encore entre eux, car il n’avait pas été des plus compréhensifs lors de leur dernière entrevue, et avait été des plus bornés ensuite… le lignage n’était pas le seul responsable dans ce genre de cas. Tout cela sera amené à lui servir plus tard, même s’il était peu probable que le plus jeune se sente un jour réellement près à endosser le rôle auquel il était préparé depuis fort longtemps. En vérité… il était certain de trembler comme un enfant le jour venu, et d’avoir Kili capable de se moquer de lui pendant les années qui suivront, alors que lui tentera de jouer de sévérité avant de simplement être blasé par l’attitude de son cadet. Sans quitter son siège, le jeune lion suivait des yeux son oncle qui allait raviver le feu. En effet, mine de rien, la température s’était quelque peu refroidie et une nouvelle vague de chaleur lui fit le plus grand bien avant que son cœur ne s’accélère en voyant revenir Thorin, qui se saisissait de son cadeau pour enfin le regarder.

Il ne doutait pas que le travail soit bien fait, il avait pris énormément de temps, recommencé parfois, quand il n’était réellement pas content du rendu… alors autant dire que maintenant, la raison principal de son air anxieux venait de là. La boîte sembla plaire… c’était déjà cela… et comme il s’y était attendu ensuite, Thorin avait observé avec minutie la dague, la soupesant et usant de son regard aiguisé pour voir chaque détail de la lame. Comme un gamin, le blond se surprenait à rougir et relâchait tout son air en voyant que d’une part, le présent était accepté et surtout, qu’il avait atteint son but. Comment dire… il avait tellement eu peur avant de se décider à venir ici qu’il avait été obligé de courir vidanger sa vessie trois fois en moins d’une heure avant de venir. Heureusement qu’il n’avait rien dit à personne, il voyait déjà le sourire moqueur de son frère, ou une remarque de sa mère qui lui aurait fait remarqué qu’il n’aurait pas été si anxieux en allant s’excuser dès le départ. Ce qui serait la vérité au demeurant, mais il avait réellement envie de laisser cette histoire derrière lui et offrait un sourire accompagné d’un signe de tête à son oncle.

« Je sais que rien n’a jamais été fait pour nous pénaliser, bien au contraire. Je pense que j’avais juste besoin que l’on me le rappelle. En revanche, je crois qu’il ne faudra pas compter sur moi pour parvenir à garder mes émotions aussi bien que vous… ou pas avant une bonne centaine d’années en tout cas. »

Il était encore trop jeune, impétueux et… il avait toujours l’impression d’être sur le point d’exploser s’il gardait tout pour lui.